[TERMINE] [Annexe] Rituel du massif des Pyrénées | feat Neith & Elric

Elle se laisse faire comme une poupée de chiffon, sidérée par ce qu’elle vient de vivre. Si le froid disparait, que l’on s’occupe d’elle et de son fils, (par Vivianne, elle était incapable de le lâcher !), son état de sidération, lui, met du temps avant de disparaitre. Le choc est trop intense parce qu’il se situe à trop de niveaux. Elle qui pensait qu’elle allait mieux, que la troisième année sans Alaric arrivant, elle avait fait un chemin non négligeable. Et c’était le cas sur de nombreux aspects. Elle constatait bien que son état moral n’avait rien à voir avec celui d’il y a un an et encore pire, celui d’il y a deux ans. Pourtant, elle avait été dans le lac. Elle l’avait vu…
A cette pensée, en se rappelant même si tout est brouillé, comme dans un rêve, les yeux de Neith se remplissent de larmes. Dans les contes qu’on lui racontait enfant peuplés de djinns, de goules ou d’éfrits, elle n’aurait jamais cru que ce fut les histoires des anciens dieux des anciens peuples dont elle se disait descendante, qui trouveraient tant d’échos en cet instant. Le mythe osirien et isiaque qu’elle avait tant raconté à son fils lui semblait d’une justesse effroyable parce qu’elle savait à présent malgré tous les mensonges qu’elle pouvait bien se dire qu’elle en était encore au même point qu’Isis dans sa recherche des morceaux d’Osiris tels que les mystères isiaques semblaient le raconter.
La lichette de gnôle proposée a le mérite de lui redonner un petit coup de fouet, la faisant sortir de sa sidération passagère. Elle se laisse néanmoins guider, sans lâcher Ruben qui, de toute façon, refuse de la lâcher également. En cet instant, ils sont deux êtres qui ont besoin l’un de l’autre pour se tenir debout et s’avancer avant de s’asseoir. C’est lorsque les chansons des pélerins qui résonnent un peu atteignent son oreille que Neith reprend un peu conscience de ce qui se passe autour d’elle. Ils n’iront pas plus loin et elle sait que cela est mieux ainsi. Ce qui se passe après sur le chemin du pèlerinage n’est pas pour elle, pas encore. Peut-être jamais.  Tous ces rires qu’ils soient timides ou plus francs la laissent interdite bien que consciente qu’elle est toujours choquée de son côté. Ce n’est pas sa mère qui est présente, mais Kahina Tizi, la doula et cuisinière de la famille. Neith n’avait aucune idée que la vieille femme fut ici mais depuis le temps qu’elle la connaissait, c’est-à-dire toute sa vie, Kahina avait aussi sans doute des morts à honorer quand bien même la vieille femme ne partageait pas du tout cette culture. La savoir ici était néanmoins rassurant.
« Vraiment, petit djinn, tu causes beaucoup trop de soucis à mon pauvre cœur ! » s’exclama en arabe la vieille femme d’un ton qui se veut plein de reproches, mais Neith le devine aussi plein d’inquiétude. Elle était comme ça Kahina, toujours à rouspéter mais jamais méchante. « Qu’est-ce que je vais dire à tes parents moi ! » … Et la capacité de donner l’impression à Neith d’être de nouveau une petite fille prise en faute malgré ses trente-six ans. Les joues de Neith rougissent. Ruben, lui, a un petit rire cassé qui fait se dire à Neith qu’il ne devrait pas avoir un tel rire à son âge.
« Mams, tu vas mieux ? » demanda néanmoins Ruben qui prend la main de sa mère. Neith a retrouvé sa chaleur mais elle est incapable de répondre à son fils. Parce qu’elle n’en savait rien. La question la fait paniquer intérieurement mais le silence se brise par l’arrivée inopinée d’Elric d’Adhémar.
Relevant son regard sur l’homme, elle se rappelait que la dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était avec la Flamme avant qu’elle ne soit piégée par le lac (ou elle-même). Visiblement, il semblait qu’il eut vécu son propre enfer à lui tout seul et que comme elle, il n’ait pas participé à la suite. Neith se rend compte qu’elle a laissé un trop grand silence s’installer et c’est Kahina qui s’approche, souriante. Son français est très mauvais malgré les vingt-huit ans en France. Néanmoins, la vieille femme de soixante-quinze ans parvient à articuler chaleureusement un merci en français d’un fort accent avant de récupérer le vin pour le donner à Neith puis tendre l’autre boisson à Ruben.
« Je… Veuillez m’excuser. Merci beaucoup. C’est très gentil de votre part. » répondit enfin Neith qui voulut se lever mais s’en retrouva incapable. Son regard épuisé se posa sur Ruben qui n’ayant pas eu la réponse à sa question semblait inquiet. « Tu vas avec Nana manger quelque chose ? »
« Mais Mams… » commença Ruben et Neith posa sa main sur la joue de son fils.
« Tout va bien, ya Rouhi*. Je te le promets. Je veux juste discuter un peu avec M. d’Adhémar, d’accord ? »
Ruben posa un regard un peu incertain sur Elric et Neith eut un sourire en coin amusé. Qu’il était adorable de voir son fils parfois si protecteur alors qu’il était si jeune.
« D’accord, mais je te ramène à manger dès que j’ai terminé avec Nana. »
Neith acquiesce et Kahina entraîne Ruben vers les repas à disposition non sans adresser un regard entendu à l’égyptienne. Reposant son attention sur Elric, Neith l’invita d’un faible sourire à s’asseoir.
« Si vous constatez qu’il nous observe, ne le prenez pas personnellement. Je crains que cela soit de ma faute s’il est un peu trop protecteur envers moi malgré son jeune âge… » Sur beaucoup d’aspects en réalité, pas qu’à cause de ce qui venait de se passer. « Comment vous sentez-vous ? Si je peux faire quelque chose pour vous également, n’hésitez pas. »
Il n’y avait pas de raison et même si elle était encore totalement déboussolée, elle ne peut qu’apprécier la démarche d’Elric. Son verre en main, elle observe le liquide chaud et sombre et elle finit par demander :
« Souhaitez-vous que nous trinquions à quelque chose ? » Elle aimerait bien quelque chose d’optimiste mais rien ne lui vient présentement.

Chaleur et époux perdus sont les deux choses dont elle avait définitivement besoin. Sans doute devrait-elle quitter les lieux. Elle sent encore son corps éprouvé et une certaine fatigue la saisir. Elle n’est plus en hypothermie mais elle sent parfois des frissons qui lui viennent, comme un souvenir du froid indescriptible qu’elle a ressenti en étant trempée. Elle est bien sèche à présent, mais pourtant le froid persiste dans son être. Ce n’est que la compréhension et l’empathie de cet homme qu’elle ne connait pas mais qui fait partie depuis quelques années maintenant de la vie d’une de ses plus chères amies qui lui remet un peu de chaleur. Cela n’efface en rien la culpabilité qu’elle ressent et les questions qui persistent. Que serait-il arrivé si personne n’avait remarqué ? Son fils tout seul à présent, sans son père, sans elle. La brutalité de cette réalisation la terrifia. S’il y avait une raison pour laquelle elle pourrait arrêter tout ce qu’elle entreprend, c’était bien lui, Ruben. Il était sa plus grande force et sa plus grande faiblesse.
Essayant de ne pas boucler sur des pensées sombres, Neith décida de s’enquérir d’Elric, par sincérité, par respect également. Sa réponse lui arrache un petit sourire parce qu’elle peut comprendre. Devant le deuil, il est difficile de savoir ce dont l’on a besoin. Si elle n’ose pas imaginer ce qu’il ressent, elle peut en revanche s’imaginer ce qu’elle elle ressentirait si Ruben disparaissait avant elle et c’est suffisant pour se dire qu’elle deviendrait probablement inconsolable, incapable de tenir comme Zinaïda le faisait.
Écoutant sa réponse, Neith regarda Elric avec un air terriblement triste. Ainsi, cela expliquait les aspects boueux de la flamme. Elle comprenait mieux et elle était désolée pour lui. Là encore, elle ne pouvait pas savoir ce qu’il ressentait, mais elle ne pouvait que compatir. Cette guerre avait été horrible et c’était bien pour une de ses raisons que son père tentait d’agir. Pour éviter qu’il y ait d’autres Elric, d’autres Reims de bombardés et ses cent quarante morts, d’autres millions de morts sur les champs de bataille, d’autres vies endeuillées.
« Je suis désolée pour vous et vos frères d’armes. »
Elle ne mentionne pas son enfant mais elle y pense très fort, son regard se perdant à chercher Zinaïda quelques instants. Revenant à Elric, elle trinqua :
« À un jour de plus. »
Elle but un peu et à la question d’Elric, un petit silence s’installa. Son regard se perd dans le vide et elle ne cache pas sa tristesse infinie.
« Mon époux. » souffla-t-elle. Mon époux, comme s’il était encore là. Quelque part, il l’était. Il y avait une moitié de lui en Ruben. C’était en Ruben que l’univers d’Alaric continuait de vivre. Dans leurs souvenirs aussi. « Cela fera trois ans en janvier prochain. Sa perte m’a brisée le cœur. » Elle marque une pause et boit un peu. Le vin lui fait du bien. « C’est lui que j’ai vu dans le lac. » murmure-t-elle alors que ses yeux s’embuent de larmes qu’elle refuse de faire couler. Lui et le bébé, mais elle refuse d’en parler parce qu’elle n’est pas sûre de si c’est ce qu’elle croit.
Se mordant la langue, Neith tente de reprendre un peu ses esprits. Puis, elle s’éclaircit la gorge.
« Ruben voulait porter la flamme, mais je crois que ni lui, ni moi, ne sommes passer à autre chose. J’espère que, peu importe ce que vous avez vécu avec elle, elle vous a un peu soulagée. »

Elle ne sait qui il a perdu, mais lorsqu’Elric lui dit qu’il comprenait ce qu’une disparition pouvait faire à un cœur qui se brisait, elle le crut. Il y avait tant de façon de perdre quelqu’un, pas seulement par la mort. A y réfléchir, d’une certaine façon, elle avait perdu Zinaïda le jour où celle-ci lui avait annoncé ses fiançailles. Aucune surprise là-dedans. Cela devrait arriver tôt ou tard et elles le savaient parfaitement toutes les deux. Il n’en restait pas moins qu’elle avait versé ses larmes et que cela avait fait mal, bien que Neith n’en veuille à personne, sauf peut-être celui qui avait préféré ne pas assumer ses responsabilités.
Silencieuse, Neith se perd un vague instant dans ses pensées avant de finalement reposer son regard sur Elric lorsque le prénom de Zinaïda est prononcé. Neith ne cache pas sa tristesse. Elle savait très bien que son amireuse avait définitivement eu son lot de drame. Elle était terriblement désolée de la perte de son enfant et c’était une des raisons qui lui avait laissé de l’espace également. Trop heureuse néanmoins de la retrouver lors d’une soirée pour rattraper un peu le temps perdu. Entre leurs deuils respectifs, le temps filait décidément trop vite. Zinaïda lui manquait.
A écouter Elric, la prévenance, l’empathie aussi, elle ne peut s’empêcher d’être contente, du peu qu’elle en voit, pour Zinaïda. Même si ce mariage n’était pas amoureux aux prémices, il semblerait que Zinaïda soit bien entouré et Neith ne peut s’empêcher de ressentir une sorte d’apaisement et de bienveillance à l’égard d’Elric… Et ses mots la touchent.
« Oui, en effet. » répondit-elle son regard tombant dans le vague.
Combien de fois avait-elle pris sur elle pour ne pas pleurer alors qu’elle en avait terriblement envie ces trois dernières années ? Bien sûr, elle avait toujours mis un point d’honneur à enseigner à Ruben que ses larmes, ses émotions, étaient valides. Même s’il était un petit garçon. Surtout parce qu’il était un petit garçon. Mais le préserver était sa priorité, même de ses émotions à elle. Et parfois, elle se rendait compte que ces larmes qu’elle retenait se cristallisaient dans son cœur, devenant glace qui avait peine à fondre. Parce que fondre signifiait que la montée des eaux pouvait être dévastatrice et qu’elle n’était pas prête encore à laisser les crues tout emporter. Mais était-ce bon de colmater les fissures qui se formaient petit à petit ?
La proposition d’Elric la fait sourire un peu, tristement, mais sincèrement.
« C’est très gentil… » Elle hésite en laissant voguer son regard ailleurs. « J’ai peur que si je commence, ça ne s’arrête pas. » Sa bouche a un léger tic, signe qu’elle lutte avec elle-même. Son regard se repose sur Ruben plus loin et Neith se dit qu’elle ne pourra pas le rassurer si elle est dans cet état. La dernière chose qu’elle voulait était que son fils s’inquiète encore plus que le traumatisme qu’elle avait provoqué chez lui. « Faisons cela. décida-t-elle la voix cassée avant de se lever.
C’est Kahina qui capte le mouvement et articulant, Neith lui dit un « Je reviens » que Kahina parvint à lire sur ses lèvres. La femme acquiesça et s’occupa alors de détourner l’attention de Ruben. Reposant son attention sur Elric, Neith voulut sourire mais le sourire se transforma en grimace.
« Je me demande si un jour, ça s’arrête, la douleur de l’absence. » dit-elle, les larmes déjà venant et la voix cassée, commençant à marcher. « Je me sens comme les Pleureuses et leurs Lamentations éternelles. » souffle-t-elle, posant une main sur sa poitrine au niveau de son coeur. Et pour les avoir appris par coeur, les lamentations d'Isis et de Nephtys lui reviennent car même des milliers d'années plus tard, les mots sont criants de vérité.

Viens à ta femme, ô Ourthet ! Viens à ton épouse. Ne te sépare pas de moi. Les dieux et les hommes tournent leurs faces vers toi pour te pleurer, tous, à la fois, depuis qu'ils me voient poussant des plaintes jusqu'au haut du ciel ; et tu n'entends pas ma voix.

Elle va au rythme d’Elric, consciente que sa canne ne doit pas être aisée dans la neige qui les entoure. Elle se demande si c’est à cause de la guerre qu’il a été blessé. Il ne serait pas le premier ni le dernier. Elle se demande également si en d’autres circonstances, moins personnelles, ils pourraient se parler. Elle se dit qu’elle pourrait l’apprécier, sans doute commençait-elle déjà à le faire alors qu’ils étaient dans un jour qui ne les flattait pas qu’humainement.
Pour l’heure, néanmoins, Neith pleure comme elle a beaucoup pleuré ces trois dernières années. Parfois, sans s’en rendre compte au début. Les larmes ne sont pas plus légères qu’avant et elles ont se goût amer de l’injustice. Sa main sur son cœur, elle le sent bien battre, là où son ba se trouve. Pour les égyptiens antiques, l’âme était un oiseau qui prend son envol. Si le ba d’Alaric s’est envolé pour le royaume éternel d’Osiris, le sien est bien toujours là, vivant, battant. Et parce que le cœur est aussi le siège de l’intelligence, de la pensée et des émotions, elle ressent la douleur indescriptible de la perte. Elric ne cherche pas à la réconforter, ni à lui dire que cela passera. Elle lui en est reconnaissante, mais elle se demande, si, la douleur ne finira pas par la consumer. Écoutant Elric malgré les larmes qui brouillaient parfois sa vue, Neith ne peut qu’être d’accord avec lui. Bien sûr qu’elle n’avait pu exprimer de son vivant son amour pour Alaric. Ce genre de choses ne pouvaient être dites ou montrées aussi facilement.
Le regard de Neith se pose sur Elric, ses larmes s’apaisant un peu, observant l’homme qui continuait. A ses mots, elle ne put s’empêcher d’éprouver une légère tendresse. Parce que dans ses mots, elle perçoit son deuil à lui. Parce qu’ils font échos aussi à ce qu’elle pensait. Parce que cet homme pleure et qu’ils sont rares les hommes qui pleuraient devant les femmes.
Elle s’arrête lorsqu’il s’arrête et lui laisse le temps, au même titre qu’elle a besoin de ce temps également. Sa gorge se noue à l’évocation de dates importantes et sa dernière réplique. Le trois janvier prochain serait une date importante et elle, elle ne sait toujours pas ce qu’elle ferait ce jour-là, si elle serait capable de sortir de son lit ou de faire autre chose que de parler avec le tableau de son époux. Neith se rend compte qu’elle n’aura pas envie d’être seule ce jour-là. L’idée de compter les années qui la détachait de son époux vivant la font pleurer un peu plus dans un sanglot plus fort que les autres. Elle ne dit rien un moment alors qu’ils sont loin et assis. À la place, les sanglots succèdent aux sanglots et elle se prend le visage entre les mains. Elle lâche tout ce qu’elle a accumulé. Éventuellement, Neith fouille dans ses poches pour sortir un mouchoir propre qu’elle tend à Elric.
« Tenez. » dit-elle d’une voix cassée. Puis, elle en retrouve un autre et essaie d’effacer les larmes qui reviennent.
« Merci de me laisser l’opportunité d’exprimer cela, bien que j’aurai aimé que notre rencontre soit moins triste. » dit-elle humblement, puis, elle hésite. « Je suis contente que Zinaida soit bien entourée. Et je suis désolée pour votre perte à tous les deux. » Cette fois-ci, elle parvient à effacer les larmes bien que ses joues soient glacées par le froid.

Si elle avait su qu’elle se retrouverait là à pleurer avec le mari de son ex-compagne, elle ne l’aurait jamais cru. Pourtant, Neith savait parfaitement que la vie et la mort pouvait être pleine de surprises. Si ce moment n’appartenait qu’à eux, elle choisit de le garder précieusement contre son cœur pour la suite, peu importe ce qu’il résulterait du futur. Certaines rencontres restaient spéciales et particulièrement humaine. Celle avec Elric étaient l’une d’entre elles. Il y avait tant la tristesse qu’un certain optimisme à laisser couler les larmes pour de meilleurs sourire. Cette palette de gris qui appelait son camaïeu de gris à elle.
Pourtant, ils sont bien là, côte à côte. Le bras d’Elric sur ses épaules, ses paroles encourageantes sur l’expression de sa peine, alors que lui-même pleure et tremble. Lorsque les digues reprennent place, que l’épuisement d’avoir pleuré et de s’être laissé aller un peu s’abat sur eux, elle ne peut s’empêcher d’exprimer sa sympathie à l’homme. Sa sympathie et sa gratitude honnête. Un mouchoir tendu, des remerciements aussi vrais que sincères. Voilà très longtemps qu’elle n’avait pas pleuré comme cela. Seule, elle n’y arrivait plus. Les sanglots étaient bloqués et la gênaient mais elle avait toujours trouvé de l’utilité à toute ses gênes, ou de les transformer en moteur sans jamais s’arrêter réellement. Elle s’étonne brièvement qu’il lui faille tout ceci pour enfin réussir à pleurer de nouveau ainsi. Et en même temps, cela fait sens. Il avait terriblement raison précédemment. Ils n’étaient personnes l’un pour l’autre et peut-être que c’était ce qu’il lui avait fallu. Cela n’en rend cette rencontre que bienheureuse et tendre.
L’égyptienne ne peut s’empêcher de sourire un peu, faiblement à ses mots. Elle ne répond rien à ce qu’Elric dit parce qu’elle n’a rien d’intelligent à répondre. Ce qu’il dit est vrai et elle le remercie silencieusement de lui rappeler qu’elle se doit aussi d’avancer à elle-même et elle seule. Ainsi, ne peut-elle s’empêcher de parler de Zinaïda. Comment pourrait-elle la passer sous silence ? Elle n’a aucune idée de ce que Zinaïda a pu raconter à Elric. Cela n’avait pas tant d’importance. Elle compatissait tout de même et elle était heureuse que Zinaïda dans son malheur trouve un peu de tendresse et surtout de l’empathie. Pour l’empathie, elle pouvait encore la lui donner, pour la tendresse en revanche…
Alors quand elle apprend que Zinaïda ne l’a pas mentionnée, elle n’en est pas surprise. Pas contrariée non plus. C’était sans doute mieux ainsi et Neith respecterait son silence. Elles étaient de toute façon cela aux yeux du monde, « amies ». Ce qui était le plus important à ses yeux était qu’elles savaient toutes les deux ce qu’elles avaient été réellement et ce qu’elles étaient maintenant. Tout n’était pas si simple entre elles pour plein de raisons, mais leurs sentiments dans leur intimité avaient été clairs et limpides. C’était tout ce qui importait.
« Oh non, vraiment, ne vous excusez pas et ne vous sentez pas coupable. Je n’en ai rien pensé. » tenta-t-elle de le rassurer sans le détromper sur le terme amies également puisqu’il restait vrai. Neith ne cacha pas sa légère tension méprisante à l’évocation du prénom de Nikolaï. Elle n’allait pas faire comme si avec ce qu’il accumulait elle l’appréciait à présent. Son mépris s’était installé et n’était pas près de se muer en quelconque sentiment gris à son égard. Elle ne peut s’empêcher de soupirer et répondre : « Soyez rassuré que vous n’êtes pas responsables à mes yeux. Mais effectivement, la lâcheté de Nikolaï nous a fait du mal à Zinaïda et moi-même. » Pas qu’à nous. pensa-t-elle avec mépris et amertume. « Votre mariage avec Zina est aussi tombé quelques mois à peine après le décès de mon mari. C’est surtout un concours de circonstances qui ont dû faire qu’elle ne m’a pas mentionné. » Et elle n’en voulait certainement pas à Zinaïda d’avoir passé cela sous silence. Elle avait eu son mariage à gérer, la naissance de Gabrielle. Leur rupture aussi. Neith de son côté avait eu aussi son lot de drames et joies. Son regard se pose sur l’homme et elle lui sourit simplement sans aucune amertume. « Il n’y a aucun mal. C’est juste… la vie et les mauvaises décision d’une personne. » Son regard retombe devant elle et dans le vide. Elle n’éprouve plus le besoin de trop masquer certaines de ses émotions. La tristesse en repensant à Zinaïda prend donc place sur son visage. Lorsqu’elle s’en rend compte, un léger instinct de protection vis-à-vis de leur ancien elles, survient et elle reprend un peu contenance. Elle n’a aucune envie de mettre mal à l’aise qui que ce soit. « Nikolaï finira par récolter ce qu’il a semé. Je ne me fais trop de soucis pour cela. » conclut-elle. Et peut-être qu’elle allait faire en sorte de le diriger plus ou moins gentiment vers le champ pour faire sa récolte.

Un sourire amer se dessine sur les lèvres de l’égyptienne et elle acquiesce à la première question d’Elric. Pourquoi le nier ? Nikolaï était responsable. Même si Neith, dans les moments les plus sombres de leur rupture avait parfois ressenti du désespoir face à la non-action de Zinaïda, mieux que personne, elle savait qu’elle n’aurait jamais désobéit à son propre père. Parce qu’elle savait très bien ce que comme Zinaïda, elle savait ce que cela voulait dire de ne décevoir personne et faire son devoir. Sur ce point, elles se ressemblaient et cela avait toujours été clair entre elles. Il n’empêchait que la pilule avait du mal à passer et Nikolaï accumulait trop pour qu’elle trouve un quelconque intérêt à le défendre. Les choses s’inscrivaient dûment et Neith n’oubliait pas.
Pour autant, l’égyptienne décida de ne pas aller plus loin. Ce serait à Zinaïda de dire ce qu’elle jugeait nécessaire de dire à son époux. Elle aurait son accord de toute façon. Neith n’avait rien à cacher et avait toujours sur que Zinaïda avait toujours eu plus à perdre qu’elle. Elle pouvait aisément se contenter d’avoir été son amie si cela protégeait encore Zinaïda et préservait son mariage. Après tout, elle ne savait rien d’Elric et s’il était bien tolérant de partager un peu de sa douleur, elle ne savait pas ce qu’il en était avec son épouse.
Neith s’étonne de sa seconde question. Elle n’est pas certaine de la comprendre. Et elle ? Récolterait-elle ce qu’elle sèmerait ? Sûrement. Elle savait qu’elle n’était pas une bonne personne et elle n’en éprouvait aucune culpabilité. Autant utiliser cette partie d’elle-même controversée pour rétablir un semblant d’équilibre qui lui avait été spolié. Il ne lui semblait pas d’autre chemin possible que la vengeance froide actuellement.
La suite la surprend un peu plus à la proposition, ou plutôt l’invitation d’Elric. Neith ne sait qu’en penser. Elle est autant ravie que gênée en réalité. Elle n’a aucune envie d’envahir Zinaïda. Ou alors a-t-elle peur de certaines choses, elle ne saurait le dire.
« C’est très gentil de votre part. Je vous remercie. Ce sera avec plaisir. » répondit-elle, calmement et franchement. Marquant une pause, elle sourit un peu : « J’apprécie aussi l’absence de mondanité malgré les apparences. » Elle savait qu’elle n’était pas que la fille de Tarek Shafiq même si c’était l’image qui ressortait dernièrement avec la campagne électorale. « Je demanderai néanmoins à Zinaïda si cela lui convient. Je ne veux réellement pas être source d’une quelconque gène, ni pour vous, ni pour elle. » reprend-t-elle avec une légère pudeur. Et elle pense que tout le monde n’a pas forcément envie d’avoir la venue de la fille de l’homme politique en vogue dans les commérages du voisinage. Cela faisait partie des choses pour lesquelles elle devait faire attention dernièrement tant pour les personnes qu’elle considérait comme proches et qui n’étaient pas officiellement affiliées à l’Aube que pour elle-même. Et elle se rendait compte subitement à quel point c’était épuisant, mais nécessaire.
Elle s’en remettrait à ce que Zinaïda désirait mais elle se faisait une joie de connaître enfin sa nouvelle vie et l’homme qui la partageait.
Son regard se porte sur le ciel et elle se demande quelle heure il était. Combien de temps étaient-ils restés ici ? Subitement, l’idée d’inquiéter son fils la bouleversait et elle ressentait le besoin de le retrouver. Le froid commençait à tomber sérieusement du fait de leur immobilité. Et elle refusait de tomber malade avec ce qui l'attendait dans les prochains jours.
« Je pense que nous pouvons retourner vers les autres ? Je ne voudrais inquiéter personne. » lui adressa-t-elle dans un sourire simple avant de se lever et de lui proposer son bras.