ex igni natus (eugénie)

Elle était retournée dans le Var pour un week-end prolongé. La période de Noël approchant à grand pas, Rachel avait décidé de passer le plus de temps possible avec sa mère. Sidonie était en forme du haut de ses presque soixante-dix-ans. La veuve Fabre qui ne s’était pas remariée depuis le décès de son époux, occupait toujours la petite maison d’enfance des sœurs Fabre. Rachel avait pris le temps de s’inquiéter de savoir si sa mère avait des besoins particuliers. Avec sa maigre pension de veuve et sa maigre retraite, elle s’en sortait bien que Rachel lorsqu’elle était présente, faisait tout pour payer le plus de choses possibles à cette dernière. Si le beau temps n’était pas au beau fixe dans le sud de la France pendant le seul weekend où elle revenait, Rachel devait admettre qu’elle appréciait retrouver la colline de la Sainte-Baume et l’odeur de pluie caractéristique qui lui rappelait son enfance. Pas de cigalles mais l’impression d’être de retour chez elle.
Ce fut lors de ce week-end que Sidonie lui demanda un service que Rachel ne pouvait refuser. Aller récupérer des tissus à Marseille pour elle. Sidonie, malgré le fait qu’elle soit retraitée, continuait de faire à l’occasion des coutures pour arrondir quelques fins de mois et rendre service à des copines. Rachel avait donc eu l’idée de contacter Eugénie qu’elle n’avait pas vue depuis un moment en se donnant rendez-vous au marché flottant des calanques.
Dans le monde moldu, Rachel n’eut aucune difficulté à trouver ce qu’elle cherchait. Les instructions de l’écriture de sa mère étaient parfaitement claires et elle repartit rapidement avec les fils, aiguilles, tambours et autre matériel de couture qui lui avait été si familiers pendant toute son enfance. Ce ne fut que lorsqu’elle fut dans le monde sorcier qu’elle mit toutes ces affaires dans sa poche sans fond après les avoir réduits.
Le marché flottant n’était pas si loin à coup de transplanage et y étant déjà allée de nombreuses fois, Rachel n’eut aucune difficulté à se retrouver sur l’un des quais du marché flottant.
Le temps a décidé d’être clément…, pensa-t-elle en levant son regard vers le ciel qui s’était dégagée.
Tant mieux. Elle espérait néanmoins profiter de ce temps jusqu’à la fin de son séjour avant de retourner dans sa maison de fonction dans les Pyrénées et son Fort qui l’y attendait. Les mains enfoncées dans sa veste, la rouquine attend donc sa vieille amie au lieu indiqué par lettres. Elle se disait que si jamais il pleuvait, elles pourraient toujours aller à un restaurant dans les calanques enchantées. Quoi qu’il en soit, Rachel n’avait aucune envie de se retrouver encore dans une des maisons secondaires des Delacour, nom que portait Eugénie. Non pas qu’elle n’y était pas bien accueillie par la Delacour, au contraire, mais elle n’avait aucune envie de voir encore l’oppulence décomplexée qui lui rappelait constamment qu’elle n’y était pas à sa place.

" Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent. "
Apollinaire

Loin de profiter d’une rencontre informelle pour se détendre et lever le pied, Eugénie Delacour avait prévu d’arriver en avance au marché flottant afin d’échanger avec quelques anciens contacts, des sources à entretenir même si elle n’était plus un agent officiel de la justice magique. Qui savait ce que l’avenir réservait ? Les devins, dans une certaine mesure, mais quand elle voyait dans quel état ceux qui voyaient au-delà du voile finissaient elle n’était pas certaine que les oracles eussent la force mentale ou morale de distinguer les desseins de Dieu. C’était une responsabilité que peu méritaient et son pauvre petit frère en était un probant exemple.

Pourtant elle aurait préféré qu’il finisse diseur de bonne aventure sur le marché que petite main pour les vaux-rien du quartier. Comme toujours, penser au mouton noir de la famille fait plisser le front lisse de la Delacour, dont l’indifférence n’est qu’apparence. C’est avec un signe de tête secret qu’elle quitte l’étal pour arpenter à nouveau les allées bondées bien à l’abri sous son manteau bordé de fourrure de yéti, ses cheveux devenus pour l’occasion d’un roux non sans rappeler ceux de celle qu’elle devait retrouver.

De nombreux sorciers et sorcières de toutes classes semblent de sortie pour préparer leurs cadeaux du noël qui approche à grands pas, et elle regrette d’avoir accepté ce lieu de rendez-vous, trop public, trop bondé. Peut-être arrivera-t-elle a convaincre l’entêtée de déménager leur rencontre dans un lieu plus propice aux confidences…Même s’il était parfois plus facile de se fonde dans la masse dans les foules. Quoi qu’il en soit, elle s’adapterait aux conditions, comme elle le faisait toujours.

Elle se fraie enfin un passage jusqu’aux quais, après avoir sciemment ignoré les commerçants qui hèlent et alpaguent les passants comme des poissonniers, croyant sans doute que cela rendrait plus visibles leurs médiocres marchandises. Or, souvent les plus discrets ont bien plus de valeur cachée que les bruyants, tout ce qui brille n’est pas d’or, tout ce qui d’or n’est pas mort.

Elle ne tarde pas à repérer Rachel, chevelure flamboyante sur peau constellée d’étoiles brunes, et elle s’approche pour la saluer avec une familiarité réservée à quelques rares individus.

« Bonjour Rachel. » Elle rompt la distance pour lui faire la bise, lèvres rouges ne faisant qu’effleurer les pommettes avant de reculer d’un pas. « Un choix original pour se rencontrer, je le concède. Tu as besoin d’un second avis avant d’acheter tes présents de noël ? » Elle connaissait activité plus désagréable, certes. Et sa sœur aurait été ravie de savoir qu’elle sortait un peu en dehors du travail. Qu’importe, Iris la commère ne saurait rien de cette rencontre pour éviter tout interrogatoire inconvenant. Eugénie n’avait pas envie de se soucier de quoi que ce soit aujourd’hui, si ce n'est de savoir si Rachel avait un désir plus secret que de simplement rencontrer une confidente.

Eugénie a changé de couleur de cheveux et Rachel aurait pu s’amuser à dire qu’elles étaient sœurs. À peu de choses près, cela aurait été drôle de l’imaginer. Si on oubliait l’épine dans le pied qu’était Galahad Anderson peut-être ou la mère d’Eugenie et Galahad que Rachel gardait à la prison. Non, décidément, qu’Eugénie garde sa famille car le côté adoptif n’était pas beaucoup mieux pour la pauvre paysane qu’était Rachel. Mais elle constata que le roux lui allait bien. En fait, tout allait très bien à Eugénie et Rachel se surprenait souvent avant de se reprendre un peu mal à l’aise, à la trouver particulièrement jolie. Plus que cela et pas que cela même. Quoiqu’il en soit, le roux lui allait bien et Rachel adressa un sourire. Elle était réellement contente de la voir et lui fit également la bise avant de l’écouter.

Regardant autour d’elle pouvoir l’agitation, la directrice du Fort Invisible haussa les épaules.

« Non, pas vraiment. J’ai déjà celui de ma mère. Quant à celui de ma sœur, encore faudrait-il que nous nous voyons à Noël. Je doute que cela soit le cas encore cette année. »

Dalila et elle ne se parlaient plus depuis leur affreuse dispute. Cela faisait presque dix ans maintenant. Rachel n’était plus peinée avec le temps, toujours persuadée qu’elle avait dit la vérité et si Dalila l’avait mal pris c’était bien parce que sa sœur était succeptible. Pour autant, Rachel mentirait de dire qu’elle ne s’inquiétait pas pour sa sœur. Elle savait que Dalila voyait toujours leur mère et parfois, Sidonie donnait des nouvelles l’air de rien à Rachel. Sans doute qu’elle faisait la même chose à Dalila. Mais Rachel ne renchérissait pas, ne cherchait pas non plus à reprendre le contact pour l’instant. Noël serait coupé en deux comme d’habitude. Sidonie verrait ses filles les unes après les autres.

« Je voulais simplement profiter des calanques. Ça fait longtemps. D’habitude c’est une mer de neige, mais j’aime aussi la mer d’eau. Et puis, ça nous fait sortir des demeures de ta famille un peu. » bougonna Rachel.

Elle lui indiqua du doigt l’un des restaurants qui donnait sur une belle vue.

« À moins que toi, tu aies des cadeaux à faire, un verre ça te dit ? J’ai des choses à te raconter. »

Des choses qui allaient encore faire lever les yeux au ciel d’Eugénie sans doute. La chose commençant pas « Aureus » et terminant par « de Wendel ».