I read the rules before I break them

26 Octobre 1927 • Hotel Dieu • @César de l'Ours

"Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au delà de toute mesure" 2 Corinthiens 4:17

Regard fixe, lointain, les paupières ne ployant que rarement. L'harmonie des traits ne se trouble qu'au contact du médicomage qui panse ses blessures, referme les béances de la chair pour lui rendre son apprêt, éloigner le danger. Alessandro s'en émeut à peine, quand bien même la lancinante pulsation de la souffrance se résorbe avec un soulagement que ses nerfs ne peuvent réfuter. L'habitude faisant, ce n'est pas l'outrage à son intégrité qui le préoccupe, mais celui subit par sa famille. Un outrage dont il est pour l'heure l'un des rares détenteurs. Pour l'heure seulement. Conserver l'information par devers lui sera certainement irréalisable. Mais pour l'heure, le médicomage s'affaire. Il aura ensuite des questions, lui intimera de rester en observation. Le protocole. Contacter la police magique, sans nul doute. L'Hôtel-Dieu n'eut pas été leur destination, s'ils avaient encore possédé le luxe du choix.

Au cours d'un affrontement comme celui-ci, c'est la première commodité qu'on perd, cependant. Alors il patiente, ravale toute réaction, réfléchissant à la meilleure marche à suivre. Lorenzo est en Italie, certainement la raison de tout ceci, le Parrain a beau être un déchet moral, il est une figure intimidante. Ses hommes vont le prévenir, quand bien même sa fierté s'en trouverait froissée, la bonne marche des affaires prime sur tout le reste. Une réaction de leur part est à escompter et il sait quel est son devoir. Une fois dehors. Encore faut-il réussir à décamper. Fort heureusement, le traitement ne dure pas suffisamment pour clouer ses ailes d'une visite malheureuse de la maréchaussée et le médicomage, constamment sollicité, ne manque pas de lui adjuger sa solitude, sommes toute passagère, lorsque le devoir persiste à l'appeler. Mise impeccable, raccommodée de quelques coups de baguettes, et le voilà qui patiente dans l'une des salles prévues à cet effet.

La cacophonie naturelle d'un lieu où le son porte, carrelage oblige, reste des plus désagréables. Le son démultiplié love une tension entre ses omoplates, à ses tempes. Ici, on s'entend à peine penser. Un bref coup d'œil alentours ne lui apprend rien qu'il ne sait déjà. A moins que... la porte des jardins n'est pas contrôlée, représentant une occasion idéale de quitter les lieux aussi discrètement qu'il est possible de le faire lorsque l'on a été amené avec plusieurs litres de sang en moins. Au détour d'une caravane médicale traversant le couloir principal et d'un flot d'appels, Alessandro se relève, prenant la direction repérée sans marquer d'hésitation, conscient qu'une réticence affichée sera certainement plus dommageable à ses plans que le zèle hypothétique des employés. Le battant vitré si proche qu'il lui semble déjà le pousser se refuse pourtant à lui, lorsqu'une infirmière se présente à lui.

"Monsieur Colonna ?"

Sa silhouette se fige, se tourne, regard mirant la forme souriante si étrangère dans sa blouse médicale.

"Nous avons fait appel à un représentant du Ministère, si vous voulez bien me suivre ?"

Le choix est toujours la première commodité refusée, décidément. Il opine néanmoins et lui emboîte le pas, se remémorant l'excuse offerte pour ses blessures. Une attaque de créature, dans un lieu encore sauvage de la métropole. L'oiselle le conduit jusqu'à une office occupée par le médicomage ayant officié auprès de lui et par un sombre inconnu dont l'objectif lui est encore des plus obscures. Qu'il rejoint, néanmoins, et salut tout en prenant le siège restant, se composant ce qui doit être une mine éprouvée mais courtoise.

"Vous êtes monsieur... ?"

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"Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au delà de toute mesure" 2 Corinthiens 4:17

On peut apprendre librement d'une poignée de mains. C'est du moins ce qu'on lui a apprit. Celle-ci est ferme et rêche. Plus qu'on en attendrait d'un bureaucrate. Il n'en a, d'ailleurs, pas réellement la mise. Qu'importe, sa présence n'en est pas moins inutile, une inévitable corvée qu'il espère clore promptement. Loin de s'en ouvrir, cependant, le voilà qui prend place, observant un instant le décor avant de revenir au gratte-papier qui s'adresse à lui et qu'Alessandro, à défaut de meilleur sujet, étudie à loisir, non sans tenir le fil de leur échange. Il fut après tout malheureux que l'homme soupçonne ses mensonges eut égard aux raisons qui l'ont conduit ici.

"En effet."

Un nom certainement moins célèbre en France que celui des Medici, qui eut immédiatement attiré l'attention, et la méfiance, de certains individus. Que sa chance concurrence celle de Pélops et il eut même pu écoper d'un passage par le bureau ministériel de la justice.

"Bien sûr. Je suis à votre disposition."

Le médicomage s'éclipse, laissant Alessandro seul avec le gratte-papier, César, tel qu'il s'est présenté. La distraction de la plume enchantée l'attire un bref instant, appréciateur de toute magie, si ce n'est peut-être celle, vulgaire et bruyante, des amuseurs de rue. De l'Ours redevient pourtant promptement le centre de son attention fixe, lorsqu'il est question d'entamer la pantomime pour laquelle il s'est préparé. Il sait que dès l'instant où il fut question de l'origine des blessures, il lui faudrait faire face à la machine administrative. La faute au Ministère, trop zélé sans doute. Dans un monde où n'importe quel imbécile maniant une baguette peut se faire exploser par accident, on eut pensé que les autorités se montreraient plus laxistes.

"La potion calmante est d'une efficacité proverbiale. De même que les soins des experts de l'Hôtel-Dieu. Je suis comme neuf, semble-t-il."

Il offre un sourire pour toute ponctuation, de ceux que Guilhem offre lorsqu'il veut partager sa bonne humeur, puis un signe de tête.

"En quoi puis-je vous aider, Monsieur De l'Ours. Fort heureusement pour moi, c'est la première fois qu'une telle mésaventure m'échoie. Je ne sais pas le moins du monde pourquoi vous avez été demandé."

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La surprise du gratte-papier est source de questionnement et sans aucune manière de réponse. Une information qu'il conserve par devers lui, bien en peine d'en résoudre le mystère sur l'instant. Guilhem, cependant, n'a guère cesser de prêcher qu'un sourire est plus souvent qu'à son tour jalon de positif qu'il n'est marque de danger aussi est-ce ainsi qu'il classe celui de cet homme. S'il n'est réceptif à quoi que ce soit d'autres au moins l'est-il à ces risettes. Le reste, leur discussion le lui apprendra bien. Alors il opine, bon enfant, avec en tête l'image de Guilhem l'encourageant lorsqu'il lui apprend à jouer. Une poignée d'années lui ont permis d'apprendre cette expression sur le bout des doigts. Du moins est-ce ce qu'il estime.

"Bien entendu. Je n'avais pas conscience qu'une telle attaque eut pu être si rare. Comment puis-je vous aider ?"

L'occasion peut être finalement fructueuse pour lui. Ou au moins n'est-elle pas entièrement perdue. Il rassemble les mains dans son giron, mimant l'intérêt, depuis sa posture jusqu'à ses traits. Il n'a cependant pas noté la présence de l'animal qui accompagne de l'Ours. Pas avant que celui-ci ne vienne s'installer contre son pied, attirant un moment son regard. Un chien. Les animaux sont acceptés dans les hôpitaux ? Mais le lui indiquer serait inepte. Alessandro revient au gratte papier, n'allant pas faire la conversation à un animal après tout. De l'Ours, en outre, s'adresse de nouveau à lui. Pour l'heure, il son intérêt semble des plus communs, et les questions aisées.

"Je crains que mes souvenirs ne soient quelques peu fragmentaires, Monsieur. Je me trouvais dans le quartier des halls ce matin tôt. Je cherchais des fleurs fraîches pour Madame ma Mère. On m'a indiqué une direction, je l'ai prise et l'intense suivant... Eh bien..."

Sa voix s'étiola lentement, de même que la quiétude de ses traits. Son regard se perdit dans le vide, s'accrochant cependant aux divers éléments de décoration impersonnelle, incapable de se perdre sans but quant bien même il essaie. Intérieurement, Alessandro compte jusqu'à dix, puis offre un léger mouvement négatif de la tête, son regard retournant au gratte-papier auquel il offre un sourire qui se veut penaud.

"L'instant suivant, je ne vois plus rien, si ce ne sont les pavés et je tente désespérément de me protéger de ce qui m'agresse. Je n'ai pas pu voir de quoi il s'agissait, je sais juste qu'il ne s'agissait pas d'un être humain."

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Il opine sans commentaire, offre un geste d’invitation de la main. Qu’il produise sa carte. Les halls sont l’un des nombreux demi-mondes de Paname, fréquentés à la fois par les nantis et par la lie de la société, un lieu vaste qui plus est. En outre, le quartier est criblé d’autant de ruelles que d’îlots mouvants. Lui indiquer l’un de ces lieux sombres et apathiques, proche du canal, est un jeu d’enfant.

“Il devait être aux alentours de huit heures. C’est somme toute encore frais.”

Mais peut-être pas lorsqu’il sera éventuellement question d’envoyer quelqu’un sur place pour vérifier. Du moins est-ce là son calcule.

“J’ai entendu des sifflements et sentit quelque chose de lourd. Hélas les halls sont un lieu des plus odorants, je ne saurais assurer que mes perceptions eurent plus à faire avec mon assaillant qu’avec les étales de fruits de mer les plus proches. Je n’ai perçu aucun changement de température, mais le mois est des plus frais. Là encore je crains que ce soit très imprécis. L’attaque fut fulgurante.”

Observant attentivement le gratte-papier, Alessandro lui offrit une expression chagrine, de celles qui mandent la bienveillance devant les manquements.

“Je sais que c’est peu de choses. Je ne peux guère ajouter quoique… Du moins, si, quoi que ce fut, cela avait beaucoup de force. Je n’ai pu m’en défaire seul et il fallut mes deux compagnons pour m’aider.”

Léger mouvement de tête.

“Je gage que ce doit être frustrant pour vous. Je suis navré de ne pouvoir vous offrir davantage. Y-a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire de plus pour vous ? Si ce n’est pas le cas, j’aimerais pouvoir être déchargé, ma famille doit certainement s’inquiéter… je suis certain que vous comprenez.”

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Dans le soudain silence, le désagréable raclement de la plume ne pu qu’attirer un regard stoïque, distraction qui fendit brièvement le masque de bon aloi qu’il offre au gratte-papier pour s’assurer de sa bonne volonté. Un objet aussi défectueux eut dû être détruit sur le champ, plutôt que de troubler le confort des braves gens, mais il n’en fit aucun commentaire, préférant à la place observer à son tour la carte. Le petit manère de l’administratif, au coin de sa vision, ne reçut ainsi qu’un bref débris d’attention.

Il ne lui revint qu’au prix d’un instant de retard passé à détailler les nombreuses rues et croisement composant le quartier mal famé des halls. Par endroit, les noms se font si nombreux qu’ils sont détaillés en une cursive proche de la patte-de-mouche, par une plume qui eut certainement dû être des plus fine – plus, en tout cas, que celle du gratte-papier – mais qui, à force d’être copiée, en venait à baver et à perdre en précision. Déchiffrer un tel échevau est certainement une activité des plus ingrates.

“Messieurs Salomon Meyers et Damian Vitto. Ils m’ont conduit ici, entre de bonnes mains, et je leur ai demandé d’aller prévenir Madame ma Mère afin qu’elle ne ronge pas d’inquiétude en constatant mon absence à notre rendez-vous. Je ne doute pas qu’ils reviendront une fois cette faveur remplie pour s’enquérir de mon état. Je suis certain qu’ils ne verront pas d’objections à être également interrogés. Ou bien vous pouvez m’accompagner, si j’ai l’autorisation de quitter les lieux par moi-même, et je vous conduirais.”

Offrant ce qui se veut un sourire paisible, preuve de sa bonne foi hypothétique, il n’en détaille pas moins le visage mangé d’une barbe grisonnante.

“Votre office semble des plus complexes. Devoir déterminer quelle créature est concerné uniquement sur la base des indices disponibles. Votre connaissance des créatures magiques doit être proverbialement pointue, non ? Je suis navré, si ma curiosité vous gêne, c’est uniquement que le sujet n’est guère en faveur auprès de la France et de son système éducatif. L’on aborde avant tout la meilleure façon de se prémunir de certaines créatures.”

26 Octobre 1927 • Hotel Dieu • @César de l'Ours

Le gratte-papier l’observe et Alessandro ne bronche pas. Être observé est une habitude. Être détaillé est une habitude. De l’Ours ne fait montre d’aucun péché, dans cette observation, alors il se contente d’attendre patiemment qu’il s’estime satisfait. Et lorsqu’il reprend la parole, son attention se focalise une fois de plus sur lui.

“Je n’ai aucune idée de ce qu’ils ont pu remarquer,” rétorque-t-il d’une voix atone, avec un léger mouvement de la tête, “j’étais blessé et sous le choc et ils m’ont immédiatement conduit ici. Je crains de ne vous être d’aucune utilité à ce sujet…”

Mais il a l’intention de diriger leurs témoignages, une fois qu’il pourra les retrouver. Quitte à devoir graisser quelques mains dans la hiérarchie de cet homme afin de s’assurer que l’enquête n’est aucune suite, ou bien que quelque créature soit blâmée par défaut et exécutée. Tout ce qui peut être nécessaire, tout simplement, pour laisser tout cela de côté.

Pour adoucir la réponse, il lui offrit un sourire, espérant que cela suffise tandis qu’il dévie sensiblement la conversation. Et en le voyant saisir la perche, Alessandro ne jauge pas impossible sa tentative, bien qu’il se garda de crier victoire trop tôt pour autant. Tant qu’il ne sera pas libre et au dehors, il se contentera de rester en retrait.

“Je vois. Êtes vous partisan des réformes proposées par le Cercle pour la Nature ? J’ai entendu dire qu’en France, ils luttent pour la reconnaissance des créatures magiques mais je n’ai pas vu leur programme. peut-être est-ce encore un peu tôt au regard des campagnes électorales ?”