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Mère maquerelle de l'Empire des Sens, italienne au sang chaud et à l'accent méditeranéen prononcé, veuve noire, habile manipulatrice.
Candidate à la chambre de la noblesse, magistrat supérieur à la cour de Justice Magique, membre de la FESP, lycanthrope non recensé.
Duchesse de Bretagne, grande prêtresse du culte celte, très présente en politique, considérée comme femme la plus puissante de France.
Vétéran de la Grande Guerre, lycanthrope alimentant un folklore comme de la Bête des Tranchées, mécène pour les orphelins de guerre.
Héritier des Romanov en sursis, habile manipulateur ayant permis aux Romanov de s'implanter en France grâce aux Lestrange.
Victime collatérale de la guerre Lestrange/de Medici, voleuse de haute volée et espionne utilisant des niffleurs pour ses larcins.
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Au fracas des vagues, les murmures de nos coeurs | Némésis
Tatiana LuscombeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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27 Octobre 1927
Son cœur battait la chamade, mais pour une fois ? Il ne s'agissait pas de peur ou d'appréhension. Tatiana n'avait encore jamais mis les pieds à Is, île sorcière entièrement isolée du monde moldu depuis... et bien, depuis toujours si l'on en croyait son histoire. Un lieu où l'on pouvait être soit-même sans crainte de violer le Secret. Un véritable lieu de magie et d'émerveillement. Elle en avait entendu d’innombrables histoires, que ce soit à Beauxbâtons avec les autres élèves, que part les circassiens qui avaient assez d'argent mis de côté pour prendre le ferry magique.
Mais c'était maintenant à son tour d'en profiter ! Ce n'était certainement pas grâce aux quelques bézants que l'oiselle parvenait à économiser au Cirque. Elle devait sa sortie à Is grâce au support financier et moral que lui offrait son mécène ; Auguste Lestrange. Il était venu la voir au début de Septembre pour la démarcher et depuis ils avaient signé leur contrat, trouvés un appartement dans lequel elle pourrait aménager au début de Novembre... et il lui avait même offert un magnifique Fléreur pour sa protection !
La créature magique n'était encore qu'un petit chaton ébouriffé, qu'elle avait laissé aux bons soins de sa mère adoptive pour son escapade, mais elle l'adorait complètement et hésitait encore sur quel nom lui donner. Heureusement, Tatiana allait retrouver sa meilleure amie et elle pourrait en discuter avec elle, convaincue que Némésis aurait beaucoup d'inspiration. Il s'agissait d'un des membres des prestigieuses Brides Abattues après tout ! Oh combien elle avait hâte de nouer les bras autour de son cou et de l'enlacer étroitement.
C'était dans cette anticipation presque fiévreuse que l'oiselle était sur le pont supérieur de la navette, bravant la bise marine, ô combien glacée en cette fin d'Octobre. L'iode de l'air était vivifiant et Tatiana frissonnait sous son lourd manteau de laine et de fourrure, mains frileusement protégées de gants et les oreilles douillettement couvertes d'un bon béret. Encore une fois, la générosité de son mécène lui procurait des vêtements chauds et de qualité. Petite valise de voyage à ses côtés, elle n'avait pas eu besoin de beaucoup plus pour ces quelques jours d'escapade.
Elle avait prévenue Némésis de son heure d'arrivée pour qu'elle vienne la chercher, lui ayant aussi laissé la charge de leur trouver à toutes les deux un logement directement à Dahut, capitale sorcière et destination rêvée pour leur sortie entre filles. Son amie habitait déjà en Bretagne, lui laissant plus de facilité à tout organiser. Tatiana, de son côté, avait eu le temps de réfléchir à leur programme et elle comptait bien visiter l'académie de Tarentelle ou du moins les zones ouvertes au publique. Elle voulait aussi visiter des boutiques sorcières, voir le zoo de créatures magiques et bien d'autres choses impossibles à Paris.
Aussi, lorsque la navette coupa les moteurs à quai, la jeune chanteuse était dans l'une des premières de la file d'attente et elle piétinait presque d'impatience. Ses yeux bleus balayaient déjà la foule amassée de l'autre côté des cordages, cherchant son ami et lorsqu'elle reconnue la tignasse rousse de la musicienne, son joli minois s'illumina immédiatement. Leur dernière rencontre datait des Fééries, faisant réaliser à Tatiana combien leur quotidien était occupé pour qu'elles ne soient pas capable de se voir plus souvent. D'un autre côté, cela rendait chacune leur rencontre plus précieuse encore.
Quand elle descendit de bord et fendit la foule pour la rejoindre, elle fit exactement ce qu'elle avait rêvé : elle l'enlaça après avoir posé sa valise à leurs pieds. Une bise fut déposée sur sa joue, lèvres légèrement gercées après la traversée marine.
"- Némésis~ ! Combien tu m'as manqué !" Elle s'écarta juste assez pour pouvoir la regarder, tout sourire. "Comment vas-tu depuis la dernière fois ? Oh attend, nous parlerons en marchant. Je suis frigorifiée et je rêve d'un bon café quelque part de proche."
Tatiana récupéra sa valise et se mit en marche à ses côtés, passant son bras libre sous le sien le plus naturellement du monde.
"- As-tu eu un voyage paisible ? De mon côté la vue était superbe, même si nous avons souffert d'un peu de brume au départ de Brest." Elle regarda tout autour d'elle, fascinée, puis ajouta d'un ton plus bas : "Tu y crois à la légende de Morgane et la création magique de cette île ?"
Pour l'oiselle, maintenant qu'elle était sur place, elle avait un peu de mal à se dire que tout ce qu'elle voyait, depuis les paysages jusqu'au sol qu'elle foulait, pouvait être une création magique vieille de plusieurs siècles.
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Némésis Le BihanATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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E tañs ar fulenn
Le vent marin pince méchamment, en ce début de journée. Mais il en aurait fallu bien plus pour décourager Némésis, qui se tient légèrement à l'écart de la foule, sur le quai d'amarrage du port d'Is. Habituée aux affres du climat breton, la rouquine s'est équipée d'une cape noire, imperméabilisée par un sort de ses soins et passée par-dessus plusieurs couches de vêtements chauds. Elle a rabattu la capuche sur son crâne, dans l'espoir de ne pas être reconnue par d'anciens fans ou actuels élèves. Cela n'empêche plusieurs mèches rousses de s'échapper de leur carcan pour venir voleter autour de son visage telle une couronne flamboyante. Toujours est-il que si Némésis trépigne, ce n'est pas pour se réchauffer, mais parce qu'elle attend ce jour depuis plusieurs semaines. Depuis que Tatiana lui a promis de venir lui rendre visite dans sa Bretagne natale, à la faveur de quelques jours libres. Et inespérés. La solitude lui pèse, à elle qui a vécu tant d'années dans la proximité de sa famille de choix. Le silence est chaque jour plus assourdissant, sans les accords résonnant sous le toit de leur roulotte, les rires qui ponctuaient leurs repas, les voix qui chantaient, bavardaient ou criaient. Et ni les années ni ses autres activités n'y changent quoi que ce soit. Le claquement des cordes qui viennent s'enrouler autour des anneaux de métal du débarcadère la tirent de sa mélancolie, non sans un dernier frisson. Elle cherche Tatiana du regard, mais voilà que le visage de son amie se tient déjà devant elle, comme transplané directement du pont au quai. Étreinte qui réchauffe le cœur plus que le corps, et que Némésis rend avec une fervente sincérité, qui révèle mieux que les mots combien son amie lui a manquée, à elle aussi.
« Un café ? » relève-t-elle avec un sourire. « Pourquoi pas plutôt un chouchenn, ou un bon cidre chaud ? » Tatiana n'est plus à Paris - quitte à se payer le luxe du dépaysement, autant consommer local. Même si en Bretagne, se réchauffer rime souvent avec alcoolisé. Sans attendre de réponse, la rouquine joint son bras à celui de son amie, l'entraîne dans la capitale bretonne avant que ses rues ne soient inondées de la foule qui encombrait les quais. Tout en foulant les rues pavées de pierres millénaires, les deux jeunes femmes continuent leur discussion. A la question sur son voyage, Némésis répond d'un haussement d'épaules. « Oh tu sais, je connais assez bien les lieux pour y transplaner sans peine. Et m'éviter l'humidité du trajet en bateau » ajoute-t-elle en passant une main songeuse dans les boucles trempées d'embruns de Tatiana. Aussi bretonne soit-elle, Némésis préfère la mer face à elle que sous ses pieds. Et ce n'est pas parce qu'elle n'a pas le pied marin qu'elle n'apprécie de regarder les vagues s'écraser les rochers dans un ballet aussi mortel que répétitif ... du moins quelques minutes, jusqu'à ce que sa patience s'épuise et que le mouvement la happe de nouveau ! Quant aux histoires sur la création de l'île sorcière, leur évocation lui tire un petit rire. « Il y a autant de légendes sur Is qu'il y a de sorciers bretons ... Voire plus ! Laisse-toi ces quelques jours avant de te faire une idée. »
Tandis qu'elles serpentent dans les petites rues sinueuses de Dahut, Némésis parcourt mentalement la liste de choses qu'elle veut faire visiter à Tatiana. Sans compter qu'elles ont du temps à rattraper, des potins à échanger - quoique la vie de son amie est sans doute plus riche que la sienne de ce côté-là. « Et si nous allions poser tes valises avant d'attaquer les choses sérieuses ? J'ai tellement de choses à te montrer, de musique à te faire écouter ... » Plus familière avec les lieux, la bretonne s'est occupée de leur trouver un toit - en l'occurrence l'appartement d'une amie de sa mère, qu'elle n'occupe qu'une moitié de l'année et qu'elle a accepté de leur prêter. Nul doute qu'avec l'aide financière de Camille Delacour, son généreux mécène, Némésis aurait pu se payer quelque chose de plus élégant. Mais elle répugne à aller réclamer des pièces, trop fière pour jouer la mendiante, trop orgueilleuse pour supporter de se sentir en dette. Leurs pas ne tardent pas à les amener au pied d'une étroite maison à colombages, puis, après l'escalade d'un escalier de bois grinçant, à l'entrée de leur appartement. « Notre cocon ! » annonce-t-elle fièrement, comme si elle avait ouvert la porte d'un palace. « Bon, dis-moi tout. Par quoi veux-tu commencer ? » demande-t-elle, regard brillant, perspective d'une boisson chaude déjà oubliée. Si elles arrivent à plier la visite d'Is avant la fin de leur temps libre, Némésis compte bien amener son amie écouter des sonneurs moldus, au cœur des terres qui l'ont vue grandir.
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27 Octobre 1927
Même si la question était rhétorique, Tatiana ne pu s'empêcher d'y réagir tant l'occasion était belle :
"- Oui, Némésis. Un café. Tu sais, ces petits grains torréfiés qui nous sont arrivés en France depuis bientôt trois cent ans grâce à la Turquie ?" Répondit-elle du tac au tac sans animosité aucune, mais toute pétillante de taquinerie.
L'alternative proposée par son amie la fit rire de bon cœur, mais elle secoua la tête en signe de négation, faisant virevolter ses boucles sombres. C'était bien une bretonne pour lui proposer de l'alcool de bon matin ! L'oiselle n'avait qu'une tartine beurrée ainsi qu'un thé au lait dans l'estomac, le tout avalé sur le pouce avant qu'elle ne quitte Paris en train. Prendre la moindre goutte alcoolisée, aussi tentant que cela paraisse, serait une très mauvaise idée ! A moins qu'elle ne veuille passer les prochaines heures à dormir comme une bien heureuse, assommée par sa boisson...
"- Et puis quoi encore ?! Garde ton invitation pour plus tard, quand j'aurais besoin de reposer mes pieds dans un bar. Là, je ne veux que me réveiller et me réchauffer à la parisienne." Annonça-t-elle avec un parfait accent nasillard.
Mais déjà elle était entraînée dans les rues d'Is, loin des quais chargés d'embrun. Valise tenue de sa dextre libre, elle vint se blottir contre le flanc de son amie pour s'abriter du vent et quémander un peu plus de chaleur. La haute et large silhouette d'Alekseï lui manquait cruellement dans ce genre de situation, le russe jouant à merveille le rôle du paravent. Malgré cet inconfort, il restait fascinant de croiser des centaures en pleine rue ou encore de voir voler des chats ailés à la poursuite de nuées de petites fées arc-en-ciel. La magie crépitait partout dans l'air de Dahut, tandis que sorciers et sorcières ne se cachaient pas avec leurs baguettes en mains et elfes de maison aux talons.
"- Tu as de la chance ! Je ne sais pas transplaner et l'idée même me terrifie ! J'en ai entendu des histoires de désartibulation autour du feu des circassiens et non merci pour moi ! Brrrr... J'aime avoir mes membres accrochés à mon corps et dans le bon ordre."
Et puis le voyage par bateau avait été très reposant, même si humide comme le soulignait Némésis. L'oiselle passa une main dans ses boucles, récoltant l'embrun salé sur le bout de ses gants et fit une petite moue. Elle attendrait d'être au sec dans leur logement pour arranger sa mise et enfiler quelque chose d'un peu plus étanche. La proposition de déposer sa valise fut donc accueillie avec le sourire et un "oui" énergique. Toujours le bras crocheté à celui de son amie, Tatiana joua les touristes modèles et se laissa guider sans une once d'auto-préservation. Elle serait incapable de retrouver son chemin et nota tout juste le numéro de la rue dans laquelle les deux jeunes filles s'arrêtèrent finalement.
- "Mais c'est super mignon comme logement !" S'exclama-t-elle, absolument conquise. "On va être tellement bien ici... Merci Némésis, t'es la meilleure."
L'oiselle lui colla une bise sur la joue, geste plein de tendresse et de joie. Sa valise fut ensuite déposée contre le dossier du canapé qui séparait la pièce entre un salon et une salle à manger ouverte. Elle avait retiré ses chaussures avant d'entrer, ne voulant pas salir le parquet de ses semelles humides. Elle pu ainsi profiter du moelleux d'un tapis avant de s'asseoir dans le canapé une fois son manteau, ses gants et son écharpe de suspendus au dossier d'une chaise.
"J'attends toujours un café ou un thé, tu sais." Lança-t-elle avec un petit froncement de nez et un sourire chafouin. "Sinon... Autant profiter du temps quelque peu clément pour faire les visites extérieures, nous pourrons garder les musées et autres sites historiques d'intérieur quand il se mettra à pleuvoir des cordes."
Il ne fallait pas se leurrer ; elles étaient en Bretagne. Les pieds suffisamment reposés, Tatiana se leva et sorti sa baguette pour venir faire sécher ses vêtements, ses cheveux et sa valise qui gouttait encore un peu sur le parquet. Elle se dirigea enfin vers la cuisine pour faire l'état de leurs réserves et dû constater qu'elles n'avaient pas grand chose de frais. Même trouver du thé fut une épreuve en soit, mais après quelques minutes de fouinage intensif, Tatiana faisait chauffer de l'eau et remplissait une théière du précieux mélange séché.
"- Enfin, je propose ça mais tu as peut-être un meilleur programme ? Autre point technique ; veux-tu manger dehors à tous les repas ou seulement à certains restaurants précis ? Je dois t'avouer avoir un petit pécule pour notre weekend, mais je ne roule pas encore sur de l'or..." Elle se mordilla la lèvre. "Même si je dois t'avouer des choses à ce propos. Mais plus tard, rien ne presse."
Elle chassa le sujet d'un petit geste de la main et regarda son amie avec tendresse.
"- Allons, dis-moi. Quelle magie bretonne es-tu en train d'agoniser de me faire connaître ?"
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E tañs ar fulenn
Comment, un cidre chaud ne permettrait pas de se réchauffer et se réveiller ? L'idée fait glousser Némésis autant que l'accent nasillard avec lequel son amie lui a répondu. Elle qui a été élevé dans les pures coutumes bretonnes considère la boisson régionale comme aussi agréable à siroter qu'un chocolat chaud. Mais très bien, les bars seront pour plus tard ; elles ont encore de longues heures à occuper devant elles. Surtout si le transplanage n'est pas une option. Les inquiétudes de Tatiana tirent à la rouquine un haussement de sourcils surpris, avant qu'elle ne les chasse d'un geste de la main. « Des histoires pour se faire peur, tout ça ! Il suffit d'avoir un peu de concentration et de volonté ... puis d'éviter de faire ça avec un coup dans le nez, aussi. » Elle accompagne sa dernière remarque d'une grimace éloquente. Ce n'est pas pour rien que tous les bars affichent de jolis posters indiquant qu'entre transplaner et s'enivrer, il faut se décider. Un slogan assez imprimé dans son esprit pour qu'elle n'ait jamais fait cette erreur. Leurs débats sur les meilleurs moyens de rejoindre Is les ayant amené en bas de leur logement, Némésis ne s'acharne pas à essayer de convaincre son amie des bénéfices du transplanage. Il sera toujours temps de lui faire changer d'avis quand elle voudra l'emmener dans les terres ! Car elle n'a pas prévu de louer un portoloin pour l'occasion ...
L'enthousiasme de Tatiana en découvrant leur logement est communicatif. Et le baiser qui vient claquer sur sa joue la conforte dans son choix de ce petit cocon aux dépends d'un hôtel ou d'une demeure moins modeste. Tandis que son amie profite du canapé, Némésis se saisit de sa baguette pour ouvrir d'un sort sa valise, qu'elle a laissé traîner dans un coin avant de prendre la direction des quais. Sous l'influence de sa magie, les affaires qu'elle a fourré en vrac dans sa malle vont s'empiler dans les tiroirs de la chambre - dans un désordre tout aussi désastreux. Dans son dos, la petite voix de Tatiana lui rappelle son désir d'une boisson chaude. « Ah euh, oui, c'est vrai ... Laisse-moi une seconde, j'arrive ! » promet la bretonne, occupée à jouer la chef d'orchestre pour ses vêtements froissés. Sourcils froncés, elle est obligée d'insister de la baguette pour que les derniers pulls daignent rentrer dans le tiroir déjà bien plein. Ça prendrait sûrement moins de place si c'était plié mais ... elle ne connaît pas de sort pour ça. « Te bile pas pour la pluie, va. A Dahut, on peut se balader avec un sort de parapluie sans risquer de finir au Fort Invisible. Et si tu ne le connais pas, je te l'apprendrai - c'est tout simple tu verras. » Non, mieux vaut ne pas baser leurs plans sur la météo bretonne, plus capricieuse qu'Apollon Bellemain lui-même !
Le tiroir se referme avec un grincement de protestation, que Némésis ignore obstinément. Satisfaite de son œuvre, elle pivote sur ses talons, rejoint Tatiana dans la cuisine pour y constater que son amie ne l'a pas attendue pour se mettre en quête de thé. Certainement une bien meilleure idée que du café, la rouquine n'ayant pas besoin d'un excitant de plus ; elle vibre déjà d'impatience à l'idée de parcourir les rues pavées et les passages secrets de Dahut, surtout en si bonne compagnie. « Tu es la meilleure Tati' » sourit-elle avec reconnaissance, tout en farfouillant dans les placards pour leur sortir une tasse chacune. Les motifs floraux sur ces dernières ne sont pas de première jeunesse - à l'image du reste de l'appartement, à vrai dire. « Je ne suis pas une grande cuisinière, tu sais. Mais si les crêpes ne te lassent pas, elles ne coûtent pas cher et se trouvent partout, à toutes les sauces. » A la remarque concernant ses économies, Némésis penche la tête de côté, perplexe. Elle doute que sa vie au cirque permette à Tatiana d'épargner plus de bézants qu'il n'en faut pour survivre. Et même si elle ne souhaite rien de mieux à son amie que de pouvoir quitter ces spectacles qui l'exploitent, elle espère que la jeune femme n'a pas passé de pacte malheureux ... « Il faudra que tu m'en dises plus » lâche-t-elle prudemment. « Nous avons beaucoup de temps à rattraper. »
Quoique la vie de Tatiana a certainement été plus riche en nouveautés que la sienne, en ces derniers mois. A part ses combats à l'Antre des Naufragés, la bretonne ne peut prétendre avoir vécu grand chose de palpitant. Et elle préfère épargner à son amie les détails de ces sorties clandestines ... La théière sifflotant joyeusement, Némésis s'extraie de ses pensées moroses pour leur servir une tasse chacune. « Pour tout te dire, je pensais commencer nos visites par l'Académie de musique. C'est après tout ce qui nous a rapprochées, n'est-ce pas ? Et comme j'y donne des cours, on pourra en parcourir même les endroits les plus secrets. » Elle accompagne sa promesse d'un clin d’œil malicieux. Les mélodies ne manquent pas d'endroits où se faire entendre sur Is, mais aucun n'offre la même acoustique ni la même impression de grandeur que l'Académie. Quoi de mieux pour entamer leurs pérégrinations ? « Je peux te prêter un pull si tes vêtements ne sont pas encore secs. Va savoir pourquoi, j'en ai pris beaucoup trop. » Tout était plus simple quand leur roulotte était sa seule maison. « D'ailleurs, tu veux que je ranges tes affaires pendant que tu termines ton thé ? » propose-t-elle avec une charmante candeur, au vu de ses exploits concernant sa propre valise.
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La voix étouffée de son amie au travers de plusieurs murs lui indiquait qu'elle devait certainement se trouver dans la chambre, à ranger ses vêtements. Elle aussi, plus tard, devrait penser à défaire sa valise. Mais pour l'heure, c'était la préparation d'un bon thé chaud qui occupait toutes ses pensées. La bruine avait de bien qu'elle était vivifiante, et que l'iode dans son embrun était soit disant bon pour la santé, mais elle avait aussi la fâcheuse manie de s'infiltrer jusqu'aux os et Tatiana se sentait encore relativement glacée. Elle remua des orteils dans ses collants de laine, jaugeant de leur intégrité. Ils semblaient encore intacts.
Le retour de Némésis à ses côtés lui arracha un petit sourire et le compliment, qu'elle ne croyait qu'à moitié sincère, la fit doucement glousser. Une main théâtrale sur le front, elle énonça sans réellement y croire :
"- Ah tu m'en diras tant ! Être la meilleure est un tel fardeaux... Je ne sais pas comment je fais pour vivre avec une telle perfection !"
Cessant ses bêtises, Tatiana versa l'eau frémissante dans le filtre de la théière, observant le petit tourbillon de feuilles séchées lentement s'ouvrir, déployer ses multiples parfums puis commencer leur lente infusion. D'un petit mouvement de la baguette, l'oiselle dessina dans les airs un petit sablier d'or poudré qui entama immédiatement son décompte pour les trois prochaines minutes.
"- Nous voilà bien servie ! Je ne suis moi-même pas une très bonne cuisinière et si je sais faire les bases, comme des œufs ou des ragouts, il n'y a rien dans mes recettes qui puisse être considéré comme de la haute gastronomie." Elle fit une petite moue, espérant sincèrement que ça ne lui ôterait pas des points auprès de son courtisant, maintenant qu'elle y pensait. "Alors crêpes ce sera ! Je n'en mange presque pas à Paris, alors il y a peu de risques pour que je m'en lasse. Sucrées ou salées, on aura de quoi faire."
Elle ne fit pas de commentaire sur le sérieux soudain de son amie. Némésis avait l'habitude de s'inquiéter de beaucoup de choses et parfois d'un rien. Comme c'était le cas avec son mécène et les opportunités qui s'ouvraient enfin à elle. Mais Tatiana ne se faisait pas de gros soucis ; il n'y avait rien qui ne pourrait s'expliquer et se résoudre autour d'une bonne tasse de thé. Lorsque la théière enchantée se mit à siffloter pour signifier que l'infusion était prête, l'oiselle laissa la charge à son amie de leur servir une tasse chacune.
"- J'adorerai visiter l'Académie ! Je n'osais pas te le demander." Confia-t-elle alors qu'elle prenait des biscuits beurrés avant de retourner dans le salon. " Mais dis-moi, tu n'auras pas de soucis à faire entrer une étrangère ? Je ne veux pas te causer de problèmes."
Elle s'installa dans un fauteuil et vint se blottir confortablement, les doigts enroulés à sa tasse fumante. La jeune femme ferma un instant les yeux, se laissant bercer par le son de la pluie qui battait soudainement à la fenêtre et le son de leur respiration dans le silence du salon.
"- Un pull de plus ne fera jamais de mal." Finit-elle par murmurer sans pour autant ré-ouvrir les yeux. "Mais je m'occuperai de mes affaires moi-même, reste avec moi, Gwiñver*." Seulement là, elle lui coula un regard prudent, mais toujours chargé de tendresse. "Je préfèrerai que l'on discute maintenant. Au cas où l'on se fâcherait."
Bien sûr, elle préférerait que ce ne soit pas le cas, mais... Et bien, Némésis et elle avaient leur caractère et si elles devaient se chamailler autant le faire maintenant, quand sa valise était encore pleine et à portée de mains. Mais Tatiana avait bon espoir qu'elles s'en sortent et que d'ici ce soir, elles en rigolent de bon cœur. Que la pluie bretonne n'infecte pas leur humeur.
"- Je ne peux pas te dire son nom. Pas encore. Mais il est venu me voir au Cirque, au début du mois de septembre, lorsque j'étais en pleine performance d'une pièce de Shakespeare. Tu sais, celle de "Midsummer night's dream" ? De bout en bout, il a été d'une galanterie irréprochable, Némésis. Il a rabroué un forain irrespectueux, m'a invité dans son hôtel particulier pour que nous dînions ensemble... et pas une seule fois n'a-t-il eu un comportement de travers. Pas une seule fois, a-t-il dévié du sujet au cœur de notre rencontre : me proposer un mécénat." Elle fit une légère pause pour boire une gorgée de thé. "Nous avons depuis signé un contrat, devant notaire, avec toutes les closes que nous avions pu discuter au préalable." Elle regarda son amie droit dans les yeux. Des yeux chargés d'émois et d'espoirs qu'elle n'osait pas encore prononcer. "Je vais avoir des professeurs de danse, de chant, d'étiquette et de tout ce que je pourrais vouloir, vraiment. Il va me payer un appartement, que je récupérerai à mon nom dans quelques années. J'aurais aussi un pécule pour mes dépenses, pour mes vêtements, mes soins... Et dans tout ça, il va simplement orchestrer ma carrière ; il va gérer où je performe et dans quels salons je vais me montrer."
Tatiana parlait d'une voix douce, léger sourire timide ourlant ses lèvres. Cette liberté qu'on lui offrait, elle voulait y croire. Elle voulait la saisir et se l'approprier. Lentement, elle baissa les yeux, essuya de la manche de sa veste en grosse laine une larme qui menaçait de rouler hors de ses yeux céruléens.
"- Mon mécène est très bon avec moi, Némésis. Bientôt je ferais mes débuts et... Et j'espère que tu seras toujours mon amie à ce moment là. Même si je fréquente ce monde que tu détestes, pour moi c'est ma porte de sortie. Et je désire réellement m'envoler dans ce monde nouveau en continuant de t'appeler mon amie."
Un souffle étranglé. Un aveux qui venait du coeur.
Gwiñver* : écureuil en breton
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E tañs ar fulenn
Tandis que les tasses se remplissent d'eau bouillante, Némésis s'amuse des plaisanteries de Tatiana, hoche la tête à ses malheurs culinaire, sur lesquels elle ne peut que la rejoindre. Passée des cuisines de Beaubatons à la roulotte et aux repas d'Asgall, elle n'a jamais mis la main à la pâte pour autre chose que des petits gestes bien expliqués. Comme elle l'a découvert ces deux dernières années, cuisiner un repas complet, c'est une autre affaire. Sans même parler de cuisine gastronomique ! « La haute gastronomie, ce n'est pas pour les démunis - c'est pour les grands de ce monde, ceux qui ont des employés qui s'en occupent à leur place. Il ne nous reste qu'à cuisiner leurs miettes » soupire Némésis avec un fatalisme exagéré. Faut-il vraiment qu'elle ramène le moindre sujet à sa précieuse politique ? Eh bien, oui. « Et puis les crêpes de Paris, ça n'a rien à voir avec celles d'ici » affirme-t-elle avec un chauvinisme assumé. Attrapant la tasse qui fleure bon le thé et les fleurs, elle suit son amie au salon en discutant du programme de leur journée. « Mais voyons Tati', tu sais que tu peux tout me demander ! Je peux même essayer de faire briller le soleil pour toi, mais je ne garantis pas d'y arriver » plaisante-t-elle avec un regard en coin vers la fenêtre, derrière laquelle se sont mises à tomber des trombes d'eau.
« Des problèmes ? Pour faire visiter l'Académie à une amie ? » s'esclaffe la bretonne. « Et puis, qui irait faire des reproches à une ancienne Bride Abattue ? » Il faut bien que sa célébrité serve à quelque chose. Pour une après-midi à chahuter dans les couloirs de l'Académie, elle peut bien supporter quelques étudiants aux yeux plein d'étoiles et au talent maladroit. Tatiana s'installe confortablement dans un fauteuil, comme prête à sombrer pour une sieste, mais Némésis est trop fringante pour l'imiter. Seule la tasse pleine à ras-bord dans ses mains l'empêche de parcourir la pièce en long, en large et en travers. « Un pull pour la demoiselle ! » La rouquine tourne les talons, prête à s'exécuter, quand la voix de son amie la retient. Et en breton dans le texte. Un sourire attendri naît sur les lèvres de Némésis, qui obéit bien sagement et vient se percher sur l'accoudoir du fauteuil tel l'écureuil qui sommeille en elle. La magie étant bien pratique quand on ne peut pas être partout, elle ordonne à un tiroir de s'ouvrir d'un geste de la baguette ; un Accio murmuré tout bas, et un pull s'envole de leur chambre pour venir se poser sur Tatiana avec un peu trop de précipitation. Le pof étouffé qui suit son arrivée indique qu'il a été accompagné de quelques vêtements, sans doute trop à l'étroit dans leur tiroir. La bretonne grimace, mais garde ce problème pour plus tard. Tatiana a évoqué une possible dispute, et ça ne lui plaît pas trop.
« Et pourquoi on se fâcherait ? » demande Némésis avec une assurance de façade. Elle le sait, au fond, que son sale caractère finira par éloigner d'elle tous ceux qui comptent. Qu'elle est incapable de faire passer ses amitiés devant ses grandes convictions. Qu'elle finira toute seule, sa colère pour unique compagnie. Mais pas avec Tatiana, pas aujourd'hui - n'est-ce pas ? Alors elle se tait, écoute la longue tirade de son amie sans oser l'interrompre, mains serrées autour de sa tasse et regard fixé sur le thé qui se balance paresseusement au rythme de sa respiration. Elle tique un peu sur les mystères qui entourent l'identité du galant dont lui parle son amie, mais ne dit rien. Pas un galant, d'ailleurs ; un mécène. Némésis ne peut que comprendre l'émoi de son amie. Tout ce programme est très beau. Trop beau ? Même armée de tout son cynisme, la jeune sorcière ne parvient pas à trouver ce qui pourrait clocher. Elle le sait, il est des sorciers fortunés qui souhaitent encourager la culture et les arts pour le simple plaisir de les voir se développer. Et peut-être, indirectement, de récolter les lauriers. La pensée l'effleure que le fameux mécène pourrait être le même que le sien - même si ce dernier est plus intéressé par son engagement politique que par sa musique, pour son plus grand plaisir.
« Ce sont de très bonnes nouvelles, Tatiana ! Excellentes, même ! » s'exclame Némésis avec un enthousiasme qui n'est pas feint, mais qu'elle gonfle sans doute trop. Car il reste dans ses yeux une petite étincelle triste qu'elle ne parviendrait pas à éteindre, serait-elle consciente de sa présence. « Je ne peux que me réjouir pour toi, voyons. Tu mérites de quitter ce fichu cirque, de voler de tes propres ailes et de briller de mille feux. Personne ne le mérite plus que toi ! Comment pourrais-je m'en offenser ? Quelle genre d'amie est-ce que ça ferait de moi ? » Ce n'est pas un reproche ; au contraire, Némésis ponctue sa tirade d'un petit rire. Rire qui se tarit, toutefois. La bretonne prend une longue gorgée de son thé brûlant, pèse les mots qui vont suivre. « Tu aurais pu me montrer ce contrat, tu sais, avant de le signer. Je suis passée par là avant toi, j'aurais pu t'aider. Si c'est la peur de me froisser qui t'a arrêtée, j'en suis sincèrement désolée. » Elle ne peut que comprendre, cependant. Son avis sur leur société est bien tranché, et elle ne manque jamais de le faire connaître. Ce qui lui a beaucoup coûté ... Assez coûté pour qu'elle s'acharne dans ce sens, car sinon, à quoi bon avoir tant perdu ? « Ce monde que je déteste, tu n'en feras jamais partie, pas à mes yeux. Mais pas aux leurs non plus. On conserve notre parcours et nos origines chevillés au corps, qu'importe le contenu de notre bourse. C'est dans notre façon d'être, mais aussi dans la manière dont ils nous observent, dont ils nous jugent. » Elle ne veut ni être cruelle, ni anéantir le bel enthousiasme de Tatiana. Elle parle simplement d'expérience. Même au sommet de la célébrité, ils n'étaient qu'une distraction, un atout brillant dont on peut se parer tel un bijou ; jamais des égaux. « Nous ne décidons pas de nos cartes, ni même de la règle du jeu. Au mieux pouvons-nous les jouer au mieux, et je pense que c'est ce que tu fais, Tati. Alors tu peux me croire quand je t'affirme que je suis heureuse pour toi, et que tu mérites tout le succès que tu connaîtras bientôt, j'en suis sûre » termine-t-elle en se penchant pour étreindre son amie.
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27 Octobre 1927
Son sourire resta, placardé à ses adorables lèvres trop expressives, mais ses yeux bleus se patinèrent d'une légère inquiétude. Elle connaissait suffisamment bien son amie pour ne pas passer à côté de ces subtiles nuances qu'elle entendait dans le timbre surjoué de sa voix ou encore dans sa gestuelle légèrement crispée. Était-elle tendue de non-dits ou d'une culpabilité lancinante, voire inassumée ? Mais ce qui la peinait le plus peut-être était de savoir, de sentir même que Némésis n'osait se confier à elle de tout ce qui la rongeait intérieurement. Qu'elle conservait quelque part dans son cœur, une barrière entre elles.
"- Tu ne serais qu'une amie qui s'inquiète. Une amie qui a plus d'expérience que moi sur le sujet et qui peut connaître des points négatifs dont j'ignore tout. Une amie qui peut me conseiller sans que cela soit pris pour de la condescendance ou un désir de miner ma progression."
Dit-elle d'une seule tirade, d'un seul souffle. Elle continuait de l'observait avec prudence, le regard comme la voix aussi douces que possible. Et la suite lui confirme que ce rire comme tout le reste ne sont qu'une façade bien que le reste sembla aussi ingénu que spontané. Tatiana savait que la bretonne était une amie et qu'elle se réjouissait sincèrement de son bonheur. Elle se sentit elle-même soulagée de la voir exprimer ses reproches et se leva du fauteuil pour venir l'enlacer aux épaules, plongeant le nez dans ses boucles flamboyantes.
"- Je suis désolée, Némésis. Je n'avais pas peur de te froisser, c'est juste que tout s'est passé si vite ! Et certainement pas de la meilleure des façons pour être totalement honnête avec toi. Quand mon mécène est venu pour la première fois, un de ces rustres du grand chapiteau a laissé entendre que sa visite n'était dû à mon talent, mais simplement à me retrousser les jupons." Elle se sentit rougir de honte et de colère à ce rappel humiliant. "Mon mécène l'a alors sévèrement corrigé quand il l'a découvert, quelques instants plus tard, en train de faire du voyeurisme dans ma loge, dans un des doubles murs. Je te laisse imaginer qu'à partir de là, les circassiens ont une dent contre mon mécène. Ça et... Et parce qu'ils ne sont pas ravis à l'idée de me voir quitter le Cirque. Tu comprends, mes spectacles font toujours salle comble. Ils perdraient beaucoup d'argent."
Elle vint raffermir son étreinte autour de son amie, incertaine si c'était maintenant pour conforter Némésis ou elle-même. Malgré la légèreté de sa voix, l'on sentait cette peur comme une lame acérée à l'ombre de chacune de ses ponctuations. La peur d'une femme seule dans un milieu majoritairement machiste et impitoyable.
"- Nous avons précipité pas mal le processus pour me sortir du Cirque le plus rapidement possible. D'où l'appartement, d'où... le petit fléreur qu'il m'a offert pour m'aider à me sentir moins seule et angoissée. J'ai bien demandé à des connaissances russes dans le Cirque de veiller sur mes arrières, mais les circassiens ont déjà essayé plusieurs fois de me faire peur pour que j'abandonne l'idée d'être autre chose que leur petite oie aux œufs d'or. Ma mère adoptive m'a protégée, elle me supporte bien entendu mais je la sens elle-même être inquiète."
Sa voix trembla légèrement et Tatiana préféra se taire quelques instants. Elle inspira profondément l'odeur de son amie, le parfum de son savon, de la pluie dans ses cheveux et de l'embrun encore gorgé dans le col de son haut. Elle soupira et se recula enfin pour observer Némésis dans les yeux, lui offrant un petit sourire triste, défaite de son habituel masque d'éternelle bonne humeur.
"- Je n'ai jamais pensé un seul instant que tu me rejetterais, Némésis. Et je n'ai pas envie d'être de leur monde, tu sais ? Ce ne sont que des hypocrites qui s'accrochent à des concepts désuets. Ancienne fortune, nouvelle fortune ; ce sont tous les mêmes. Des idiots qui courent après le pouvoir en oubliant que c'est le peuple qui porte un Empire, un Royaume ou une Démocratie." Elle eut un petit rire qui fit plisser l'arrête de son nez. "J'ai bien retenu les lyrics de tes musiques, n'est-ce pas ?" Elle retrouva son sérieux et lui caressa une joue. "Tout ça pour dire que... Que je me fiche de ces nobles et bourgeois. Je veux simplement étendre mes ailes et voir jusqu'où je peux aller en faisant ce que j'aime le plus. Et puis j'ai l'habitude de n'être réellement dans le monde de quiconque, baladée d'un pays à l'autre, déracinée et oubliée... Par Merlin, je m'oublie moi-même avec ce qui me ronge le cerveau !"
Un rire brisé alors qu'elle se détournait pour essuyer une larme orpheline égarée sur sa joue chauffée d'embarras.
"- Pardon, je... Ouf. Je ne pensais pas descendre comme ça le long d'un sentier aussi émotif ! Je présume que j'anticipais cette discussion plus ardemment que je ne le pensais." Elle revint vers Némésis, prit ses mains dans les siennes. "Tu n'imagines pas combien je suis soulagée et heureuse de t'entendre dire tout ça... Tu as une place importante dans ma vie et forcément ton avis compte ! Je... Merci, Némésis."
Cette fois, son sourire fut rayonnant même si ses yeux brillaient encore de quelques larmes retenues.
"- Merci d'être à mes côtés. Et je désire tellement, une fois que j'aurais le bon niveau, être capable de chanter à tes côtés ! De réellement chanter..."
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E tañs ar fulenn
Némésis se perd dans l'étreinte de Tatiana, avant de chasser ses excuses d'un petit rire étranglé. Elle n'est pas froissée, non - juste rassurée que sa seule amie n'ait pas trop peur de son foutu caractère. Mais elle ne tarde pas à se raidir en écoutant les justifications de son amie, le récit des mésaventures ayant mené à ce contrat si vite signé. Une colère familière vient bouillir dans son ventre, jusqu'à ce qu'elle n'y tienne plus et interrompe la jeune femme d'un cri scandalisé. « Il faisait quoi ? » s'étrangle ainsi Némésis, frémissante de rage. Apprendre que l'incident s'est bien terminé grâce à l'intervention du futur mécène n'aide en rien la rouquine à se calmer. Car ce genre d'évènement n'est certainement que la partie émergée de l'iceberg. Combien de circassiens mal intentionnés Tatiana n'a-t-elle pu détecter ? Combien d'autres incidents similaires ne lui a-t-elle pas racontés ? Némésis déteste savoir son amie dans un tel bourbier, et déteste encore plus se sentir impuissante à l'aider. Savoir qu'il lui faut recourir à un riche sorcier pour pouvoir enfin envisager une sortie de ce fichu cirque ne constitue pas non plus une consolation. Toujours est-il que ce généreux donateur s'est fait des ennemis plus puissants qu'ils n'y paraissent ...
« J'espère pour ton mécène qu'il est plus dégourdi que le sorcier bourgeois moyen, en ce cas. Et plus féroce que le fléreur qu'il t'a offert ... » ajoute-t-elle avec un sourire sarcastique, les yeux levés au ciel. Une telle créature pourrait peut-être amener de la compagnie, combler une solitude à laquelle Tatiana ne doit pas être habituée, mais de là à prétendre la défendre ... Car à l'entendre, les circassiens ont préféré se rabattre sur la cible la plus facile, et il ne s'agit donc pas du mystérieux mécène. « Si tu as besoin un jour d'un toit sous lequel te sentir en sécurité, tu sais que ma porte t'est toujours ouverte. Même si c'est vrai que la porte en question change souvent » admet Némésis avec une grimace. Elle n'est jamais parvenue à se défaire de son mode de vie nomade. N'en a aucune envie, au demeurant. « Je peux aussi venir te tenir compagnie, si tu le souhaites. Je ne paye peut-être pas de mine, mais je n'ai aucun souci pour me défendre. Certains l'ont appris à leurs dépends. » Elle ponctue son affirmation d'un sourire féroce. Ses victoires à l'Antre des Naufragés ne se comptent même plus, et les sorciers qui l'ont sous-estimée s'en sont toujours mordu les doigts. Quand Maeve Le Noir ne se met pas sur sa route, du moins ... Voilà bien un pan de sa vie donc Tatiana ignore tout, et ce n'est peut-être pas plus mal. A ses yeux, elle préfère être la Némésis artiste, la musicienne au sang chaud mais dont la violence se cantonne aux paroles de ses chansons. Quelque chose lui souffle que la Némésis qui fait couler le sang sous les cris d'une foule acharnée lui ferait plus peur qu'autre chose. Et rien ne terrifie plus la bretonne que de faire fuir sa seule amie.
« Pour quand est ton départ définitif de ce maudit cirque, alors ? De toute évidence, le plus tôt serait le mieux. » Elle a les sourcils froncés, Némésis, et même si elle ne veut pas ajouter à l'anxiété de son amie, elle ne peut camoufler les plis inquiets de son front. Même l'évocation des paroles de ses chansons ne parvient pas à la dérider. Car Tatiana ne lui a jamais paru aussi fragile, aussi démunie qu'en cet instant. La bretonne vient poser une main douce sur celle de son amie, occupée à essuyer des larmes. Elle la serre doucement, lui offre un regard encourageant. « Je ne te laisserai jamais oublier qui tu es. Parce que j'aime beaucoup trop cette personne. Et rien ne la fera disparaître, ni l'argent, ni les belles promesses des bourgeois ... rien du tout. Tu peux compter sur moi. » Elle a croisé les bras pendant sa tirade, expression sérieuse, image de la détermination la plus intègre, la plus farouche. Les remerciements de Tatiana lui réchauffent le cœur autant que les joues, mais elle hausse les épaules, comme si tout cela n'était qu'une formalité. Comme si elle n'avait pas plus révélé ses émotions au cours des cinq dernières minutes, que durant les deux années écoulées depuis la rupture des Brides. « Oh mais Tatiana, tu as déjà largement le niveau. Et une fois libérée du cirque, j'espère que nous aurons de nombreuses occasions de collaborer ! Mes paroles sonnent si bien avec ta voix pour les porter ... Et puisque nous y sommes - » Némésis rattrape sa tasse, qu'elle finit en quelques gorgées pressées « - l'Académie nous attend ! Parler de musique c'est bien, mais en faire c'est encore mieux. Qu'en dis-tu ? »
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Se confier à quelqu'un d'extérieur au Cirque et qui n'était pas Auguste ou Alekseï était aussi terrifiant que rafraîchissant, car il y avait toujours la peur de choquer, celle de rebuter et pire encore celle de décevoir. Mais Némésis ne semblait pas la juger pour la vie qu'elle avait mené jusque là et si sa colère était aussi explosive que flamboyante, elle n'était dirigée que contre ceux qui avaient abusé de sa condition et de sa vulnérabilité. Pour tout cela, Tatiana l'aimait et la chérissait plus profondément encore.
"- Oh je peux t'assurer qu'il est tout ce que tu souhaites et bien plus encore." Souffla-t-elle en aparté de son récit. La réaction de Némésis la touchait profondément, assurance du soutient et de l'affection que son amie lui portait. "Il m'a fait attendre dehors pendant qu'il restait seul avec le malandrin. Aux bruits qui s'échappaient de la porte close, il l'aura proprement rossé et infligé magiquement la Flétrissure, comme au Moyen-Âge. Plus tard, j'ai appris que l'homme avait quitté le Cirque et traînait maintenant dans les quartiers de Chiffonniers moldus, en dehors des murailles."
Mais s'en était assez de cette histoire révoltante. Tatiana n'avait pas envie de s'y attarder et encore moins d'y revenir. C'était peut-être l'un des rares souvenirs qu'elle désirait voir disparaître, rongé par sa malédiction.
"- Tu seras toujours la bienvenue dans mon nouvel appartement. Mais je préfère éviter toute confrontation inutile au sein du Cirque d'ici mon départ. J'ai des gens pour me protéger, tu sais. Des amis russes dont j'ai rapproché temporairement ma caravane, mais aussi mère avec ses nombreux oisillons qui sont désormais mes yeux et mes oreilles dès que je suis dans l'enceinte du Cirque."
Elle n'était heureusement plus si isolée maintenant qu'elle avait su adresser ses problèmes aux bonnes personnes. Et si quelque part il était frustrant de ne pas être capable de résoudre ces obstacles par sa seule force, Tatiana se réconfortait dans l'idée que savoir s'entourer des bonnes personnes était une forme de force en soit. Qu'elle n'était pas, contrairement à ce que certains essayaient de l'en convaincre, une pauvre créature faible et sans défense.
"- Mais je te promets de te réserver le prochain rustre qui croisera ma route. De cette façon, tu pourras te défouler allègrement dessus."
Elle prit le temps de retourner s'asseoir et de boire son thé par petites gorgées prudentes tant le breuvage était encore fumant. La façon dont elle se tenait transpirait ses plus récentes leçons d'étiquette, offrant à sa posture et sa manière de boire le thé une élégance nouvelle. A y regarder de plus près, même son maquillage et sa façon de s'exprimer semblaient plus délicats et gracieux. Reposant sa tasse vide, l'oiselle s'adossa confortablement dans son fauteuil, un léger sourire ourlant ses lèvres peintes.
"- Je devrais partir dans les prochains jours, tout au plus. Nous avons trouvé mon appartement et il ne reste que les derniers détails, d'après mon mécène. De mon côté, je fais du tri et du rangement dans mes affaires."
Elle observa Némésis avec tendresse et précisa dans l'esprit de la rassurer :
"- Je t'enverrai l'adresse pour chouette pour que l'on puisse se voir dès que tu passeras sur Paris."
C'est que tout ces changements pouvaient faire peur, surtout lorsqu'il fallait les embrasser en une seule fois comme c'était le cas avec son amie. Alors Tatiana essayait d'adoucir le choc que ce soit dans le timbre de sa voix que dans ses efforts pour la rasséréner. Et les promesses de Némésis manquèrent si facilement de lui faire verser encore des larmes, qu'elle détourna un instant la tête pour focaliser son regard sur le plafond, ravalant les perles salines avec de gros efforts. Décidément ! La Bretagne pleut déjà suffisamment, elle n'a pas besoin de ses larmes en plus du reste.
Un rire lui échappa à la suite, retrouvant aisément dans l'enthousiasme de son amie, un peu de sa propre bonne humeur. Elle force un sourire qui, bien vite, devient complètement naturel et elle se releva d'un petit bond qui fit sautiller ses boucles sombres.
"- Allons à l'Académie ! J'en rêve depuis des semaines, tu ne t'imagines même pas." Roucoula-t-elle avec entrain. "Crois-tu que je pourrais pousser la chansonnette dans une de ses salles de chant ? Oh ! Je m'avance peut-être un peu trop. Ahem. Une visite sera bien assez suffisante, ne t'inquiète pas."
Elle attrapa les tasses et alla rapidement les rincer dans l'évier avant de les déposer sur un chiffon propre pour qu'elles y sèchent. S'assurant d'avoir sur elle sa baguette et un parapluie, même si elles se trouvaient à Is les habitudes avaient parfois la dent dure. Tatiana fut rapidement prête au départ et, quand Némésis le fut tout autant, elle passa de nouveau un bras sous le sien et l'entraîna de nouveau dans les rues de la capitale sorcière.
"- Au retour, nous ferons quelques courses, d'accord ? A force d'en parler, j'ai envie de crêpes au sarrasin salées... Je vois lardons, chèvre et pourquoi pas des œufs au plat."
Et peut-être qu'elles en achèteraient une sucrée toute prête sur le chemin, car les émotions avaient su creuser son appétit avec tout ça ! Ce qu'il y avait de bien avec la Bretagne, c'est que ses averses débutaient et s’arrêtaient aussi vite alors les deux jeunes filles purent marcher sous un soleil timide et des pavés luisants. Tatiana profita un peu de leur marche dans un silence paisible avant de reprendre :
"Comment ça se passe toi avec ton mécène ? Maintenant que je vais en avoir un, j'aimerai bien apprendre de ton expérience, si tu veux bien m'en parler."
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E tañs ar fulenn
Au récit de son amie, Némésis hausse des sourcils intrigués. La Flétrissure, rien que ça ? Peut-être n'est-ce finalement pas des gens du cirque qu'il faut se méfier le plus ... Bah, venant d'un aristocrate, elle n'arrive pas à être vraiment surprise. La justice, après tout, a toujours été dans leur poche - qu'ils décident de l'appliquer eux-mêmes n'a rien de bien inattendu. Elle se garde de faire ses commentaires à voix haute, toutefois, se contente d'acquiescer sans un mot. D'autant que le bougre aura bien mérité son sort. Et que le Cirque est, dans tous les cas, le genre d'endroit qui a tendance à rendre les sentences par lui-même. Elle comprend donc que Tatiana préfère se tenir discrète le temps de quitter leurs rangs, de couper les ponts. Ce qui risque de ne pas être si simple, elle le craint ... Un nouvel appartement n'y suffira probablement pas. Mais une fois de plus, Némésis garde ses doutes pour elle, ne souhaitant pas rajouter aux inquiétudes de son amie. La promesse de cette dernière arrache à la bretonne un rire sincère, même si elle mime un air faussement offusqué. « Me défouler, moi ? Alors que je suis toujours si calme et mesurée ? » plaisante-t-elle, avec cette auto-dérision dont bien peu de personnes peuvent se vanter d'avoir été témoin.
Cette bonne humeur se ternit un rien quand elle comprend que le déménagement est imminent. Les choses vont vite, très vite. Trop ? Elle serait bien mal placée pour émettre la moindre critique, elle qui vole de décisions hâtives en engagements précipités, comme poussée par une éternelle fuite en avant. Mais ce n'est pas le genre de vie qu'elle souhaite pour Tatiana. Son amie mérite mieux. Cela dit, si son alternative est de rester au Cirque ... Ah, la vie n'est décidément pas simple, quand on n'a ni bien ni titre. « Tu sais quoi ? Ça tombe bien, je vais passer pas mal de temps sur Paris dans les temps à venir » parvient-elle à sourire, enthousiasme peut-être un peu feint, mais partant d'une bonne intention. « Pour mes histoires de politique, tu sais. C'est difficile d'agir depuis la province » ajoute-t-elle, restant volontairement floue dans ses explications. L'existence de Tatiana est assez agitée telle quelle, inutile d'y ajouter des projets de conspiration ... Par contre, l'idée d'aller voir son amie dans un environnement plus sain que celui du Cirque la réjouit d'avance. Comme si elle ajoutait un peu de stabilité, un point fixe dans le chaos de son quotidien.
L'émotion passée, Tatiana se redresse à son tour, l'enthousiasme de Némésis déteignant apparemment sur elle. « Bien sûr que tu pourras chanter ! L'Académie n'est pas faite pour être regardée, mais pour être vécue. La musique, ça ne s'apprécie pas passivement, voyons ! » Non, la musique ça se chante et ça se danse, ensembles. La bretonne, ravie par ces perspectives, attrape un pull traînant sur le sol de leur chambre - un de ceux s'étant échappé du tiroir plein à craquer quelques minutes plus tôt. Il ne lui en faut pas plus pour être prête à partir, et c'est d'un pas pressé qu'elle descend l'escalier les ramenant dans la rue. L'air frais du dehors les accueille accompagné de discrets rayons de soleil - à croire que la météo elle-même les encourage à parcourir les rues de Dahut. Sans parvenir à réfréner son large sourire, Némésis passe son bras sous celui de Tatiana, s'astreint à marcher au même rythme qu'elle, alors qu'elle pourrait se mettre à courir dans les flaques comme une enfant. Les achats prévus par son amie ne rencontrent que des mmh mmh distraits, l'esprit de la rouquine étant déjà plus occupé par des notes et des accords que par leur futur repas. C'est le mention de son mécène qui finit par la tirer de ses pensées musicales, non sans un léger rougissement des joues - si on lui faisait remarquer, elle accuserait le froid, naturellement.
« Oh tu sais, je ne fais pas trop appel à lui. Je n'aime pas quémander » répond-elle, trop vite. Elle se mordrait presque les lèvres, en réalisant ce qu'elle a dit. Elle ne veut pas accuser Tatiana de quémander - loin d'elle cette idée. « Je veux dire, je ne suis pas vraiment dans le besoin. Avec mes cours, mes économies ... Je ne cherche même pas tant que ça à me représenter - » à quoi bon ? pourquoi faire une musique qui serait toujours incomplète sans les autres membres de son groupe ? « - c'est plutôt mon engagement politique qui me prend du temps et de l'argent. » Le rattrapage est aussi confus que maladroit, et les joues de Némésis sont désormais écarlates. Le froid, toujours le froid, bien sûr. Elle évite délibérément le regard de son amie, préfère se concentrer sur leur route, les engager dans des ruelles étroites qui nécessitent de surveiller où l'on pose ses pieds, pour ne pas trébucher sur un pavé déchaussé. C'est donc avec un soulagement évident qu'elle reconnaît les grilles en fer forgé indiquant l'entrée de l'Académie. S'y dessinent des notes, des clés et des hermines, étroitement liées en un motif subtil. Lorsque Némésis tapote le métal de sa baguette, celui s'agite, comme pris d'une vie propre. Les motifs se défont harmonieusement, jusqu'à libérer une arche assez grande pour leur livrer passage. « Tu viens ? » invite-t-elle, l'air plus épanoui que jamais. Elle préfère mille fois parler musique que mécénat.
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27 Octobre 1927
Un petit gloussement lui était venu, presque involontaire quand son amie se drapa d'une auto-dérision particulièrement acerbe. Même un citron lui paraîtrait tout de sucre en comparaison ! Elle lui colla donc une petite pichenette sur le bout du nez, sans chercher à lui faire mal et vint clamer d'un ton pompeux, de celui qu'utilisent si souvent les professeurs de Beauxbâtons :
"- Némésis Le Bihan, je doute que l'on trouve votre portrait dans le dictionnaire si l'on cherche la définition de calme ou encore de mesurée."
La suite fit tomber le masque des prétentions, fit revenir sur son adorable frimousse un large sourire ingénu dans son bonheur et sa soudaine impatience à pouvoir accueillir sa meilleure amie. Un brin de fierté aussi à avoir enfin un lieu qu'elle pouvait considérer comme "à elle" et qu'elle brûlait de pouvoir faire visiter à la bretonne. Tatiana lui prit la main, entrelaçant leurs doigts.
"- Alors c'est décidé ! Dès que tu sais quand tu montes sur Paris, tu m'en parles ! Cela t'économisera définitivement quelques bézants." Espiègle, elle ajouta avec un sérieux parfaitement feint : "Et je pourrais t'aider pour tes slogans et autres documents de protestations, non ? Je dois avoir encore quelques boites de paillettes, de sequins et de perles... Après tout, la politique peut aussi être une question de glamour ~"
Pas sûr que son amie accepte, mais l'idée valait bien la peine d'être posée ! Si ce n'était pas les pancartes qu'elle maquillerait, ce serait Némésis qui mériterait bien un petit soin et quelques améliorations. L'esprit sauvage breton c'était beau, mais ça ne vendait pas très bien. Surtout à Paris. Et puis, bien assez vite, elles furent hors de l'appartement. La politique fut laissée à la porte, derrière elles alors qu'elles remontaient les rues d'Is vers l'académie.
Si l'oiselle nota la soudaine rougeur sur les joues de l'écureuil, elle n'en fit aucun commentaire. Elle-même était encore parfois embarrassée par les largesses de son mécène, bien qu'elle s'efforçait de les percevoir uniquement comme des marches facilitant une ascension qu'elle aurait pu obtenir à la seule force de son talent... mais beaucoup plus lentement et difficilement. Du moins, elle essayait de s'en convaincre car l'autre option était trop déprimante à considérer.
"- Pourquoi avoir accepté si tu ne fais pas appel à lui ?" Elle pencha la tête sur le côté, curieuse. "Et ne te donnes-t-il pas un pécule mensuel qui doit couvrir tes frais de vie, mais aussi ceux relatifs à ton art ?"
Elle ne jugeait pas, Tatiana. Elle essayait simplement de comprendre et de comparer avec sa propre expérience. De trouver des similarités, mais surtout de noter les différences pour voir si elle s'était faite tromper lors de la rédaction de leur contrat. Elle l'écouta donc développer sa pensée et eut même un léger sourire. Pour la rassurer, elle lui pressa doucement le bras et lui fit un léger clin d'oeil.
"- Et est-ce que ton mécène est au courant pour ton engagement politique ? Et y'a-t-il la moindre chanque qu'il partage tes idéaux et puisse t'aider à mettre le pied dans la porte des grands de ce monde ?"
Curieuse, elle lui vola un baiser sur la joue d'un sautillement pendant leur marche, ne voulant pas les arrêter pour si peu.
"- Oh dis-moi son nom ! Je meurs de savoir qui a la patience de te supporter~ " Elle gloussa tendrement. "Surtout, j'aimerai le remercier. Pour avoir su voir et apprécier ton talent en tant que personne individuelle et pas seulement au sein d'un "groupe" comme c'était le cas avec les Brides."
Son amie méritait d'être reconnue pour ce qu'elle était réellement : une musicienne de talent et pas simplement un visage gommé par le charme d'un demi-vélane. Une artiste volée de ses opportunités à cause d'un égoïste au nom de scène ridicule : Apollon Bellemain. Mais la jeune russe n'insista pas et se contenta de marcher par la suite en silence. Bien assez vite, elles furent aux portes de l'Académie et Tatiana leva le nez vers l'immense édifice de pierres blanches.
Admirative, elle eut du mal à s'arracher à sa contemplation et observa son amie avec un sourire légèrement intimidé. Est-ce qu'un jour elle aurait la possibilité de performer officiellement sur les scènes de ce lieu historique ? Elle en rêvait secrètement, bien entendu. Mais maintenant, ce rêve lui semblait atteignable grâce au soutient et à l'influence d'Auguste.
"- J'arrive !!!" Couina-t-elle en rejoignant Némésis.
Derrière elle, les grilles se refermèrent. Le brouhaha de la rue sembla immédiatement se couper, comme si elles étaient plongées dans une bulle ou une autre dimension. Intimidée, elle serra la main de la rouquine dans la sienne et lui emboîta le pas en essayant de ne pas avoir l'air ébahi par le cadre somptueux de l'Académie.
"- On commence par ton bureau ? A moins que tu ais une idée bien précise en tête..."
Elle se hissa sur la pointe des pieds pour voir plus loin que sa petite taille ne le lui permettait.
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Némésis Le BihanATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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E tañs ar fulenn
Les propositions de Tatiana de l'aider à rendre la politique plus attrayante sont charmantes, mais tout aussi ingénues. Son amie préfère plutôt accepter l'offre de l'héberger, et ne pas rebondir sur les sequins ou autres paillettes sensés rendre ses slogans plus attrayants. Pas sûr que Tarek Shafiq ait envie d'ajouter beaucoup de glamour à son discours, quoi que Tatiana en dise. Némésis se contente donc d'en sourire - au demeurant, la politique a déjà mis fin à ses relations les plus étroites, alors elle ne tient pas à en rajouter une au compteur. L'air frai du dehors amène de nouveaux sujets sur le tapis, et pas beaucoup plus agréables. Le mécénat n'est décidément pas le point le plus glorieux de son quotidien, à ses yeux. La bretonne se mâchonne l'intérieur des joues, bien consciente que la rougeur de ses joues révèle son trouble. « J'en sais trop rien et ehm, je n'ai pas l’œil rivé sur mes économies, tu sais » bafouille-t-elle, le regard fuyant. Une chance qu'elle puisse encore compter sur les bézants mis de côté à l'époque des Brides, car sa gestion de l'argent est simplement catastrophique. Du temps de son groupe, ce n'était pas elle qui s'en occupait ; avec leur brutale dissolution, elle avait souvent l'impression d'avoir été précipitée sans avertissement dans un monde adulte bien trop complexe pour elle. Elle fait donc ce qu'elle a toujours fait : foncer droit devant, sans se préoccuper des détails ou s'arrêter pour souffler et réfléchir aux prochaines étapes. Au fond, elle est consciente que ce n'est pas la meilleure manière de faire, et que son amie pourtant plus jeune doit être beaucoup plus mature qu'elle sur bien des points. Mais entre le concevoir et le reconnaître, il est un fossé qu'elle ne s'amusera pas à franchir. Pas aujourd'hui.
« Quant à mon engagement politique, tu me connais, je ne m'en cache pas. Sa famille est loin de partager ces opinions, mais il ne me met pas de bâtons dans les roues, et c'est tout ce que je lui demande. Pour ce qui est de se faire une place, je peux très bien m'en charger moi-même. A coups de griffes s'il le faut ! » Elle ne plaisante qu'à moitié. C'est un fait, les grands de ce monde n'ont pas beaucoup d'estime pour les noms aussi peu glorieux que le sien. Mais elle n'a jamais accepté de s'entendre dire non, et n'est pas prête de commencer. S'il faut taper du poing sur la table, elle le fera. Et s'il faut faire ses preuves dans des missions risquées, elle en sera aussi. Ce qui pourrait d'ailleurs ne pas tarder ... Mais elle ne veut surtout pas inquiéter Tatiana avec ce genre de considérations. « Oh, je pensais que tu connaissais déjà son identité » s'étonne la bretonne en entendant son amie trépigner. « Il s'agit de Camille Delacour. Mais je t'en prie, ne va pas le remercier en personne, ma carrière actuelle n'a pas de quoi faire briller d'étoiles dans les yeux de quiconque » ajoute-t-elle en grimaçant. Elle songe un instant à Guilhem, aperçu aux Féeries estivales, et dont elle entend régulièrement parler dans les cercles mondains. Lui continue de jouer le troubadour pour les puissants - une autre forme de succès, aux yeux de la rouquine bien moins glorieux que celui qu'ils ont connu à l'époque des Brides. C'étaient toutes les oreilles qu'ils ravissaient alors, pas seulement celles des plus fortunés ... Mais venant d'Apollon, il n'y a rien de très étonnant.
C'est en tenant la main de son amie serrée dans la sienne qu'elle s'engage sur les pavés de l'Académie. A l'ombre des murs clairs, le brouhaha d'Is est magiquement atténué, laissant les esprits mélomanes se concentrer sur leur art. Némésis trouve toujours ce détail un peu triste, elle qui ne voie la musique que partagée avec un public. Mais l'habitude lui a appris à ne plus tiquer sur ce silence brutal ; son pas est assuré quand elle s'engage sous les arcades longeant la cour d'entrée. « Je n'ai pas vraiment de bureau » marmonne-t-elle, un peu gênée. Non, elle a bien un casier où entreposer un peu de matériel, et une salle qu'elle partage avec d'autres professeurs, mais son mode de vie nomade a la vie dure. Ne jamais se poser, ne jamais prévoir trop longtemps à l'avance. « Non, je veux te montrer ma salle préférée » annonce-t-elle. Après un petit détour dans un hall lumineux, où des casiers d'apparence minuscules - mais bien plus grands à l'intérieur - lui permettent de récupérer son biniou, elle entraîne son amie dans une volée de marches descendantes, jusqu'à une immense salle voûtée, toute de pierre. Aucune chandelle n'y brille, aucune fenêtre ne s'y ouvre, mais la lumière est partout, jaillissant magiquement de la base de chaque arche, baignant la pièce aussi sûrement qu'une journée de printemps. Lâchant enfin Tatiana, Némésis s'élance sur la petite scène installée à une extrémité de la salle, servant aux répétitions des élèves les plus avancés. « Intimidée ? » qu'elle demande d'un ton malicieux. « Je t'en prie, fais-moi le plaisir de ta voix. Il n'y a personne d'autre que moi pour nous entendre. » Elle ne veut pas gâcher à son amie la surprise que constitue l’acoustique fabuleuse de ce lieu.
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Un rire lui échappa, guère surprise quelque part d'apprendre que sa meilleure amie n'avait pas de casier, de bureau, de salle ou quoi que ce soit qui pourrait la contraindre entre quatre murs. Alors elle lui serra tendrement la main et lui offrit son plus beau sourire, sentant instinctivement sa gêne. Elle n'y voyait là aucun mal, juste l'affirmation que Némésis était un esprit libre autant dans sa vie privée que dans la professionnelle. Et par les Dieux qu'elle l'aimait pour cela. Combien la bretonne fut -et est toujours- une grande source d'inspiration, voire de courage pour la petite parisienne qu'elle est !
L'assurance qu'une femme puisse se battre et tenir sa place dans une société patriarcale. La promesse d'une épaule solide sur laquelle venir s'appuyer. Pleurer. L'image de cette chevelure flamboyante, comme la flamme des Olympiques moldus, dressée sur le devant de la scène, des protestations sociales et des débats politiques. Jamais éteinte. Jamais étouffée. Toujours le poing levé et la voix portée haute, claire et audible par dessus l'oppression et les conditions sociales. Son petit écureuil... Vraiment, elle avait plus les allures d'une lionne féroce à ses yeux.
Et déjà elles descendaient plusieurs volées de marches. Déjà, elles arrivaient. Lentement, Tatiana laissa ses doigts glisser de ceux de son amie alors que son pas ralentissait et que son nez se relevait sur les voûtes hautes illuminées de l'intérieur. Intimidantes. Elle marcha sans but dans la grande salle souterraine, tournant sur elle-même pour essayer d'englober la totalité de cette architecture unique. La voix de Némésis l'attira vers la petite scène sans qu'elle ose y monter.
Elle posa les mains sur les planches de bois et s'accouda pour observer son amie par en dessous de ses longs cils, léger sourire aux lèvres.
"- Un peu, oui. C'est... Je n'aurais jamais cru que ce genre d'endroit existait !" Répondit-elle d'une petite voix, craignant presque de troubler les lieux.
L'invitation à chanter la fit cependant rougir, carnation rosée aux joues alors que son grand regard de biche s'échappa, soudain timide. Elle hésita avant de se placer au milieu de la salle et d'adopter une posture droite avec les mains jointes sur son estomac. Elle ferma les yeux et prit plusieurs longues et paisibles inspirations. Durant l'exercice, elle fit tourner dans sa tête toutes les musiques qu'elle connaissait mot par mot.
"- J'ai une chanson. Tu vas l'aimer et elle résume très bien notre discussion d'aujourd'hui."
Elle rouvrit les paupières pour fixer Némésis droit dans les yeux, plongeant dans ses orbes sans une once d'hésitation. La confiance qu'elle lui portait était absolue. Offerte de tout son cœur, comme rarement elle ne l'avait jamais fait. Et elle voulait le lui faire savoir. Que les paroles qu'elle s'apprêtait à énoncer ne seraient pas prises comme une attaque personnelle ou une critique. Quand elle fut certaine d'avoir son attention, elle lui fit un sourire et, après une énième longue inspiration, elle laissa filer sa jolie voix de rossignol :"Là où les eaux se mêlent
Là où se finit la terre
Là où est si grand le ciel
Là où se bat la mer
Là où je deviens celle,
Qui, pour toi, reste un mystère
Même si tu me trouves si belle
Sous les feux de ta Ville Lumière...
Qui voit Ouessant voit son sang
Qui voit Molène oublie sa peine
Qui voit Sein n'a plus peur du lendemain
Qui voit le Fromveur entrevoit le bonheur
J'aim'rais tant que tu me comprennes
Je ne serai jamais ta parisienne
J'aim'rais tant que tu me comprennes
Qu'ici ma place n'est pas la mienne...
Mais sur les rives de la Seine
Je rêve toujours de pleine mer
Ce n'est pas pour te faire de la peine
Ce n'est pas pour jeter la pierre
Ce n'est pas pour faire de scènes
Ce n'est pas pour croiser le fer...
Mais sur les rives de la Seine
Je suis au bout de la Terre"Nolwenn Leroy - Je ne serai jamais ta parisienne
Elle répéta deux fois le refrain, d'une voix de plus en plus mélancolique, notes claires s'élevant dans les arches, rebondissant contre celles qui ne s'étaient pas encore totalement éteintes. Instinctivement, Tatiana profitait de l'architecture spéciale de cette salle pour se faire un "a capella" improvisé. Et quand elle eut terminée, elle laissa ses mains retomber le long de son corps et se mordilla la lèvre inférieure.
"- Alors, madame la professeur ? Est-ce que je passe l'audition ?"
Et seulement à cet instant, l'oiselle vint-elle grimper sur la petite scène pour rejoindre son amie, l'approchant d'un pas léger mais le coeur lourd.
"- Hey..." Du bout des doigts, elle tira sur sa manche. "Où que l'on soit en France et quel que soit nos mécènes ou nos autres relations privées... Je veux que tu saches que jamais, jamais je ne remplirai ta place avec quelqu'un d'autre. Ce que l'on a est spécial. Je ne saurais même pas y mettre des mots tant mes sentiments pour toi sont profonds et uniques."
Elle enroula les bras à son cou en faisant attention à ne pas bousculer son instrument de musique. Tatiana suivait les élans de son coeur, portée par leurs retrouvailles. Par les aveux qu'elles s'étaient échangées, mais plus encore par les non-dits dans leur regard, posture... dans les soupirs et les tensions de leurs corps. Elle prit la parole d'une voix si douce qu'elle sembla à l'oreille aussi sucrée et délicate qu'une barbe à papa.
"- Tu ne seras jamais ma parisienne et je ne pourrais jamais être ta bretonne. Mais c'est aussi ça qui nous rend si spéciales. Et cet aspect sauvage de toi, à être toujours rappelée sur les côtes déchirées du Pacifique, c'est ce qui m'a tout de suite plu quand nous nous sommes rencontrées. Et ce qui me rend si fière de pouvoir te compter comme ma meilleure amie."
Elle l'embrassa tendrement sur la joue, juste à la commissure des lèvres et murmura juste pour elle, si bas que même les voûtes furent incapables d'en faire un écho :
"- Je serais toujours là pour toi quelque soit le chemin que tu décides de prendre demain. Je te le promet."
Tatiana la relâcha et s'écarta de quelques petits pas dansés, puis s'appropria la scène en de souples foulées agile, s'imprégnant toujours plus des lieux et rêvant, quelque part, un jour, d'être l'étoile montante et attendue de ce genre de lieux. De pouvoir faire tomber un silence attentif et impatient sur toute une foule par sa simple présence, éclairée de projecteurs et couverte de gloire. Elle voulait chanter à qui le voudrait bien, peut-être même engraver quelques disques de platine et être écoutée jusqu'à New York ! Des rêves. Que des rêves.
"- C'est à toi de jouer et à moi d'écouter maintenant !"
Vaine tentative de changer de sujet, d'enfouir en sécurité ses espoirs de gamine et de reporter son attention sur quelque chose de plus concret. De plus immédiat ; son amie.
the sound of our hearts
(@Awona)
Némésis Le BihanATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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E tañs ar fulenn
« Is est une ville magique par bien des aspects » se contente de glisser Némésis, sourire fier collé aux lèvres, en réponse à l'admiration manifestée par son amie. Cette dernière n'ose accepter l'invitation à se hisser sur la scène, et la bretonne craint même qu'elle refuse de lui faire part de son chant. C'est donc avec un sourire soulagé flottant sur les lèvres qu'elle l'entend annoncer son accord, puis l'observe se placer au centre de la salle, se préparer dans un calme que les professionnels les plus aguerris n'auraient pu qu'envier. La voix s'élève alors, claire, parfaitement juste, avec juste ce petit voile lui offrant une profondeur naturelle. Les voûtes de pierre la renvoient et l'enveloppent, lui donnent une richesse dans laquelle nulle magie n'a besoin d'intervenir : l'architecture seule suffit. Tatiana a beau se tenir au milieu de la salle plutôt que sur la scène, où l'effet est à son summum, le rendu est incroyable. Le cœur mélomane de la rouquine s'emballe, une flamme d'émotion vive naît au creux de sa poitrine. J’ai connu une fille, un vrai rossignol. Elle était capable de faire pleurer le ciel, lorsque sa voix s’élevait. Le visage de Némésis se ferme, l'espace d'une seconde, temps nécessaire pour chasser de son esprit la voix de Guilhem - sortie de limbes lointaines, écho douloureux d'une époque plus heureuse, plus unie. Mais ces mots s'appliqueraient à merveille à Tatiana. D'un petit geste maladroit, la bretonne vient chasser une larme venue poindre à ses paupières, avant de se concentrer sur les paroles plutôt que sur des souvenirs qu'elle pensait mieux enfouis.
Et tandis que les mots touchent juste, c'est l'harmonie ressentie au gré de ces notes parfaites, délicatement embellies par l'acoustique de la salle, qui fait flamber l'imagination de la rouquine. Elle se voit parcourir les routes aux côtés de son amie, accompagnées d'une ou deux autres musiciennes choisies avec soin. L'image se forge de concerts donnés au gré de leurs voyages, de composer une musique qui leur ressemblerait, forte et joyeuse, engagée et dansante. Finalement, la voix de Tatiana s'éteint, et avec elle les rêves de grandeur. Leur écho paraît flotter encore quelques instants tout autour d'elles, réverbérés par les voûtes de pierre, jusqu'à s'évanouir comme s'ils n'avaient jamais existé. Le moment hors du temps est terminé ; la réalité les rattrape au galop, froide et brutale comme une douche glacée. Némésis ressent un pincement au cœur en songeant à toutes les voies que leurs vies ne leur laisse pas le loisir d'emprunter. Si elles n'étaient pas si occupées par leurs carrières, si elles n'avaient pas d'engagement auprès de leurs mécènes, si la politique n'avait pas pris une place si importante dans son quotidien ... Si, si, si. Peut-être pourront-elles un jour se produire ensembles, lier leurs trajectoires mutuelles en une seule, avancer main dans la main, et en chanson. Mais plus tard. Et la bretonne n'aime pas se projeter de la sorte dans l'avenir. Faire des plans sur la comète. Elle voudrait que tout soit possible, tout de suite. Sauf qu'elle n'a plus dix ans et des rêves plein les yeux. Elle a fait des choix, des erreurs, laissé sur son passage des déceptions et des colères.
La voix de Tatiana se fait à nouveau entendre, pour demander un jugement qu'il lui paraît bien arrogant de donner. Qui est-elle face à ce talent brut ? Son mécène a fait une belle affaire, en la tirant du cirque. Et sa camarade est bien trop modeste pour le réaliser. C'est donc un signe approbateur de la tête qui accompagne sa réponse. « Naturellement. Tu en doutais ? » Le sourire se veut taquin, mais la voix est étranglée, encore lourde des rêves qui ont défilé devant ses yeux avant de s'évanouir lorsque est revenu le silence. « Tu avais raison, ces paroles sont un parfait écho à notre discussion. D'où te viennent-elles ? » Tentative de noyer par des banalités son amertume, à laquelle son amie ne peut apporter aucun remède. Mais cette dernière s'est déjà rapprochée pour l'enlacer, et c'est avec un soulagement manifeste que la bretonne se laisse aller à cette étreinte qu'elle rend maladroitement, un peu gênée par le biniou sous son bras. Elle ne tique même pas sur les autres relations privées évoquées par Tatiana, trop émue pour s'arrêter sur ces quelques mots. « Je sais que je ne suis pas assez présente. Pour toi, pour ... pour tout le monde, en fait. Je le regrette, tu sais ? J'ai l'impression de ne rien faire et de trop en faire à la fois. Alors, tu n'imagines pas comme tes mots me touchent. Je - » Les mots lui manquent - ce qui, pour Némésis Le Bihan, est loin d'être courant ! Elle prend une inspiration hachée, accepte le baiser offert à la frontière de ses lèvres, pose son front contre celui de son amie tout en passant sa main libre dans sa chevelure de jais.
« Ne change jamais, Tatiana du Cirque » murmure-t-elle, la voix emplie d'un vain espoir, celui de figer le temps pour que cet instant partagé ne se termine jamais. Mais elle laisse l'oiselle s'échapper, l'observe un instant parcourir la scène de son pas léger, plus semblable à un oiseau qu'au lapin dont elle prend parfois la forme. Puis elle se détourne, s'applique à brancher les anches sur son biniou, chacun au bon endroit, se concentrant sur ses mains plutôt que sur son cœur. Aux exigences de Tatiana, elle se contente d'acquiescer silencieusement, le souffle trop occupé à emplir d'air la petite cornemuse. Elle n'aurait pas quitté cette pièce sans y faire à son tour sonner quelques notes ! Sa tâche terminée, elle tourne vers son amie un regard brillant. « Un jour, nos chemins ne seront plus parallèles mais intimement entrecroisés, j'en suis persuadée. Un jour, nos musiques partagées ne seront plus anecdotiques, mais la nouvelle normalité. Et j'attends ce jour avec impatience. » Éclat d'assurance sauvage, menton fièrement relevé, dans une attitude qui lui ressemble bien plus. Comme si l'instrument en se gonflant avait réparé son orgueil brisé. Et sans attendre davantage, elle tire de son biniou les premières notes, d'abord dissonantes, comme toujours, jusqu'à ce que le bourdon et les échos délivrés par la salle ne viennent l'enrichir d'une harmonie surprenante. La musique est enlevée, l'air entraînant, parfaite invitation à Tatiana de la réjouir de quelques pas de danse. Et quand elle termine la troisième répétition, qu'elle s'interrompt enfin, un peu essoufflée, un sourire plus réjoui vient éclairer son visage. « Ne manquent que quelques musiciens de plus et nous serions au complet, tu ne crois pas ? Peut-être trouverons-nous notre bonheur dans les bars d'Is, ce soir. » Car nul endroit en France ne se prête plus à la musique que la capitale bretonne.
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27 Octobre 1927
Si elle doutait ? Toujours. C'était devenu un mécanisme de défense au bout de quelques années à voir ses rêves et ses espoirs être écrasés sous les talons de personnes moins scrupuleuses. De bien plus ambitieuses qu'elle. Alors elle s'était forgée un masque ; sourire, être ingénue, et surtout paraître aussi inoffensive que son animagi. Briller comme une étoile, mais ne pas attirer l'attention en dehors de la scène et de ses parures d'oiseau de paradis, lorsqu'elle haranguait aux portes du Cirque. Vivre en silence et ne s'exprimer que sur les planches. Tête basse, sourire docile. Jolie poupée dans l'ombre de ces grands messieurs.
Mais le vent tournait, en partie soufflé par la bombarde de Némésis, mais surtout par la bienveillance d'Auguste et l'affection toujours grandissante pour Alekseï. Le courage qui lui avait manqué jusque là commençait enfin à remplir son esprit des tisons de l'indépendance et de la liberté qu'on lui avait si longtemps refusé. Et elle s'en fichait bien de recevoir l'aide d'un homme et d'un noble de surcroit. Lorsque l'on a gratté de ses propres ongles le sol gelé dans l'Est pour déterrer des racines en plein hiver, que l'on a connu le froid et la faim... Toutes les mains tendues devenaient les même.
"- Une femme, dans un bar spectacle dans le quartier de Montparnasse. Elle écrivait ces paroles pour son époux, parisien alors qu'elle-même est bretonne. J'ai accepté de lui chanter ça une fois ou deux sur la petite scène que le bar offrait dans un coin. C'était une soirée vraiment plaisante, nous avons bu un verre et mangé quelque chose avec les pièces récoltées du public."
Encore un aveux de n'avoir pas toujours suffisamment dans les poches pour s'offrir un repas digne de ce nom. Pas sans avoir à faire la manche avec son talent, chanceuse qu'elle était d'en posséder un qui ne demanda pas qu'elle vende son corps autrement. Chanter à la sauvette le long du canal St-Martin, dans les bars ou encore au Cirque ; c'était une activité qu'elle ne pourrait bientôt plus faire. Elle eut à ce consta un petit pincement au cœur ; elle y avait fait de belles rencontres mine de rien.
« Ne change jamais, Tatiana du Cirque » Quelle demande ! A cela, elle n'avait pu que sourire sans pouvoir faire de promesse. Elle allait essayer, mais rien ne permettrait de savoir si les prochaines expériences de sa vie le lui autoriseraient. Mais elle essaierait. Pour Némésis. Pour leur amitié et leurs précieux souvenirs. Comme celui qu'elles écrivaient aujourd'hui. Après ça, elle ferma les yeux et croisa les mains sur son coeur. Elle écouta les sons de la bombarde, s'engorgea comme une éponge de cette étrange et surréelle mélopée, laissant les dernières notes s'étioler en longues complaintes qui lui arrachèrent un soupir tout aussi mélancolique.
"- Je ne sais pas ce qu'il y a de plus dans cet instrument, mais... Ce son ! Je crois que je ne m'en lasserai jamais. Il me fait penser aux plages et aux landes nues, à peine égayées de quelques rochers et buissons. Ca tire en moi une corde de nostalgie lancinante pour une terre que je ne connais pourtant pas." Elle eut un petit gloussement délicat. "Ou bien c'est juste ton talent ? Tu devrais davantage prendre le temps de jouer, Gwiñver. Tu as l'air tellement plus heureuse ainsi..." Et bien plus belle aussi, pensa-t-elle sans oser le dire.
Encore un débat. Un autre sujet sensible sur lequel elle ne chercha pas à s'appesantir. Son amie était adulte, elle décidera bien un jour de revoir ses priorités... ou de s'en donner tout court. En attendant ? Elle profiterait de ces moments exclusifs où elles étaient que toutes les deux. A rêver. A s'imaginer des avenirs merveilleux et sûrement inatteignables. Et puis, la proposition de Némésis tombait à point nommé ! Elle qui repensait aux bars-spectacles justement quelques minutes plus tôt. Son adorable minois s'illumina d'une joie et d'une anticipation sincères.
"- JBien sûr ! Nous ferons la tournée des bars et on ramassera dans notre sillage toute une bande ! Puis, tu nous guideras jusqu'à une place assez grande et ouverte, pour que l'on attire le plus grand public possible de tous les bars à proximités. Nous chanterons et nous jouerons pour eux, laissant quelqu'un passer le chapeau dans la foule à chacune de nos musiques."
Elle babillait, complètement aux anges. L'oiselle tournoya sur elle-même, comme une ballerine. Quand elle reposa les deux pieds sur la scène, agile et délicate, elle s'approcha de son amie et l'embrassa chastement.
"- JQuelle merveilleuse idée ! Il va falloir que tu m'apprennes d'ici ce soir quelques chansons bretonnes et celtes !"
Elle regarda autour d'elles et s'essaya à quelques élévations de sa douce voix en des "Aaaah" d'une beauté déchirante de tristesse et de langueur qui, grâce aux rebonds des voutes, semblèrent s'éterniser en soupirs.
"- JMais si tu veux rejouer la même mélodie, je peux juste vocaliser pour aller de pair... Et si tu la rends plus lancinante, on pourra même appeler ça 'Woe of a Banshee ou en gaélique 'Malheur d'une bean chaointe'. Je suis sûr que l'on pourra tirer quelques larmes à ces messieurs dames et donc, se faire plus d'argent !"
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