[Terminé] Wildflowers | Neith

D'autres étaient assis à l'intérieur. A l'extérieur, la pluie. L’automne faisait rage à Paris, comme dans le reste de l’hémisphère nord. Le jour commençait. Pourtant, pour Jeong, il s’achevait. Sans qu’il ne s’en rende compte, encore, il avait travaillé toute la nuit à l’hôpital et ne sortait que maintenant, aux premières lueurs du matin. Au moins le directeur de l’établissement ne pouvait-il regretter de l’avoir embauché… Il ne lésinait pas sur le temps qu’il accordait à son travail.

Ca commençait pourtant à se voir sur son visage. Des cernes soulignaient son regard. Du moins si on arrivait à le deviner sous les mèches trop longues qui tombaient devant ses prunelles, et sous l’ombre de son parapluie aussi carmin que le ruban entourant sa baguette.

Seul assis à la terrasse du salon de thé, Jeong attisait certainement la curiosité, et attirait assurément l'œil de par la couleur de son ombrelle. En vérité, il n’en avait cure. Après tant d’heures passées à l’hôpital, le mélange des odeurs de chacun à l’intérieur l’insupportait. Il préférait, encore et toujours, celle de la pluie, même si elle n’avait pas la même saveur que celle s’écrasant sur la terre riche de son pays d’origine. La pluie, elle-même, était différente. Bien loin des moussons qu’il avait pu connaître alors.

Un soupir, las, fit vibrer le volute de vapeur s’échappa de sa tasse de thé encore chaud. Il aurait dû rentrer, se débarbouiller, se reposer, avant d’y retourner. Pourtant, il était là. Il observait les fleurs peintes avec soin sur sa tasse, sur la soucoupe. Les gouttes de pluie qui s’écrasaient sur la partie de la table non protégée par son parapluie. Le lait qui remuait dans le liquide ambré du thé. Au moins ce dernier était-il préparé avec soin.

Jeong porta la tasse fumante à ses lèvres et avala une gorgée. Il pouvait presque sentir l’infusion glisser tout le long de son œsophage jusqu’à son estomac. Elle le réchauffait, le réconfortait presque. Un nouveau soupir franchit la barrière de ses lèvres, soulagé cette fois. Ses paupières se fermèrent. Le sommeil le gagnait-il malgré le froid et l’humidité ? Malgré le brouhaha ambiant des gens qui partaient travailler et des rares autres, comme lui, qui finissaient leur journée.

Son parapluie roula sur le dossier de sa chaise, laissant la pluie s’écraser sur le haut de son crâne. Etait-ce cela qui le sortit de son micro-sommeil, ou bien le grand bruit qui s’éleva soudain à proximité de lui ? Il sursauta, et ses paupières papillonnèrent. Il s’empressa de ramasser son parapluie, et scruta la rue pour connaître la source du vacarme.

« Allez Cerbère, avance s’il te plait. » souffla-t-elle au Braque de Weimar à la robe gris souris qui s’était arrêté sur le rebord du trottoir distrait par quelque chose.
Neith tire légèrement sur la laisse et le chien, bien dressé et bonne patte avec elle ainsi que les gens qu’il connaissait, reprit sa route. Aujourd’hui, elle avait une petite conférence à donner sur l’île de la Cité. Si sa présence à Paris était moins fréquente qu’auparavant, Neith n’avait jamais renoncé aux interventions qu’elle donnait ici et là en tant qu’archéomage. Les Antiques Rêveries et tout ce qui touchait était bien sûr sa préoccupation numéro une, mais si elle adorait traiter et commercer sur des artefacts anciens, elle avait gardé cet amour particulier pour l’enseignement.
Elle était d’ailleurs bien en avance en ce début de matinée. Tirée à quatre épingle dans une robe noire toute simple mais pas point élégante, l’égyptienne avait décidé d’emmener Cerbère avec elle pour la promenade du matin avant de se rendre sur les lieux où elle devait donner son intervention. Bien consciente que le chien ne pourrait pas sortir avant deux bonnes heures, le temps que Neith dispense son cours, elle avait déjà prévu le coup. Cerbère attendrait gentiment dans un des bureaux. Il avait l’habitude d’être trimballé d’un endroit à l’autre et suffisamment dressé pour en pas causer de dégâts et être sage.
Sentant la pluie commencer à tomber, la femme leva sa baguette pour faire apparaitre un parapluie et se protéger. Tournant dans la rue, son regard tombe sur l’enseigne de l’Appel de l’Ange, elle avait sauté le petit déjeuner pourtant institution chez les Shafiq et elle avait faim. S’arrêtant, son regard se posa sur l’heure. Elle était encore largement en avance. Décidant de laisser Cerbère devant juste à côté de la terrasse où elle vit du coin de l’œil un homme qui semblait préféré la compagnie de la pluie que la chaleur de l’intérieur de l’enseigne, elle noua la laisse à un poteau juste à côté et rentra.
Pas réellement une habituée, mais suffisamment pour se faire reconnaître, Neith prit sa commande, du thé à la menthe et une pâtisserie aux fruits de saison. Puis, elle s’apprêta à demander si elle pouvait faire rentrer Cerbère qui serait de toute façon sage à ses pieds, lorsqu’elle entendit ce dernier aboyer bruyamment. Se détournant rapidement, Neith avala les quelques mètres qui la séparaient de l’extérieur et retourna vers son chien. Cerbère était un chien sociable malgré son tempérament protecteur, et Neith remarqua un autre chien au coin de la rue.
« Cerbère, calme-toi. » dit-elle d’une voix autoritaire.
Récupérant la laisse, elle se rendit compte alors que l’aboiement du chien avant visiblement troublé l’homme. Habituée à ce que beaucoup prennent peur à cause de la haute stature du Braque, Neith posa un regard sûr et adressa un sourire à l’homme.
« Veuillez m’excuser s’il vous a fait peur. Cerbère n’est pas méchant, il est juste très sociable et aime bien le manifester. »
Son regard s’attarda sur l’ombrelle qu’il avait déployé et qui avait visiblement glissé trempant ainsi l’homme.
« Vous permettez que je vous sèche, monsieur ? » demanda-t-elle poliment. « Si votre thé devient froid à cause de lui, laissez-moi également vous en payer un autre… A l’intérieur cette fois-ci ? » désireuse de réparer son impair, Neith sourit à l’homme attendant réponses ou réactions.

Jeong papillonna des paupières. Certains de ses cils avaient déjà accroché des gouttes de pluie. La vision trouble pendant un instant, il mit quelques précieuses secondes à se rendre compte que le sommeil avait dû l’attraper de ses bras goulus. Ses lèvres se pincèrent. Ses oreilles bourdonnaient légèrement. Certainement pas uniquement à cause du bruit qui l’avait réveillé, mais bien plus à cause des ténèbres qui appréciaient l’engloutir lorsqu’il avait le malheur de se laisser aller à fermer les yeux.

Ses doigts crispés sur le manche de son parapluie, il chercha du regard la source du vacarme, et ses prunelles tombèrent sur un grand chien gris attaché à un poteau et… sur une paire de jambes se perdant dans une robe ébène. Il leva lentement la tête, avec l’impression qu’elle pesait des tonnes – cette micro-sieste n’avait pas amélioré son état de fatigue –, et rencontra alors un sourire poli.

...peur. Cerbère n’est pas méchant, il est juste très sociable et aime bien le manifester. Pour toute première réponse, Jeong hocha la tête et chassa les quelques mots de sa main libre. Une goutte roula de ses cheveux sur sa tempe, finissant son trajet sur sa joue et la ligne de sa mâchoire. Vous permettez que je vous sèche, monsieur ? Il hocha la tête une nouvelle fois. Le prendra-t-elle pour un muet à force ?

Si votre thé devient froid à cause de lui, laissez-moi également vous en payer un autre… A l’intérieur cette fois-ci ? A la mention de sa boisson, ses prunelles se posèrent sur la soucoupe et la tasse. Avait-il dormi longtemps ? Il n’en avait aucune idée. S’il est froid, je doute que ce soit la faute de votre compagnon. finit-il par prononcer. Mais vous avez raison, il sera certainement plus savoureux à l’intérieur. D’un geste gracieux et précis, il referma son parapluie et le débarrassa des gouttes qui ruisselaient dessus, éclaboussant uniquement la chaussée. Il se leva ensuite avec élégance, glissa le manche de l’ombrelle sur son bras, s’inclina pour se saisir délicatement de la soucoupe fleurie, puis tendit son bras libre à la demoiselle.

Il offrit un sourire doux au fameux Cerbère qui paraissait s’être calmé après l’intervention de sa maîtresse. Il n’avait jamais eu d’animal de compagnie, pourtant il avait un profond amour et respect pour les bêtes, quelles qu’elles soient. Cherchant le regard de la jeune femme, il pencha légèrement la tête sur le côté, haussant un sourcil. Pensez-vous que Cerbère puisse nous accompagner ? Si le chien était à l’abri de la pluie sous l’auvent du salon de thé, il n’en restait pas que le fond de l’air était frais. Ils seraient bien mieux à l’intérieur tous les trois.

Devant la porte, Jeong se rendit compte qu’il ne pouvait l’ouvrir. Sa tasse dans une main, celle de la jeune femme sur son autre bras, il se retrouvait face à une impasse. Lui qui avait voulu se montrer gentleman, il ne lui restait plus aucun membre pour s’occuper d’une simple poignée. Ses lèvres se pincèrent à nouveau, et il regretta de ne pas avoir conservé certaines habitudes de magie sans baguette issues de sa scolarité.
Pourtant, dans son grand malheur, un client sortit du petit établissement et le libéra de son dilemme. Jeong en profita pour caler la porte de son pied, invitant la jeune femme à entrer d’un signe de tête.

Où désirez-vous vous asseoir ? Il découvrait presque l’intérieur du salon de thé, ayant toujours l’habitude de s’installer à l’extérieur, peu importait la météo, comme en témoignait sa présence sur la terrasse le matin même. Patient, Jeong attendit qu’elle lui indique si elle avait une table préférée, espérant tout de même que cette dernière ne se trouve pas au milieu d’autres clients. C’était étonnant comme il pouvait supporter bien des odeurs à l’hôpital mais comme, une fois sorti, son odorat s’en retrouvait plus sensible encore que celui de l’adorable Cerbère… Aviez-vous déjà commandé quelque chose ? Après tout, il ne l’avait pas vue pénétrer dans le salon de thé auparavant…

A voir les valises que l’homme a en dessous des yeux, Neith se dit que Cerbère l’a sans doute réveillé d’une sieste impromptue. Sans doute l’a-t-il en réalité sauvé de se faire encore plus trempé qu’il ne l’était. Interprétant d’ailleurs son hochement de tête pour une confirmation, Neith leva sa baguette et lança le sortilège pour que l’eau s’évapore. Voilà qui était mieux. Ravie qu’il accepte son invitation de rentrer, l’égyptienne l’observa faire, refermer son parapluie, se relever, tendre son bras. Cela fit sourire d’amusement Neith qui le prit bien volontiers. Tant de manières et d’éducation lui plaisait.
À la question, Neith se tourna brièvement vers l’intérieur. Avec l’intervention de Cerbère elle n’avait pas eu le temps de poser la question, mais elle décréta que oui.
« Oui, bien sûr. » D’une main, elle détache la laisse et siffla légèrement à Cerbère pour qu’il la suive. Puis, elle se mit en mouvement en même temps que l’homme. Si la galanterie de l’homme était remarquable, elle s’apprêta à intervenir lorsque la porte s’ouvrit sur un autre client qui sortait. Intervention bienvenue qui permit à l’homme à ses côtés d’utiliser son pied pour caler la porte et donc la laisser passer.
« Merci bien, Monsieur. » dit-elle avec douceur. Elle resta légèrement sur le côté et l’attendit puis à la question regarda autour d’elle. Elle choisit un coin plutôt calme, comprenant qu’ils feraient ce petit déjeuner ensemble ce qui lui allait très bien.
Cerbère s’ébroua un peu mais d’un ordre de Neith s’allongea entre les pieds de la chaise en travers.
« Oui, j’ai eu le temps avant que Cerbère n’aboie… » commença-t-elle avant de voir arriver la serveuse avec sa commande. L’odeur du thé vert la détend. C’était toujours une odeur réconfortante pour elle et qui lui rappelait son chez elle. Bien sûr, les français ne faisaient pas le thé de la même façon que les égyptiens et d’ailleurs, ils étaient plus cafés, mais elle n’allait pas faire la difficile. Cela restait du thé vert à la menthe. Quant à la pâtisserie, elle était très bien présentée dans sa petite assiette.
Remerciant la serveuse, Neith demanda néanmoins poliment :
« Serait-il possible d’apporter un petit bol d’eau pour lui ? » Désignant Cerbère qui levait un regard paresseux sur la serveuse, la serveuse accepta, puis demanda à l’homme assis en face de Neith s’il souhaitait autre chose.
Le laissant commander, l’égyptienne ne put s’empêcher de le regarder un peu sans pour autant être insistante. Malgré sa fatigue qu’elle percevait, quelque chose de calme se sentait sur les traits de l’homme. Il semblait inspirer une certaine confiance et elle ne lui donna pas plus de quarante ans, peut-être même plus proche de son âge à elle en réalité.
Lorsqu’ils furent enfin seuls, un sourire se dessina sur les lèvres de la femme :
« Je m’appelle Neith. Enchantée. »
Parce qu’il fallait bien se mettre un nom sur un visage. Elle décida de ne pas se présenter par son nom de famille qui certes était maintenant de notoriété publique au vu des élections qui approchaient, mais qui n’avait pas d’importance ici et maintenant avec cet illustre inconnu.

Merci bien, Monsieur. Une fois tout le monde entré, chien compris, Jeong laissa la porte se refermer dans son dos. Fort heureusement, l’atmosphère n’était pas saturée d’odeurs désagréables. Les dominantes demeuraient celles du thé et des pâtisseries. Plus encore, la demoiselle les guida vers une table un peu à l’écart des autres. Toujours vigilant, Jeong préféra la chaise faisant face à la salle et à l’entrée… de vieux restes qui s’accrochaient à son âme encore et encore, comme les sueurs froides qui l’éveillaient presque tous les matins. Quand il dormait, évidemment.

Oui, j’ai eu le temps avant que Cerbère n’aboie… Jeong passa une main dans ses mèches, sûrement trop longues pour la mode actuelle, cherchant le vestige de la pluie qui y avait ruisselé. Il n’en restait pourtant rien, puisque la jeune sorcière l’avait habilement séché. La serveuse arriva sur ces entrefaites avec ladite commande. L’odeur de la menthe s’éleva, dansant étroitement avec celle du thé vert, à laquelle vint s’ajouter celle, plus sucrée, de la pâtisserie. Avant de repartir, la serveuse prit la commande pour Cerbère et lui adressa un regard, s’enquérant s’il désirait lui aussi quelque chose.

Pour toute première réponse, il lui adressa un sourire poli et lui tendit la tasse qu’il avait récupérée de sa table soumise aux intempéries. Je prendrais un autre thé au jasmin, s’il vous plaît. C’était son favori. Malgré ses nombreuses années passées en France, cela n’avait pas changé. Il était certainement plus âpre que celui à la menthe de sa compagne de repas, mais qui était-il pour juger ? Chacun avait ses propres goûts. Je m’appelle Neith. Enchantée. Jeong ne se départit pas de son sourire poli, bien qu’une certaine douceur s’ajouta à son regard. Jeong. Tout le plaisir est pour moi. S’il ne conservait guère d’accent après avoir passé plus de vingt ans en France, il ne parvenait pas à supprimer totalement les notes chantantes de son prénom lorsqu’il le prononçait. Comme si son visage n’était pas suffisant pour trahir ses origines, les sonorités accompagnant son patronyme se chargeaient bien de les confirmer.

Venez-vous souvent prendre le thé ici ? se surprit-il à demander. S’il savait savourer le silence, et n’était généralement nullement gêné par lui, Jeong connaissait aussi les règles de la société… et manger sans faire la discussion ni se s’enquérir de son partenaire de repas ne se faisait pas. Il préférait assurément les dialogues avec du sens, avec de la profondeur, plutôt qu’un simple échange sur le temps qu’il faisait, mais il ne connaissait guère la jeune femme, si ce n’était son prénom et qu’elle profitait de la charmante compagnie de Cerbère, alors il fallait bien commencer quelque part.

J’y viens régulièrement, pour ma part. Il a l’avantage de se trouver à proximité de mon lieu de travail. Il aurait pu se contenter du réfectoire de l’hôpital, mais le thé de l’Appel de l’Ange était bien meilleur que celui de l’hôtel Dieu. Ses prunelles se perdirent un instant sur la décoration du salon de thé. Il n’y mettait que très rarement les pieds, préférant la terrasse de tout temps. Il avisa alors une jolie pendule, aux allures délicates. La matinée s’étiolait doucement, mais il restait encore de nombreuses heures avant que le soleil n’atteigne son zénith. J’espère que notre petit déjeuner imprévu ne vous mettra pas en retard pour votre journée… déclara-t-il pensivement.

Le thé au jasmin n’était pas son préféré mais Neith ne peut s’empêcher de mettre en lien ses connaissances diverses et variées. Elle préférait le côté fort du thé à la menthe et son côté sucré aussi. Les restes de son éducation à l’égyptienne. Elle supposait que c’était aussi le cas pour l’homme assis en face d’elle. Néanmoins, l’odeur du jasmin lorsqu’il est enfin servi la fait sourire. Si elle doit en déduire quelque chose de cet homme c’était qu’il était attaché à ses origines.
Jeong était donc son prénom et elle sut immédiatement le situer sur la carte du continent asiatique. Ainsi était-il donc d’origines coréennes ce qui expliquait le thé au jasmin.
« Pas autant que je le voudrais n’habitant plus à Paris. Mais j’avais de temps en temps pour habitude de venir ici. Les pâtisseries et le thé sont excellents. »
Pas aussi bons que ceux que sa mère faisait que ce soit pour les pâtisseries qui n’avaient rien d’orientales, ni le thé qui n’était pas fait de la même façon. Mais il s’agissait-là de goûts personnels et surtout de cultures différentes. Neith n’en appréciait pas moins la cuisine ici.
Ecoutant Jeong avec un sourire poli, elle nota donc qu’il semblait être proche géographiquement d’ici. Elle essaya de faire le lien avec les institutions qu’il y avait autour géographiquement. En réalité, il y avait beaucoup d’institutions du Ministère des affaires étrangères en passant par l’Assemblée Nationale ou encore l’établissement Pactole ou l’Hôtel Dieu. Rien que Neith ne pouvait deviner et l’état de ses cernes pouvait tout et rien dire.
« Oh et où travaillez-vous ? » demanda-t-elle avec intérêt.
Un sourire moins poli et plus doux comme pour le rassurer quant à son inquiétude sur son éventuel retard se dessina sur le visage de Neith. Elle répondit aussitôt :
« Non, ne vous inquiétez pas. J’avais pris de l’avance pour la conférence que je dois donner. J’avais prévu de rester prendre mon petit-déjeuner ici avant d’y aller. Je ne serais pas en retard. »
Elle se mit à boire un peu de son thé avant de prendre sa cuillère pour commencer à manger. Un sourire en coin, elle désigna Cerbère à ses pieds devant sa gamelle d’eau.
« Et puis, il fallait le sortir. Vous avez un animal de compagnie vous aussi ? »
Parce que c’était un sujet comme un autre après tout et que les animaux de compagnie ou leur absence en disaient long sur leurs propriétaires d’expérience.

Pas autant que je le voudrais n’habitant plus à Paris. Mais j’avais de temps en temps pour habitude de venir ici. Les pâtisseries et le thé sont excellents. Jeong hocha pensivement la tête. Dans un coin de son esprit, l’information que la jeune femme n’habitait pas dans la capitale se glissa. Peut-être qu’il pourrait s’en servir plus tard dans la conversation, ou s’ils se recroisaient un jour… peut-être pas. Toujours était-il que le médicomage possédait une excellente mémoire. Parfois même un peu trop.

Il reprit la conversation, livrant un fragment de son existence. Rien de bien personnel en soi. Après tout, il n’était pas parfaitement inconnu dans son domaine, bien au contraire. Guérisseur en chef à l’Hôtel-Dieu, avec ses origines clairement non-occidentales, ça avait le mérite d’attirer l'œil de certains. Oh et où travaillez-vous ? Il esquissa un sourire peut-être un brin fatigué. Au service des empoisonnements par plantes et potions de l’hôpital. répondit-il un brin laconique. Il n’était pas du genre à fanfaronner, loin de là. Il n’était pas faussement modeste non plus, il connaissait sa propre valeur et ne jouerait jamais les timorés… mais l’information était-elle réellement nécessaire ? Les journées sont parfois très longues. Parfois... quel euphémisme ! Ses journées s’étalaient bien plus souvent sur 48h que sur 24.

Non, ne vous inquiétez pas. J’avais pris de l’avance pour la conférence que je dois donner. J’avais prévu de rester prendre mon petit-déjeuner ici avant d’y aller. Je ne serais pas en retard. répondit-elle à son inquiétude. Lui-même n’avait guère de planning à respecter, sauf lorsque des interventions étaient prévues. Un mot aiguilla néanmoins son intérêt plus que les autres dans la réponse de la jeune femme. Conférence... Bien souvent, les personnes assistant et donnant des conférences avaient un certain intellect, une certaine culture, deux choses que Jeong valorisait plus que d’autres. Puis-je m’enquérir du sujet de votre conférence ? lui demanda-t-il avec intérêt. Peut-être pourrait-il s’octroyer une heure ou deux pour y assister, si on ne le rappelait pas d’urgence à l’hôpital.

Et puis, il fallait le sortir. Vous avez un animal de compagnie vous aussi ? Jeong pencha la tête pour jeter un coup d'œil à Cerbère. Un autre sourire étira paisiblement ses lèvres. J’ai un profond amour pour les animaux de toutes sortes, mais je n’ai pas la chance d’avoir un compagnon aussi fidèle que le vôtre. Et puis, je doute d’être d’une réelle bonne compagnie, avec tout le temps que je passe au travail… Ce ne serait pas juste de lier un être doté d’émotions et d’attachement à ma personne, alors que je ne pourrais pas lui octroyer autant de temps et d’attentions qu’il le faudrait.

Sa tirade finie, il plongea le nez dans sa tasse de thé. Il savoura le trajet brûlant du liquide le long de son oesophage, gardant le silence un instant. Jeong n’avait jamais été quelqu’un de très social, ni sociable d’ailleurs… Il avait toujours été trop plongé dans ses études, dans son travail, dans sa vocation à aider les autres, pour vraiment réussir à tisser des liens intimes. Il n’y avait encore qu’avec son ancienne mentor et sa famille qu’on pouvait dire qu’il avait un lien étroit. Alors… même si la compagnie d’un animal aurait pu lui faire du bien, il n’aurait jamais pu faire subir son absence à un compagnon à poils… Qui aurait-il été pour juger son bien-être plus important que celui d’un autre être vivant ?

Neith leva un sourcil intrigué lorsque Jeong parla de son activité professionnel. Elle avait donc à faire à un médicomage. De toutes les carrières dans lesquelles Neith s’était imaginée, elle n’aurait jamais pensé à celle-ci. En réalité, les potions était toujours un sujet sensible pour elle parce qu’elle avait toujours été particulièrement nulle à cela alors qu’elle excellait dans de nombreux autres domaines. Alors, elle devait admettre qu’elle avait une certaine curiosité envers tout médicomage qui se respectait. Même si parfois, elle préférait les façons de faire qui n’étaient pas occidentales en tant que non-occidentale également. Mais la connaissance des poisons était un sujet qu’elle trouvait très intéressant et des questions lui vinrent. Un sourire indulgent se peignit sur les lèvres de Neith.
« Je n’en doute pas. J’imagine que dans votre profession en général, c’est bien le cas. Vous êtes spécialisé dans des types de potions et poisons ou pas du tout ? »
Buvant un peu de son thé bien que chaud, Neith vit qu’elle avait attiré son attention sur ses conférences et elle répondit :
« Le mobilier funéraire dans le Moyen Empire de l’Égypte Antique. Vaste sujet qui ne peut être couvert en trois heures bien sûr, mais je vais faire ce que je peux. »
Son sourire s’accentua. Il y avait trop de choses à dire sur ce sujet qui en ammenait d’autres… Mais Neith savait faire court et concis. En fait, elle était particulièrement excitée à l’idée de redonner une conférence. Cela faisait un peu de temps maintenant. Elle avait après tout mis beaucoup de son énergie dans la préparation de la campagne de son père et des réunions. Même si elle était moins dans les feux des projecteurs que son frère, Neith faisait ce qu’elle avait à faire pour le parti.
Écoutant la réponse de Jeong sur les animaux de compagnie, Neith acquiesça avant de jeter un regard à Cerbère qui était couché et sage.
« Il est vrai que ces petites âmes demandent de l’attention. Il vaut mieux effectivement que vous n’en ayez pas si vous ne pensez pas être disponible. »
Mangeant un peu de sa tarte, Neith demanda finalement : « Vous travaillez depuis longtemps à l’hôpital ? » Une façon comme une autre de savoir s’il était du coin ou pas. En tant que fille d’immigrés et immigrée elle-même, Neith n’aimait pas spécialement qu’on lui demande d’où elle venait au vu de son physique, mais elle appréciait tout de même connaître les origines des gens autour d’elle, leur parcours, leur histoire. Tant de diversité était richesse à ses yeux, surtout dans la patrimoine magique en tant que tel.
« Mes conférences sont de manière assez exceptionnelles ici. Mais je possède un magasin d’artefacts assez reconnu à Reims. J’y vis depuis des années maintenant. » compléta-t-elle pour faire la discussion et toujours intéressée de la réponse de Jeong.

Je n’en doute pas. J’imagine que dans votre profession en général, c’est bien le cas. Il hocha la tête. Il n’était pas rare que les médicomages fassent plus d’heures que prévues. N’étaient-ils pas au service des autres ? Si on avait besoin d’eux, ne devaient-ils pas répondre présents ? Vous êtes spécialisé dans des types de potions et poisons ou pas du tout ? Pas particulièrement non. Je connais beaucoup d’entre eux afin de pouvoir réagir rapidement lorsqu’un nouveau patient se présente. Jeong ne s’était effectivement pas spécialisé, mais il avait dans ses connaissances un large panel de plantes et potions. Sa fabuleuse mémoire lui permettait bien des choses, sa curiosité aussi. C’était essentiel, lorsqu’on dirigeait tout un service. Il devait être capable de répondre aux interrogations des autres médicomages et des infirmiers travaillant sous son aile.

Le mobilier funéraire dans le Moyen Empire de l’Égypte Antique. Vaste sujet qui ne peut être couvert en trois heures bien sûr, mais je vais faire ce que je peux. Les yeux de Jeong s’écarquillèrent légèrement de surprise. C’était, pour le coup, un sujet qu’il ne maîtrisait aucunement. Cultivé, il connaissait quelque peu l’Egypte Antique, mais il était loin de connaître tous les sujets. Ce doit être passionnant. finit-il par dire avant d’avaler une gorgée de thé. Il le pensait réellement. Pour lui, tout était passionnant. Tout valait la peine d’être étudié. Peut-être viendrais-je vous écouter. Ca pourrait lui être bénéfique de s’accorder ces quelques heures rien que pour lui. Et ça lui permettrait d’ajouter à sa culture générale.

Il esquissa un sourire doux. Il est vrai que ces petites âmes demandent de l’attention. Il vaut mieux effectivement que vous n’en ayez pas si vous ne pensez pas être disponible. Il s’était souvent dit que prendre un compagnon lui permettrait peut-être de décrocher un peu du travail, d’ajouter quelque chose à son quotidien… mais il n’était pas sûr d’y parvenir, alors il ne préférait pas adopter une petite créature pour devoir la renvoyer dans un refuge ensuite. Oui… Sa mère lui aurait certainement rétorqué qu’il avait besoin de tendresse dans sa vie, mais…

Vous travaillez depuis longtemps à l’hôpital ? Depuis environ 9 ans, oui… mais je suis arrivé en France il y a 25 ans déjà… Ciel, ça ne le rajeunissait pas… Même si les sorciers possédaient une certaine longévité, et demeuraient d’apparence jeunes plus longtemps que les Moldus, à le prononcer, Jeong se rendit compte qu’il avait maintenant passé plus de temps en France que dans sa contrée d’origine. Son regard se perdit un instant dans le vide et se para d’une certaine mélancolie. Peut-être devrait-il prendre quelques semaines de vacances pour rendre visite à sa famille… Mes conférences sont de manière assez exceptionnelles ici. Mais je possède un magasin d’artefacts assez reconnu à Reims. J’y vis depuis des années maintenant. Reims… Jeong n’avait connu la ville que sous les obus et l’occupation allemande. Sous un masque impassible, il frémit pourtant, luttant pour repousser les souvenirs qui menaçaient d’émerger. Ce n’était pas vraiment le moment. Il prenait tranquillement le thé avec une jeune femme intéressante et passionnée. Il prit une inspiration et une gorgée de thé pour se focaliser sur l’instant présent. La ville a-t-elle retrouvé son charme ? demanda-t-il néanmoins. Malgré les 10 ans qui s’étaient écoulés, tout n’avait assurément pas pu être reconstruit, surtout dans la partie moldue de la ville…

L’information se note dans sa tête sans qu’elle ne le veuille lorsqu’il répond qu’il n’était pas spécialisé. Mais elle se demande…. Est-ce qu’il pourrait au moins l’aiguiller ? Elle n’a pas prévu que cette demande lui vienne, mais elle la garde précieusement dans sa tête. Comment expliquer à un inconnu qu’on cherche à savoir ce qui est arrivé à son époux trois ans auparavant ? Parce que le poison, elle y avait pensé. En fait, Neith ne pouvait pas expliquer autrement le décès brutal d’Alaric. Alors, elle avait une opportunité qu’elle ne pouvait pas ne pas saisir là. Mais elle décida d’attendre un peu avant de se lancer sur le sujet. Sans doute parce que le reste de la conversation était intéressante, que l’homme assis en face d’elle l’était tout autant en plus d’être charmant.
Un sourire fin se dessine sur les lèvres de Neith lorsque Jeong lui proposa de venir l’écouter peut-être.
« Si cela vous intéresse, je peux effectivement vous donner l’adresse… » Elle bouge un peu avant de sortir une de ses cartes de visite des Antiques Rêveries avec son nom et prénom, nom qu’elle ne lui a pas donné. Elle se saisit d’une plume à papotte et la laisse écrire l’adresse. « Si néanmoins vous n’avez pas le temps, n’ayez crainte. Je donne de temps en temps d’autres conférences. Je serais ravie de vous y inviter. » Elle est sincère.
Lui glissant la carte sur le côté où elle a écrit et non pas celui où il y a son nom dessus, elle l’écouta finalement parler de ses presque dix années à l’Hôtel Dieu et de sa plus longue arrivée en France également. Cela la fait sourire en coin. Il ne doit pas être très vieux par rapport à elle. Mais lorsqu’il lui demanda pour Reims et des dégâts de la Grande Guerre, Neith eut un sourire compatissant.
« Oui, très honnêtement. Il y a encore à faire, mais Reims renait de ses cendres après les bombardements. » Les Shafiq avaient fait ce qu’ils pouvaient pour préserver la ville, aider là-bas directement. Pas du côté moldu évidemment mais surtout du côté sorcier.
Sentant que le sujet était sensible, Neith décida d’un peu le dévier. « J’ai une question à laquelle peut être vous pourriez répondre vis-à-vis de votre travail et de votre spécialité … » Elle boit un peu de sa tasse qui est presque vide et jette un regard à l’heure pour être sûre de ne pas être en retard. Tout va bien, elle a encore un peu de temps. « Est-ce que vous avez déjà eu des cas de poisons qui sont plutôt indétectables ? Dans le sens où ils peuvent provoquer la mort mais que les médicomages peuvent passer à côté du fait que la personne soit empoisonnée ? »

Si cela vous intéresse, je peux effectivement vous donner l’adresse… Le médicomage hocha la tête, et observa la jeune femme sortir une carte de visite. Si néanmoins vous n’avez pas le temps, n’ayez crainte. Je donne de temps en temps d’autres conférences. Je serais ravie de vous y inviter. C’est très gentil à vous. A priori, ses collègues pourraient bien se passer de lui pendant quelques heures. Après tout, n’avait-il pas travaillé – encore – plus de 24h d’affilée ? Il ne s’en plaignait pas, loin de là. Il avait choisi ce métier et ce poste à responsabilités en connaissance de cause.

Même au-delà du fait que la charge de travail l’empêchait de trop ressasser le passé, de trop se confronter aux souvenirs qui venaient hanter ses nuits, Jeong aimait ce qu’il faisait. Il avait toujours été altruiste, toujours voulu aider son prochain, et surtout les plus démunis. Il était hors de question pour lui de rester les bras croisés, ou à se tourner les pouces, pendant que d’autres avaient besoin de lui. Il songeait néanmoins à rentrer visiter sa famille pendant quelques jours… Cela faisait bien trop longtemps qu’il ne les avait pas vus… Il ne se rappelait même plus la dernière fois qu’ils avaient échangé des nouvelles, que ce soit par courrier ou par cheminée…

L’évocation de Reims le ramena pourtant à l’instant présent… ou plutôt à quelques années en arrière… Il avait vu la ville tomber sous les obus… Sa belle cathédrale en partie détruite par le souffle des explosions. Jeong en éprouvait tout à la fois une profonde tristesse et un profond sentiment d’horreur d’avoir assisté à cela. Oui, très honnêtement. Il y a encore à faire, mais Reims renait de ses cendres après les bombardements. Il hocha vaguement la tête. Les villes cicatrisaient, mais son âme ressemblait encore à un amoncellement d’éclats coupants. Parfois, ils reposaient sagement, mais d’autres fois, ils s’enfonçaient profondément et le saignaient à blanc.

J’ai une question à laquelle peut être vous pourriez répondre vis-à-vis de votre travail et de votre spécialité … Jeong se redressa quelque peu sur sa chaise et fut reconnaissant du changement de sujet. Dès qu’on lui parlait potions et plantes, il avait cette faculté d’oublier tout le reste. Bien sûr, si je peux vous renseigner sur quoi que ce soit… Il avala une gorgée de thé. Il était médecin, il voulait aider, renseigner. Il n’était pas coach ou quoi que ce soit. Il ne vendait pas ses services et ses connaissances… Bien évidemment, il était payé pour son travail, pour ses soins, mais il n’était pas de ces gens qui s’empêchaient de rendre service parce que ça risquait d’entraîner un hypothétique apport d’argent.

Est-ce que vous avez déjà eu des cas de poisons qui sont plutôt indétectables ? Dans le sens où ils peuvent provoquer la mort mais que les médicomages peuvent passer à côté du fait que la personne soit empoisonnée ? Il hocha la tête. Il existe un certain nombre de poisons qui peuvent passer inaperçus, en effet. Nombreux sont les mélanges possibles menant à la mort, et tous ne sont pas connus. Certains ingrédients peuvent même parfois sembler détruire la présence des autres auxquels ils sont combinés, tout en accomplissant malgré tout leur besogne. On dit souvent que la potion est un art… et les adeptes de poisons sont parfois de véritables… artistes. Il marqua une pause. Il ne cherchait évidemment pas à glorifier ces personnes, loin de là. Cet art demandait néanmoins une minutie et une rigueur exceptionnelles, d’autant plus lorsqu’on ne voulait pas laisser de traces. Ce n’était pas à la portée du premier venu. Il faut parfois étudier leur… œuvre en profondeur pour en déceler toutes les nuances et composantes, et réussir à la comprendre… Pour identifier son créateur, ou dans les cas les plus chanceux, réussir à soigner l’empoisonné. Tout était une question de rapidité dans le traitement de ces cas.

Après cette longue réponse, Jeong prit une autre gorgée de thé. La jeune femme avait-elle perdu un proche à cause d’un poison ? Il se voyait mal lui poser une question aussi personnelle alors qu’ils venaient à peine de se rencontrer. Néanmoins, une telle interrogation n’est jamais réellement innocente. Et, voyant toujours en premier lieu le bon côté des gens, Jeong ne pensait pas que Neith pouvait tenter de se renseigner dans le but de tuer elle-même quelqu’un…

Elle l’écoute avec attention tout en terminant sa pâtisserie et son thé. Dans sa tête, elle imprime attentivement ce que le médicomage lui donne comme information. Neith ne peut s’empêcher d’être à la fois fascinée de cette fascination tout intellectuelle mais aussi un peu morbide. Parce qu’elle le veuille ou non, elle possède maintenant une information qui pourrait être utile peut-être, hypothétiquement, un jour ou jamais. Qu’on peut assassiner quelqu’un avec un poison qui ne laisse pas de trace en apparence. Cela la fit réfléchir à des choses qui n’avaient rien à voir avec sa situation, des complots historiques, cette bague qu’elle avait vendu à Lorenzo de Medici et son histoire. Elle trouvait cela… intéressant.
De l’autre côté, elle sentait de plus en plus que son instinct voulait lui dire quelque chose. Ses tripes semblaient réagir et ses pensées se tournèrent vers Alaric. Elle n’expliquait rien de ce qui s’était passé. Il avait été en bonne santé, pratiquait du sport régulièrement, ne buvait pas plus qu’un autre. Elle avait réussi à lui faire arrêter la cigarette ce qui, d’après elle, enlevait également un risque. Il n’y avait rien eu d’alarmant dans son état physique, ni dans son état psychique. Il avait été parfaitement normal. Sa mort était arrivée si brutalement, comme n’importe quelle mort brutale pouvait l’être. Ce mystère insoluble la rendait folle intérieurement parce que quelque part, elle nourrissait toujours cette culpabilité écrasante de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su et d’avoir été à l’autre bout du monde lorsque ce drame s’était produit.
Évidemment, elle comprend bien que ce que lui dit Jeong est une simplification pour son esprit novice. Neith n’a strictement aucun don en potion. En fait, elle avait toujours profondément détesté cette matière. Mais face à quelqu’un qui s’y connaissait et qui faisait en sorte de vulgariser les choses pour qu’elle comprenne, elle ne pouvait qu’apprécier Jeong.
Le silence retombe un peu après qu’il eut terminé. Neith, elle, réfléchissait. Elle se demandait à quel point Jeong pouvait jeter un coup d’œil au cas d’Alaric. Elle ne voulait pas accaparer son temps et il y avait de fortes chances qu’elle soit déçue et que Jeong ne voit rien mais…
Ses tripes lui hurlaient quelque chose qu’elle ne pouvait ignorer.
« Merci beaucoup pour ces informations. C’est très clair. » répondit-elle enfin avec un sourire aussi poli que sincère. « Je n’ai véritablement aucun talent en potions. C’est même catastrophique. » Elle rit avec une légèreté maitrisée. Puis, son rire se tue et elle demande : « En fait, votre réponse me fait me poser des questions sur feu mon époux… » Elle ne peut s’empêcher d’observer l’heure, voit que si elle ne se dépêche pas, elle risque d’être en retard et elle avait eu envie d’avoir un peu d’avance. « Mais je crains manquer de temps… et je ne voudrais pas vous embêter avec mes histoires de deuil. » Lui adressant un sourire d’excuse, Neith marqua une pause, hésitante. « Est-ce que je pourrais vous contacter ? Je… C’est très important pour moi. Cela fait trois ans que je cherche une réponse à ce drame pour mon fils et moi-même… Cela a l’air idiot dit comme cela, mais j’aimerai beaucoup explorer cette piste de poison, même si ce n’est basé sur rien de scienfitique si ce n’est mon instinct. » Dans son regard, il y a malgré tout cette lueur d’espoir qu’elle n’arrive pas à cacher. « Ou même si vous ne souhaitez pas regarder, compléta-t-elle. Je serais ravie de partager d’autres thés avec vous, Jeong. Vous rencontrer fut un véritable plaisir. J’espère vous voir à l’occasion à une de mes conférences ? Ou pourquoi pas, vous faire visiter Reims pour que vous voyez à quel point la ville a changé ? » Pour faire table rase du passé et commencer à avancer.

La jeune femme resta songeuse pendant qu’il lui expliquait du mieux qu’il le pouvait pour que ce soit abordable. Tout le monde n’avait pas toutes ses connaissances… Et Jeong était habitué à simplifier son discours pour ses patients et leurs proches. Assurément, Neith devait être familière avec la vulgarisation également… sauf si ses conférences n’avaient pour public que des experts de son domaine. Le médicomage garda le silence, laissant son interlocutrice digérer les informations qu’il lui avait servies. Il en profita pour finir tranquillement sa tasse de thé.

Merci beaucoup pour ces informations. C’est très clair. Jeong lui adressa un sourire. Je n’ai véritablement aucun talent en potions. C’est même catastrophique. Il hocha la tête. Pour beaucoup, les potions restaient un mystère, cette matière honnie durant la scolarité. Pour Jeong, c’était une passion. Il s’intéressait à chaque plante, à chaque ingrédient, les étudiait sous toutes les coutures, cherchant à savoir comment les utiliser et les combiner au mieux. Si sa vocation n’était pas d’aider et de guérir, assurément il ferait un empoisonneur redoutable et minutieux.

En fait, votre réponse me fait me poser des questions sur feu mon époux… Le médicomage reposa sa tasse avec délicatesse. Là était donc la raison de cette interrogation. Jeong eut un sourire compatissant. Mais je crains manquer de temps… et je ne voudrais pas vous embêter avec mes histoires de deuil. Il eut un léger mouvement de la main. Vous ne m’embêtez pas, ne vous inquiétez pas. glissa-t-il rapidement tandis qu’elle marquait une pause. Est-ce que je pourrais vous contacter ? Je… C’est très important pour moi. Cela fait trois ans que je cherche une réponse à ce drame pour mon fils et moi-même… Cela a l’air idiot dit comme cela, mais j’aimerai beaucoup explorer cette piste de poison, même si ce n’est basé sur rien de scienfitique si ce n’est mon instinct. Ou même si vous ne souhaitez pas regarder, je serais ravie de partager d’autres thés avec vous, Jeong. Vous rencontrer fut un véritable plaisir. J’espère vous voir à l’occasion à une de mes conférences ? Ou pourquoi pas, vous faire visiter Reims pour que vous voyez à quel point la ville a changé ? Bien sûr. Je ferai tout mon possible. Ce fut son tour de marquer un temps d’arrêt. Sachez néanmoins qu’il se peut que je ne trouve rien… Certains poisons disparaissent rapidement après le décès… Sa voix diminua sur la fin de sa phrase, ne souhaitant pas mettre mal à l’aise la jeune femme.

Le deuil était toujours un sujet délicat. Parfois, la rigueur et l’intellect de Jeong le coupaient de ses émotions, et il paraissait ainsi insensible et trop froid, alors que ce n’était pas le cas. Bien au contraire. Il apprenait encore à ne pas se perdre dans certaines explications pour faire preuve de plus d’empathie. Il ne voulait, surtout, ne pas donner de faux espoirs avec la jeune femme. Vous pouvez m’envoyer un hibou lorsque vous vous sentirez prête… au bureau du guérisseur en chef du service des empoisonnements par plantes et potions. lui précisa-t-il. Ou même pour discuter d’un autre thé. Je serai ravi d’échanger à nouveau avec vous, et de profiter de la compagnie de Cerbère. Il se pencha avec un sourire pour observer le chien toujours sagement installé sous la chaise de sa maîtresse.

Se redressant, il avisa la carte de visite qu’il n’avait pas encore rangée. Posant le bout de ses doigts dessus, il la fit glisser le long de la table pour l’empocher, sans regarder plus en détails ce qu’elle avait écrit ou même son nom entier. Désirez-vous une autre pâtisserie, à grignoter en chemin pour votre conférence ? lui demanda-t-il, en levant la main pour interpeller une serveuse. Lui-même avait l’intention de se prendre un encas avant de retourner à l’hôpital.

Elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir intensément maintenant que le sujet était lancé. Neith adorait résoudre des énigmes. C’était pour elle un passe-temps autant que le cœur même de son métier. Mais lorsqu’il s’agissait de sa vie personnelle, d’un de ses piliers, de l’amour de sa vie, cela en devenait une affaire personnelle. Maintenant que le temps de deuil et de la plupart de la douleur était passée, elle disposait de tout l’espace qu’il lui fallait. Trop d’espace sans doute parce qu’elle connaissait aussi bien ses travers. C’était comme si cette rencontre totalement fortuite était un message. Neith n’était superstitieuse qu’à exceptions marquées. Lorsqu’il s’agissait d’Alaric ou encore Ruben, elle pouvait se montrer l’être et elle ne put en cet instant, que se demander si rencontrer Jeong était une situation qu’Alaric ici ou ailleurs avait provoquée…
Peu importait que ce soit lui ou le destin ou n’importe quoi d’autre, Neith ne pouvait pas ne pas en profiter même si cela n’aboutissait à rien. Elle était après tout une opportuniste.
Inconsciemment, elle se fait autant manipulatrice que sincère. Parce que mine de rien, elle ne veut vraiment pas embêter ce médicomage qui est sur sa pause avec ses problèmes. De l’autre, elle ne peut s’empêcher d’être elle-même. Manipuler n’était pas forcément quelque chose de mauvais. On pouvait manipuler l’autre pour l’aider après tout. Ici, elle savait que cela ne la concernait qu’elle mais si elle pouvait faire sortir Jeong d’un quotidien quelque peu redondant… même si elle doutait que cela soit le cas. Avait-il beaucoup de propositions de personnes qui pensaient que leur mari avait été victime d’un empoisonnement et dont l’affaire n’était pas résolue ?
Visiblement, Jeong sembla réceptif et Neith ne put s’empêcher de se sentir satisfaite ayant parfaitement réussi son objectif en jouant la carte de la veuve éplorée. Ce qu’elle était réellement. Elle eut néanmoins un sourire compatissant et honnête.
« Oui, je sais bien. Je ne m’attends pas à ce que vous trouviez une réponse mais… je m’en voudrais trop de ne pas au moins essayer en vous prenant un peu de votre temps. »
Et qu’il jette un coup d’œil au dossier, même sans réponse à la clef, c’était tout ce qu’elle voulait finalement.
Le temps filait déjà trop vite et Neith ne pouvait rester plus longtemps. Elle acquiesça aux informations de contact qu’il lui donnait. Un sourire honnête se dessina sur ses lèvres à l’évocation d’un autre rendez-vous, un autre thé.
« Ce serait avec grand plaisir pour un thé où nous aurons plus de temps. » Neith posa un regard couvant sur Cerbère qui relevait la tête à l’évocation de son prénom. « Oh non, ce que j’ai mangé est bien suffisant pour parler pendant plusieurs heures… »
Se levant, Neith remit correctement son manteau. Cerbère, sentant sa maîtresse sur le départ, se leva queue joyeuse. L’égyptienne se baissa pour flatter la tête du chien avant de finalement se tourner vers le médicomage et lui adresser un sourire éclatant :
« Merci beaucoup pour ce petit moment. J’ai été ravie de vous rencontrer, Jeong. Je vous dis à bientôt. Passez une belle journée. »
Puis, adressant un dernier signe de la tête en guise de respect, elle se saisit de la laisse de Cerbère et sortit sous le soleil timide pour aller en direction de l’endroit où sa conférence aurait lieu.

Oui, je sais bien. Je ne m’attends pas à ce que vous trouviez une réponse mais… je m’en voudrais trop de ne pas au moins essayer en vous prenant un peu de votre temps. Jeong hocha la tête. Certains se seraient sûrement offusqués de se retrouver avec plus de travail alors qu’ils étaient sortis pour faire une coupure dans ledit travail, mais pas lui. Après tout, le médicomage ne voyait pas vraiment son métier comme un travail. Il faisait partie de lui, de manière intégrante. Depuis toujours, il était dévoué à aider son prochain, celui et celle qui se retrouvait démuni(e). S’il avait toujours cultivé sa curiosité et ses connaissances, les plaçant en qualités premières de sa personne, Jeong les avait très vite dédiées à autrui. Lui-même s’était toujours senti privilégié, de par sa naissance dans une famille aristocrate fortunée et de par son sang pur. Il se sentait même privilégié de posséder cette magie, contrairement aux Moldus ou aux Cracmols. Loin d’être égoïste, il lui avait été naturel de se servir de tout cela pour venir en aide aux autres. Et, en cet instant, Neith avait besoin de ses connaissances pour tenter de trouver un apaisement face au drame de la perte de son époux dans des circonstances suspectes. C’était la moindre des choses que de mettre son savoir à son service.

Ce serait avec grand plaisir pour un thé où nous aurons plus de temps. Oh non, ce que j’ai mangé est bien suffisant pour parler pendant plusieurs heures… Il se leva à son tour, et s’inclina, une vieille habitude polie qu’il conservait de son pays d’origine, malgré les nombreuses années où il n’y avait pas mis les pieds. La serveuse qui avait vu son geste pour l’appeler s’arrêta, voyant que, visiblement, ses deux clients achevaient leur petit-déjeuner. Merci beaucoup pour ce petit moment. J’ai été ravie de vous rencontrer, Jeong. Je vous dis à bientôt. Passez une belle journée. Il répondit avec un sourire peut-être un peu moins éclatant, mais seulement parce qu’il n’était pas homme à sourire de toutes ses dents. Je suis ravi également. J'attendrai votre hibou. Belle journée à vous. Surprenez-les, avec votre conférence. Le sourire sur ses lèvres se fit encourageant et un brin amusé. Il aimait tellement apprendre de nouvelles choses qu’il espérait que le public de Neith soit tout aussi avide que lui face à un savoir nouveau. Il s’inclina encore une fois alors qu’elle s’éloignait avec Cerbère, et il remarqua que la pluie avait laissé place à un soleil encore peu assuré.

Il s’empara de l’ombrelle qu’il avait accrochée au dossier de son siège, et s’approcha du comptoir. Avisant quelques sandwichs, Jeong en désigna un à l’employée. Je vais vous prendre celui-ci, s’il vous plaît. Au moins n’oubliera-t-il pas de manger ce midi. Il remercia la jeune femme et paya, avant de sortir à son tour, levant les yeux vers le ciel encore chargé de nuages, qui laissaient pourtant passer un ou deux rayons lumineux. Son sandwich sous le bras et son ombrelle sur l’épaule, le médicomage prit la direction de l’Hôtel-Dieu, étrangement plus reposé qu’à son arrivée au salon de thé.