Once upon a tea | Soraya

Il y avait quelques jours de cela, le médicomage Kim s’était permis un hibou inhabituel. En vérité, les hiboux de manière générale étaient inhabituels pour lui, qui dialoguait quasiment intégralement que par missive flottante au sein de l’Hôtel-Dieu. Après tout, il n’entretenait guère d’autres correspondances qu’avec ses collègues de l’hôpital. Seulement, cette fois-ci, une infirmière lui avait confié qu’une exposition sur les différentes cérémonies du thé avait lieu dans une petite galerie au bord du canal St Martin. Peut-être celle-ci avait cru qu’il comprendrait le message sous-jacent qu’elle aurait aimé s’y rendre en sa compagnie, mais, obtu comme à son habitude face à ce genre de choses, le médicomage s’était contenté de hocher la tête et de reléguer l’information dans un coin de son esprit, pensant naïvement qu’elle ne cherchait qu’à l’informer d’une chose qui pourrait lui plaire.

C’était en passant près de la chambre du Duc de Saint-Cyr en se rendant au chevet d’un autre patient, qu’il s’était rappelé le goût commun qu’il partageait avec la duchesse : le thé au jasmin. A l’issue de sa journée de travail, il avait alors pris la liberté de lui dédier un hibou pour l’informer du jour où il comptait se rendre à l’exposition, soulignant qu’il serait heureux de partager cette découverte. Au fil des années, Jeong avait eu l’occasion d’échanger avec la duchesse, et il appréciait sa compagnie, tout comme il savait que, parfois, parler de l’état de son époux au sein même de l’hôpital pouvait se révéler pesant. C’était l’opportunité d’une rencontre plus informelle, moins oppressante.

Ce fut donc en cette matinée froide de décembre que le médicomage avait pris le chemin du canal plutôt que celui de l’Hôtel-Dieu. Il avait même dû faire demi-tour, ses pieds bien trop habitués à se diriger vers l’établissement médical. Il avait enfilé une cape épaisse, et son fidèle parapluie cramoisi reposait sur son bras, au cas où la journée se chargerait d’humidité ou de neige. S’il appréciait la rapidité du transplanage, Jeong préférait encore bien souvent marcher. Surtout lorsque le temps était clément. L’air était froid, mais sec, malgré les nuages qui grisonnaient le ciel. Ses souliers claquaient sur le sol pavé, et de sa respiration naissaient des volutes de condensation.

Arrivé dans la rue adéquate, il repéra assez facilement la petite galerie, bien qu’uniquement indiquée par un petit panneau avec une théière japonaise dessinée à la craie. Plutôt que de s’engouffrer à l’intérieur du bâtiment, le médicomage s’approcha du bord du canal. Un peu plus loin, des péniches flottaient paresseusement, attendant une heure plus avancée pour s’animer. Jeong leva les yeux et observa l’architecture qui s’étirait en face de lui, de l’autre côté de la Seine. Bien que l’heure ne soit pas si matinale, le quartier était bien plus calme que l’île de la Cité, qui s’éveillait aux aurores. Loin du tumulte de l’hôpital et de ses urgences, le médicomage appréciait cette parenthèse de calme.

Après un certain temps qu’il n’aurait su mesurer, Jeong entendit des bruits de pas derrière lui. Se retournant, il avisa la duchesse qui approchait. Un sourire poli étira ses lèvres, et il s’inclina légèrement – habitude qu’il n’avait jamais perdue de son enfance et adolescence en Corée – pour la saluer respectueusement. Madame la Duchesse, bonjour. Il lui désigna la galerie d’art de l’autre côté de la rue d’un geste de la main. J’ai entendu dire qu’ils présentaient principalement les cérémonies japonaises, chinoises et coréennes, mais qu’ils traitaient aussi d’autres nationalités. Y allons-nous ? Politesse et galanterie, toujours.