La villégiature du docteur | feat Kim Jeong

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Le médicomage se sentit déjà bien mieux une fois qu’ils arrivèrent au quartier de l’Ours. Le frais de l’air ne le dérangeait pas, bien au contraire. Et puis, il avait tant de souvenirs au creux de cette forêt. Combien de fois avait-il été cueillir des herbes et autres plantes avec la mère de César pendant son apprentissage à ses côtés ? Il ne connaissait certainement pas ces bois aussi bien que son ami, mais ils lui étaient suffisamment familiers pour qu’il s’y sente bien. Sans oublier les multiples repas où on l’avait convié avec toute la famille de l’Ours.

De la fumée s’échappait de la cheminée de la maison principale, signe que sa mentor devait sûrement être réveillée. Viens Jeong, on va récupérer ce qu’il nous faut à ma maison. Le médicomage hocha la tête. Le but de cette intervention était de le faire prendre l’air, pas de l’asseoir à une table et de le gaver de gâteaux pour le petit déjeuner. Assurément, sa mentor savait que son fils et son élève allaient partir en vadrouille sur ses terres, mais elle devait aussi tout aussi bien faire confiance à César et ne pas venir les embêter.

Jeong suivit son ami jusqu’à la petite bâtisse qui lui servait de refuge. Lors de ses visites, le médicomage se contentait du corps de ferme principal, ne s’aventurant guère dans les autres parties. Après tout, la famille se réunissait dans le premier, et Jeong n’avait jamais eu l’occasion de visiter les autres. Quel intérêt après tout ? Il découvrit donc l’intérieur simple et pratique de César. La décoration correspondait bien au propriétaire des lieux, tout en sobriété et en rustique. L’ensemble était peut-être un peu sombre pour le Coréen, qui préférait des pièces plus éclairées… mais Jeong pouvait comprendre l’intérêt que César avait pour sa tanière.

Jeong, as-tu mangé ce matin ? Il faudrait mieux éviter de te faire partir avec ventre vide. Je peux nous faire un café avec quelques tartines si ça te va. À moins que tu ne préfères du thé ? J’dois bien avoir un truc de rosbeef que traîne encore. Jeong réfléchis un instant, s’installant dans le salon. Il travaillait tellement que, souvent, les jours s’enchaînaient sans qu’il ne les distingue. Avait-il mangé hier soir ? Dans la nuit ? Ce matin ? Il ne s’en souvenait pas très bien. Il eut un sourire contrit. Dans le doute, partons du principe que je n’ai rien avalé… avoua-t-il sur un ton un peu dépité. Un thé, si tu en as… Sinon je me contenterai du café. Il ne releva pas la plaisanterie de son ami sur les britanniques. Pour lui, le thé demeurait une boisson qui venait de l’Est, de terres proches de celle qui l’avait vu naître.

As-tu besoin d’un coup de main pour quelque chose ? demanda-t-il, observant la décoration de son ami. Malgré son penchant vers plus de luminosité, Jeong se surprit à se dire qu’il pourrait bien apprécier se retrouver dans une telle demeure, les soirs d’automne, à observer la pluie chahuter les feuilles des arbres, une tasse fumante à la main. Oui, peut-être qu’un jour il quitterait la capitale et se trouverait une petite maison en forêt, lui aussi… Il aimait cependant le fait de pouvoir aller travailler à pied, donc ça ne serait pas pour tout de suite.

Il se leva de son siège et s’approcha d’une fenêtre pour observer la vue. Il se souvenait de quelques barbecues auxquels il avait assistés. César avait de la chance de vivre encore si proche de sa famille. Jeong se fit la réflexion que la sienne lui manquait. Ses parents et son frère lui en voudraient-ils s’il envoyait un hibou seulement maintenant ? Après tant d’années ? Ils ne les avaient informés que du strict nécessaire, occultant totalement sa participation à la Grande Guerre. Après tout, ses parents l’avaient envoyé en France pour éviter qu’il ne s’implique dans la révolution contre l’occupation japonaise, qu’auraient-ils pensé s’ils avaient su qu’il s’était engagé pour un conflit de plus grand ampleur encore ?

Jeong poussa un soupir. Il n’était pas là pour ressasser, bien au contraire. Il se détourna alors de la fenêtre et s’adossa à son rebord pour observer son ami s’affairer. Tu es sûr que tu n’as pas besoin d’aide ? Jeong n’aimait pas se sentir inutile. Et puis… être occupé empêchait ses pensées de s’éparpiller dans des directions peu souhaitables.

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Son ami ne le sermonna pas quant à l’absence de soin qu’il accordait à sa propre santé. Il lui en fut silencieusement reconnaissant. Jeong était parfaitement conscient qu’il ne pourrait pas tenir indéfiniment ainsi… il finirait pas un jour s’écrouler, s’il ne prenait pas un peu plus soin de lui-même. C’était bien pour cela qu’il n’avait pas lutté contre le kidnapping de César. Le médicomage se sentait néanmoins inutile alors que son ami refusait son aide et lui ordonnait de s’asseoir. Il n’avait plus l’habitude de ralentir. Même lorsqu’il restait enfermé dans son bureau pour traiter les parchemins et les dossiers des patients, Jeong ne ralentissait jamais. Minutieux et efficace, toujours.

Ne t’en fais pas. Et deux trois mouvements, ce sera prêt. Jeong vint prendre place à table et observa le ballet des ingrédients et des ustensiles. L’air dans la pièce s’emplissait peu à peu d’odeurs alléchantes, et Jeong s’interrogea sur la date réelle de son dernier repas englouti. Peut-être que cela faisait encore plus longtemps qu’il ne le pensait, tant son estomac se contractait d’envie. Jeong posa son regard sur les œufs et le demanda mollets, pour s’harmoniser d’autant plus avec le jambon et les tartines grillées. Profit. Je vais faire les affaires et je reviens pintcher une tartine. Le sorcier coréen hocha la tête et planta fourchette et couteau dans un premier oeuf, et en libéra le jaune encore liquide.

Jeong ne sut pas vraiment combien de temps son ami était parti, tant il se régalait avec le petit déjeuner qu’il lui avait préparé. Même le thé était très bon. Alors ? Pas trop fané mon thé ? Le médicomage leva la tête de son repas. Je rejoins l’avis de ta mère : comment se fait-il que tu ne sois pas encore marié ? fit Jeong avec humour. Il ajouta ensuite, plus sérieux : C’est délicieux, merci beaucoup. Il n’avait même pas honte de se goinfrer, honnêtement. Il fit néanmoins attention à ne pas trop engloutir de nourriture afin de ne pas se sentir trop lourd pour la randonnée qui les attendait ensuite. As-tu trouvé tout ce dont nous aurons besoin pour notre expédition ? Tu es sûr que je ne peux pas t’aider pour quoi que ce soit ? Encore une fois, Jeong se sentait un peu coupable de se faire dorloter de la sorte. Lui qui faisait toujours, toujours, passer les autres en premier, il n’avait pas l’habitude…

Jeong eut un sourire et un haussement de sourcil face au rire de son ami. Parce qu’un prêtre Catholique préférerait se jeter un enfer avant de marier deux hommes ? Le médicomage marqua une pause. Oh. Il n’avait évidemment eu aucun début d’idée sur l’orientation sexuelle et romantique de son ami. Mais en même temps, ce genre de choses était loin d’être la priorité du Coréen, loin très loin d’être une priorité. Lui-même était très obtus à la chose, et devait très certainement avoir dans son sillage une ribambelle de jeunes femmes éplorées qu’il n’ai même pas percuté qu’elles lui faisaient des avances.

De toute façon, je n'ai pas su gardé un garçon assez longtemps pour me poser la question. Par contre, Jeong perçut bien le soupçon de morosité dans le ton et le regard de son ami. Si le médicomage ne comprenait guère rien à l’attirance et à l’amour, il savait ce que c’était que de se sentir seul et d’espérer avoir un peu de compagnie… C’était, entre autres, pour cela qu’il se noyait dans le travail… Il était d’ailleurs reconnaissait à la famille de César de l’inviter pour les grandes fêtes.

Ne sachant guère quoi répondre à son ami, Jeong avala une autre gorgée de thé. Grand mal lui en prit… Donc je compte sur toi pour donner des petits enfants à ma place, monoume. … car il la recracha immédiatement à l’écoute des mots de son ami. S’essuyant la bouche d’une main, et nettoyant les éclaboussures d’un coup de baguette de l’autre, Jeong toussa une poignée de secondes, tant pour reprendre son souffle que sa contenance. Des petits enfants…? Sa voix toujours un peu étranglée partait dans les aigus. J’ai peut-être un peu plus de chance que toi d’en donner à ta mère, mais… Le médicomage soupira et passa une main lasse dans ses cheveux un peu trop longs. Pour reprendre tes mots, disons que toi, au moins, tu as déjà eu quelqu’un à essayer de garder… Il eut un sourire contrit, et jeta un coup d'œil à son ami.

Il était quelque peu étrange qu’après toutes ces années, ils ne finissent par aborder le sujet que maintenant, mais… soit. Les circonstances s’y prêtaient… et César avait commencé à se confier… Il était de bonne guerre que Jeong lui renvoie la pareille. Tout comme beaucoup de choses de sa vie privée, l’absence de partenaire amoureux – et encore plus de partenaire sexuel – depuis toujours était une chose que Jeong avait gardé pour lui. Personne n’était au courant. A part César maintenant.

Changeant de sujet, le médicomage revint sur l’organisation de leur randonnée. Revenir au pratico-pratique, toujours, quand il était gêné. C’était plus facile, la logique, que les sentiments. Juste que tu prennes ton temps pour finir de manger. Moi, j'ai déjà eu mon petit-déjeuner. Et je nous ai préparé un petit quelque chose. A nouveau, Jeong lui lança un regard interrogateur, avant que son ami ne sorte les deux fioles. En observant leur contenu, il en devina la nature, et César le lui confirma. Ça l'ami, c'est fait avec des larmes de fée. Promis, je les ai eues en leur racontant une blague. Avec quelques rayons de soleil du matin dedans, on va pouvoir voir la flore et fongus invisible à l’œil mortelle. Les yeux du médicomage s’illuminèrent à cette perspective. Il allait pouvoir récupérer des ingrédients précieux pour ses antidotes, grâce à César. Peu de gens avaient un jour pu le voir ainsi la prunelle éclatante d’impatience et d’excitation. Jeong devait assurément ressembler à un gamin la veille de Noël.

Il avala alors son second œuf et ses garnitures, et finit sa tasse de thé, trépignant presque. D’un coup de baguette, il mena son assiette et ses couverts vers l’évier, où ils pourraient se nettoyer tous seuls. Y allons-nous ?