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Mère maquerelle de l'Empire des Sens, italienne au sang chaud et à l'accent méditeranéen prononcé, veuve noire, habile manipulatrice.
Candidate à la chambre de la noblesse, magistrat supérieur à la cour de Justice Magique, membre de la FESP, lycanthrope non recensé.
Duchesse de Bretagne, grande prêtresse du culte celte, très présente en politique, considérée comme femme la plus puissante de France.
Vétéran de la Grande Guerre, lycanthrope alimentant un folklore comme de la Bête des Tranchées, mécène pour les orphelins de guerre.
Héritier des Romanov en sursis, habile manipulateur ayant permis aux Romanov de s'implanter en France grâce aux Lestrange.
Victime collatérale de la guerre Lestrange/de Medici, voleuse de haute volée et espionne utilisant des niffleurs pour ses larcins.
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Au fracas des vagues, les murmures de nos coeurs | Némésis
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E tañs ar fulenn
« Vas savoir, peut-être as-tu de lointaines racines bretonnes, qui se manifestent ainsi ! » plaisante-t-elle. « Après tout, qui dit peuple de marin dit que nous avons semé notre héritage un peu partout. » Et elle tire la langue avant de ponctuer sa remarque d'un petit rire. Elle ne croit pas vraiment en son hypothèse, mais il est si amusant d'imaginer Tatiana en descendante d'un fier navigateur breton ! La mention de son talent lui tire un sourire chargé de fierté, et un discret rosissement des joues. Quelques années plus tôt, elle n'aurait jamais douté de ses compétences, mais les revers qui ont suivi la séparation des Brides lui ont enseigné l'humilité à grands coups de truelle. Et même si comme son amie l'a remarqué, elle est rarement aussi heureuse que lorsqu'elle joue, cette joie s'accompagne désormais de doute, de nostalgie et de regrets. Et du rappel constant que les occasions de se livrer à sa musique sont trop rares - pas comme ce foutu Guilhem, dont elle entend bien trop le nom ces derniers temps, comme s'il avait réémergé après presque un an d'une étrange discrétion ... Elle ne relève donc, préfère détourner le regard en cherchant une excuse pour passer à autre chose. Heureusement, sa proposition de parcourir les bars de la ville pour y trouver d'autres musiciens paraît rencontrer un enthousiasme sincère. Et peut-être un poil trop débordant.
« Haha tout doux Tatiana ! Nous sommes en Bretagne, pas à Paris ; les bourses n'y débordent pas autant de bézants attendant d'être cédés. A part chez les Le Noir, bien sûr, mais aucune chance de les croiser ce soir. » Son visage s'assombrit à l'évocation de la famille ducale, assez puissante pour asseoir une de ses filles aux côtés du roi de France. On ne peut faire plus opposé à ses convictions ... « Mais qu'importe. Les bretons sont généreux pour qui sait enchanter leurs oreilles, et avec toi à mes côtés, je ne doute pas une seconde que nous y parviendrons. Nous n'aurons certainement pas à nous soucier de payer nos verres ce soir ! » Elle-même ne modère pas son enthousiasme, certainement portée par la fougue de son amie. Qui, il est vrai, va devoir s'accoutumer à quelques airs du pays si elle ne veut pas être très rapidement perdue ! Et il serait bien dommage de taire sa voix fabuleuse. « J'en fais mon affaire » acquiesce donc Némésis avec un clin d’œil espiègle. Tatiana apprend vite, très vite - elles seront prêtes à aller courir les rues de la capitale sorcière bretonne bien avant que le ciel ne s'obscurcisse. D'ailleurs, la voilà déjà qui reprend l'air que le biniou jouait un instant plus tôt. En entendant le timbre de son amie faire écho sous les voûtes, Némésis ne peut s'empêcher de reprendre son souffle et de l'accompagner de son instrument, livrant un ensemble parfaitement harmonieux et étrangement mélancolique.
Lorsqu'enfin elle abandonne sa petite cornemuse, elle ne peut s'empêcher de soupirer. « Ta voix est magnifique Tati. » Dans sa voix, l'admiration se teinte de quelques notes de regret. Ses rêves de grandeur reviennent flotter aux frontières de son esprit - des Brides ressuscitées, purgées de leurs éléments égoïstes et blessants, enrichies de nouveaux talents, comme celui de son amie ... Serait-elle prête à se lancer dans une aventure de ce genre, après la douleur engendrée par la précédente ? Elle n'a pas réellement besoin de se poser la question. Elle sait que oui. Sans hésitation. Ne tiennent-elles pas leur première composition ? Tatiana lui a même trouvé un titre. « Vas pour le Malheur d'une bean chaointe » approuve la bretonne, l'air tout de même pensif. « Mais si nous voulons réjouir la foule, il nous faudra des airs bien plus enjoués ! A Dahut, on aime rire et danser, et on aime encore plus le faire en musique. Pas d'inquiétude, j'ai de ça dans ma besace. Et je suis sûre que tu arriveras à suivre le rythme ! » Rien de mieux pour se faire payer des coups que de lancer les bretons dans une ronde endiablée ! A l'époque où elle se produisait avec les Brides, Némésis aimait apprendre à son public les danses de sa région natale, les guider dans les premiers couplets, avant de les voir prendre de l'aise, sautiller tel des amateurs de toujours. C'était comme emmener un peu de sa maison dans son sillage ...
Les voûtes de pierre n'attendaient aucun autre élève, aujourd'hui. Les deux amies ont donc tout loisir de l'utiliser une bonne partie de la journée, enchaînant les airs traditionnels, en apprenant les mélodies et les paroles, les modifiant à leur sauce. Némésis est si absorbée par sa leçon improvisée, si emportée par la musique à laquelle elle peut, pour une fois, s'abandonner totalement, qu'elle ne réalise pas qu'elle ne s'était pas prêtée à cet exercice depuis la fin de son groupe. Et avant qu'elle ne s'en soit rendue compte, l'après-midi touche à sa fin - et à sa faim. « Gast, je crois que même mon biniou va finir par émettre des grognements si nous ne nous trouvons pas à manger bientôt » s'amuse-t-elle après une nouvelle protestation de son estomac. « Il est temps de mettre tes talents en application » annonce-t-elle à Tatiana, le regard pétillant et confiant. Ce n'est pas comme si son amie pouvait avoir le trac, n'est-ce pas ? N'a-t-elle pas l'habitude de parcourir les rues pour y faire chanter sa voix, de se donner en spectacle pour gagner sa vie ? Némésis pour sa part, ne s'y est pas adonnée depuis longtemps ... Mais elle n'a jamais ressenti d'angoisse avant de partager sa musique. Seulement de l'impatience.
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Tatiana LuscombeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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27 Octobre 1927
Un rire lui échappa, sincère et pétillant de sa joie à la simple pensée de pouvoir rattacher son arbre généalogique à la Bretagne et ses farouches familles celtes. Il y avait de quoi rêvasser des heures durant, surtout lorsque planait l'ombre spectaculaire des Le Noir. Et si elle était une petite Blanche Neige ou une Cendrillon arrachée à sa famille maternelle, perdue lors de la révolte d'Octobre Rouge ? Un autre rire lui vint, bien plus doux-amer celui-là. Comme si quelque chose d'aussi improbable pouvait exister en dehors des Contes !
"- J'ai toujours imaginé que ma famille, quelque part en Russie, avait des liens avec la France. Peut-être ai-je des oncles ou des grands-tantes ici ?! Cela expliquerait très certainement mon absence de pommettes ainsi que ma petite taille..." Bougonna-t-elle en se pinçant les joues pour souligner son visage qui manquait, par certains aspects, de la découpe austère et angulaire de ses consœurs slaves.
Les protestations de Némésis face à son enthousiasme débordant ne réussirent qu'à la doucher de pas grand chose et elle continua de bouillonner avec anticipation et impatience. Elle voulait chanter, danser et briller ! Elle vivait des applaudissements et des vivats. Il y avait du bon à recevoir des cours d'étiquette, de français, de langues étrangères, théâtre, et de tant d'autre matière grâce à son mécène... mais elle devait en contrepartie ronger son frein et ne pas se produire publiquement. "C'est pour construire l'attente du public et travailler votre effet lorsque vous serez officiellement introduite, Tatiana." Avait tenté de lui expliquer sa professeur de danse.
En attendant, elle chantait sous la douche et fredonnait à chaque occasion, même dans les transports ! Vraiment, s'en était à devenir folle. Heureusement, ce soir elle veillerait à cacher son identité et chanterait au couvert de Némésis, anciennement des Bides Abattues. Sûrement, personne ne s'intéresserait à elle avec une célébrité locale de son acabit à ses côtés. Elle gloussa d'ailleurs en répliquant :
"- Il nous faudra faire attention à la quantité d'alcool... Déjà, je ne suis pas folle à vouloir suivre le rythme d'une bretonne ! Je n'essaierai même pas de suivre celui d'Alekseï alors que nous sommes tous les deux de la même origine. Mes ancêtres doivent surement se retourner dans leur tombe... Je tiens l'alcool aussi mal qu'une vraie Parisienne." Volontairement dramatique, elle posa le dos de sa main sur le front en une posture théâtrale.
S'en vint ensuite leur chant et la musique, puis une nouvelle pause. Le compliment la fit légèrement rougir et elle se mordit la lèvre inférieure en haussant un peu des épaules.
"- J'ai eu la chance de croiser la bonne personne, au moment propice. Sans lui, j'aurais certainement abandonné le chant et me serait pliée à une vie sans paillettes et projecteurs dans les tréfonds du Cirque."
Décidément, c'était une fin de semaine dédiée à la mélancolie et aux souvenirs ! Un exploit qu'elle se souvienne d'autant de choses sans avoir à mettre le nez dans son carnet de notes. Enfin, elle disait ça mais elle n'était pas fichu de se rappeler du visage ou du nom de son bienfaiteur, enfin pas sans ses anti-sèches. Puis enfin, avec la promesse de ne pas se faire interrompre par une autre classe, Némésis et elle purent s'en donner à cœur joie : les notes s'égrenèrent comme des perles intangibles, merveilleuses et cristallines. A la toute fin, quand l'estomac de l'oiselle se rappela à elle, et que sa gorge se montra capricieuse avec une irritation passagère, Tatiana trouva quand même le souffle pour rire. Un rire de joie. Tout simple et ingénue.
"- Je n'avais pas autant chanté depuis des lustres ! Oh merci Némésis ! Même si nous devions rentrer à l'heure des poules tout à l'heure, j'en serais pleinement satisfaite." Elle l'embrassa encore sur la joue, incapable de contenir sa joie à seulement un rire et quelques mots.
Et elle gloussa en entendant le ventre de son amie grogner, le sien lui faisant un écho tout aussi sinistre. Elle posa une main sur son abdomen, tirant un petit bout de langue à la provocation bonne enfant et releva ensuite le menton.
"- Prépare toi à manger comme une reine et à boire comme un marin !"
Elle pensa distraitement à Auguste et se demanda si l'homme aussi doux et réservé qu'elle connaissait depuis plusieurs semaines maintenant, avait cette étrange capacité d'absorber plus d'alcool que son corps ne contenait de sang ! N'avait-il pas été marin avant de devenir armateur ? Devrait-elle lui poser l'occasion la prochaine fois qu'ils se croiseraient ? Elle pouffa de rire alors que son amie rangeait son instrument de musique, puis qu'elles sortaient d'un pas hâtif de la pièce aux voûtes qui allaient la faire rêver de longues nuits.
"- Je veux des crêpes bretonnes ! De celles que l'on voit partout ; du sarrasin, des œufs et du lard. Je te paris même que j'arriverai à nous obtenir ce repas gratuitement. Ton rôle sera de nous trouver le meilleur restaurant que tu connaisses et j'exercerai ma magie~ "
Elle lui fit un clin d'œil et la suivit jusqu'à la fameuse adresse, gazouillant joyeusement à ses côtés tout le temps de marche qu'il leur fallu pour arriver jusqu'à destination. La faim était prenante, au creux de son estomac, mais ce n'était encore rien comparé à ce qu'elle avait déjà vécu dans son enfance. Quand ils arrivèrent devant l'enseigne, Tatiana sortit sa baguette pour la pointer sur elle et, dans une petite spirale d'étincelles qui partit de sa tête et se déploya jusqu'à ses pieds ; elle changea sa tenue en concordance avec le lieu où elles devaient manger.
"- Observe !" Lui dit-elle avec un petit clin d'oeil avant d'approcher d'un serveur. "Bonsoir ! Mon amie et moi souhaitons offrir nos talents de musicienne et de chanteuse contre un menu chacune. Nous nous spécialisons dans les chants bretons et celtiques, de quoi accompagner le repas de vos clients avec un petit spectacle. Vous pensez que ce serait possible ?"
Sourire adorable aux lèvres, grands yeux candides et battements de cils aux bons moments, elle effleura même le bras du serveur à une ou deux reprises, juste de quoi l'amadouer. Ce dernier fut légèrement déstabilisé avant de s'esquiver le temps de soumettre la proposition au gérant du restaurant. Tatiana revint auprès de son amie d'un pas léger et lui fit un clin d'oeil.
"- Tu sais déjà ce que tu vas prendre ? " La nargua-t-elle, confiante sur ses chances de réussites, tout en lui désignant la carte en ardoise affichée sur le devant du restaurant.
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E tañs ar fulenn
Russe ou bretonne, cela fait finalement peu d'importance : à l'entendre, Tatiana n'a hérité la résistance à l'alcool ni de l'un, ni de l'autre ! En revanche, en ce qui concerne ses traits, Némésis les trouve définitivement plus slaves qu'autre chose, quoi que son amie puisse en dire. Elle garde ses remarques pour elle, toutefois, bien consciente que les origines oubliées de la jeune femme sont un sujet sensible. Un prénom la fait tiquer toutefois, qu'elle n'a encore jamais entendu dans la bouche de Tatiana. « Alekseï ? » relève-t-elle donc avec un froncement de sourcils interrogateur. Mais il lui faudra attendre pour satisfaire sa curiosité ; leur musique l'empêche d'approfondir la question autant qu'elle l'aurait aimé. Quand elles reprennent leur discussion, c'est cette fois avec une certaine humilité pour Tatiana - ce qui ne manque jamais d'attrister Némésis, elle qui aimerait tant que son amie soit plus convaincue de son propre talent. « La chance et les rencontres ne font pas tout, Tati. Tu es aussi artisane de ton destin que tous les autres. Plus encore que les autres, à vrai dire. » Doigts qui viennent se serrer sur l'épaule de la jeune russe, comme une promesse que cette assurance est sincère. Un jour, elle aussi le verra.
Leur répétition terminée, Némésis prend à peine le temps de souffler avant de commencer à ranger son instrument, l'esprit plein d'idées, plein d'envies. Et l'estomac trop creux ! Elle accepte les remerciements de Tatiana avec un petit geste de la main, le genre qui signifie que ça n'était pas grand chose, avant de faire mine de se renfrogner. « Pas question de rentrer à l'heure des poules ! Si un volatile doit nous coucher, ce sera plutôt le premier chant du coq ! » Mais pour l'heure, il leur faut surtout trouver à manger, où elles ne chanteront ni ne joueront très longtemps. Bien vite, les deux amies quittent la salle voûtée, au son des pépiements de Tatiana, qui les accompagnent tandis qu'elles retracent leur chemin à l'inverse, avant de quitter l'Académie. Némésis compte bien emmener son amie dans le meilleur restaurant qu'elle connaisse, même si ce dernier n'aurait sûrement pas cette réputation auprès de palais plus aiguisés que le sien. Non, ce qu'elle recherche, ce n'est pas une nourriture extravagante ou délicate, mais plutôt de la chaleur et de l'authenticité. Une chance, elle sait exactement où les trouver. Leurs pas empressés et affamés les guident jusqu'à une auberge de pierre, plutôt discrète, seulement signalée par une enseigne représentant un korrigan et un chaudron. Lorsqu'elles poussent la porte, une vague d'air tiède et odorant les accueille, attirant immédiatement un sourire sur les lèvres de Némésis. Tatiana, de son côté, ne perd pas une seconde et s'en va très vite aborder un serveur, tandis que son amie reste en retrait, bien contente de ne pas avoir à faire jouer son nom ou son ancien groupe. Pour le moment. « Bien joué » souffle-t-elle à la brune lorsque cette dernière revient à ses côtés. « Et je prendrai ce qu'on veut bien nous servir, de toute façon tout est bon ici. »
C'est finalement le gérant qui vient à eux, portant sur son visage une expression mitigée que Némésis juge de mauvais augure. Il dévisage d'abord Tatiana, avant que ses yeux ne tombe sur Némésis, certes à demi cachée derrière son amie, mais rendue bien peu discrète par sa flamboyante crinière rousse. Ses traits changent immédiatement, et la bretonne comprend très vite qu'il l'a reconnue. Elle camoufle sa grimace derrière un sourire qu'elle veut avenant, mais qui reste certainement un peu crispé. « Ce sera un plaisir d'entendre votre musique ici ! Venez je vais vous montrer où vous installer, et on vous amènera de quoi vous restaurer » s'exclame l'homme, se mettant immédiatement en branle dans la pièce bondée. Némésis hésite quelques instants. Elle n'aime pas que sa célébrité passée lui obtienne des faveurs, entretenant un rapport trop amer avec sa carrière coupée courte. Si cela ne tenait qu'à elle, nul doute qu'elle tournerait les talons et trouverait un autre endroit où passer la soirée. Mais c'est idiot. Et puis, elle doit penser à Tatiana, qui a si envie de chanter, de se produire, et de goûter aux douceurs locales. Avec un soupir résigné, la rouquine emboîte le pas du gérant, jusqu'à un coin de la pièce principale, qu'elle juge du regard critique de la musicienne avertie. Le plafond s'y abaisse légèrement, l'angle des murs est large et la table est ainsi disposée qu'elles peuvent faire face à l'ensemble de la salle. L'homme sait ce qu'il fait ; Némésis approuve son choix d'un petit signe de tête, avant de s'installer.
Avec un effort presque surhumain pour enterrer ses réticences, la bretonne tourne vers son amie un sourire qu'elle tente de rendre aussi enthousiaste que possible. « Tâchons de ne pas trop faire patienter notre public, tu veux bien ? » Ce faisant, elle monte les anches sur son instrument, presque sans avoir besoin de le regarder, contemplant son futur public - de nombreux convives lèvent déjà de leurs assiettes un regard curieux. Il leur faut mériter leur repas, désormais, et elle compte bien jouer quelques morceaux avant que les premières crêpes n'arrivent devant elles. Son biniou fin prêt, elle le dépose délicatement sur le côté, réservant ses sonorités tonitruantes pour plus tard. Elle se saisit alors d'une petite bombarde glissée dans une poche de sa longue cape de laine - et oui, certes, cette dernière ne fera pas beaucoup moins de bruit, mais dans un espace aussi confiné que le leur, elle lui paraît être une mise en bouche plus raisonnable. Après un regard entendu pour Tatiana, Némésis porte l'instrument à ses lèvres et en tire les premières notes. Ses réserves s'envolent aussitôt, laissant place au plaisir de jouer. Et bientôt, à celui d'entendre la voix de son amie l'accompagner.
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27 Octobre 1927
Elle fronça légèrement le nez devant l'absence flagrante d'objectivité de son amie quant au menu de ce restaurant. Mais elle n'avait pas tort ; elles auraient à manger ce que le chef accepterait bien de leur donner 'gratuitement', même si leur prestation vaudrait largement tous les plats de la carte si Tatiana s'écoutait ! Sans trop d'orgueil, n'était-elle pas l'élève d'Apollon Bellemain et l'unique protégée d'Auguste Lestrange ? Certainement, cela méritait d'avoir un peu confiance en ses capacités, non ?
Aussi elle releva un peu le menton et flasha un grand sourire à l'assemblée qui les observait comme deux curiosités tandis qu'elles s'installaient. Il s'agissait d'une des rares et dernières représentations qu'elle pouvait s'offrir à la sauvette avant qu'elle ne réserve sa voix qu'aux salons et théâtres que son mécène lui désignera. Alors elle s'y donna à fond, chantant de tout son cœur aux côtés de Némésis et de ses instruments. Elle modula sa voix cristalline pour aller avec les notes tantôt puissantes, tantôt lancinantes.
Elle se sentit revigorée aux applaudissements qui cascadèrent à la fin de chaque musique et chanson. Elle fut émue de voir des larmes versées ou des rires éclater dans l'assemblée selon le registre qu'elles décidèrent de jouer. Il en fut ainsi pendant quarante cinq minutes, avec une pause d'une dizaine de minutes où on leur offrit du cidre et des bières pour les désaltérer. Elle, elle n'accepta que de l'eau pour ne pas risquer de fausses notes. Ce n'était que partie remise, puisque la soirée ne faisait que commencer.
Lorsqu'elles terminèrent leur dernière chanson, elles eurent confirmation qu'il s'agissait d'un succès total et à voir la mine réjouie du gérant ? Tatiana savait qu'elles auraient le meilleur plat sur la carte. Là où l'oiselle déchanta légèrement, ce fut l'emplacement qu'on leur accorda pour manger, mais elle avait plus urgent.
"- Quelle soirée ! J'essaierai de ne jamais l'oublier." Fit-elle avec ferveur tandis qu'elle sortait de son sac à main un petit journal intime, fermé d'une cordelette teinte en bleu et ensorcelée pour ne s'ouvrir qu'à son touché. "Je vais rédiger ça le temps que nous soyons servies. Donne moi une minute !"
Depuis le temps qu'elles se connaissaient et vu l'ambiguïté de leur relation, elle avait bien dû confier à Némésis la terrible malédiction qui rongeait inéluctablement sa mémoire. Elle lui avait même parfois demandé d'écrire dans le journal à sa place, pour avoir son point de vue et le plaisir de sa plume unique sur telle ou telle aventure qu'elles avaient vécu ensemble.
La bretonne reconnaîtrait donc ce journal, similaire à la dizaine d'autres déjà remplis jusqu'à la dernière page que Tatiana conservait précieusement chez elle et dont elle relisait les lignes estompées par le temps de façon régulière ; pour se souvenir de sa vie, de ses amis, de ses aléas et des rêves qu'elle s'était promis. Tout en sachant qu'elle oublierait de nouveau et que chaque nouvelle tentative, chaque couche de mémoire collectée au travers des journaux serait de plus en plus morcelée. Incomplète.
Blottie sur le coin de la table qui leur avait été allouée, collée à la porte des cuisines sans trop de confort ou encore de l'élégance d'y posséder une nappe comme le reste des tables réservées aux clients, Tatiana s'appliqua à coucher en quelques lignes ce qu'elles venaient de faire, ce qu'elle ressentait et terminé en notant la date du jour. Tout du long de sa rédaction hâtive, bien que consciencieuse, l'oiselle avait coincé un petit bout de langue entre ses dents avec un pli léger entre des sourcils froncés.
Quand elle souffla sur l'encre pour la faire sécher plus vite et referma le journal, elle chassa d'une main distraite quelques boucles sombres étalées sur son front, venant les coincer derrière une oreille. Ses yeux bleus se relevèrent sur son amie à qui elle offrit instinctivement un adorable sourire. Une fois le journal fermé, scellé et rangé dans son sac, elle tendit une main au travers de la table pour venir presser l'index sur le nez de Némésis, taquine.
"- J'espère qu'un jour tu reviendras totalement à la musique. Tu as un don fabuleux, Gwiñver. Il suffit de voir à quel point la salle s'est enflammée dès les premières notes que tu as joué."
Mais elle n'insista pas, sachant qu'il s'agissait d'un sujet encore douloureux. Que dire ! Elle n'osait même pas lui dire qu'elle connaissait Apollon depuis qu'elle était enfant de peur de la voir se refermer comme une huître ! Elle n'osait pas lui parler de beaucoup de chose en vérité, car son amie était aussi généreuse et passionnée qu'elle était ombrageuse et bornée. Tatiana profitait donc de chaque instant sans se prendre la tête et ce soir était l'un de ces soirs.
Elle mangea à sa fin, ce qui n'était pas bien difficile vu qu'elle se contenta d'une crêpe salée, avec œuf, lardons, fromage gratiné et béchamel. Un classique. Elle goûta un cidre local -forcément- et se laissa tenter par une mousse de chocolat avec un coulis de caramel au beurre salé, jurant qu'elle allait finir confite dès la première bouchée. Quand il fut temps de lever les voiles, dehors il faisait déjà nuit noire et une bise glacée soufflait depuis le grand large.
"- Brrr... L'air est tellement plus piquant qu'à Paris ! J'ai l'impression de sentir déjà l'arrivée de la neige..."
Tatiana tourna la tête vers l'Est tout en venant souffler sur ses doigts le temps que ses gants ne se réchauffent et ne la protègent efficacement.
"- As-tu déjà passé un hiver dans les plaines enneigées, Némésis ? C'est comme si l'on vivait sur des nuages avec tout ce blanc à perte de vue. Je me souviens avoir essayé de rouler une boule de neige plus grande que moi, seulement pour manquer finir ensevelie dessous quand elle s'effondra sous son propre poids."
Elle gloussa et passa les bras sous le sien, se blottissant contre elle pour quémander un peu de chaleur, mais aussi s'abriter du vent qui soufflait d'une ruelle à une autre alors qu'elles s'éloignaient en quête du prochain restaurant ou bar où elles voudraient faire leur performance contre de quoi boire.
"- Je crois que la Russie me manque. Je n'en ai pas beaucoup de souvenirs, pour être totalement honnête. Mais je crois que quelque chose me manque là-bas. Si un jour j'ai l'occasion d'y retourner, accepterais-tu de m'y accompagner un temps ?"
Elle lui coula un regard prudent, sourire timide aux lèvres. Après tout, si sa relation avec Alekseï continuait sur sa lancée, sûrement qu'elle serait engagée, puis mariée au bolchévik. Et quand sa mission diplomatique en France prendrait fin, alors il devra rentrer dans l'Union et elle devra l'y accompagner, en bonne épouse. Mais là-bas, elle ne connaissait personne et elle ne savait même pas si elle pourrait y continuer sa carrière. Avoir Némésis avec elle, même pour quelques semaines, l'aiderait sûrement à combattre le mal du pays.
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E tañs ar fulenn
La musique s'élève, et le temps s'arrête. Les notes les portent, tout comme le font les encouragements et applaudissements de leur public improvisé. Le temps de quelques chansons, Némésis se prend à nouveau à rêver d'une tournée avec son amie, d'une nouvelle vie de bohème et de composition, de spectacles et de célébrité. Même son ventre affamé parvient à se faire oublier, le temps que dure leur représentation. Quand enfin elle range ses instruments et se déplace vers un coin plus discret du restaurant, c'est essoufflée et ravie par ces instants partagés. Et elle sait que sa joie est partagée, à l'empressement que montre son amie à le décrire dans son carnet. Un petit pli soucieux vient se loger entre les sourcils de Némésis, que même la charmante langue coincée entre les dents de Tatiana ne parvient à faire disparaître. Elle évite souvent de parler à son amie de ses problèmes de mémoire, sachant pertinemment que son inquiétude ne résoudra en rien le problème. Mais elle prend sur elle pour prendre une expression plus dégagée lorsque le familier carnet se referme en un claquement, offrant un sourire enthousiaste et encourageant. Ah, comme il est facile de revenir aux anciennes habitudes, et de considérer les sujets compliqués comme tabous ... Et puisqu'on parle de sujets tabous, Némésis préfère répondre à la remarque de son amie par un haussement d'épaules désabusé. Si elle reviendra un jour à la musique ? Peut-être, oui, quand les bonnes oreilles seront prêtes à entendre ce qu'elle a à dire ... Car pas question de faire de son art une distraction fade et sans engagement. Ce sera un moyen d'expression, ou rien du tout. Les assiettes arrivent pile à temps pour empêcher l'ambiance de s'obscurcir - le fumet des crêpes n'a jamais failli à lui rendre sa bonne humeur ! La galette disparaît en moins de temps qu'il n'en faut pour dire Tarentelle, suivie d'une crêpe au sucre et au miel.
C'est donc le ventre bien plein que les deux amies quittent l'auberge pour retourner affronter l'air extérieur. Et comme le fait remarquer Tatiana, ce dernier s'est fait plus glacial que jamais ! L'hiver commence déjà à pointer le bout de son nez, même si les premières neiges ne seront pas pour tout de suite. « Seulement dans les plaines enneigées des terres bretonnes, mais j'imagine que ce ne sont pas d'elles dont tu parles » sourit Némésis à la question de Tatiana. Même si elles ne sont en rien comparables à l'immensité russe, dont elle n'a jamais entendu parler que dans les livres, Némésis se rappelle avec affection des hivers passés dans les étendues enneigées du cœur de la Bretagne, si différent des côtes - et pourtant si proche. Du silence qui tombe sur la campagne vallonnée, comme endormie sous sa gangue de neige. De l'impression de solitude, mais une solitude apaisante, à des années lumière de celle qui la hante ces derniers temps. Un petit rire s'échappe de ses lèvres en écoutant les souvenirs de Tatiana, et vient dessiner un panache de condensation devant son visage. Elle se serre contre son amie, tente de lui offrir de sa chaleur sans grand succès - de la même manière que font tous les couples de noctambules qu'elles croisent dans les rues de Dahut. Mais sa bonne humeur s'efface lorsque Tatiana reprend la parole pour évoquer sa nostalgie.
Némésis interrompt sa marche, pivote pour faire face à son amie, plisse les yeux pour mieux la dévisager dans la faible lueur que leur offrent la lune et les chandelles enchantées flottant au gré des ruelles. « Que quelque chose te manque là-bas ? » répète-t-elle, interdite. « Mais pourtant, c'est en France que tes rêves sont en train de se réaliser, que tes efforts commencent à se concrétiser ... » Elle garde son calme, Némésis, tente de jouer l'amie prévenante et raisonnable. Mais sous le vernis de ces efforts, c'est la peur qui parle. La peur de voir une de ses seules proches disparaître, s'éloigner pour des contrées lointaines. Et, un jour, l'oublier. S'imaginer n'être plus qu'une série de lignes sur le petit carnet de Tatiana lui sert les tripes. Mais elle n'a pas envie de se laisser gagner par le pessimisme, elle ne doit pas - pas ce soir, pas alors qu'elles peuvent profiter de ce précieux temps ensembles. « Quoique, si ta carrière est un succès - et je n'en doute pas une seconde - tu pourrais y aller en tournée ! » On peut bien se permettre de rêver - même la célébrité des Brides ne les avaient pas amenés jusqu'à des contrées si lointaines. Et sans parler de distance géographique, que dire des divergences politiques ? Elle se doute que les relations entre leurs deux pays ne sont pas à leur apogée, malgré la venue d'ambassadeurs, dont elle a entendu parler dans ses cercles de débat. Y songer fait d'ailleurs naître un petit doute dans son esprit. « A moins que ça n'ait quelque chose à voir avec cet Alekseï que tu évoquais tout à l'heure ? » demande-t-elle l'air de rien en repassant son bras sous celui de Tatiana pour reprendre leur marche.
Une bourrasque de vent charriant un froid particulièrement piquant vient agiter ses mèches rousses et faire courir un frisson le long de son échine. « Ah, mais ne restons pas parler de tout ça dans le froid. Il faut nous réchauffer, et pour ça, il faut danser ! Suis-moi, je connais l'endroit idéal. » Elle accélère le pas, entraînant Tatiana dans son sillage, jusqu'à tomber, deux ruelles plus loin, sur une taverne dont s'échappe des notes de musique et des échos de discussions enflammées. La lumière qui s'en échappe déborde sur les pavés, et paraîtrait presque les réchauffer de son accueillant éclat. Vite, Némésis pousse la porte, révélant une foule bigarrée, où tous les âges se mêlent, certains discutant dans des coins avec une chope de cidre à la main, tandis que les autres dansent sur les accords égrenés par un musicien installé au fond de la salle. Ce dernier, équipé d'une guitare, s'accompagne d'une bombarde ensorcelée, que Némésis observe d'un air désapprobateur. Mais le moment est mal choisi pour aller faire savoir son avis, et si elle ne manque pas d'envie de se joindre à la musique, il leur faut d'abord se réchauffer ! Et pour cela, rien de mieux qu'une petite danse, pourquoi pas suivie d'un verre pour se désaltérer. Rayonnante, la bretonne tend une main à son amie pour l'inviter à se joindre aux cercles de danseurs.
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27 Octobre 1927
Elle s'arrêta aussi, avec quelques pas de retard. Elle pivota pour observer Némésis, penchant légèrement la tête de côté en un geste d'interrogation ingénue. L'oiselle ne semblait réellement pas comprendre la surprise, si ce n'était le choc, qu'éprouvait soudainement la bretonne. Puis elle eut un sourire attendrit et la rejoignit pour glisser une main délicate dans la sienne. Elle entrelaça leurs doigts et vint déposer un doux baiser sur sa joue.
"- Oh Gwiñver... Si seulement les soupirs du cœur étaient aussi simples."
Il n'y avait nulle condescendance dans ses mots, juste une mélancolie las. Il y avait en Russie la réponse à tant de ses questions, la solution à tant de ses soupirs lorsque venait chaque hiver. Quand la neige recouvrait tout, Tatiana se mettait à rêver des steppes de sa contrée natale, des toits ronds de Pétrograd et des eaux gelées de la Neva. Mais est-ce que Némésis pourrait comprendre ce déchirement ? Cette douleur lancinante qui pulsait au fond de son cœur.
"- Alekseï ?"
Toute nostalgie quitta ses traits, comme ses pensées. S'imposa à la place la haute silhouette du russe, ses regards glacés qui pourtant faisaient naître sous sa peau une chaleur certaine. Ses larges mains sèches, marquées par la vie de soldat et sa voix grave, profonde et sereine comme le roulis de l'océan. Mais Tatiana n'eut pas le temps de s'expliquer, car déjà elles s'engouffraient dans les rues et ruelles d'Is pour s'abriter du vent et rejoindre une taverne.
L'oiselle laissa la marche rapide chasser de son esprit toute pensée qui pourrait trahir la vraie profondeur de ses sentiments à l'égard d'Alekseï et se concentra sur la présence familière, flamboyante, de sa meilleure -et seule- amie. La chaude lumière l'éblouie un instant et elle leva une main pour s'abriter les yeux, le temps de les habituer à cette nouvelle luminosité. Elle fut baignée dans les sons et les odeurs, un sourire fleurissant instinctivement sur ses jolis traits.
"- J'adore l'endroit !" Gazouilla-t-elle en acceptant la main tendue de Némésis.
Elles dansèrent sans se soucier de rien ; ni des autres personnes sur la piste, ni du temps qui passait et de la fatigue qui les gagnait. Elles dansèrent sur plusieurs chansons, riant des maladresses qu'elle purent commettre ou des bousculades involontaires avec d'autres danseurs et danseuses. Puis, quand Tatiana fut incapable d'aligner deux pas sans trébucher, les genoux comme les cuisses en feu, elle fit signe à Némésis et quitta la piste de danse.
"- Aaaah... Je ne m'étais pas autant agitée depuis des semaines ! Huff... Il va falloir que je fasse attention à ne pas perdre davantage de ma forme une fois hors du Cirque."
Elle s'accouda au bar, relativement déserté pour l'heure. C'est que beaucoup de monde dînaient encore ou dansaient avant de se mettre plus tardivement à table.
"- Mais merci, j'en avais bien besoin."
Que ce soit pour se réchauffer ou se changer les idées d'ailleurs. Tatiana commanda un cidre doux avec une pointe de liqueur de poire à l'intérieur et se hissa sur un tabouret. Elle paya la consommation de son amie en même temps que la sienne, prétextant qu'il s'agissait de ses remerciements pour lui jouer les guides ce soir. Après les premières gorgées et quand son coeur cessa de battre la chamade, elle osa enfin aborder l'Okkami dans la pièce.
"- Il s'appelle Alekseï Januszew. Il travail au Ministère comme ambassadeur au bureau de la coopération magique internationale." Elle hésita, mais connaissant son amie et ses positions politiques, elle se sentit suffisamment en sécurité pour glisser d'une voix plus basse : "C'est un bolchévik."
Elle regarda sa pinte de cidre et la fit lentement tourner entre ses doigts graciles, bien que marqués par une vie dure et de labeurs. Tatiana se mordit légèrement la lèvre inférieure, essayant de paraître sereine bien que son cœur soit en train de se serrer doucement sans qu'elle ne sache trop pourquoi.
"- On s'est rencontré au Cirque il y a... de ça un mois, je pense." Elle ajouta avec l'ombre d'un sourire : "C'est un homme très instruit, mâture et propre sur lui. Nous étions dans une entraide mutuelle, puis une chose en amenant une autre, nous avons commencé à nous fréquenter plus sérieusement."
Elle glissa une mèche de cheveux derrière son oreille.
"- Il est très respectueux envers moi. Il peut sembler froid au premier abord, mais c'est juste une façade et derrière il y a un homme attentif aux autres, bien que terriblement maladroit dans ses tentatives de l'exprimer." Un léger rire lui secoua les épaules. "Je me sens bien à ses côtés. En sécurité."
Tatiana osa enfin couler un regard vers son amie et l'observa avec une pointe d'appréhension et de culpabilité.
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E tañs ar fulenn
Les cercles de danseurs les entraînent, de rondes enflammées en bals plus intimes, toujours heureux d'accueillir de nouvelles têtes. Pas d'impatience de la part des noceurs quand les pas ne sont pas inconnus ou se font maladroits ; une petite pique, une démonstration affable, et les voilà repartis. Némésis ne peut empêcher un sourire hilare d'éclairer son visage - et pourquoi l'en empêcherait-elle, d'ailleurs ? Elle aime se perdre dans cette foule où elle devient anonyme, un corps tournoyant de plus, seule ou au bras de Tatiana. Quand enfin la danse les abandonne au comptoir, elle est essoufflée mais plus heureuse qu'elle ne l'a été depuis qu'elles ont quitté l'Académie. Bien sûr, la rouquine ne peut s'empêcher de protester quand son amie règle leurs consommations, et se promet de lui rendre la pareille à leur prochaine tournée - car elles ne vont pas rentrer se coucher après un seul verre, ce n'est pas comme ça que l'on fait la fête en Bretagne. A Paris non plus, cela dit, quoique ça doit dépendre des cercles que l'on fréquente. Le répit est de courte durée toutefois, car bientôt viennent les confidences de Tatiana. « Alors c'est là le fameux russe qui veut t'emmener loin de la France ? » fait mine de plaisanter Némésis, mais sa blague sonne creux, sa voix manque de sincérité, camoufle mal l'amertume qui couve sous la surface.
C'est plus fort qu'elle : son amie est passée par tant de malheurs qu'elle ne peut que vouloir la protéger, empêcher tout nouveau chaos de se mettre sur sa route. « Mature, tu as dis ? Il a quel âge au juste ? » Le pli soucieux entre ses sourcils trahit son inquiétude, revenue la hanter alors qu'elle pensait que la danse l'aurait faite disparaître. « Et combien de temps avant qu'il ne rentre au pays en te laissant toute seule ? » Ou pire, en exigeant qu'elle ne le suive ... Pourtant, loin d'elle l'idée de faire preuve d'une jalousie mal placée. Tatiana est son amie, et si leurs corps se rapprochent parfois, ce n'est à ses yeux qu'une extension de leurs sentiments, rien de plus. Qu'elle en fasse le don à un autre, qu'elle lui en réserve l'exclusivité, fait partie de la marche naturelle des choses, et Némésis n'a jamais eu l'ambition de l'en empêcher, bien au contraire. Elle réalise toutefois que son attitude pourrait laisser penser l'inverse, aussi calme-t-elle son flot de questions inquiètes pour prendre une longue inspiration et noyer ses réserves dans une grande gorgée de cidre. « Pardon. Je m'enflamme » s'excuse-t-elle auprès de son amie avec une moue désolée.
Elle pose son front contre le sien, petit sourire ourlant ses lèvres. « Ce qui m'importe, c'est que tu sois heureuse. » Elle laisse à son affirmation le temps de sédimenter, chaque seconde de silence lui donnant plus de poids. Dans son cœur et, elle l'espère, dans celui de son amie. Finalement, elle recule sa tête, pour mieux lancer son regard le plus aigu. « Heureuse, et prudente. C'est agréable de se laisser embarquer par ses émotions, mais on peut vite faire des choses qu'on regrette. Crois-moi, je suis bien placée pour te le dire. » Même s'il ne s'est jamais agi de sentiments amoureux, la concernant. Mais quelle différence cela fait-il ? Ce n'avait peut-être rien de charnel, mais un amour profond l'unissait aux Brides, le genre qui vous fait tout lâcher, vous fait oublier les combats vous tenant à cœur. Et quand ces derniers viennent se heurter aux séduisantes illusions dans lesquelles on s'est enfermée ... Un pli amer vient étirer la moue de Némésis, avant qu'elle ne le fasse vite disparaître en un soupir. Elle ne changera pas le passé. Tout juste peut-elle espérer que ses errements éclairent la voie de son amie, pour qu'elle ne s'engage pas dans les mêmes impasses. « Ne va pas gâcher ta carrière pour un galant, d'accord ? Tu as trop de talent pour ça. Aussi charmant ledit galant soit-il. » Ça lui fait tout drôle de se prétendre la voix de la raison, aussi la bretonne ponctue-t-elle sa dernière remarque d'un petit rire, et d'une gorgée de cidre.
« Décidément, nous en avions des choses à rattraper ! Il ne faudra pas rester éloignées si longtemps à l'avenir. » Un vœu bien pieu ; leurs vies respectives sont ce qu'elles sont, peuplées d'obligations et d'imprévus. La promesse sans cesse renouvelée de se voir plus souvent n'existe que pour être brisée. Enfin non, pas vraiment. Elle est aussi une preuve éternelle de l'affection qu'elles se portent, à chérir lorsque les circonstances les tiennent loin de l'autre. « Il faudra que tu me le présentes, cet Alekseï » finit par conclure la rouquine. D'autant qu'il est un bolchévik, et cette information n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Dans les cercles politiques qu'elle fréquente, Némésis a entendu mille choses à propos du régime russe, mais n'en a jamais rencontré un authentique représentant. Elle aurait mille questions à lui poser, et sans doute mille débats sur lesquels se lancer.
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