Tournons le dos aux endormeurs qui bercent la misère humaine ft. Jeanne de Beaufort
(#) Tournons le dos aux endormeurs qui bercent la misère humaine ft. Jeanne de Beaufort
missive rédigée par Emile Teyssier leTournons le dos aux endormeurs qui bercent la misère humaine
@Jeanne de Beaufort & @Emile Teyssier
le 10 janvier 1928
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Emile fulmine. Lui qui, à force d’années passées à Paris, loin du soleil de ses terres du Sud-Ouest, a vu sa peau se faner, semble aujourd’hui faire rayonner la capitale du rouge qui fait luire ses joues. Il a les pommettes relevées, d’un carmin remonté — c’est que, voyez, le Couturier a eu l’idée d’aller s’asseoir sur la place des Fées, d’y sortir son carnet pour tracer ça et là quelques nouvelles silhouettes, et d’y rester, entêté qu’il est, alors même qu’un groupe de militants s’était planté à quelques pas de lui, braillant haut et fort la cause de leur parti. Et quel parti ! Voilà que l’Aube Sorcière s’agite, se démène, tracts à tout va, baguettes sonores portées contre la gorge pour que leur message touche toutes les oreilles curieuses - ou victimes, comme s’estime l’être le Teyssier. La démocratie, il l’entend, invite toute opinion à s’exprimer volontiers en leurs rues, à secouer leurs idées et les déverser à flots, pour submerger au plus vite et au mieux les opinions trop individuelles et tracer en leurs esprits les contours d’une pensée commune. Certains souffleraient, sur un grognement approbateur d’Emile, le mot propagande. À l’écouter, toutefois, toute politique est propagande, et toute opinion est biaisée. Il n’a que peu d’espoir, le tailleur inspiré, et préfère volontiers se fier aux chuintements de ses ciseaux sur des tissus qu’aux chuchotements des masses.
Pourquoi rester, alors, engoncé dans son manteau de fausse fourrure, sur le parvis de la place, carnet et plume en main, à écouter les dires de ceux qui, en toute opportunité, savent l’horripiler ? L’imbécilité, sûrement, l’opiniâtreté, certainement, et un brin de curiosité, bien qu’il en démordrait. C’est que les élections approchent. Que Némésis, la furieuse, n’a fait que lui parler du parti : un vrai changement, qu’ils doivent leur apporter. La certitude d’être écoutés, d’avoir des gens qui les représentent, de voir leurs valeurs préservées et leur système soutenu. L’élite, qui parle à l’élite, aimerait penser Emile, mais il voit bien, dans le regard de Némésis, combien leurs mots savent ricocher sur tous les esprits. Il l’entend, aussi, dans les vestiaires, aux habillages. L’Aube Sorcière intrigue, intéresse. Alors Emile est resté, oreille inconsciemment tendue vers leurs discours. Longue vie aux De Valoys ! Leur slogan à défaut d’être inspiré, est du coeur prononcé. Il les entend, il les écoute, et la fureur grimpe.
Leurs promesses semblent fouetter les peines du Teyssier. Quand ils plient bagage, cela fait une heure que le Couturier n’a pas posé la plume sur ses pages, doigts de plus en plus crispés sur son outil. Il finit par tout ranger, calquant les gestes des politiques de trottoir qu’il observe, et se redresse. Plus il les regarde, plus ses joues rougissent. D’émoi, il aimerait, d’attirance, qu’il en a l’habitude !, non, seulement, c’est d’effroi, de colère, que le teint lui monte. L’un d’eux s’approche, à peine un détour sur leur chemin de repli, tract plié en deux vers lui. « Tenez, Monsieur ! La prochaine fois, venez nous parler plutôt que de nous fixer ; la cause sorcière a besoin de gens comme vous, impliqués, à l’écoute. » Il manque de s’étouffer. Ce serait leur faire trop d’honneur que de s’effondrer ainsi, à deux pas d’un rally politique, vêtu de sa chemise des jours paresseux et de ses mocassins en demi-teinte. Emile mime un sourire - il est aussi froid que la brise parisienne qui vient lui caresser la nuque. « Sans façon », répond-il uniquement. Les yeux qui lui font face s’écarquillent quelque peu, désemparé par la réplique. « On ne mord pas, promis », vient glisser son compagnon de propagande, sourire aux lèvres.
Un soupir. Emile se retient, vraiment, il essaie, promis, mais c’est trop dur, aussi grimace-t-il : « Ce serait sans doute plus agréable que de vous écouter ». Ça rit jaune, en face, et le premier fronce les sourcils. « Allons bon, un républicain. Tirons-nous, Edmond, ça ne sert à rien de parler aux perdus de la révolution ». Le Teyssier lève les yeux au ciel, mais se mord les lèvres. Ca ne sert à rien, il est vrai, de parler aux abrutis de la monarchie. Il doit s’en empêcher, en prime, car qui sait qui pourrait l’entendre ? Il ne manquerait pas qu’on le reconnaisse, assis là place des Fées, à cracher sur tout un système qui lui paie ce manteau de luxe. C’est un repli qui s’organise alors. Qui des deux interlocuteurs aura tourné le dos en premier ? Les militants font le plein de soupirs qu’ignore volontiers Emile, leur tract écrasé entre ses doigts. Il s’éloigne, à grand pas, se presse même plus il s’écarte d’eux, sa démarche devenant agitée, agacée. L’irritation de leur échange s’est transformée, a retrouvé les teintes rougies de son énervement.
V’là qu’ils se mettent sur la place, à saper toute sa créativité, et viennent volontiers l’insulter, grand homme au défaut d’être républicain. Oh, comme ils s’étoufferaient, ces pantins de la haute, s’ils savaient comme il les côtoie, comme ses aiguilles vont titiller leur peau, à défaut d’avoir des mots pour faire s’engourdir leurs pensées. Certains, malheur, certains ont le défaut d’être né une cuillère en or dans la bouche, et de ne pas faire l’effort de s’en saisir pour becqueter soi-même, trop heureux de se faire assister toute leur vie durant ; à ceux-là, à cette élite qui ne sait plus compter ses bézants, les sommes s’amassant comme d’autres cultivent la fatigue, comme il aimerait découdre leurs préjugés pour y tisser du bon sens. Aux royalistes, aux royaux, aux vendeurs de rêves monarchiques : il n’a que du mépris à leur adresser. À ces pantins, qui viennent secouer leur tract sous son nez, plaider la cause des tout riches et tout puissants, en mimant un simulacre de liberté, de renouveau, avec l’abolition d’un secret magique - « AH ! ». L’exclamation lui échappe, en plein de milieu de boulevard, le corps renversé par un trop plein d’aigreur. Mensonge, menteurs, beaux-parleurs, qu’il les a en horreur. Ne voient-ils pas, comme ce système est pourri ? Comme ils courent aux richesses, plaident la supériorité sur tous, plèbe sorcières et moldus compris ? Merlin, qu’il doit être fastidieux d’être aussi bête.
Ça l’épuise, Emile, rien que d’y penser, alors comment vivre ainsi ? Il n’a que la politique à blâmer pour la double pinte qui trône devant lui, assis en désespoir de cause au comptoir d’un bar à l’angle du boulevard, corps trop éreinté pour déambuler. Il marche, d’ordinaire, pour expulser, oublier, pardonner les imbécilités que ses oreilles entendent ; là, pourtant, même le froid n’a su tempérer son agacement. Il toise la mousse qui déborde de sa chope, car il n’y a qu’en elle, en cet instant, qu’il peut encore croire un peu. Sa pinte, sur le comptoir, vient détremper le tract de l’Aube Sorcière. « À ces merdeux de royalistes », grince-t-il à demi-ton, trinquant en l’air avant d’engloutir trois longues gorgées.
1123 mots (c) oxymort
taking different roads ;
love will tear us apart again ᛉ