ne t’accroche pas si fort (aureus)

Lorsqu’elle était petite et qu’elle était obligée d’être immobilisée dans son lit pour que sa jambe qu’elle se guérisse, Rachel s’était dit qu’elle ne pourrait jamais danser. Quoi qu’elle fasse, peu importe la rééducation, elle ne pourrait jamais tenir sur une piste de danse. Plus tard, quand il y avait eu quelques bals à Beauxbâtons, elle avait nombre de fois refusé à ses cavaliers et cavalières de danser pour le peu où elle en avait eu. Plus tard, quand lorsqu’elle était devenue oubliator et que parfois elle sortait avec ses ami‧e‧s et qu’ils terminaient par danser, elle était toujours restée sur le rebord de la piste de danse.
Ce soir-là ne faisait pas exception.
Même si la présence de Shana était agréable, cette dernière n’avait pas réussi à la faire aller sur la piste de danse du Chansonia. Elle revoyait régulièrement Shana qui était une amie oubliator, un peu plus vieille qu’elle. Elles avaient souvent fait équipe à l’époque où Rachel l’avait été et n’avait pas perdue le contact. En fait, Shana était un passage obligatoire lorsque Rachel avait des obligations ici, à Paris. Rachel ne pouvait pas ne pas la voir pendant au moins un soir et ensemble, il leur arrivait parfois d’échouer ici.
La musique était bonne, l’alcool également. Rachel, pourtant, malgré les insistances de Shana, n’avait pas bougé de sa table.
« Allez, une danse avec moi. Une toute petite, Rachel. »
Rachel lève les yeux au ciel.
« Ma réponse n’a pas changé. Non. Et peu importe combien de verres tu me feras boire, ce sera toujours non. » répondit-elle avec un certain sarcasme dans la voix.
La blonde en face d’elle prit un air théâtral.
« Allez, je voulais aller draguer ce monsieur là-bas. »
Prenant son verre, Rachel regarda autour d’elle pour voir de qui Shana parlait. Il fallait dire que Shana ne repartait jamais seule (et généralement sans elle) dans ce genre de moment. Rachel, parfois aussi. Cela dépendait de son humeur. Ce soir, elle n’était pas spécialement là pour cela mais juste pour apprécier ce moment avec son amie.
« Qui ? »
« À trois heures. Le grand blond là. »
Trouvant rapidement le fameux grand blond à trois heures, Rachel l’observe un instant. Pas vraiment son genre, mais pas non plus tout à jeter. Définitivement un bon coup d’un soir pour ne jamais le revoir.
« Tu n’as pas besoin de moi pour aller le draguer. »
« Non, mais j’ai besoin d’une danse avec toi. »
« Tu me fatigues. »
Elles rient de concert avant que Rachel retourne à son verre. Ses doigts battent la mesure sur le bois et elle savait qu’elle crevait d’envie de danser, mais le blocage était là, trop présent. Rien que d’y penser, elle sentait des douleurs chroniques et fugaces se lancer dans sa jambe droite, douleurs dont elle avait l’habitude et qu’elle comptait bien ignorer parce qu’elle savait que c’était dans sa tête. Comme cette obsession à ne pas céder à cette envie qui trouvait ses sources dans une promesse qu’elle s’était faite enfant. Ne pas se ridiculiser notamment, et c’était exactement ce qu’elle ferait si elle s’autorisait à danser. Mais elle était bien incapable d’expliquer tout cela à Shana, qui, si elle la connaissait bien, n’était pas suffisamment proche pour avoir ce privilège. Et de toute façon, c’était ressassé des choses qu’elle n’avait pas envie de ressasser.
Après un petit moment de silence pendant lequel Rachel apprécie juste son verre et la musique, la directrice du Fort Invisible voit un air passé sur le visage de son ami. Visiblement, elle semblait avoir vu quelque chose ou quelqu’un et elle avait ce petit air de conspiratrice
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Rachel, amusée et qu’elle connaissait suffisamment pour savoir qu’elle avait eu une idée.
« Tu veux bien aller me recommander un verre s’il te plait ? »
« Shana, ton verre est à moitié plein. »
« Allez, tiens, je te donne les bézants. »
Rachel la fixe longuement avant de soupirer et céder.
« Si tu n’existais pas, il faudrait t’inventer. » râla-t-elle avant de se lever.
Récupérant les bézants de son amie, Rachel se fit un chemin boiteux entre les gens pour arriver jusqu’au bar. Sans faire attention à qui était au bar, elle attendit son tour et commanda la même boisson pour elle et Shana avant de se tourner pour observer la table où se trouvait son amie… et découvrir qu’elle était vide. Cherchant la brune aux longues jambes, Rachel ne mit pas longtemps à la trouver près du fameux monsieur blond. Visiblement, elle ne perdit pas de temps que déjà elle entrainait l’homme sur la piste de danse faisant échapper un soupire à Rachel qui ne put s’empêcher de regarder la scène médusée.
« Boudiou, mais quel boucan celle-là. » soupira-t-elle, avant d’enfin remarquer une présence non loin d’elle.
Si au début elle s’apprêta à passer son chemin, elle reconnut trop l’attraction que cette présence exerçait sur elle pour l’ignorer. Lorsque son regard croisa celui d’Aureus de Wendel, Rachel pensa qu’elle était fouttue. Voilà plusieurs mois qu’ils ne se fréquentaient plus et plusieurs mois où elle avait beaucoup pensé à lui comme à chaque fois qu’ils se séparaient. Et comme à chaque fois qu’elle le revoyait, elle sentait ce changement infime en sa présence, ce léger basculement qui lui faisait comprendre que tout se reproduisait.
Comment était-ce possible de tomber amoureuse à chaque fois au premier regard comme cela ?
Incapable de l’ignorer puisqu’il était de toute façon à une chaise haute d’elle, Rachel poussa un autre soupire avant de se tourner vers les deux cocktails qu’on lui servait.
« Tiens, dit-elle de manière sarcastique en poussant l’un des verres vers lui. Mon amie te l’offre parce que le temps qu’elle revienne les glaçons auront fondus. » Si elle revient…

Elle reconnait les sensations comme une amie qu’elle était heureuse de revoir. Le léger battement du cœur qui prend une course effrénée. La respiration qui se coupe un tout petit peu. L’éclat dans son regard bleu. Le léger rougissement de ses joues. Les papillons dans le ventre. C’est toujours la même chose. Toujours pareil quand il est là. Les années passent et l’attraction demeure. S’en est presque ridicule se dit-elle. Pourtant, elle n’a qu’une envie : retrouver le confort de ses bras et la douceur de ses lèvres. C’est comme si le manque se réveillait tout à coup. C’était facile lorsqu’il n’était pas là. Elle pouvait penser à autre chose. Elle pouvait s’occuper l’esprit. Mais là, maintenant, lui proche, c’est comme si la gravité terrestre se concentrait sur lui et lui seul. Ou alors était-ce seulement elle qui ne pouvait faire autrement que se sentir attirée. Elle aurait aimé que le monde entier en face de même pour la personne qu’était Aureus. Parce que malgré les hauts, malgré les bas, elle restait persuadée que sa personne était trop sous-estimée et que le monde n’était pas assez bien pour lui.
Qu’elle n’était pas assez bien pour lui également, sinon, comment expliquer toutes ces pauses entre eux et son absence d’engagement pour lui ?
C’était aussi cela quand elle le revoyait. Se rappeler qu’elle ne comprend pas tout, qu’il ne dit pas tout et que même si elle l’aime et qu’elle n’aimera personne d’autre de la même façon, que tout ce qu’elle voulait n’était pas possible. Parfois, elle lui en veut terriblement quand elle se retrouve sans lui parce qu’il l’a quitté, parce qu’elle l’a quitté. Parfois, elle se dit que ça vaut la peine de ne pas avoir ce qu’elle veut, pas tout en tout cas, si c’est pour passer un peu de temps avec lui, profiter de ce qu’il lui donne. Parfois, elle s’en veut de ne pas savoir s’en contenter. Mais parfois, elle profite comme si c’était les derniers instants parce que ce sentiment d’amour qui la parcourt la dépasse, est plus profond qu’elle-même.
Ce soir, c’est tout cela à la fois qui la traverse et plus encore alors qu’elle observe son visage. Voilà des années qu’ils se côtoient et pourtant, elle le trouve toujours aussi beau. De la mâchoire carrée et rasée, aux cheveux coupés selon les modes, en passant par le costume qui le met si bien en valeur. Il est beau, Aureus, et elle est terriblement frappée par ce fait encore une fois.
Elle manque presque d’écouter ses mots alors que ses yeux clairs se posent sur ses lèvres. De quoi lui parle-t-il ? Ah oui, le verre. Rachel se force à quitter son regard et ses mires observent la piste de danse. Shana est déjà amygdales contre amygdales. Rachel soupire, un peu exaspérée, bien que se sentant un peu mieux respirer que de ne plus se concentrer sur Aureus. Ce n’est que lorsqu’il reparle qu’elle se sent de nouveau attirée par l’aimant qu’il est. Alors que son regard se pose sur lui de nouveau, elle entend le ton, elle comprend les mots et elle sent les battements de son cœur s’accélérer un peu plus. Une myriade d’émotions la traversent comme un millier de papillons. Elle qui est si stoïque au travail n’arrive à rien avec lui, lui qui la rend si vulnérable.
« Tu n’es pas accompagné ? » demande-t-elle finalement. Elle a cru voir quelqu’un du coin de l’œil près de lui en y réfléchissant et elle sait que ce n’est que retarder l’inévitable fracas de leur attraction que de poser la question. Mais elle est sincère aussi, s’il est accompagné, elle peut très bien retourner d’où elle venait tout en sachant que c’est fouttu d’avance. Il était là, elle l’avait repéré, elle ne pourrait que se sentir agacée de le voir approché par d’autres. Et elle ne le cacherait même pas puis qu’elle détestait prétendre quoi que ce soit et qu’il la connaissait trop bien.
« Pas longtemps. » céda-t-elle néanmoins. Mots vains en réalité parce qu’elle savait bien qu’elle n’avait plus aucune envie de s’éloigner.
Tirant la chaise haute à ses côtés, Rachel s’asseoit, croisant les jambes sous sa robe. Son regard le fixe longuement avant qu’elle ne demande ne pouvant s'empêcher de sourire un peu : « Comment vas-tu ? » Puis, elle sort de sa pochette son étui à cigarette mentholée pour s’en allumer une.

Elle n’est pas surprise que certaines tentaient d’attirer son attention et plus que cela. Rachel n’est pas excessivement jalouse parce qu’elle sait bien qu’Aureus ne lui a jamais appartenu. Il a refusé de le faire quand elle a parfois évoqué le mariage. Pourtant, elle ne peut s’empêcher d’éprouver une intense satisfaction à l’idée qu’elle soit l’élue. Dans le fond, elle sait que c’est puéril et mesquin, mais elle ne peut s’en empêcher. De savoir qu’il l’a toujours dans la peau puisqu’il l’invite. De savoir qu’elle était privilégiée. De savoir aussi que cela ne mènerait à rien d’autre et qu’elle était hypocrite, tellement hypocrite. Aureus était tout ce qu’elle méprisait de manière générale. Noble et de sang-pur, la vie lui a toujours ouvert des portes. Elle, elle a toujours dû se battre et continue de le faire. Mais même s’il faisait partie du problème, cela n’avait jamais gâché ses sentiments. Au contraire. Parce qu’elle était incorrigible et tellement faillible et humaine et imparfaite. Détester l’élitisme pour chercher son affection auprès de lui. C’était tout elle autant que parfois cela l’exaspérait.
Elle ne répond rien. Elle n’a rien à répondre. Rachel ne se perd pas en mots même si elle est franche et blessante. C’était d’ailleurs parfois ce qui avait mis le feu aux poudres entre eux. Mais elle ne s’excusait pas d’être elle-même avec ses défauts, avec ses qualités aussi. Tout comme lui ne s’était jamais excusé de ce qu’il était et de ses choix. C’était peut-être pour cela aussi qu’elle l’aimait, parce qu’elle savait qu’il était toujours franc avec elle malgré tout.
Et puisque le silence se réinstalle entre eux, Rachel profite de sortir ses cigarettes. Elle n’est pas surprise de son geste à lui. En fait, elle le voyait déjà le faire puis que c’était quelque chose qu’il faisait à chaque fois qu’elle fumait devant lui. Elle sait que c’est une mauvaise habitude, mais depuis la guerre, elle ne peut pas s’en empêcher. Ni quand il faisait ce geste et qu’elle avait cette sensation de compter. Même si elle s’intoxiquait, par ce simple geste, elle savait qu’il tenait à elle. D’un regard, elle le remercia tout en tirant sur le bout de sa cigarette. Le goût de la nicotine et de la menthe lui fait du bien. Elle se sent un peu détendue parmi tout ce monde, face à lui aussi.
Et puis, elle le laisse répondre tout en fumant sa cigarette sans trop toucher à son propre verre pour l’instant. Sa question était sincère. Elle se préoccupait réellement de lui. Ne pas avoir de ses nouvelles, être incapable de rester son amie malgré leurs ruptures répétitives, lui fendaient le cœur. Mais elle n’y arrivait pas à faire comme s’ils étaient simplement amis. Comment le pourrait-elle lorsqu’à chaque fois qu’elle plongeait son regard dans le sien, elle avait envie de s’y noyer comme en cet instant ? La musique, les rires, les discussions autour d’eux s’éteignent immédiatement.
Il allait bien et c’était tout ce qui comptait même si elle savait qu’aller bien voulait toujours tout et rien dire. Si elle n’est pas surprise non plus de savoir qu’il est occupé par son travail, elle est malgré tout contente pour lui. Le frisson qui la parcourt quand il prononce son prénom s’échappe en une fumée un peu plus longue de sa bouche.
Comment allait-elle ? C’était une excellente question.
« Aussi bien que la directrice du pénitencier le plus célèbre de France puisse aller. Toujours entourée de mes prisonniers qui se portent aussi bien que des âmes damnées. » répondit-elle d’un ton sarcastique. Il la connait. Il sait que son humour noir décapant ne fait pas rire tout le monde. Mais elle sait qu’elle peut se permettre ses blagues. Les moments durs à la prison, parce qu’il y en avait, passaient différemment ainsi.
Bien sûr, lui comme elle résume tout au travail. Parce que finalement, elle, en bonne travailleuse acharnée qu’elle était, n’a que ça dans sa vie. Et lui. Et les douleurs à sa jambe. Et sa sœur, mais Rachel ne parlait pas de ces deux derniers éléments, ou rarement dans l’intimité.
« J’ai des projets au travail en ce moment. Cela avance un peu. J’espère que cela avancera comme je le veux, d’où ma présence à Paris et ici… »
Sa main vient déposer la cendre dans le cendrier tandis qu’elle continue de l’observer. Elle sait qu’elle peut être gênante mais elle n’arrive pas à s’en empêcher. Pas avec lui.
« Je ne savais pas que tu venais ici. »
Elle sait bien sûr qu’il y a de nombreux aspects de sa personnalité qu’elle ne connaissait pas. De nombreux secrets aussi. Elle ne s’en offusquait pas même si parfois cela participait à l’incompréhension de leurs ruptures. L’idée pourtant qu’il puisse la surprendre même vingt ans depuis leur rencontre était malgré tout agréable.

Le regard qu’il lui lance la fait chavirer si cela était encore possible. Sans doute que le regard qu’elle lui rend est de la même veine. Elle est incorrigible. Lui, l’est également. Ils se connaissent trop pour ne pas appuyer là où ils se savent le plus susceptibles de tomber. Là aussi, où cela fait mal lorsqu’ils en arrivent à se déchirer. Il était sûr qu’elle allait mieux que quelques mois en arrière. Elle sait que le temps apaise les douleurs et qu’elle n’apprend jamais avec lui. Inévitablement, elle finit toujours par retomber. Elle s’était toujours dit qu’avec le temps, la sagesse des années qu’ils gagnaient, ils apprendraient. Grave erreur, la sagesse ne vient pas avec l’âge mais avec l’apprentissage et on a beau vieillir si l’on n’apprend pas, on est condamné à faire les mêmes erreurs. Et eux, ils n’apprenaient jamais, continuant à répéter leur schéma encore et encore. Jusqu’à quand pour autant ? Elle espère qu’elle ne finira pas par le détester à force de s’épuiser dans leur histoire. Elle espère que lui non plus. C’est comme si, à chaque fois, elle oubliait pour retomber, comme un éternel recommencement. Avec lui, il lui semble pourtant qu’elle pourrait continuer ainsi jusqu’à la fin des temps aussi tragique que cela pouvait être parfois pour eux deux.
Sans quitter son regard, Rachel ne peut s’empêcher de sourire un peu. Il le sait, elle ne sourit pas beaucoup. Elle a une image à garder. La directrice de prison qui n’est pas très drôle pour le commun des mortels, ou, tout du moins, a un humour qui ne fait pas rire les autres. Et si elle parle peu, Rachel parle bien.
« Non, en effet. Plus de responsabilités signifie toujours plus d’emmerdes. Ça va avec le travail. »
Franche et ne machant pas ses mots comme toujours, Rachel pourtant n’en dit pas moins la vérité et savait que lui-même comprenait.
Le sourire qu’il a lorsqu’elle fait son trait d’humour lui donne du baume à son égo. Elle aime être le centre de son attention et elle aime le faire sourire. Il est beau, son sourire et il lui a tant manqué, finalement. De même que ses visites impromptues qui parfois la mettaient mal à l’aise, non pas parce qu’elle n’appréciait pas, mais que, dans son monde bien ordonné, certaines choses ne dépassaient pas. Parfois, Aureus dépassait. Une fois le pied en dehors de ses cases, elle se rendait compte que ce n’était pas si terrible, mais c’était toujours à son initiative à lui. Elle en venait parfois à penser qu’elle était un peu ennuyeuse, mais lui, le dandy, le noble pouvait tout se permettre. L’inverse n’était pas vrai, malheureusement.
La cendre tombant dans le cendrier, Rachel expire la fumée toxique sans égard pour l’homme en face d’elle. Elle s’apprête à reposer ses lèvres sur le bout de cigarette, mais lui, en profite. Déjà elle frémit en sentant son souffle, puis, la douceur de ses lèvres sur sa peau. Une part d’elle, malgré les années, malgré que ce soit lui, est gênée. Elle a toujours trouvé ça ringard de la part de la gent masculine… Dans son monde, en tout cas, celui dans lequel elle est née, les baisemains sont définitivement des égards du passé. Mais c’était aussi ce qui l’avait charmée chez lui, cette façon vieille école de faire la cour. Son côté fleur-bleu y avait forcément été sensible balayant la gêne pour que le désir naisse. Elle sait ce qu’il fait. Elle sait qu’alors que leurs yeux ne se quittent pas, ils rejouent exactement la partition qu’ils font depuis vingt ans et qui ne s’est jamais enraillée malgré les pauses. Rachel fond de nouveau, comme toutes les autres fois.
Son regard descend de nouveau sur ses lèvres tout en l’écoutant. Elle sait bien que lui a ses routines, même si elle ne les connait pas toutes. Le son de son rire est une mélodie bien plus amusante que la musique qui, pourtant est bonne. Elle aimerait dire à tout le monde de se taire, juste pour écouter ce rire. D’ailleurs, elle ne peut s’empêcher de sourire, charmée qu’elle cache derrière son verre qu’elle but enfin un peu.
Bien contente d’avoir son verre avec elle, la phrase d’Aureus fit mouche, la toucha directement tandis qu’elle vit son sourire charmeur.
« Ne t’emballe pas. Je ne suis là que parce que c’est le seul endroit que je connais dans Paris et dans lequel je prends régulièrement mes coups avec mes anciens collègues oubliators… tes employés au demeurant. » ricane-t-elle un peu. Elle avait elle aussi son passé d’oubliator après tout et ils avaient été collègues. C’était bien comme cela qu’hormis à Beauxbâtons où il était Gabriel de Wendel, ils s’étaient rapprochés.
Le sourire qu’il laisse passer est aussi transparent que si elle était legilimens. Elle le connait trop pour ne pas savoir ce qu’il pense, ce qu’il veut et… Rachel ne peut s’empêcher de fermer les yeux, expirer un peu plus profondément la fumée de sa cigarette. Elle tente de réfléchir, mais elle sait déjà que c’est trop tard. Ses paupières se rouvrent et elle vient écraser la cigarette à moitié commencée pour l’éteindre.
« Tu m’as manqué, Aureus. » souffla-t-elle, presque inaudible sous la musique et le bruit des conversations. A quoi bon mentir ? C’était vrai. Il le sait. Elle le savait. Elle ne peut s’empêcher de se montrer vulnérable, bien loin de la femme froide et distante du Fort Invisible. À quoi bon faire semblant avec lui ?
« Je ne suis présente que ce soir. Je m'en vais demain pour retourner dans le Sud. » lui annonça-t-elle, son regard dans le sien.

Il y avait quelque chose d’infiniment rassurant de savoir qu’il continuait de la regarder comme il le faisait, même vingt ans plus tard. Elle s’était parfois surprise à penser, angoisser, qu’un monde entier s’arrêterait le jour où il ne poserait plus ce regard sur elle. L’idée était aussi angoissante que surréaliste même si, elle ne l’avait jamais pris pour acquis. Malgré elle, résistance de glace gondant comme le soleil qu’il pouvait être dans sa vie, elle sourit à sa réplique aussi charmeuse que vraie. Le Chansonia était effectivement un endroit agréable qu’elle y soit ou pas. Et avec lui, c’était un endroit exceptionnel, comme tous les endroits où il se trouvait. Rachel ne répondit rien néanmoins, son sourire faisant office de réponse appréciatrice tandis que son regard ne quittait pas le sien.
A vrai dire, tout son langage corporel était tourné vers lui. Elle est totalement tournée vers lui, genoux, pieds, corps. Jusqu’à ses mains pâles qui ne sont pas croisées. S’il y avait un individu qui pouvait la déconcentrer, c’était bien lui. Au travail, lorsque cela lui arrivait de venir l’y chercher, elle avait toujours eu conscience qu’avec lui à ses côtés, elle était bien moins vigilante que ce qu’elle était d’habitude même si l’univers du Fort Invisible était dangereux. Mais ici, dans le décor chaud et chaleureux du Chansonia, elle peut laisser de côté ces vigilances. De toute façon, les mots sortent déjà. Un « tu m’as manqué, Aureus », qui ne laisse pas de doute. Elle retombe et elle ne fait rien pour résister. Un « Tu me manques » qu’elle retient. Parce que les jours ont beau passé, il est sa première pensée le matin et sa dernière pensée le soir. Inconsciemment, même quand elle est en colère et se jure que c’est terminé, elle le cherche partout. Mais ce « tu me manques » n’a pas besoin d’être dit. Il s’approche déjà et elle sent que le manque disparait au moment où sa peau rencontre sa peau dans la main qu’il tient.
Elle se sent respirer un peu mieux de sentir sa main chaude dans la sienne et inconsciemment, son pouce caresse sa peau. Quelque chose se détend en elle. Le calme se fait. Tout est à sa place maintenant qu’il est là. Tout est à sa place maintenant qu’ils se retrouvent. Elle peut mieux respirer. Et les mots qu’il prononce en retour la font frémir. Son cœur bat un peu plus doucement et son sourire se fait plus grand sur son visage. Son regard s’illumine.
Elle sait comment tout va se passer entre eux ensuite. Elle n’a aucune envie de relâcher cette main. Elle n’a aucune envie de dormir seule ce soir. Pas après l’avoir revu. Elle sait pourtant qu’elle devrait lui dire, qu’ils doivent arrêter de faire. Qu’ils doivent arrêter de courir dans les bras de l’un et de l’autre parce qu’ils se font aussi trop de mal. Lorsque son regard se perd sur la piste, elle y réfléchit un instant, mais est prise de court par le mouvement d’Aureus. L’homme se lève et Rachel le regarde faire. Ce n’est que lorsqu’il lui propose, sans lui lâcher la main, de danser comme l’homme obséquieux et bien élevé qu’il pouvait être qu’elle ne cache pas sa surprise.
Immédiatement, elle sentit le rouge lui monter aux joues alors que son regard clair se perdait sur la piste de danse. Rachel se sent subitement intimidée. Il sait qu’elle ne sait pas danser. Elle n’a jamais appris par fierté, parce qu’elle se trouvait horrible d’un point de vue extérieur avec sa patte folle.
« Aureus… » commença-t-elle, incertaine et ayant perdu de sa superbe. Elle voit les autres danser et elle se dit qu’elle allait être ridicule. Elle n’avait pas envie de lui faire honte non plus. Même s’il était un De Wendel et que la honte devait être une notion abstraite comme pour tout noble. Son regard se repose sur lui et elle voit alors son sourire, devine ce qu’il ne dit pas. Elle sait qu’elle peut lui faire confiance, mais c’est en elle qu’elle n’a pas confiance. « Je ne veux pas que tu te ridiculises… Je ne sais même pas par quel pied commencer. » Malgré tout, elle se dit que refuser aussi devait être impoli pour un noble. Ne sachant que faire, elle s’accroche alors à sa main et sent pourtant son corps réagir déjà, se tourner de nouveau vers lui car il était devenu sa gravité depuis l’instant où elle l’avait vu. « Et je vais te marcher sur les pieds. » ricana-t-elle un peu, néanmoins mal à l’aise avant de se lever.

La panique la saisit un peu. Rachel n’a jamais été tant un animal social. Son monde de proches se résumait à peu de personnes en réalité. Elle n’avait jamais eu besoin d’être beaucoup entourée. Avec le harcèlement à Beauxbâtons, cela avait empiré. Ne pas se faire remarquer pour ne pas risquer que les harceleurs ne la remarquent. Cela ne marchait jamais en réalité. Mais c’était comme cela qu’elle avait après ces évènements toujours envisager les relations sociales. Alors, ce genre de situation, danser devant tout le monde, en plus de sa jambe folle, elle n’en raffolait pas. Elle n’allait jamais au peu de soirées auxquelles elle était invitée. A force, on avait cessé de l’invité. Elle n’en voulait à personne. Elle ne faisait aucun effort sur le sujet. Alors, là, tout de suite, elle se sent comme la petite fille qu’elle a été lors du premier bal à Beauxbâtons. Le premier bal de sa vie. Elle n’avait pas osé danser de peur de se ridiculiser. Elle aurait bien aimé continuer ainsi, mais il semblait qu’Aureus en avait décidé autrement. Et elle, elle pourrait le suivre les yeux fermés jusque dans les endroits les plus reculés de la terre.
Son rire, pourtant, la crispe. Elle sait bien qu’il ne se moque pas réellement d’elle. Elle semble juste drôle dans ce qu’elle dit même si, elle, elle ne voit vraiment pas ce qu’elle a dit de drôle. Au contraire, elle est parfaitement sérieuse et parfaite gênée. Elle ne se doute pas du tout de ce qu’il a pu penser. Si au début elle ne comprend pas ce qu’il fait, très vite, en visualisant l’endroit qu’il cherchait à lui montrer, elle comprit. Son expression s’adoucit, puis Rachel retient la légère émotion qu’elle ressent, elle la plus sensible qu’elle ne le laisse paraitre. Par ce simple geste, il apaise toutes ses craintes. Bien sûr, la cicatrice n’a rien à voir avec la sienne. Ils n’ont pas la même histoire. Ils ne sont pas pareils. Mais c’est comme s’il lui disait que c’était possible et qu’elle n’avait rien à craindre.
Avec lui, jamais.
Sans le quitter du regard, Rachel pose son regard sur ses lèvres.
Fais-moi confiance.
C’est simple à dire. Beaucoup moins à mettre en pratique. Son cœur se met à battre plus vite alors qu’elle répond :
« D’accord. »
Et comme il le lui indique, elle ne fait que le regarder lui. Le suivant sur la piste de danse, une partie paniquée dans son cerveau lui indique que tout ceci est du n’importe quoi. La sensation des regards sur elle, alors qu’en réalité personne ne faisait trop attention à eux, l’horrifie un instant. Qu’est-ce qu’il est en train de lui faire faire ? Pourquoi est-ce qu’elle accepte ? Ridicule. Elle s’apprête à faire demi-tour et relâcher sa main lorsqu’il se retourne. Déjà, elle ne peut plus lâcher ses yeux.
« Boudiou, qu’est-ce que tu ne me fais pas faire. » râla-t-elle pour se donner bonne mesure.
Mais elle n’arrive pas à s’empêcher de sourire et de le dévorer du regard. Elle se sent terriblement idiote là à avoir l’air transie amoureuse et incroyablement légère également. Son expression devient un peu plus sérieuse alors qu’elle ne sait pas trop où mettre ses mains, le laissant la guider. Eventuellement, ses mains trouvent les bonnes parties de son corps à lui et elle se retrouve proche de lui. Rachel ne rougit plus. Elle est subjuguée par lui, comme un papillon trop proche de la lumière. Son odeur lui chatouille les narines et elle se rappelle ce qu’il sent : l’odeur chaude du métal, comme si, jusque dans ses pores il transpirait les métaux que dans lesquels sa famille a fait fortune. Elle sait que lui sent son parfum, le Shalimar indémodable, son premier achat lorsqu’elle a commencé à avoir un peu d’argent. Rachel sent son cœur chavirer et attend qu’il la guide, la musique commençant à se mettre en route.

Un.
Deux.
Trois.
Elle suit les pas et a l’impression d’être une enfant qui apprend à marcher. Mais lui la guide et elle sent qu’elle ne tombera pas. Sa jambe qui n’a pas l’habitude de danser tire un peu. Rachel sait pourtant que ce n’est que dans sa tête comme beaucoup de ses douleurs. Son sourire, lui, ne s’efface pas. Comment le pourrait-elle ? Même dans ces moments où il la fait sortir de sa zone de confort, elle l’aime. Elle aime se sentir puissante avec lui et elle aime leur alchimie.
Un.
Deux.
Trois.
Elle ne lui marche pas dessus parce qu’il est un guide parfait. Elle se sent pourtant très peu adroite, très maladroite. Sa jambe fait un angle bizarre parfois, peu gracieux d’un point de vue extérieur sous sa robe noire pour les yeux les plus aguerris. Mais elle se sent presque voler. Ou alors est-ce juste lui et lui seul qui la fait se sentir légère, aérienne.
Une part d’elle, la petite fille qui rêvait d’être comme les grands nobles, est comblée. L’espace de quelques instants, c’est ce qu’il lui offre, ce petit conte de fée qui n’appartient qu’à eux. Et si elle est émue, c’est d’un bonheur brute que ses yeux bleus s’embuent.
Un.
Deux.
Trois.
Elle ne sait plus si c’est le rythme de la musique ou les battements de son cœur. Tout s’accorde et se synchronise pourtant. Lorsqu’il ralentit, elle en fait de même et se force à le regarder droit dans les yeux. Elle n’a pas remarqué que le monde quitte la piste. Parce qu’il n’y a que lui en cet instant. Le reste de la salle est vide. Ils sont seuls. Seuls face à leur amour qu’ils ne cachent pas. Elle se demande parfois, pourquoi il fait ce genre de choses. Pourquoi ils se font du mal à se faire espérer ainsi. Elle en vient à se demander s’il ne risque pas sa réputation à s’afficher ainsi avec elle, avant de se dire qu’elle s’en fichait bien. Il était là, avec elle, et ils ne seraient pas en train de faire ça s’il y avait un quelconque risque. Pourtant, elle a toujours cette peur d’être une honte, pour lui, pour tous les gens qu’elle côtoie.
Un.
Deux.
Trois.
Il prononce son prénom et s’interrompt. Elle, elle ne peut détacher ses yeux de ses lèvres. Elle en oublie la musique. Elle en oublie la musique et lorsqu’il reprend, elle sent son souffle défaillir. Après toutes les fois où elle lui avait dit, lui, les mots, les « je t’aime » n’avaient jamais franchis la barrière de ses lèvres. Elle le savait bien sûr qu’il l’aimait. Mais parfois, elle aurait aimé l’entendre. Parfois, elle aurait aimé juste savoir ce que cela faisait d’entendre ces sonorités dans sa bouche.
Alors, quand elle espère, elle espère si fort mais le rêve disparait comme lorsqu’elle se réveille et que les rêves s’effacent. La musique s’arrête. Leur danse aussi.
Et elle, elle sent son cœur se serrer.
Rachel n’a pas le temps de réellement réfléchir à ce qu’il n’a pas dit. Il l’entraîne déjà et son corps se rappelle un peu à elle. Sa jambe la tire un peu plus que tout à l’heure. Elle a ses seringues pour ses injections dans sa pochette sans fond. Mais Rachel déteste faire cela parce qu’elle sait qu’elle ne sera plus très performante après. L’alcool que propose Aureus est probablement un entre deux qui lui va.
S’asseyant et soupirant un peu, Rachel ne peut s’empêcher de poser sa main sur sa propre jambe pour masser à un endroit où elle sait que ça lui procure du bien. Son regard ne se détache pas d’Aureus pourtant. Dans sa tête, ses phrases interrompues tournent. Lorsqu’il ouvre la bouche, elle ne peut pas s’en empêcher, d’espérer qu’il les dise enfin.
Mais non.
C’est tout autre chose qu’il lui demande.
Ne cachant pas sa déception, Rachel ne peut s’empêcher de poser son regard sur la piste de danse. Déjà pour tenter de reprendre contenance. Ensuite pour répondre :
« Oui, ça a été. »
Dans sa voix, il y a une légère vulnérabilité qu’elle ne cache pas. Son regard se repose sur Aureus et elle l’observe avant d’ouvrir la bouche. Elle a envie de lui demander ce qu’il comptait lui dire sur la piste. Mais elle a peur qu’il refuse de répondre et là tout de suite, elle ne veut pas que le moment se brise. Elle venait à peine de le retrouver. Elle ne savait même pas si c’était pour cette nuit ou plus.
Essayant de s’occuper les mains, elle prend son verre et boit une longue rasade avant de le poser. Puis, elle cherche à changer de sujet :
« Alors, ton bureau doit être pas mal sollicité ce moment avec l’Aube Sorcière. Tu tiens le coup ? »
Son regard le fixe et elle essaie de faire disparaitre cette gêne qu’elle ressent au fond du cœur en buvant une autre gorgée.

Elle se disait toujours que si cela faisait autant de temps qu’ils allaient et venaient dans leur vie respective, c’était bien qu’il l’aimait dans le fond. Il ne perdrait pas de temps à rester si cela n’était pas le cas. Pourtant même si elle le savait et le sentait, qu’elle le voyait et qu’elle essayait de se persuader que les gestes équivalaient plus de paroles, cela ne l’en troublait pas moins. Son absence de mots avait toujours été clair pour elle : quiconque était passé avant elle l’avait fracassé. Il ne se rendait pas compte à quel point lui lui faisait vivre la même chose que celle qu’il n’avait jamais oublié. Une part de jalousie subsistait alors. Qui était donc cette femme ou cet homme pour faire tant de dégâts ? Non pas que l’amour fut une somme de blessures, mais s’il se tenait à ce principe de ne pas l’épouser, ni lui dire je t’aime, c’était bien qu’il avait des blessures qu’elle n’était pas capable de refermer à elle toute seule. Et de cela, elle en était jalouse tout en sachant que ce n’était pas de sa faute à elle, mais lui qui ne lui laissait pas la place volontairement.
Malgré les années, la déception persistait. Aureus répétait les mêmes schémas de penser sans dire. Rachel tombait toujours dans le panneau. C’était terrible pour elle, pour sa confiance en elle.
Mieux valait ne pas s’appesantir sur le sujet, nier ce qu’elle ressentait comme elle savait si bien le faire. Mais cette fois-ci, serait-ce seulement suffisant ? L’actualité était plus intéressante et barbante en même temps. Mais elle savait combien elle était capitale pour lui, alors, elle faisait l’effort. Ce qu’il en dit ne la surprend pas. Les élections à venir était un gros sujet et une source d’angoisse pour Rachel à vrai dire à chaque fois qu’elle posait son regard sur sa propre mère. Que deviendrait-elle si l’Aube arrivait en tête des élections ? Et elle-même en tant que née moldue déjà que son statut était si fragile ?
Elle note qu’Aureus ne s’étend pas spécialement et elle peut le comprendre : il devait en avoir marre. Mais elle, elle a besoin de savoir parce qu’elle veut se rassurer qu’il y a des gens comme lui qui oeuvrent, que la République est toujours là et il l’incarne de part sa présence et son poste.
Un frisson la parcourt en sentant la pulpe de sa peau rencontrer la sienne. Les mains se frôlent comme un jeu de séduction qui n’appartient qu’à eux. Elle continue de l’écouter tout en buvant. Elle comprenait la sensation de bulle. C’était bien pour cela qu’elle venait rarement à la capitale et que quelque part sa prison était sa bulle.
Quelle femme glauque je fais., ne peut-elle s’empêcher de penser. Pourtant, c’était bien la vérité. Il lui semblait avoir parfois plus de point commun avec les prisonniers et ses employés que ceux qui vivaient ici dans cette bruyante capitale animée.
La rousse ne peut s’empêcher de lever un sourcil, un peu moqueuse, un peu jugeur. Lui dans la politique ? Elle devait reconnaitre que cela lui irait très bien et qu’il y aurait très bien sa place. Les nobles semblaient définitivement y accéder plus facilement que le reste du commun des mortels. Elle, elle n’aurait tellement pas la patience et enverrait sûrement paître tout le monde. Mais lui ? Il avait le charisme, l’éducation, la prestance, les idées. Mais elle comprend l’idée de vouloir faire plus. Parfois, dans le creu de la nuit, c’est ce qu’elle se demande en voyant des partis politiques comme celui de Tarek Shafiq prendre de l’empleur. Comment faire plus ? Comment inverser la balance ? Mais Rachel est persuadée que le système est corrompu de toute part, qu’il y a une certaine fatalité et que Tarek Shafiq parviendra à ses fins tôt ou tard. Il n’y avait que des organisations comme l’Ordre du Temple pour y faire vraiment quelque chose et en cela au moins, elle savait qu’elle faisait la différence.
Rachel ne répond rien et se contente de l’observer, voit son regard et en rougirait presque. Elle ne le nie pas : qu’il la regarde ainsi lui fait définitivement quelque chose. Et si elle n’est pas surprise qu’il lui retourne la question, elle soupire et prend une longue gorgée, se rend compte qu’elle a terminé son verre et qu’il va falloir qu’elle s’arrête là si elle ne veut pas être ronde bientôt. Elle aimerait bien se souvenir de sa soirée avec lui et elle n’a plus vingt ans.
« Un prisonnier reste un prisonnier, oui. J’y tiens. » L’espace d’un instant, la directrice pénitentiaire revient. Elle ne fera jamais de différence de classe entre ses prisonniers. Pour le Secret Magique, c’était en revanche autre chose et totalement différent. Mais Aureus avait raison : selon qui passait aux prochaines élections cela aurait un impact sur elle. Dans ses pires moments, elle se voyait même virée de son poste en tant que fonctionnaire. Que ferait-elle alors ? Elle n’en avait aucune idée et cela la terrifiait. Mais ce n’était pas tant cela le pire que l’avenir de sa mère, celui de sa sœur également. Celui des gens qu’elle connaissait et qui n’avaient pas de pouvoirs magiques. D’elle-même aussi.
« Cela va te surprendre, mais je comprends les idées de l’Aube. Les moldus n’ont pas fait montre d’exemplarité ces dernières décennies… et je n'ai moi-même rien à dire pour leur défense. Il y a quelque chose de réconfortant à l’idée de revenir aux anciennes traditions par peur et je pense que c'est exactement ce que l'Aube essaie d'attiser. » Pause. « Mais ce qui me perturbe, ce n’est pas tant le retour à la Monarchie, qui, pour moi n’est qu’une utopie car le peuple ne laissera jamais faire, que la menace du secret qui elle, est beaucoup plus plausible dans la tête des gens. »
Le regard de Rachel le quitte pour se perdre sur la foule. Elle ne cache pas son angoisse à Aureus qui la connait trop pour ne pas remarquer que le sujet la touche réellement. Finalement, elle repose son regard sur l’homme et reprend :
« Je me demande ce qu’il adviendra des gens comme moi si ce parti passe… Je suppose, pas des choses positives. » Son air est froid autant qu’amer. « L’avantage de ma prison c’est qu’elle est imprenable. Les éléments jouent en ma faveur. » claqua-t-elle d’un humour noir.
Elle n’était pas vraiment sérieuse en disant cela. Pourtant, elle se sentait quelque part si loin de là où elle était et si proche en même temps par sa famille. Elle ne peut s’empêcher de se dire que finalement, peu importe qui passait, les familles comme celle d’Aureus serait toujours avantagées. La famille De Wendel après tout était toujours noble et le serait même si Tarek Shafiq passait. Mais les gens comme elle ? C’était toujours eux qui prenaient.
« Si je dois être virée parce que Tarek Shafiq et son gouvernement l’a décidé, qu’il en soit ainsi. Mais rassure-toi que je ne faciliterai pas la tâche de la personne qui reprendra ma place… » Même si elle n’était pas dans les jeux d’esprits et politiques parce qu’elle n’avait aucune patience pour cela, elle pouvait encore laisser un très beau bordel derrière elle.
Son regard clair le fixe et elle avoue en regardant leurs verres :
« J’ai trop bu. » Sa main, elle vient définitivement caresser ses doigts. Qu’est-ce que cela lui a manqué la sensation de sa peau contre la sienne.