[Annexe] Rituel du massif des Pyrénées | feat Neith & Elric

Elle se laisse faire comme une poupée de chiffon, sidérée par ce qu’elle vient de vivre. Si le froid disparait, que l’on s’occupe d’elle et de son fils, (par Vivianne, elle était incapable de le lâcher !), son état de sidération, lui, met du temps avant de disparaitre. Le choc est trop intense parce qu’il se situe à trop de niveaux. Elle qui pensait qu’elle allait mieux, que la troisième année sans Alaric arrivant, elle avait fait un chemin non négligeable. Et c’était le cas sur de nombreux aspects. Elle constatait bien que son état moral n’avait rien à voir avec celui d’il y a un an et encore pire, celui d’il y a deux ans. Pourtant, elle avait été dans le lac. Elle l’avait vu…
A cette pensée, en se rappelant même si tout est brouillé, comme dans un rêve, les yeux de Neith se remplissent de larmes. Dans les contes qu’on lui racontait enfant peuplés de djinns, de goules ou d’éfrits, elle n’aurait jamais cru que ce fut les histoires des anciens dieux des anciens peuples dont elle se disait descendante, qui trouveraient tant d’échos en cet instant. Le mythe osirien et isiaque qu’elle avait tant raconté à son fils lui semblait d’une justesse effroyable parce qu’elle savait à présent malgré tous les mensonges qu’elle pouvait bien se dire qu’elle en était encore au même point qu’Isis dans sa recherche des morceaux d’Osiris tels que les mystères isiaques semblaient le raconter.
La lichette de gnôle proposée a le mérite de lui redonner un petit coup de fouet, la faisant sortir de sa sidération passagère. Elle se laisse néanmoins guider, sans lâcher Ruben qui, de toute façon, refuse de la lâcher également. En cet instant, ils sont deux êtres qui ont besoin l’un de l’autre pour se tenir debout et s’avancer avant de s’asseoir. C’est lorsque les chansons des pélerins qui résonnent un peu atteignent son oreille que Neith reprend un peu conscience de ce qui se passe autour d’elle. Ils n’iront pas plus loin et elle sait que cela est mieux ainsi. Ce qui se passe après sur le chemin du pèlerinage n’est pas pour elle, pas encore. Peut-être jamais.  Tous ces rires qu’ils soient timides ou plus francs la laissent interdite bien que consciente qu’elle est toujours choquée de son côté. Ce n’est pas sa mère qui est présente, mais Kahina Tizi, la doula et cuisinière de la famille. Neith n’avait aucune idée que la vieille femme fut ici mais depuis le temps qu’elle la connaissait, c’est-à-dire toute sa vie, Kahina avait aussi sans doute des morts à honorer quand bien même la vieille femme ne partageait pas du tout cette culture. La savoir ici était néanmoins rassurant.
« Vraiment, petit djinn, tu causes beaucoup trop de soucis à mon pauvre cœur ! » s’exclama en arabe la vieille femme d’un ton qui se veut plein de reproches, mais Neith le devine aussi plein d’inquiétude. Elle était comme ça Kahina, toujours à rouspéter mais jamais méchante. « Qu’est-ce que je vais dire à tes parents moi ! » … Et la capacité de donner l’impression à Neith d’être de nouveau une petite fille prise en faute malgré ses trente-six ans. Les joues de Neith rougissent. Ruben, lui, a un petit rire cassé qui fait se dire à Neith qu’il ne devrait pas avoir un tel rire à son âge.
« Mams, tu vas mieux ? » demanda néanmoins Ruben qui prend la main de sa mère. Neith a retrouvé sa chaleur mais elle est incapable de répondre à son fils. Parce qu’elle n’en savait rien. La question la fait paniquer intérieurement mais le silence se brise par l’arrivée inopinée d’Elric d’Adhémar.
Relevant son regard sur l’homme, elle se rappelait que la dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était avec la Flamme avant qu’elle ne soit piégée par le lac (ou elle-même). Visiblement, il semblait qu’il eut vécu son propre enfer à lui tout seul et que comme elle, il n’ait pas participé à la suite. Neith se rend compte qu’elle a laissé un trop grand silence s’installer et c’est Kahina qui s’approche, souriante. Son français est très mauvais malgré les vingt-huit ans en France. Néanmoins, la vieille femme de soixante-quinze ans parvient à articuler chaleureusement un merci en français d’un fort accent avant de récupérer le vin pour le donner à Neith puis tendre l’autre boisson à Ruben.
« Je… Veuillez m’excuser. Merci beaucoup. C’est très gentil de votre part. » répondit enfin Neith qui voulut se lever mais s’en retrouva incapable. Son regard épuisé se posa sur Ruben qui n’ayant pas eu la réponse à sa question semblait inquiet. « Tu vas avec Nana manger quelque chose ? »
« Mais Mams… » commença Ruben et Neith posa sa main sur la joue de son fils.
« Tout va bien, ya Rouhi*. Je te le promets. Je veux juste discuter un peu avec M. d’Adhémar, d’accord ? »
Ruben posa un regard un peu incertain sur Elric et Neith eut un sourire en coin amusé. Qu’il était adorable de voir son fils parfois si protecteur alors qu’il était si jeune.
« D’accord, mais je te ramène à manger dès que j’ai terminé avec Nana. »
Neith acquiesce et Kahina entraîne Ruben vers les repas à disposition non sans adresser un regard entendu à l’égyptienne. Reposant son attention sur Elric, Neith l’invita d’un faible sourire à s’asseoir.
« Si vous constatez qu’il nous observe, ne le prenez pas personnellement. Je crains que cela soit de ma faute s’il est un peu trop protecteur envers moi malgré son jeune âge… » Sur beaucoup d’aspects en réalité, pas qu’à cause de ce qui venait de se passer. « Comment vous sentez-vous ? Si je peux faire quelque chose pour vous également, n’hésitez pas. »
Il n’y avait pas de raison et même si elle était encore totalement déboussolée, elle ne peut qu’apprécier la démarche d’Elric. Son verre en main, elle observe le liquide chaud et sombre et elle finit par demander :
« Souhaitez-vous que nous trinquions à quelque chose ? » Elle aimerait bien quelque chose d’optimiste mais rien ne lui vient présentement.

Chaleur et époux perdus sont les deux choses dont elle avait définitivement besoin. Sans doute devrait-elle quitter les lieux. Elle sent encore son corps éprouvé et une certaine fatigue la saisir. Elle n’est plus en hypothermie mais elle sent parfois des frissons qui lui viennent, comme un souvenir du froid indescriptible qu’elle a ressenti en étant trempée. Elle est bien sèche à présent, mais pourtant le froid persiste dans son être. Ce n’est que la compréhension et l’empathie de cet homme qu’elle ne connait pas mais qui fait partie depuis quelques années maintenant de la vie d’une de ses plus chères amies qui lui remet un peu de chaleur. Cela n’efface en rien la culpabilité qu’elle ressent et les questions qui persistent. Que serait-il arrivé si personne n’avait remarqué ? Son fils tout seul à présent, sans son père, sans elle. La brutalité de cette réalisation la terrifia. S’il y avait une raison pour laquelle elle pourrait arrêter tout ce qu’elle entreprend, c’était bien lui, Ruben. Il était sa plus grande force et sa plus grande faiblesse.
Essayant de ne pas boucler sur des pensées sombres, Neith décida de s’enquérir d’Elric, par sincérité, par respect également. Sa réponse lui arrache un petit sourire parce qu’elle peut comprendre. Devant le deuil, il est difficile de savoir ce dont l’on a besoin. Si elle n’ose pas imaginer ce qu’il ressent, elle peut en revanche s’imaginer ce qu’elle elle ressentirait si Ruben disparaissait avant elle et c’est suffisant pour se dire qu’elle deviendrait probablement inconsolable, incapable de tenir comme Zinaïda le faisait.
Écoutant sa réponse, Neith regarda Elric avec un air terriblement triste. Ainsi, cela expliquait les aspects boueux de la flamme. Elle comprenait mieux et elle était désolée pour lui. Là encore, elle ne pouvait pas savoir ce qu’il ressentait, mais elle ne pouvait que compatir. Cette guerre avait été horrible et c’était bien pour une de ses raisons que son père tentait d’agir. Pour éviter qu’il y ait d’autres Elric, d’autres Reims de bombardés et ses cent quarante morts, d’autres millions de morts sur les champs de bataille, d’autres vies endeuillées.
« Je suis désolée pour vous et vos frères d’armes. »
Elle ne mentionne pas son enfant mais elle y pense très fort, son regard se perdant à chercher Zinaïda quelques instants. Revenant à Elric, elle trinqua :
« À un jour de plus. »
Elle but un peu et à la question d’Elric, un petit silence s’installa. Son regard se perd dans le vide et elle ne cache pas sa tristesse infinie.
« Mon époux. » souffla-t-elle. Mon époux, comme s’il était encore là. Quelque part, il l’était. Il y avait une moitié de lui en Ruben. C’était en Ruben que l’univers d’Alaric continuait de vivre. Dans leurs souvenirs aussi. « Cela fera trois ans en janvier prochain. Sa perte m’a brisée le cœur. » Elle marque une pause et boit un peu. Le vin lui fait du bien. « C’est lui que j’ai vu dans le lac. » murmure-t-elle alors que ses yeux s’embuent de larmes qu’elle refuse de faire couler. Lui et le bébé, mais elle refuse d’en parler parce qu’elle n’est pas sûre de si c’est ce qu’elle croit.
Se mordant la langue, Neith tente de reprendre un peu ses esprits. Puis, elle s’éclaircit la gorge.
« Ruben voulait porter la flamme, mais je crois que ni lui, ni moi, ne sommes passer à autre chose. J’espère que, peu importe ce que vous avez vécu avec elle, elle vous a un peu soulagée. »