Yuan de Montrose | Carnet d'un lettré

Nom

Qui aurait pu imaginer, à l'évocation de mon nom, que derrière ce simple patronyme se cachait un étranger aux racines si lointaines ? Je me souviens encore de ces regards étonnés, ces sourcils froncés, lorsque, après avoir uni mon destin à celui d'Antoine, je me présentais sous le nom de Montrose. Ces instants furent autant de sources de rires partagés, que de doux souvenirs me rappelant les joies simples de la vie. Un nom, comme un vêtement, se porte et se quitte. Le mien, je l'ai choisi, l'ai adopté, mais parfois, dans les méandres de ma mémoire, c'est un autre qui résonne : celui de mon enfance, celui de mes ancêtres. Wen ; 文。

   

Prénom

A l'aube de ma jeunesse, je ressentais une certaine amertume envers mes parents pour m'avoir donné le nom de Yuan, caractère signifiant « jardin » (园). Dans un monde où les jeunes hommes aspiraient à la force, le pouvoir ou la richesse, je me sentais enfermé dans un univers considéré comme plus délicat et fragile, plus féminin. Je rêvais d'un nom qui résonnerait comme un gong, puissant et retentissant, plutôt que comme le doux chant d'un rossignol.

Pourtant, avec le temps, j'en suis venu à apprécier la subtilité de ce choix. Un jardin, n'est-ce pas un lieu où la vie se renouvelle sans cesse ? Où la nature, dans toute sa diversité, s'épanouit ? Comme le dit Laozi : « Le Tao engendre Un, Un engendre Deux, Deux engendre Trois, Trois engendre les Dix mille êtres ». Rappel mes racines, mon nom, simple caractère, était ampli d’une force tranquille ; une graine plantée qui devait fleurir à sa manière.

Et puis, il y eut Antoine. Entendre son doux accent français prononcer correctement mon nom avec tant de tendresse et de respect, fut une révélation.

   

Naissance

À la question de mes origines, il me plaît de souvent de répondre que je suis né dans la province du Yunnan, en Chine, à la dixième année, sixième mois, vingt-sixième jour du règne de l’Empereur Tongzhi de la dynastie Qing. Sous les regards circonspects de mes interlocuteurs, je précise alors que cela correspond au 14 août 1871 du calendrier occidental. Fait intéressant, c’est le même jour de naissance que le futur Empereur Guangxu, que les livres d'histoire présente comme successeur de Tongzhi. Guangxu, dont le nom porte la lumière d’une nation, a dirigé un empire à une époque où l’harmonie entre les puissances occidentales et l’Empire du Milieu était aussi fragile qu'une feuille portée par le vent.

Aujourd’hui, en cette année 1927, alors que je me tourne vers le passé, je comptabilise moi-même 55 années de vie, tandis que vous, Occidentaux, en additionnez 56 selon votre calcul. Le rythme du monde est mesuré par de diverses horloges, mais les échos du passé se révèlent universels.

« Le passé s'écoule sans cesse, sans pause entre le jour et la nuit ; 逝者如斯夫，不舍昼夜。 » − Les Analectes de Confucius.

   

Parents

De ma famille d’origine, je ne retiens que des fragments épars. Ces souvenirs, flous et distants, sont comme des rêves enfouis dans les profondeurs d'un lac trouble. Les événements tumultueux qui ont marqué mon enfance ont laissé des cicatrices profondes, obscurcissant les contours de mes racines. Le psycho-mage m'a suggéré que, durant mon adolescence, j'avais délibérément oublié ces pans de ma mémoire afin de me préserver ; tel un arbre qui perd ses feuilles en hivers pour mieux fleurir au printemps.

Les liens de sang, si forts soient-ils, ne résistent pas au passage du temps ni aux tourments de l’âme ; comme une vigne qui, privée de soleil, dépérit.

En France, j'ai trouvé un nouveau foyer, une nouvelle famille. Comme un arbre transplanté dans un sol fertile, mes racines se sont enfoncées profondément dans la terre des de Montrose. Ce nouveau jardin, nourri par l'amour et la bienveillance, a fleuri au fil des ans. Des trois jeunes pousses issues de la première union de mon cher Antoine, à ma belle famille étendue, j’ai toujours trouvé la porte de leur cœur ouverte, malgré leur réticence première au sujet de ma relation avec Antoine.

«  有朋自远方来，不亦乐乎 ; avoir des amis venus de loin, n'est-ce pas une joie ? » − Les Analectes de Confucius.

Après la disparition d'Antoine, nous avons dû apprendre à vivre avec son absence. Et se fut guidé par l’amour que nous portions pour lui et pour les enfants, que son ancienne épouse et moi-même établirent un certain équilibre.


   

Nature du sang

Cette question, d’apparence simple, revêt pour ma part une complexité qui vous échappe, Occidentaux. Né dans un Empire sous l’emprise des affres du Ciel, en conflits perpétuel depuis l’arrivée des Occidentaux et des Traités Inégaux, mes racines familiales ont été profondément touchées par ces évènements d’histoire. Dans l’incapacité de me souvenir clairement de mon enfance, je ne puis affirmer mon statut de sang-pur ou de sang-mêlé. Vous me dites souvent immaculé en raison de mon statut quelque peu singulier, mais je ne peux que vous affirmer ceci : mes parents sont sorciers.

   

Situation matrimoniale

Mon alliance, vestige d'un serment scellé sous le ciel et la terre, repose toujours sur ma phalange. Elle est le témoin muet de notre engagement, d’un pacte noué avec les divinités ancestrales. Cette promesse, faite dans l’ombre des étoiles, m’assurait que nous pourrions, un jour, nous défaire des guerres du monde et goûter à la paix méritée ; celle d’une existence partagée et d’une fin commune.   Tel le fil rouge qui relie le cœur de deux âmes, cet anneau m’a guidé à travers le épreuves de la vie.

Je me rappelle avec tendresse le jour de nos noces, où je me plaisais à rouler ce métal précieux entre mes doigts, cherchant à me remémorer notre serment échangé. Cet anneau, à l’époque, symbolisait l’accomplissement de mes plus chers désirs, la fin des errances et des incertitudes. Je le contemplais avec une joie naïve, comme un enfant découvrant un trésor. Je croyais alors, en toute naïveté, que le bonheur était enfin à ma portée, que les ombres s’étaient évaporées pour laisser place à une lumière éternelle.

Aujourd'hui, maintenant veuf depuis une décennie, je regarde cet anneau avec la nostalgie. Il reste un témoignage douloureux de ce que j’ai perdu. Je le porte encore, par respect pour la mémoire de mon époux et pour les vœux que nous avions échangés. Toutefois, je ne peux nier que mon âme est tourmentée par l’absence. Mes enfants, dans leur bienveillance et leur inquiétude, me rappellent que je pourrais transformer cette solitude en quelque chose de plus vibrant que les nuits interminables passées à scruter les dossiers du Ministère.

Pourtant, malgré leurs encouragements, mon cœur reste hésitant. Je suis tiraillé entre la tendresse des souvenirs passés et la promesse d’une nouvelle joie que j’ose à peine accueillir.

   

Occupation

Administratif au sein du Bureau de la Préservation du Secret, promu directeur de ce même bureau, puis nommé au cabinet ministériel en tant que secrétaire du Ministre des Affaires Magiques, je sers l’État tel un jardinier dévoué cultive ses plantes. Chaque jour, je veille à la croissance harmonieuse de notre société, en semant les graines du progrès et en élaguant les branches mortes de la tradition, celles qui se fanent sous le poids du passé. Le Ministère, dans cette mission, se dresse comme un phare dans la nuit, un bastion de progrès face aux forces obscurantistes qui cherchent à nous entraver, opprimant sous couvert de tradition.

Cependant, tout jardinier sait que le sol, aussi fertile soit-il, n'est pas exempt de mauvaises herbes, et l’administration, malgré son apparence d’ordre et de rigueur, n’échappe pas aux imperfections. Il est donc nécessaire de faire preuve de souplesse et de discernement, car « 法不责众, la loi ne punit pas la multitude »*. Comme le dit le Stratège** : « 兵无常势，水无常形, la stratégie militaire n'est pas fixe, l'eau n'a pas de forme fixe. »

Dans les couloirs du pouvoir, l'intégrité est une étoile lointaine, un idéal à atteindre, mais c'est avec une main ferme et un esprit éclairé que l'on guide le navire administratif à travers les tempêtes. Celui qui dirige la maison avec sagesse et prévoyance, même si le jardin est envahi par les mauvaises herbes, saura rétablir l'harmonie. En ce sens, je m’efforce de maintenir l’équilibre entre tradition et innovation, car, comme l’a dit le livre des rites***, « 修身齐家治国平天下, celui qui cultive sa vertu, gouverne sa maison, gouverne son pays et pacifie le monde. »


* Chengyu, un idiome chinois. Ce proverbe exprime l'idée que si une action est illégale, mais que beaucoup de personnes la commettent, il devient difficile, voire impossible, de les punir toutes.
** Le Stratège désigne Sun Tzu (孙子). La citation vient de l’Art de la Guerre (孙子兵法·虚实篇).
*** Liji (礼记), un des ouvrages composant le Classique des rites (礼经, Lijing), avec le Zhouli (周禮) et le Yili (儀禮).

   

14 août 1871 : Yuan naît dans la province du Yunnan, en Chine, sous le règne de l’Empereur Tongzhi. La révolte des Taiping (1850-1864), un soulèvement anti-impérialiste dirigé par des groupes égalitariste et messianiques, a laissé des cicatrices profondes dans la région. La famille Wen, dont Yuan est issue, appartient à un clan de sorciers chinois qui a souffert des répercussions politiques de la révolte. Son père, Wen Ming, un mandarin de rang inférieur, a soutenu les idéaux réformistes des Taiping, entraînant ainsi la disgrâce de la famille. En raison de ses sympathies politiques, la famille de Yuan est emprisonnée, et le jeune Yuan passe ses premières années en détention avec ses parents.

1875 : Yuan est libéré de prison avec ses parents, par des membres du Clan et est hébergé chez une tante. Il observe les autres enfants du clan manifester leurs premiers signes de magie, tandis qu’il reste désespérément ordinaire. Cet écart suscite des inquiétudes et une décision familiale est prise : Yuan doit suivre la voie des mandarins pour compenser son absence de talents magiques, notamment pour aider à la réhabilitation de la famille Wen.

1876-1883 : Yuan commence à étudier les fondements du lettré : les rites, la musique sur le vénéré qin, le jeu de go pour la stratégie militaire, l’équitation et les arts martiaux, la littérature et les mathématiques. Cette formation rigoureuse, même si elle le distingue parmi ses pairs sorciers, est conformément aux traditions familiales et aux espoirs de ses parents de le voir devenir mandarin afin d’aider à la préservation du Secret. Ces derniers sont donc heureux de voir leur fils montrer un goût prononcer pour la musique et la littérature. Néanmoins, les troubles civils au Yunan, liés à la conquête de l’Indochine par la France, fait vaciller l’équilibre fragile de la famille Wen.

1884 : À l’âge de 13 ans, Yuan est admis à l’académie administrative de Dali pour préparer les concours mandarinaux. La même année, le conflit entre la France et la Chine au sujet de l’Indochine atteint son paroxysme avec la guerre sino-française, bouleversant la région du Yunnan. Les troubles qui s’ensuivent contraignent Yuan à quitter l’académie à 14 ans pour retrouver sa famille.

1885-1887 : Des conflits internes et externes frappent durement la famille Wen, pour des raisons qu’on ne daigne pas de lui expliquer, et Yuan se trouve à naviguer entre différents refuges. Il est profondément traumatisé par ces événements, en lien avec la mort de ses parents durant cette période. Il refoule ces souvenirs de cette époque et de son enfance, au point de les oublier. À 16 ans, il est retrouvé par un oncle du Clan qui lui permet de réintégrer l’académie sur concours et recommandation, offrant ainsi à Yuan une chance de renouer avec ses études.

1889 : Yuan passe l’examen impérial provincial, marquant le début de sa carrière dans l’administration impériale. Il gravit les échelons et se rend à Beijing, au palais impérial, où il travaille d’abord au Ministère des Rites, principalement peuplé de sorciers chinois. Son rôle inclut la collaboration étroite avec le Conseil des Anciens (composé d’un membre de chaque clan sorcier chinois, chargé de médiation entre Sorciers et Moldus) pour protéger le Secret du monde magique.

1898 : À 27 ans, Yuan s'engage dans les réformes des Cent Jours, un ambitieux mouvement de modernisation lancé par l’Empereur Guangxu. Ces réformes visent à moderniser le gouvernement, l’économie et l’éducation, mais se heurtent à la résistance des conservateurs et de l'impératrice Cixi. Travaillant au service de l’ambassade de ce mouvement réformateur Yuan collabore avec le plénipotentiaire français à Beijing, ce qui l’introduit aux complexités des relations internationales.

Son engagement dans le mouvement de la réforme des Cent Jours l’envoie en France, la veille du coup d'État de l’Impératrice Cixi. Arrivé en France, désespéré par ce tournant de l’histoire, Yuan accepte l’invitation à poursuivre ses études en France, aux Halls de St-Félix, une prestigieuse académie de philosophie et de politique pour sorciers. Il s’installe durablement en France, notamment grâce à une bourse offerte par la famille Delacour lui permettant de payer ces études supplémentaires.

1900 : Yuan rencontre Antoine de Montrose, un aristocrate français de quatre ans son aîné, lors de cours théoriques à Beauxbâtons. Leur relation évolue rapidement d’une amitié intellectuelle à une histoire d'amour passionnée.

1901 : Au cours de ses études à St-Félix, Yuan a pu acquérir des distinctions reconnues au sein de l’Hexagone et s’assurer une reconnaissance de la part de l’élite administrative, grâce l’exotisme de sa philosophie mandarinale, n’hésitant pas à  fusionner les traditions chinoises avec les idées occidentales. Il est recruté comme administratif au Bureau de la Préservation du Secret en France, ce qui marque le début de sa carrière dans l’administration magique française.

1905 : Yuan se marie avec Antoine de Montrose. Bien que leur union suscite initialement des réticences dans la famille de Montrose, Yuan finit par être accepté, et il participe activement à l'éducation des trois enfants d’Antoine issus de son premier mariage. Cette union stabilise définitivement son installation en France.

1914 : La Grande Guerre éclate en Europe, bouleversant la vie de Yuan. Alors qu’Antoine se lance dans des missions humanitaires, Yuan est promu directeur du Bureau de la Préservation du Secret.

1916 : Antoine de Montrose meurt lors d'une mission humanitaire sur le font, plongeant Yuan dans un profond deuil. À 45 ans, Yuan continue de travailler avec acharnement, cherchant refuge dans ses responsabilités administratives. Il s’efforce de trouver un nouveau sens à sa vie.

1917 : Yuan s’inquiète des attentats de Paris, lors de la fête du solstice de Vaux-le-Vicomte, considérant ces actes violents comme une menace pour la stabilité du monde magique français. Il condamne cette violence, qu’il considère compromettre le Secret magique et ses idéaux républicains.

1918 : La fin de la Grande Guerre laisse le monde en ruines, mais Yuan continue de naviguer entre ses responsabilités professionnelles et familiales. Il est nommé au cabinet ministériel en tant que secrétaire du Ministre des Affaires Magiques. Il trouve un certain équilibre malgré les cicatrices laissées par le conflit.

1926 : Yuan a participé activement à la promulgation d'une nouvelle loi sur le droit d’héritage féminin en France. Yuan voit en cette loi une avancée progressive qui reflète ses propres idéaux réformateurs.