deux vérités, un mensonge (alessandro)

La journée s’était passée avec une lenteur qui n’était pas habituelle en cette période. Le froid de l’hiver qui s’abattait sur la France avait de cela avantageux que le taux de crime était en baisse. C’était toujours la chaleur qui semblait taper sur les nerfs des gens et elle l’avait constaté, les incarcérations plus régulières avaient surtout lieu l’été. Dernièrement, tout était plutôt calme. Les fêtes de Samhaim avaient forcément joué à cela, les gens étant plus propices à passer le temps avec leurs familles qu’à commettre des felonnies. Ce n’était pas sans déplaire à Rachel qui en souhaitait malgré tout à personne de finir au Fort Invisible, mais cela lui dégageait actuellement également plus de temps sur certaines choses au sein de la prison. Et pour commencer, il y avait bien les rapports que lui laissait sa nouvelle recrue, Alessandro de Medici. Son arrivée au sein du Fort remontait à deux semaines maintenant et Rachel avait déjà eu des échos non seulement du travail qu’il avait fourni puisqu’elle avait quelques rapports, mais aussi par le‧a gardien‧ne qui accompagnait constamment le jeune italien avait aussi fait quelques rapports et entretien avec elle.

Rachel ne l’avait pas revu directement depuis sa prise de poste, laissant sa secrétaire s’occuper de récupérer les dossiers à sa place. Il avait du travail et elle en avait également. Mais en cette fin de d’après-midi où elle le savait sur site, elle avait un temps de battement qui lui permettait de s’occuper de ce qui le concernait. Elle avait commencé par relire les rapports qu’elle avait déjà lu et avait commencé à prendre quelques notes. Elle trouvait qu’il faisait du bon travail et elle n’avait en l’état rien à lui reprocher. Néanmoins, Rachel était une personne pleine de zèle. Elle savait qu’elle n’en serait jamais arrivée à être la directrice de la prison de France sans ce zèle. Ainsi, avait-elle décidée de faire une apparition surprise pour voir comment Alessandro travaillait. Cela faisait après tout partie de ses prérogatives et lui permettait d’avoir une vision plus claire de sa démarche et de ce qui serait bien de corriger.

Récupérant son manteau, elle l’enfila avant de quitter son bureau chauffé à peu près correctement verrouillant derrière elle. Toquant sur la porte du bureau de sa secrétaire, Rachel rentra dans le bureau.

Elise était à son service depuis presque le début où Rachel était arrivée en tant que gardienne. Elle entretenait une bonne relation bien que Rachel restait malgré tout distante sur tout ce qui touchait de l’intime. La femme d’une cinquantaine d’années aux lunettes rondes releva la tête pour observer la directrice. Après un court échange, Rachel apprit donc ce qu’elle voulait savoir et se mit en route, patronus allant et venant autour d’elle. Se déplaçant d’un pas lent à cause de sa jambe dont elle avait essayé de limiter les déplacements aujourd’hui car elle sentait une plus grande pression que certains jours, la rousse mit une dizaine de minutes avant d’arriver jusqu’à la dite salle après avoir signé un papier à la personne qui se chargeait de faire les enregistrements des allers et venues de cette section. Elle prit le temps de discuter un peu avant de finalement toquer à la porte.

Cette fois-ci, elle n’attendit pas d’entendre qu’elle pouvait rentrer.

La salle était totalement impersonnelle et ici, il faisait un peu moins froid que dans les cellules. Il n’y avait qu’une table et deux chaises. Le patronus de lea gardien‧ne qui accompagnait Alessandro tournait autour de ce dernier et de lea gardien‧ne, tandis qu’un autre, celui du gardien qui avait escorté le prisonnier autour de sa cellule restait près du gardien en question. La seule personne présente qui n’avait aucun patronus était le prisonnier. Son état ne laissait aucun doute sur son incarcération ici. Rachel avait laissé la liberté à Alessandro de commencer par les types de détenus qu’il souhaitait. Pour autant, Rachel connaissait le numéro du détenu. Elle avait particulièrement bonne mémoire pour savoir qui se trouvait dans sa prison et pourquoi.

« Continuez, je vous prie. Je ne fais que regarder. » dit-elle d’une voix dépourvue de chaleur mais pas cassante. Elle n’adressa pas un sourire aux personnes présentes et se contenta de salutation de tête devant les saluts des gardiens présents.

Elle alla se mettre dans un coin et s’appuya simplement contre le mur glacé, écoutant et observant.

Rachel resta parfaitement silencieuse tout du long de l’entretien. Elle n’avait rien à dire sur les questions posées. Cependant, un détail attira son attention au fur et à mesure. Les yeux glacés fixés sur le détenu, elle constatait comme une légère attitude qui la surprit à l’égard du jeune homme qui faisait son travail.

Comme une impression qu’ils se connaissaient.

Le visage fermé, Rachel ne dit rien et ne montra rien mais plus l’entretien continuait, plus elle avait cette sensation. Un certain agacement monta en elle. Alessandro était encore à l’essai ici et elle avait été clair lors de leur entretien. Ce fut donc lorsqu’elle comprit que l’entretien arrivait à sa fin qu’elle prit une décision.

« Gardien Martin, veuillez raccompagner ce détenu à sa cellule. » Le gardien se mit déjà à l’action et Rachel, imperturbable, se tourna vers lea gardien‧ne. « Merci de vous rendre au bureau de Mme Devereux et de lui demander les papiers pour la procédure vingt-trois. Je me charge de faire en sorte que M. de Medici ne soit pas sans protection. »

Lea gardien‧ne lui fit un signe de tête avant de sortir. Rachel attendit que la porte soit refermée avant de sortir sa baguette et faire apparaitre une nouvelle chaise, puis de s’asseoir. Enfin, elle se tourna vers Alessandro.

« M. de Medici, comment allez-vous ? » La question était posée mais n’attendait pas réellement une réponse. Elle se fichait bien de savoir comment allait réellement Alessandro. Tout ce qui la turlupinait était cette désagréable impression. « Je constate que cet entretien c’est plutôt bien passé. Qu’en avez-vous pensé ? »

Elle ne comptait pas lui dire exactement ce qu’était le protocole vingt-trois, mais dans le contrat qu’il avait signé, il y avait eu les explications. Pour l’instant, elle attendait simplement que lea gardien‧ne lui apporte les papiers et la fiole de véritasérum qui allait avec. En attendant, elle se contentait de faire la discussion. Sa mante religieux orchidée se faufilait entre leurs jambes avant de faire le tour de la table, continuant de les protéger silencieusement.

Elle le fixe avec froideur. Lui semble aussi peu expressif qu’elle l’est. Tant mieux. Au moins ne s’embarrassera-t-elle pas de faux semblants. Elle détestait cela de toute façon. Sa réponse courte et concise ne l’étonne pas également outre mesure. Alessandro est peu empathique, elle l’a bien remarqué. Elle préfère néanmoins cela à ce qu’il se perde dans des états d’âme dont qu’elle n’avait que faire. Néanmoins, elle sent que quelque chose se passe dans la tête d’Alessandro à la façon dont il reste un court instant immobile. Avait-il déjà compris ce que le protocole vingt-trois était ? Elle ne s’attendait pas à ce qu’il lise le règlement. Personne ne le lisait et c’était bien malheureux pour ces personnes. Pour elle, en revanche, cela lui donnait champs libres. Les termes étaient les termes.

Dans ce moment de silence où Alessandro semble réagir par son absence de réaction subite et d’expression faciale, Rachel continue de le fixer sans parler. Peut-être qu’intérieurement, elle se délecte de la situation. Rachel est de ses personnes qui lorsqu’elles ont du pouvoir l’utilisent. C’était le cas dans sa prison. Elle n’était pas une grande intriguant, les complots étaient très peu pour elle, mais utiliser son pouvoir, elle savait le faire. Surtout en respectant le règlement et les directives du ministère. Néanmoins, en le voyant les yeux ouverts sans ciller, une pensée parasite lui vient :

N’a-t-il pas mal aux yeux ?

Et Alessandro perd totalement ce qu’il a de dérangeant après cette pensée.

S’il se remet à ciller, c’est la réponse ensuite qui lui offre qui fait lever un sourcil à Rachel. Elle ne l’arrête pas et le laisse aller jusqu’au bout de sa pensée. Mécanique, cela pour sûr. Mais aussi ce qu’il lui fallait : sans passion, juste de l’analyse brute et le fait qu’il bottait en touche. Elle verrait bien quand il rendra son rapport et en ce sens, il n’avait pas tort. Elle aurait sûrement dit la même chose à son supérieur. La réponse, néanmoins, ne lui retira pas cette impression, ce doute qui s’était déjà insinué en elle.

Comprenant qu’il n’avait pas terminé lorsque le silence, qu’elle ne combla pas, s’installa, Rachel attendit simplement. La question ne la surprit pas non plus et elle répondit sur le même accès de passion dont il faisait preuve, c’est-à-dire, aucun :

« Oui. »

S’il souhaitait d’autres informations, Rachel comptait à ce qu’il soit plus précis dans ses questions. Pourtant, elle n’eut pas à attendre longtemps que déjà lae gardien.ne en charge d’Alessandro revint dans la pièce. Iel déposa un porte-document sur lequel se trouvait le nom et prénom d’Alessandro et la fiole caractéristique du Véritasérum. Remerciant avec détachement lea gardien.ne qui reprit sa position, Rachel se mit à parler :

« M. de Medici, lorsque vous avez signé votre contrat, vous avez consenti à tous les termes qui s’y trouvaient. Parmi eux, le protocole vingt-trois. Ce protocole, comme vous avez déjà pu le lire, prend place à mon intention et est dans les procédures de sécurité du Fort Invisible. Il consiste à vous interroger en vous plaçant sous les effets du Véritasérum que vous voyez ici. » Elle désigna la fiole avant de désigner lae gardien.ne. « Lors de cette procédure, le gardien ici présent sera le témoin de cet interrogatoire et rendra un rapport par la suite qui vous sera également remis. De mon côté, les lois et les directives du Ministère m’incitent également à vous fournir une copie d’un rapport sommaire qui vous sera donné dans un délai de deux jours ouvrés. »

Elle marqua une pause, sorti sa baguette et fit apparaitre un verre d’eau.

« Tout ce qui sera dit lors de cet interrogatoire restera dans cet pièce et les éléments seront confidentiels à moins qu’ils ne contreviennent aux sécurités et au règlement du Fort Invisible. Auquel cas, une enquête sera menée et des peines pouvant aller jusqu’à de l’emprisonnement et quelques bézants d’amende pourront vous être appliqués. »

Ayant terminé avec ses devoirs administratifs qu’elle devait énoncer, Rachel ouvrit la potion de Véritasérum.

« Comme l’indique le règlement et le contrat que vous avez signé, ce protocole peut être enclenché à mon initiative à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison que ce soit. »

Et de toute façon, se dit-elle, il saurait bien assez tôt ce qu’elle cherche.

« Souhaitez-vous boire directement la potion ou souhaitez vous également le verre d’eau avec ? » termina-t-elle sans le quitter des yeux, ni rien montrer.

Le ton atone n’a d’égal que l’absence d’expression du jeune homme assis en face d’elle. Rachel se dit que soit il n’éprouve vraiment rien et n’a rien à cacher, soit il est excellente menteur au point que cela en est troublant. Mais tout sera mis sous lumière lorsqu’elle aura posé ses questions et Rachel ne pense pas grand-chose de cette maîtrise exceptionnelle de ses facultés de mensonge et de vérité. Rachel n’en était pas à son premier interrogatoire de ce type. Elle en avait même subi lorsqu’elle était simplement gardienne. Ce n'était qu’un mauvais moment à passer pour lui s’il n’avait rien à cacher, sinon… Sinon, elle agirait en conséquence.

Après que le protocole fut déroulé comme elle devait le faire et les remerciements d’Alessandro, Rachel attend simplement qu’il boive sa potion avec ou sans eau. Lorsqu’il refuse l’eau, elle décide de la lui laisser malgré tout. La potion était un élément en soit mais Rachel savait aussi que le contexte autour l’était. Ainsi, laisser le verre d’eau était autant de la courtoisie qu’un simple acte de manipulation basique. Qu’il le boive ou non n’avait aucune importance. L’importance était l’effet que cela faisait sur la plupart des gens. Donner un verre d’eau à quelqu’un c’était un peu le considérer voire se montrer gentil puisque c’était un élément de base pour vivre. Et s’il se sentait un peu confiant, elle serait plus apte d’avoir les réponses qu’elle cherchait même si quelque chose lui disait que cet interrogatoire ne serait pas comme tous les autres.

S’assurant qu’il a bien bu le contenu de la fiole, elle se met à ouvrir le dossier au nom d’Alessandro, avant de prendre une feuille vierge sur laquelle elle met la date, et écrit deux ou trois choses dessus. Lorsqu’Alessandro dit être près, elle relève le regard vers lui et l’observe un instant. Il semble imperturbable malgré la potion qui doit agir. Sans rien en penser, la rousse tourne la tête du côté du gardien qui lui fait un signe de tête pour lui signifier qu’il écoute et observe.

« Monsieur de Medici, veuillez me décliner votre identité : noms, tous vos prénoms, date et lieu de naissance s’il vous plait. »

Les premières questions ne sont que factuelles pour savoir si la potion fait effet. Rachel connait les réponses. Elle met toujours un point d’honneur à apprendre les dates d’anniversaire de tous ses employés comme elle retient les pages des livres où elle s’est arrêté sans jamais utiliser de marque-page.

« Quels sont le nom et prénom de vos parents ? Avez-vous des frères et sœurs ? Quels sont leurs noms et prénoms ? » enchaîne-t-elle en le fixant de son regard froid, cherchant les moindre micro expressions qui lui donnerait d’autres indications en plus de ce qu’il lui disait.

Rachel fixe Alessandro sans émotion. À présent, elle observe avec patience chaque micro expression. Lorsqu’il décline son identité, la rousse n’a pas besoin de regarder le dossier. Elle connait déjà ces informations. Il est trop tôt encore pour dire si le véritasérum fonctionne. Elle sait que certains occlumens, il en existait dans l’Ordre, pouvaient résister au véritasérum, mais ce jeune homme n’était pas renseigné comme tel et elle doutait fortement qu’il tombe sur ce genre de cas. De plus, rien ne servait de mentir sur quelque chose d’aussi trivial que son identité. Elle prit finalement des notes et relève la tête pour écouter la suite.

Les Médicis. Rachel ne les portait pas dans son cœur. Agnès Colonna à l’époque avait été une peste aux allures d’ange. Rachel n’aimait pas se rappeler de cette époque où elle avait été constamment tourmentée. Beauxbâtons était un très mauvais souvenir pour elle. Quant à Lorenzo, elle se rappelait bien du jeune adolescent particulièrement mignon. Une gueule d’ange à en faire avaler des couleuvres. Elle y avait été sensible évidemment mais terriblement timide. Et puis quand son secret à elle avait éclaté à cause de sa sœur, il ne lui avait plus jamais parlé. Elle trouvait que le couple s’était bien trouvé. Si Rachel se tenait éloignée des choses mondaines, elle avait effectivement entendu qu’Agnes ne devait pas avoir un mariage très heureux. Tout le monde aurait pu le prédire en constatant le comportement de Lorenzo à Beauxbâtons de toute évidence.

Comme quoi, être une peste n’empêchait pas d’être malheureuse. Peut-être que Dieu avait décidé de la punir pour tout le mal qu’Agnes avait fait aux autres, y compris à elle, Rachel.

Et Rachel en éprouvait une intense satisfaction, n’étant pas réellement connue pour son pardon.

Quoiqu’il en soit, à observer ainsi Alessandro, Rachel constatait le savant mélange du père et de la mère sur son visage. Puis, dans le tableau familial s’ajouta la sœur, une certaine Marie que Rachel n’avait jamais vu. La dernière information lui donna la confirmation qu’Alessandro était bien sous l’effet du véritasérum. C’était trop personnel pour qu’il ne laisse échapper cela autrement… Trop personnel et intéressant. Rachel se demande vaguement ce qu’il voulait dire par là et se nota mentalement de lui poser la question plus tard. Cet interrogatoire avait beau être dans le cadre du travail, Rachel avait le droit de creuser ce qu’elle voulait si elle le jugeait nécessaire.

Laissant passer quelques secondes durant lesquelles elle prit une note. Rachel releva son regard sur Alessandro et lui demanda :

« Quel est votre métier, M. de Medici ? Quelles études avez-vous faites ? »

Silence.

« Pouvez-vous me décrire le poste que vous avez pris ici ? Pour quelles raisons avez-vous postulé ici ? »

Elle décidait qu’elle n’irait pas tout de suite sur le champ qui l’intéressait, mais elle comptait le harceler de question pour l’épuiser et elle enchaina :

« Quelles sont vos relations avec votre père ? Votre mère ? Votre sœur ? Êtes-vous proches ? »

Yeux dans les yeux, Rachel lui laisse le temps. C’est suffisant pour remarquer que ce gamin, parce que pour elle il était un gamin, avait une excellente maîtrise de ses émotions. Elle devait admettre qu'elle était impressionnée, mais aussi que quelque chose lui disait que cette maîtrise émotionnelle n’avait rien de naturelle. Était-ce seulement étonnant ? A voir Agnes et Lorenzo, tout du moins de son souvenir, ils étaient très bons à la dissimulation. La peste d’Agnes savait très bien jouer de l’hypocrisie tandis que le solaire Lorenzo était un masque de spectacle à lui tout seul. Mais observer l’absence de réaction d’Alessandro avait de quoi perturber un peu Rachel qui se disait qu’il n’y avait rien de feint dans tout cela. De l’honnêteté, en quelque sorte, mais cette honnêteté n’était-elle pas dérangeante ? Ce n’était pas que par les questions qu’elle posait qu’elle apprenait à connaître le Medicis en face d’elle. En réalité, ces questions n’étaient là que pour meubler le silence. C’était également ses réactions qui l’intéressait. Elle ne s’attendait pas tant à prouver que son soupçon était juste que de savoir deux ou trois choses sur son honnêteté pour les prochaines fois et le reste de leur collaboration.

Aussi écouta-t-elle ses réponses et pris des notes avec application.

La réponse sur ses études n’est qu’un élément de contexte dont elle se fiche. La suite est, en revanche, beaucoup plus intéressante. Impassible, Rachel ne peut s’en empêcher : elle se délecte de ce qu’elle apprend et comprend. Quelque part, elle compatit avec ce gamin qui a quelque chose à prouver à son père. Elle-même avait été cette gamine et peut-être l’était-elle encore plus qu’elle ne voulait bien l’admettre malgré le décès de Jean-Marcel depuis une décennie maintenant. Son attention est retenue sur un détail sur lequel elle compte bien revenir.

Mais c’est finalement les questions plus personnelles qu’elle a abordé qui rentrent en jeu et les réponses lui déclenchent un sourire qu’elle n’arrive pas à maîtriser. Moqueur, mesquin et infiniment satisfait. Il est drôle de savoir ce que deviennent ceux qui l’ont harcelée et méprisée, surtout de la bouche de leur progéniture. C’était d’autant plus amusant pour Rachel que tout le monde en prenait pour son grade. Sauf Agnes, visiblement.

Un juste de retour de Dieu, pensa-t-elle, non sans remarquer également l’évocation de Dieu dans la bouche d’Alessandro.

De son souvenir, il lui semblait bien que les Médicis et Colonna étaient croyants. Des croyants qui faisaient honte à leur foi, de l’avis de Rachel même si elle savait qu’elle était elle-même très loin d’être parfaite puisque toutes ses pensées ne respiraient pas le pardon.

Si elle ne pense pas grand-chose de la jeune Marie, Rachel remarque un léger froissement dans les traits du jeune homme. Elle n’était visiblement pas la seule à faire un peu tomber le masque lors de cet interrogatoire. Cette très légère information lui était quelque peu capitale.

Son visage redevenu impassible, la rousse reprend :

« Vous avez mentionné précédemment des opportunités que le Fort Invisible possède. Pouvez-vous les détailler ? »

Pause.

« Êtes-vous de confession catholique et croyant, M. De Médicis ? »

Elle retient une autre question pour l’instant, curieuse de voir ce qu’il comptait répondre sur ces deux dernières. Elle sait parfaitement que le sujet de la religion était très personnel. Elle-même n'en avait pas tant mené large lorsque ces sujets étaient abordés quand elle avait été à la place d'Alessandro.

Sa dernière question la ramène à lorsqu’elle avait été à sa place. Si elle était toujours théoriquement sujette à ce genre d’interrogatoire par ses supérieurs, à savoir le directeur de la justice magique, en pratique, elle n’avait pas eu à le faire depuis qu’elle avait pris son poste. Mais la question sur la foi, si elle parait hors sujet, ne l’est pas tant. Elle se rappelait bien de son ancien directeur qui lui avait fait subir un de ses interrogatoires, le dernier en date plus précisément. Rachel accordait une place importante à sa foi, à Dieu quand bien même avait-elle toujours eu une relation compliquée avec ce dernier. L’évoquer sous contrainte était une violence. Évoquer les contradictions de son comportement et de sa foi avaient été mis en lumière ce qui avait été plus que désagréable, d’autant plus pour essayer de trouver une faute dont elle n’était pas coupable à l’époque.

Ainsi, si la réponse d’Alessandro l’intéressait sur le plan personnel, elle était aussi éclairante sur la suite de l’interrogatoire. Rachel savait exactement où elle allait et elle comprenait qu’Alessandro en répondant comme il l’avait fait était sans doute plus sensible aux idées qu’aux gens.

La réponse à l’autre question l’intéresse encore plus car elle fait le pont avec ce qu’elle voulait aborder. Après quelques secondes de silence, Rachel reprit :

« Monsieur de Médicis, avez-vous déjà rencontré hors de ces murs le détenu que vous venez d’interroger ? »

Pause.

« Fais-t-il partie des contacts que vous souhaitez établir ? »

Elle ne le quitta pas des yeux, consciente que chaque réaction à présent était nécessaire pour savoir si ses doutes étaient bel et bien fondés.

Rachel ne se fie pas à son expression. Mais elle note sa surprise et se concentre sur sa réponse. Ses yeux le fixent, glacé. Elle s’agace. Elle sait que le véritasérum ne donnait pas réponse à tout, bien sûr, et que les questions devaient être posées de la bonne façon. Mais elle est persuadée de ne pas avoir rêvé ce qu’elle a vu et ressenti. L’expression de Rachel n’est perturbée que par sa mâchoire qui se serre très légèrement. Dans sa tête, elle cherche un moyen de reformuler la question autrement.

Elle s’apprêta à dire quelque chose quand Alessandro reprit sans qu’elle ne l’y ait invité. Il semble vouloir préciser et elle l’écoute, attentive. Elle reconnaissait là bien le lèche-botte habituel dans ce genre de situation. Elle ne pouvait pas dire qu’elle ne l’avait pas fait non plus quand elle avait été à sa place. Mais cela marchait difficilement selon les personnes en face. Rachel avait souvent statué qu’il en faudrait bien plus pour l’attendrir.

Mais c’était sans compter sur l’initiative d’Alessandro qui était pour le moins inédite depuis le temps qu’elle menait des interrogatoires de ce type. Rares étaient ceux qui retournaient la situation ainsi et Rachel se retrouva muette un instant. Son regard cette fois-ci, perdit de sa froideur pour le détailler des mains posées sur la table à défaut des pieds jusqu’à sa tête et planter son regard clair dans le sien. Elle aurait presque envie d’éclater de rire d’imaginer la tête d’Agnes en sachant son fils et elle, la sang de bourbe, autour d’un verre.

Un verre. Ce n’était rien qu’un verre et elle n’était aucunement obligée de dire oui. Encore moins dans ce cadre-ci.

Rachel n’est pas du genre à faire amie-amie avec ses employés et ces derniers savent très peu de choses sur sa vie privée. Si ce n’est sans doute qu’il y a quelque chose entre elle et le directeur du bureau de préservation du Secret puis qu’il passe régulièrement la voir. Aureus était un de ceux qui avaient les passes-droits ici au vu de son poste, leur collaboration régulière. Mais c’était tout. Le reste, Rachel le gardait farouchement pour elle parce qu’elle savait à quel point son poste était sensible.

Aussi, décida-t-elle de ne pas répondre à Alessandro qui n’avait de toute façon posé aucune question directe. Ou était-ce une façon pour elle de ne pas faire de choix pour l’instant et rester dans son déni de cette proposition hors sol dans ce contexte. Mais elle se retrouva devant une impasse. Il a très bien répondu et même si cela n’efface pas l’impression de Rachel, elle n’a pas d’autres questions.

À l’exception d’une seule qu’elle garde depuis qu’il a présenté sa famille.

« Très bien, avant de terminer cet entretien qui touche à sa fin, j’ai une dernière question. Néanmoins, avant cette dernière question posée, je me dois de vous répéter les éléments que j’ai énoncé en ce début d’entretien. Vous aurez une copie du rapport de cet entretien dans un délai de deux jours ouvrés. Une fois cet entretien terminé, les effets du véritasérum s’estomperont d’ici une dizaine de minutes. Si vous ne souhaitez pas être exposé pendant cette période, vous pouvez disposé de cette salle. »

Rachel s’éclaircit brièvement la gorge.

« La dernière question que je voudrais vous poser est la suivante. Tout à l’heure lorsque vous avez présenté votre famille, vous avez évoqué le fait que votre Mère, Madame Agnes de Medici, a toujours fait en sorte que vous n’ayez pas de frère. Que vouliez-vous dire par là ? »

Elle savait que la question était purement gratuite, mais la tentation était trop forte. Savoir quelque chose sur Agnes d’aussi personnel était une vengeance que Rachel appréciait particulièrement.

Il a pris la main de cette conversation et si Rachel avait très envie de lui adresser un sourire sardonique, elle n’en fit rien. C’était bien joué, elle le reconnaissait, et elle, elle sentait la frustration de la mauvaise perdante qu’elle restait. Ce n’était pas un jeu bien sûr, plutôt un bras de fer en réalité. Il avait tout à fait le droit de ne pas répondre étant donné que l’entretien était terminé. Mais rien ne garantissait qu’il réponde une fois qu’ils seraient seuls. Dans la pièce redevenue silencieuse, Rachel perçoit un très léger mouvement du gardien témoin de la scène. C’est suffisant pour qu’elle ne cherche pas encore la petite bête. Pas devant témoin. SI tout ce qui se passait était confidentiel et ne sortirait pas de cette pièce, elle ne manquerait pas de toucher un mot supplémentaire au gardien.

Sans un mot, Rachel dérive son regard sur son parchemin qu’elle remplit en silence. Lorsqu’elle a terminé, elle tend la plume au gardien pour qu’il signe ce qu’il fit avant de tourner le parchemin vers Alessandro pour qu’il fasse de même. Se levant, un peu raide à cause de sa jambe, Rachel remet la chaise correctement.

« Attendez-moi à dix-neuf heures devant mon bureau. Nous irons dans le village le plus proche. L’équipe aime s’y retrouver pour y boire des verres après le service. »

Peut-être en a-t-il entendu parler. Elle, elle y allait surtout avec Basile et on la connaissait bien là-bas. Ce n’était pas très loin mais cela nécessitait qu’elle l’y emmène. L’idée de se retrouver hors du travail avec lui lui fit bizarre. Qu’allait-elle pouvoir bien dire à un Medici ? Après cette entrevue, elle supposait qu’il poserait des questions personnelles. Libre à elle d’y répondre ou pas. Mais elle devait admettre qu’elle était également curieuse et ne perdait pas non plus son sentiment quant à cet entretien.

« Je vous laisse à vos entretiens. » conclut-elle avec un signe de tête sans plus de cérémonie avant de sortir, sa mante religieuse suivant son pas irrégulier.

(…)

Dix-neuf heures était arrivé bien trop vite. Rachel n’avait pas arrêté mais fait ce qu’elle devait faire concernant le rapport de l’entretien. En y réfléchissant, elle restait encore frustrée mais elle n’allait pas passer le reste de la journée, ni sa soirée à atermoyer. Peut-être n’y avait-il rien eu à la base et que son impression avait été fausse. Pourtant, la question en suspens qu’ils avaient laissée tournait dans sa tête. La curiosité de Rachel, elle le savait, était morbide. Des années de harcèlement laissaient des traces et Rachel n’était pas du genre à oublier. Sans doute se faisait-elle du mal mais c’était bien peu comparé à ce qu’Agnes Colonna avait pu faire.

Rangeant son bureau d’un coup de baguette magique, Rachel s’assura que tout était parfaitement à sa place avant de se saisir de sa veste et de son écharpe. Elle avait hâte de retrouver Ombre qui lui montrerait sans doute qu’elle n’était pas contente si elle rentrait tard. Ombre avait un sale caractère, mais Rachel supposait que c’était de bonne guerre. Telle maîtresse, telle chatte.

Il faudrait néanmoins attendre et passer quelques verres avec Alessandro de Medici. Pour l’heure, Rachel ne cherchait pas à trop anticiper. Elle n’était pas obligée de rester longtemps et elle verrait au feeling. S’assurant d’avoir tout ce dont elle avait besoin, elle sortit de son bureau. Ambre était déjà partie et son bureau était vide. La rousse ne prit pas la peine de jeter un regard à son bureau. Mais ses yeux se posèrent sur le faciès juvénile de l’italien.

« Êtes-vous prêt ? »

Son ton est peut-être moins froid mais pas moins rigide. Il lui faudra un peu plus pour baisser sa garde. Elle restait après tout toujours la directrice du Fort Invisible quand bien même ce verre était informel.