loin des yeux, loin du cœur (alceste)

Lorsqu’elle était arrivée dans les appartements privés des Shafiq, elle s’était directement dirigée vers la cuisine d’où les bonnes odeurs émergeaient. Ce n’est que lorsqu’elle était presque arrivé qu’elle entendit la discussion pour le moins intime entre Kahina et Izem. Le vieux couple jamais marié semblait avoir des choses à se dire et se sentant voyeuse, Neith sourit avec douceur et décida de faire demi-tour pour leur laisser l’intimité dont ils avaient besoin. Arrivant dans le salon principal où elle était toujours sûre de trouver quelqu’un à cette heure du soir pour le dîner, le sourire doux s’envola en constatant la pièce vide. Le dîner n’avait même pas été servi. Fronçant les sourcils, la franco-égyptienne se demanda où était passé tout le monde, son père, sa mère, sa sœur et son frère, avant de se rappeler que tout le monde était ailleurs.

Elle devra donc manger seule. Dépitée, Neith laissa son regard vagabonder sur la pièce vide pour juger si elle en avait envie. C’était le premier soir où elle se retrouvait seule depuis son retour d’Égypte et là-bas, il n’y avait pas eu un repas sans compagnie, les familles Shafiq et Abdelhady étant suffisamment grandes pour cela. Dans son esprit, impossible de déranger le couple de la cuisine. Eux aussi avaient le droit à leur vie même si elle était très liée à la leur.

Soupirant, elle entendit des bruits de pattes et son regard tomba sur Cerbère. Elle songea éventuellement au reste de ses connaissances et amitiés avant d’abandonner. Elle se sentait ridicule de déranger qui que ce soit parce qu’elle ne voulait pas être seule. Jaugeant son chien d’un regard dépité, elle s’approcha pour lui caresser la tête avant de lui souffler :

« Allez, ce soir, c’est toi et moi en amoureux. Je suis sûre qu’Idris sera contente de nous voir. »

Idris, son cousin Beauharnais avec qui elle était proche et qui n’était autre que le chef des Délices d’Ambroisie. Ou en voie de l’être. Neith ne savait plus réellement. Quoi qu’il en soit, elle savait que si elle avait envie de dîner quelque part, Idris serait là pour lui tenir compagnie et probablement lui faire goûter des exclusivités ce qui l’enthousiasmait particulièrement et retirait cette chape de dépit à l’idée de dîner seule. Et puis, voilà un très long moment qu’elle n’avait pas été dans le restaurant de ses cousins. Décidant de laisser une soirée à Izem et Kahina, elle mit Cerbère en laisse, enfila son manteau et s’éclipsa en faisant le moins de bruit possible. Inutile de déranger les amants cachés.

Un transplanage et un allé en tapis volant en zone éloignée des moldues plus loin, Neith était arrivée au bout d’une heure devant le superbe restaurant. Même si le carnet du restaurant était plein, elle était de ceux qui n’avait pas réellement besoin de réserver du fait de ses liens familiaux. Reconnue rapidement, elle salua avec chaleur la réceptionniste qui lui indiqua qu’Idris était occupé mais qu’elle allait passer le mot pour qu’il s’occupe spécifiquement d’elle. Rassurant la femme, Neith lui répondit qu’Idris pouvait bien continuer ses activités et qu’elle se contenterait du menu habituel.

« Veuillez bien me suivre dans ce cas. »

Cerbère sage à ses côtés, Neith suivit la femme pour arriver dans le jardin d’hiver chauffé sous la magnifique coupole. S’assurant que Cerbère aurait au moins un bol d’eau, elle s’appliqua à faire en sorte qu’il se couche à ses pieds puis, se saisit du menu pour regarder ce qu’elle voulait boire. Se décidant finalement sur un verre de vin dont les Beauharnais en avait la spécialité, elle laissa la serveuse repartir et se mit à observer autour d’elle. S’attardant d’abord sur le décor qu’elle trouvait toujours aussi charmant, la jeune femme finit par observer les personnes présentes autour d’elle. Quelques visages qu’elle reconnut mais qu’elle ne souhaitait pas déranger dans l’immédiat se rappelèrent à elle. Voyant son verre arriver jusqu’à elle, elle remercia avec chaleur la serveuse et s’apprêta à le boire lorsque son regard s’arrêta sur un faciès qu’elle connaissait bien.

Son cœur rate un ou deux battements.

Elle n’avait pas revu Alceste depuis trois ans maintenant. Beaucoup de choses s’étaient arrêtées lorsqu’Alaric était décédé, sa relation avec Alceste en faisait partie, incapable de se consacrer à lui et décidant qu’elle avait besoin d’être seule. Cela n’en avait pas moins été douloureux. Elle avait fait l’effort de ne pas s’intéresser à la vie de ce dernier depuis lors. Mais maintenant qu’il n’était plus ni loin de ses yeux, ni loin de son cœur, la curiosité la dévorait. Son regard continuant de le fixer un peu, elle constate quelques changements notables… et quelque chose de différent.

Hésitant, elle regarde s’il est seul et constate que c’est le cas.

Un bonjour ne peut pas faire de mal. pense-t-elle avant de se rendre compte qu’elle est déjà debout, son verre à la main.

Laissant Cerbère qui décida qu’il était trop bien couché là où il était, l’égyptienne arriva à hauteur de la table d’Alceste.

« Bonsoir. »

Son ton est presque doux mais mesuré. Il est toujours difficile de savoir comment se positionner avec certaines personnes qui ont fait partie de sa vie intime et n’en sont plus. Peut-être, se rendit-elle compte, n’avait-il aucune envie de lui reparler. Essayant de ne pas s’imaginer le pire, Neith reprit honnête :

« Je t’ai vu et je voulais juste te dire bonjour et… prendre des nouvelles. »

Sans le quitter du regard, elle désigne la place vide.

« Promis, je ne m’imposerai pas si tu attends quelqu’un. »

Et une part d’elle espère qu’il n’attend personne pour ne pas retourner à sa propre solitude.

Elle ne savait pas comment elle avait imaginé le revoir. Sans doute pas ainsi au milieu d’un restaurant. Probablement à une soirée mondaine comme ils s’y étaient déjà rencontrés. Les évènements s’enchaînaient les uns après les autres et elle rencontrait tellement de monde qu’elle n’aurait été nullement surprise que cela soit le cas. Elle n’aimait pas se demander si les djinns y était pour quelque chose ce soir, mais si c’était le cas, elle espérait que c’était les bons djinns qui souhaitaient lui donner un coup de pouce et non les mauvais.


Quoi qu’il en était, elle constatait qu’il n’était pas fuyant. Mesuré, certes, mais elle lui avait souvent connu cet air. Neith ne s’attendait pas à de grandes effusions. En fait, elle en aurait été embarrassée eux qui avaient toujours été discrets. Mais elle ne lut aucune hostilité ce qui ne voulait pas dire qu’il n’y en avait pas. Après tout, elle l’avait quitté peu importe les circonstances atténuantes qu’elle avait pu avoir. Certains hommes réagissaient mal quand une femme les quittait. Si son silence avait été une preuve de respect de sa décision et qu’elle l’en avait toujours remercié silencieusement, Neith ne pouvait pas dire qu’elle connaissait encore Alceste. Il lui semblait que des millénaires entiers étaient passés. Elle n’était plus la même qu’avant pas plus que lui sans doute même si elle lui souhaitait beaucoup de bonheurs.


Suivant du regard son geste, elle comprit sans paroles qu’il l’invitait à rester et un poids sauta de ses épaules. Elle trouvait cela définitivement ridicule et triste de manger seule à une table au restaurant. Elle avait l’impression de se voir de l’extérieur et de constater la tristesse de sa vie intime même si elle s’était plus ou moins améliorée récemment. Mais tout de même, être assise face seule au vide… Cela lui évoquait la tristesse.


D’un mouvement gracieux, elle prit place non sans lui adresser un sourire reconnaissant. Elle sent son regard sur elle alors qu’elle se positionne. Le verre de vin posé, elle croise les jambes sous sa robe dorée et rouge et son regard se pose sur Cerbère qui l’ayant vu bougé relève la tête. Tendant légèrement la main vers le braque de Weimar croisé croups, ce dernier se releva, sa laisse ensorcelée bougeant à son rythme pour ne pas se prendre entre les tables et les chaises. Finalement, le chien arriva et Neith lui caressa la tête avec douceur et reconnaissance.


Lorsqu’Alceste reprit la parole, ses yeux croisèrent de nouveau les siens. La question la met un peu en défaut et elle a un sourire en coin.


« Non, effectivement. Personne ne m’attend. »


Une vague nostalgie passe sur son visage à la façon dont elle a tourné sa phrase. Personne ne l’attendait mais elle, attendait-elle quelqu’un ? Son air disparait cependant rapidement, se ressaisissant un peu constatant que lui l’observait toujours. Elle en fait de même. Sa coupe de cheveux a changé. Il semble se porter bien a priori… et elle constate un nouveau style également. Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres tandis qu’elle relève son regard jusqu’à ses yeux. Son analyse ne cache pas sa curiosité.


« Tu as l’air de bien te porter. Comment vas-tu ? » demande-t-elle avec intérêt.


Ses doigts se saisissent de son verre et elle le porte à ses lèvres sans le quitter du regard. Sur le côté, elle sent Cerbère qui se couche à ses pieds. Elle attend qu’il soit installé pour reprendre :


« Je ne pensais pas tomber sur toi ici pour être honnête bien que cela fasse un moment que je ne suis pas venue. »


Elle regarde un instant autour d’elle. L’ambiance un peu tamisée lui fait prendre conscience que les Beauharnais ont quelque peu changer des choses également. Elle revient à Alceste et lui sourit avec douceur.

« Si tu veux profiter d’un repas qui n’est pas sur la carte, mon cousin aime bien me faire goûter des plats qu’il teste quand il sait que je suis là. Je peux t’en faire profiter. À moins que tu aies déjà mangé ? »

Ses sourcils se froncent un peu. Elle n’a pas l’impression que cela soit le cas mais elle pouvait se tomper.