Pensine de Kim Jeong

01.11.1927 Voltiflor ou filet du diable ? avec @Agnes de Medici · en cours

début.11.1927 Wildflowers avec @Neith Shafiq · terminé
Jeong s'endort sur la terrasse de l'Appel de l'Ange, après une nuit chargée à l'hôpital. Il se fait réveiller par un grand chien, qui s'avère appartenir à une sorcière en route pour une conférence. Autour d'un thé, le médicomage et l'antiquaire commencent à faire connaissance et Neith saisit l'occasion de parler de ses doutes sur le décès de son époux, émettant l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'un empoisonnement. Jeong promet d'étudier le dossier.

début.11.1927 Intervention et kidnapping à la française avec @César de l'Ours · terminé
Jeong travaille encore, faisant fi du planning de son service. César, en bon ami, décide de venir le voir, accompagné de sa petite chienne, pour l'inciter à prendre effectivement ses deux jours de congés. Se sachant fatigué, et parfaitement au courant que César n'abandonnera pas, Jeong cède à la proposition de son ami d'aller se balader en forêt.

début.11.1927 La villégiature du docteur avec @César de l'Ours · en cours

16.11.1927 The good old days avec @Léonore Vallet · en cours

04.12.1927 Once upon a tea avec @Soraya Saint-Cyr · en cours

décembre.1927 Not broken yet avec @Alice Beauregard · en cours

février.1928 Le soleil se lève sur les autres avec @Astérie Cassiopée · en cours

Depuis combien de temps Jeong n’était-il pas rentré chez lui ? Il connaissait mieux le lit de la salle de repos de l’Hôtel-Dieu que le sien. Tant et si bien que son appartement dans une bâtisse près de l’hôpital sentait même un peu le renfermé. Pour palier à la chose, il avait mis à bouillir de l’eau, pour se préparer un thé au jasmin. Peu à peu, l’odeur envahit au moins la pièce principale et le bureau. Étrange, n’était-il pas, qu’il ai choisi un logement avec un bureau alors qu’il ne s’en servait presque jamais ? Un sortilège automatique et une plume à papote un peu modifiée lui permettaient cependant d’avoir une copie en temps réel de tous les dossiers de ses patients… Dossiers qui étaient rangés méticuleusement… un peu partout dans la pièce, faute de place.

Le médicomage s’était installé à son bureau et avait déroulé un parchemin. Sa plume restait suspendue au-dessus du papier vierge. Que pouvait-il bien rédiger ? Quoi dire ? Qu’omettre ? Il prit une inspiration, et baissa l’extrémité de son outil d’écriture. Le hangul et les hanja se dessinèrent, formant des mots à mesure qu’ils se mélangeaient. Jeong avait écrit si peu de lettres à sa famille depuis toutes ces années qu’il s’étonna presque de ne pas avoir perdu l’habitude de les tracer.

Abeoji, Eomeoni, Hyeong,
Y a-t-il parmi tous les parchemins empilés dans mon bureau, des lettres oubliées de votre part ? Peut-être aurais-je dû vous dire de les envoyer à l’hôpital. Avez-vous abandonné l’idée d’en envoyer, n’obtenant jamais aucune réponse ?

Mère, j’espère que vous ne vous êtes pas trop inquiétée, surtout en constatant à quel point la France fut bouleversée par la Grande Guerre il y a quelques années maintenant. Cela fait-il si longtemps déjà ? J’ai l’impression que c’était encore hier… Encore hier que la boue se mélangeait au sang tant sur mon uniforme que dans mes cheveux ou ma bouche. Que l’odeur du soufre des explosions mêlée à celle de la mort demeurait la seule que mes narines semblaient pouvoir percevoir. Me croyez-vous mort, quelque part oublié dans ces tranchées ?
Vous qui me connaissez si bien, vous devez savoir, au fond de votre cœur, que je n’aurais pas pu rester loin d’un tel conflit, pas alors que mes connaissances en médicomagie pouvaient aider. Mais je suis toujours là, bien vivant. Le suis-je vraiment ? J’ai parfois l’impression d’être resté dans ces boyaux de terre. J’y suis enfermé, savez-vous ? Prisonnier de mes propres souvenirs, de ces horreurs qui ont été mon quotidien pendant tant d’années. Comment peut-on dire, avec le recul, qu’elle n’a duré que quatre ans ? C’est une éternité, quatre ans, lorsqu’on la vit dans les entrailles du conflit.

Grand frère, toi qui a toujours voulu défendre notre belle Corée, subis-tu aussi les affres de ton combat ? Comment fais-tu pour les surmonter ? La plupart du temps, me reconnecter au présent avec mes sens est efficace… mais pour combien de temps ? Je ne peux en parler à personne… Comment fais-tu ? Demandes-tu leur aide à nos Dieux ? Te répondent-ils seulement ? Ou fais-tu comme moi ? Te plonges-tu dans le travail pour tout oublier ? Toi aussi, tu dois être fort pour les autres. Tu n’as pas le temps pour toi. Tu n’es pas le plus important. Les autres le sont. Ceux qui ne peuvent pas s’occuper d’eux-mêmes… Mais ne faisons-nous pas partie de ces derniers ? Incapables de prendre soin de nous ? Mère te sermonne-t-elle ? Mère te force-t-elle à ralentir ? T’assaille-t-elle d’amour et de réconfort ? Pourquoi suis-je allé me perdre si loin de vous ? Pourquoi suis-je parti ? Au moins, à vos côtés, je n’aurais pas été seul. Même si Mère n’aurait pas pu m’empêcher de t’accompagner dans ta révolte, au moins aurait-elle pu prendre soin de moi… Ici, je n’ai personne…

Père, ressens-tu parfois cette solitude ? Dans ces mots, dans ces gestes, que tu ne peux pas partager avec Mère ? N’y a-t-il pas des choses que tu ne pourrais qu’exprimer en face de Jwa-Jin ? Que tu ne fais pourtant pas, car il est ton fils et qu’il a déjà bien assez de problèmes comme ça ? Comment fais-tu ? Devons-nous tout prendre sur nos épaules, jusqu’à la fin ? Et si tout cela la précipitait ? Et si les Jeoseung Saja arrivaient bien trop vite, à cause de cela ? Vais-je perdre la tête ? Deviendrais-je incapable d’aider mon prochain ? Tous ces gens qui ont besoin de moi… Comment seulement dire stop... Comment pourrais-je, alors que leur détresse n’a aucune limite… Il y a tant de souffrance dans ce monde, Père… Comment pourrais-je encore supporter de voir un regard horrifié, déchiré par la douleur, sur le visage d’un sorcier ou même d’un moldu ? Peut-être est-ce pour cela que j’évite soigneusement mon propre reflet… L’angoisse étreint mon cœur plus souvent que je souhaiterais l’avouer. Chaque fois que je ferme les yeux, que je m’assoupis plus d’une dizaine de minutes, ces fantômes reviennent me hanter. Il s’accroche à mon âme, ne me lançant aucun répit, aucun repos…

Dois-je revenir auprès de vous ? Est-ce la seule façon que j’aurais de guérir ? J’aimerais pouvoir rêver de m’abandonner dans l’étreinte aimante de Mère, mais même ce salut illusoire m’est refusé… Cela fait presque dix ans que l’horreur s’est achevée, et pourtant… Pourtant… chaque jour je me demande comme j’ai fait pour tenir aussi longtemps… Abeoji, Eomeoni, Hyeong, je n’aurais pas dû vous quitter… et aujourd’hui, je ne peux plus revenir… Trop comptent sur moi. Je ne peux pas, en toute conscience, les abandonner…

Je vous aime, aujourd’hui et pour toujours,
Jeong.

Le médicomage posa sa plume et glissa son visage entre ses mains. Il sentit les larmes sur ses paumes, ses mèches trop longues les accrocher. Le haut de son corps était secoué par les sanglots, et des hoquets de détresse franchissaient par moment la barrière de sa gorge nouée.

Quand les tranchées salées séchèrent enfin sur son visage, le thé était froid et le soleil se levait, timide, dans son dos. Les yeux rougis par la fatigue et les larmes, Jeong s’empara de sa baguette et leva le parchemin à hauteur de ses yeux. Lacarnum inflammari… murmura-t-il, goûtant aux larmes séchées au coin de ses lèvres. Les flammes dans la pénombre brûlèrent ses rétines, mais elles étaient moins douloureuses que la main qui enserrait son cœur.