[Lachesis | Zuhra de Fronsac] I was a girl until your call

Chronologie

1872 : naissance de Ishaq de Fronsac
1874 : naissance de Agathe d’Adhémar
1889 : à la majorité d’Ishaq son père, Hadrien de Fronsac, abdique son titre de duc en sa faveur afin de pouvoir se concentrer sur les affaires de l’Ordre du Temple
1891 : mariage d’Ishaq et Agathe
21 mai 1892 : naissance de Zuhra
29 juin 1896 : naissance de Soraya
1898 : naissance de Najima
1903-1910 : études de Zuhra à Beauxbâtons, dans la faction de l'Aurore
1907-1914 : études de Soraya à Beauxbâtons, dans la faction de la Nuit
1910-1918 : études de Najima à Beauxbâtons, dans la faction du Zénith
18 septembre 1910 : mariage de Zuhra et Guilhem d’Alefsen
octobre 1910 : Zuhra et son époux emménagent à Paris
hiver 1911 : Zuhra devient Aspirante initiée au sein de l'Ordre du Temple
1913 : après trois ans de formation, Zuhra entre au Ministère en tant qu'Oubliator
1913 : Ishaq accepte de commencer à former Zuhra en occlumancie
20 septembre 1914 : première grossesse et fausse couche de Zuhra
été 1915 : Soraya devient Aspirante initiée au sein de l'Ordre du Temple
03 octobre 1916 : seconde grossesse et fausse couche de Zuhra
12 février 1917 : Guilhem recommande Zuhra à un poste au renseignement
21 juin 1917 : attentats de Paris et mort de Guilhem
août 1917 : Zuhra retourne vivre au Château de Belroy
07 décembre 1917 : mariage de Soraya et Etienne Saint-Cyr
été 1918 : Zuhra devient Chevalière de l'Ordre du Temple
automne 1918 : Najima part faire des études d’archéomage à l’étranger
15 décembre 1918 : naissance d’Arsène Saint-Cyr
27 juin 1920 : naissance d’Eugénie Saint-Cyr
septembre 1921 : Zuhra est en charge de l'équipe du renseignement au sein du Bureau de la préservation du secret
automne 1922 : Soraya devient Chevalière de l'Ordre du Temple
09 nov. 1925 : naissance d’Octave de Fronsac Saint-Cyr
octobre 1925 : Etienne Saint-Cyr, l'époux de Soraya, est hospitalisé après un naufrage et demeure inconscient depuis
1926 : Nouvelle loi sur le droit d’héritage féminin
automne 1926 : Zuhra réinvestit l’hôtel parisien de Guilhem

Mémoires

1898Cher toi,
Maman va avoir un bébé. Je me souviens pas bien de si elle faisait des trucs aussi étranges quand elle était enceinte de Sora mais c’est parce que j'étais trop petite. Je suis grande maintenant, j’ai six ans ! Bon Maman va avoir un bébé, j’ai entendu plein de gens lui souhaiter un garçon et c’est vrai que ce serait bien un petit frère, et puis elle s’est disputée avec Père parce qu’il veut pas l’appeler Eustache et elle voulait des fraises je crois. Maman elle brode tout un ensemble de linge pour le bébé, elle dit que c’est pour lui rappeler combien on l’aimait et on l’attendait même avant sa naissance. Moi aussi j’ai des jolis tissus brodés de motifs et aussi des dessins de Père - il en a pas encore fait cette fois. Enfin j’ai trouvé que c’était chouette comme idée. Maman elle dit qu’un jour, moi aussi je serai une maman, et que je ferai ce genre de choses. Alors j’ai bien réfléchi, parce que moi je sais pas bien broder, mais le précepteur il dit que j'écris vraiment bien. Donc voilà je me suis dit, je vais tout t’écrire et te raconter, et quand tu seras né ce sera pour toi, et j’aurais commencé super tôt en plus alors tu vois combien je t’aime et tout.

Je veux pas te choisir de prénom parce que notre oncle il dit que ce serait mieux si j’avais un garçon, mais maman elle a eu deux filles en premier, alors toi on sait pas. Si tu es une fille, tu pourras quand même avoir mon livre, promis. Mais du coup, je t’appelle pas, désolée.

Moi je m’appelle Zuhra (c'est le nom de Venus, le point le plus lumineux dans le ciel la nuit), je suis la première fille de Père et Maman et après j’ai une petite soeur qui s’appelle Soraya. Elle est incroyable Soraya, les adultes ils disent qu’elle apprend tout bien vite parce que je lui montre beaucoup, elle est trop jolie et c’est trop drôle quand elle rigole. On se quitte presque jamais elle et moi. Et bientôt j'aurais un petit frère qui s’appellera pas Eustache. Le château où on vit il s’appelle Belroy, et on a plusieurs chiens mais mon préféré c’est D’Artagnan qui est vieux et câlin et qui aboie pas quand je me cache. J’ai plusieurs précepteurs, mon préféré c'est Monsieur Bernet qui m’apprend le français et qui a toujours des livres avec de belles images.

Je te raconterai la suite plus tard.
PS : quand même si tu es une fille, je t’appellerai bien Mirabelle

1898Cher toi,
C'était pas un garçon mais elle est trop jolie ! J’ai pas trop le droit de la porter, surtout parce qu'après Sora elle veut la porter aussi mais elle est trop petite. Elle s’appelle Najima, et elle a déjà des cheveux sur la tête ça fait bizarre. Et elle a les yeux noirs et quand on met son doigt dans sa petite paume elle serre comme si elle nous tenait. Maman est un peu malade je crois par contre, elle ne peut pas passer beaucoup de temps avec nous, et Père travaille beaucoup. On s’occupe. Sora et moi, on est d’accord pour être les meilleures grandes sœurs du monde en tout cas.

1900Cher toi,
Je ne t’ai pas beaucoup écrit, excuse-moi. Mais on change de siècle, c’est incroyable non ? On a fait des vœux dans le puits à souhaits, et on a été à un très grand bal. J’aime pas trop quitter le domaine mais on était jolies Sora, Naji et moi dans nos robes assorties, et on a beaucoup dansé. Est-ce que ça va tout changer ? Je me demande ce qui sera différent entre ces dernières semaines et ce qui sera quand tu arriveras.
Comme je commence à être plus grande - Mère dit l’âge de raison, Père a tenu à m’expliquer tout un tas de choses sur notre famille. Enfin, il a répété surtout ce que j’avais déjà pu lire dans plein de livres de la bibliothèques, étudié avec les précepteurs ou que mes oncles m’avaient déjà dit, mais il l’a dit avec sa voix grave et sérieuse alors j’ai encore bien écouté. Je crois qu’avec Mère, ils aimeraient bien avoir un garçon maintenant que Naji est un peu plus grande, mais qu’il y a comme un problème dont ils veulent pas parler. Ça rend Père très songeur, plus que d’habitude, et il passe beaucoup de temps dans la tour d’astronomie. Il m’a appris à reconnaître certaines constellations, maintenant je peux toujours trouver le nord et je serai jamais perdue ! Enfin je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais je crois que cette histoire de garçon, de siècle nouveau et tout, ça a quelque chose à voir avec moi et la famille, et la discussion qu’on a eu alors qu’il avait sa grosse voix de papa.

1903Cher toi,
J’ai été faire mes courses avec Mère et mes sœurs pour entrer à Beauxbâtons. Ma baguette est incroyable mais Naji était triste de devoir attendre autant d’années avant d’avoir la sienne. J’aime bien la coupe des uniformes aussi, et le joli bleu. J’ai déjà commencé à lire le premier chapitre de presque tous mes livres, pour être prête - par contre j’ai rien vu sur les dragons…

C’est bizarre parce que j’ai très envie d'être à l’académie, mais en même temps ça me rend triste et ça me fait un peu peur… C’est le fait d’être aussi loin de Sora et Naji je crois, même si Mère a dit que je pouvais revenir toutes les semaines si je voulais. Et puis à part mes sœurs et mes cousins, je ne m'entends pas toujours très bien avec les autres…

1903Cher toi,
J’ai fait ma première semaine à l’académie de Beauxbâtons. Enfin, mes cinq premiers jours.
C’est beau ici, tout est beau. J’avais peur de ne pas aimer, que le château de Belroy me manque, mais on devine les mêmes massifs, on respire les mêmes fleurs, on entend les mêmes oiseaux… Alors c’est presque agréable de revoir tout cela mais organisé autrement, avec d’autres jardins, d’autres architectures. Et je pense que les abraxans qui conduisaient les carrosses, c’est ce qu’il y a de plus impressionnant avec les dragons.

Ce n’était pas la première fois que je voyais un portrait de Mélusine, mais je ne sais pas, elle avait quelque chose d’encore plus grandiose, hypnotisant… Et la plage, la lumière grise qui commence à peine à se colorer, les vagues… Ca m’a fait plaisir. Les autres avec la même broche que moi se sont montrés très gentils et même dans mon dortoir.

Les cours commencent lentement, je m’en sors très bien en bienséance et j’ai bien failli crier de joie quand ma baguette a fait de la lumière pour la première fois en sortilèges.

Je rentre chez nous pour deux jours, je raconterai tout à mes sœurs et je demanderai à Père de m’aider à travailler mon devoir d’astronomie.

1908Cher toi,
Il y a eu un bal à l’académie. Ce n’est pas le premier, mais c’est la première fois que j’aurais aimé qu’on m’invite à danser. Enfin j’ai dansé, mais pas dansé comme je l’aurais voulu… Je commence à comprendre ce que l’on attend de moi et ça me semble tellement !… Je ne sais pas. Je crois que j’espérais quelque chose, comme dans les histoires et les poèmes que j’ai beaucoup trop lus. Mais ce n’est pas ce qui m’attend. Je voudrais te dire que ton père et moi, on s’est vu ce soir, on a dansé, on a ri, et on a su… J’aurais vraiment aimé écrire ceci. C’est idiot. Je suis la première fille du Duc, j’aurais un beau mariage, il y aura beaucoup de monde et je serai magnifique. Et ce mariage m’assurera aussi un avenir : je ne peux pas hériter du titre de mon père, ni moi, ni mes sœurs, alors celui-ci reviendra forcément à un cousin ou à l’un de nos fils… On s’est promis qu’on se soutiendrait quoiqu’il arrive toutes les trois, pour qu’aucune d’entre nous ne soit en difficulté à cause de cette loi idiote. Ce sera bien, ce sera très bien.
Quand même, j’aurais bien aimé qu’on m’invite à danser.

1909Cher toi,
Je suis rentrée à la maison à la fin de la semaine pour fêter mon anniversaire : je suis majeure. Mes parents avaient organisé une très belle fête, on a beaucoup dansé, j’ai joué du piano devant toute l’assemblée et même Monsieur de Fronsac est venu - Naji le trouve encore un peu terrifiant. J’ai discuté avec Père et plusieurs de ses amis de ce que je savais de l’Ordre en fin de soirée, il a écouté sans rien dire. Je veux en faire partie ; j’ai lu tout ce que j’ai pu à ce sujet, j’ai même espionné mon père quelque fois. Lutter pour préserver le secret, protéger les artefacts… Mère dit que j’en ai une vision trop romantique encore parce que je suis jeune, et qu’il faudra que je mûrisse un peu mon désir pour ne serait-ce que devenir aspirante.

Père m’a présenté un de ses amis, un certain Guilhem d’Alefsen (petit cousin du Duc d’Aquitaine si j’ai bien compris) qui a tenu - alors que Père était toujours là - à me réserver une danse, si ce n’est pas éloquent. Il a la trentaine passée, mais ses yeux gris étaient assez joyeux et c’est un bon danseur, alors s’il plaît à mes parents je lui ai permis de venir me revoir cet été.

1910Cher toi,
Les examens finaux sont dans quelques semaines mais je ne suis pas très inquiète. J’espère pouvoir obtenir une formation comme oubliator après Beauxbâtons, alors on m’a fait comprendre que ma note en sortilèges serait déterminante. C’est étrange de se dire que dans un mois je quitterai l’académie et que je ne reviendrai pas à la rentrée. Au moins j’étais là pour la première année de Najima, c'était bien d'être toutes les trois à nouveau même si ça n’a pas été long et qu’il a fallu beaucoup travailler.

Guilhem et moi nous nous écrivons souvent. Il m’a offert une édition magnifique de Poésie pour les fées, mon livre préféré… Il est très gentil et attentionné, et je pense qu’il demandera ma main à père quand j’aurais fini mes études. En plus, ça ne le dérange pas que je fume des cigarettes ou que je veuille absolument travailler, il dit que les jeunes femmes du nouveau siècle doivent prendre une part active dans notre société et que les mœurs changent toujours. C’est un peu dommage : mon cœur ne bat pas la chamade quand j’attends l’une de ses lettres, je ne souris pas bêtement ni ne rougis en pensant à lui comme dans mes livres… Mais je lui trouve un certain charme.

1910Cher toi,
Je suis Zuhra épouse Guilhem d’Alefsen depuis dix jours. Nous nous sommes mariés le 18 septembre. Il faisait encore beau et chaud, l’été a décidé de nous réserver l’une de ses meilleures journées. Je suis sûre d’avoir vu Père les yeux rougis d’émotion alors qu’il m’a tendu le bras pour me conduire. Ma robe était superbe, avec des manches et des détails en broderie fine, un magnifique cadeau de Mère. Guilhem a demandé officiellement ma main en juillet, mais je crois que tout était déjà prévu entre lui et mon père depuis des mois… Il me couvre de cadeaux et me donne tout un tas de noms charmants depuis que je lui ai dit oui, et j’avoue que son air heureux m’a un peu touchée. Nous emménageons dans son hôtel particulier à Paris dans quelques jours, sa librairie est à la capitale et ce sera mieux pour ma formation comme oubliator. L’idée de quitter les Pyrénées et ma famille me glace un peu, mais il m’a assuré que le réseau de cheminette pour revenir était très simple et efficace, et que je pourrais rentrer les voir tous les mois au moins sans difficulté.

1911Cher toi,
Je déteste toujours autant Paris. Qui parle de ville lumière ! Ils n’ont pas vu le ciel chez nous. Bien sûr, Guilhem m’emmène à des fêtes incroyables et nous côtoyons bien plus de beau monde qu’il n’en venait à la maison… Mais il manque quelque chose - et c’est sans parler de combien Sora et Naji me manquent malgré nos échanges fréquents par lettre.
J’ai fini par obtenir les cooptations pour devenir aspirante dans l’Ordre également, après des mois de négociation avec des membres que j’ai rencontré sur Paris. On m’a demandé pourquoi je ne demandais pas à mon père, ou même mieux, à Monsieur de Fronsac ; mais d’une part j’aurais peur que cela diminue ma valeur aux yeux des autres, et d’une autre je ne pense pas qu’ils auraient accepté - c’est bien l’un de sujets où j’ai intérêt à faire mes preuves par moi-même. Actuellement, ça veut surtout dire jouer au larbin pour deux aînés qui ont l’air de trouver très amusant de pouvoir asticoter ainsi une de Fronsac.

1913Cher toi,
J’ai intégré le Ministère comme oubliator. Je vais travailler sous la supervision d’oubliators confirmés, mais je vais enfin être sur le terrain.
Père a d'ailleurs fini par accepter de me former à l’occlumancie - je soupçonne qu’il attendait que je lui montre que j'en étais capable, ce que j’ai pu faire. Quand il me parle de pourquoi je dois le faire, il me parle du duché et de notre rang - et je vois bien qu’il louche sur mon ventre en fronçant les sourcils à chaque fois que je vais le voir. J'espère que j’attendrai bientôt un enfant. Il me parle aussi de la vie de la cour à la grande époque comme si c’était encore ainsi que les choses ont lieu… Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’il en pense mais Guilhem a une sympathie certaine pour la royauté, et si je ne sais toujours pas comment me situer j’imagine que mon devoir est de soutenir mon époux.

1914Cher toi,
Le monde s’est comme embrasé. La guerre a frappé le monde moldu après des semaines à grossir en rumeur, et aujourd'hui nous aussi nous y participons. Il y a aura même des membres de ma famille au front ! Tout cela me paraît impossible.
Et tu dois naître au milieu de tout cela ? Le médicomage a confirmé ma grossesse tout à l'heure. Je suis tellement désolée. J'espère qu’elle ne durera pas, que tu connaîtras très vite ce monde en paix. Je passe mon temps à pleurer et à rire en pensant à tout cela, en pensant qu’enfin tu es là mais qu’il fallait que ce soit justement maintenant… Et pourtant comme j’ai envie que tu sois là ! Comme j’avais hâte de cette nouvelle ! Ton père a même pleuré de joie quand je lui ai annoncé. Il parle de prendre des vacances en Aquitaine, mais au Ministère on pense que la présence de sorcier au front devrait occuper les oubliators. Le médicomage m’a dit d’attendre trois mois avant de l’annoncer, je vais accepter les missions d’ici-là puis je prendrais un congé - avec un peu de chance la guerre ne durera pas beaucoup plus longtemps. Mère m’a appris à broder, alors peut-être que je vais te préparer du linge en plus de ce livre finalement. Je m’y mettrais quand nous retournerons au sud, promis.

1914Cher toi,
Je voudrais ne plus jamais voir et ne plus jamais entendre.
Je suis tellement désolée, tu ne viendras pas au monde, pas cette fois.
C’est une chose, la guerre, une chose à laquelle je crois que je n’étais pas vraiment préparé. On nous a fait suivre des médicomages en arrière, moi j’avais fort heureusement interdiction de m’approcher trop des combats mais je devais m’occuper des moldus qui en revenaient en se souvenant d’utilisation de magie. Mais si c’est pauvres âmes avaient besoin d’être oubliettés, je ne pense pas que ce soit à cause des sorts. J’en ai vu revenir avec des gueules cassées qu’aucun moldu ne saura réparer, j’ai vu des sorciers troués par des billes métalliques qui les avaient brûlé et dont ils ne pouvaient pas se protéger et j’ai entendu, même au loin, les cris et les déflagrations. L’horreur. Juste l’horreur.
C’était ce que les journaux ont appelé la bataille de la Marne - enfin ça n’a pas été une seule bataille… Au moins cette fois-ci, je n’étais pas dans un coin où les civils étaient en tenaille entre les armées. Mais je n’ai pas pu, je n’ai pas réussi… J’ai commencé à avoir mal au ventre, je suis rentrée chez moi et quelques jours après… Je suis désolée.

1916Cher toi,
J’ai cru, longtemps, que tu ne viendrais pas. Jamais. Pas après ce que nous avons dû traverser la dernière fois, pas alors que cette fichue guerre s’éternise. Je me suis disputée avec ton père, Guilhem, plus de fois cette dernière année que toutes celles que nous avions passées ensemble. Après mon choc en septembre 1914 et ma fausse-couche, j’ai du garder le lit pendant des semaines. Il est resté près de moi, à veiller sur moi, et j’ai été tellement affreuse et méchante avec lui, si tu savais… Et puis j’ai voulu retourner travailler, même s’il n’était pas pour, mais le regard d’une partie de mes collègues avait changé. Eux ont tenu, eux traversent cette guerre sans ciller, alors que moi… J’ai eu l’impression de me battre contre eux, contre l’Ordre pour prouver que cette faiblesse n’enlève rien à… J’ai encore besoin de me le prouver à moi-même. Je peux être une mère et une épouse, je peux travailler et je peux servir l’Ordre, et je peux faire cela malgré la guerre. Je peux tenir, je dois tenir. Le médicomage m’a appris que j’attendais un enfant, mais je n’ai pas osé en parlé. La bataille de la Somme dure depuis des mois, et nous y sommes régulièrement envoyés - et Monsieur de Fronsac y est aussi. C’est l’occasion de prouver que je peux le faire, à tout le monde.
Toi aussi, tu pourras être fier de ta maman.

1916Cher toi,
Le médicomage a dit que ce n’était pas de ma faute. Il concède que le stress de la situation n’a pas aidé, mais il affirme que le bébé n’était juste pas suffisamment accroché de toute façon et que cela aurait pu arriver même si j’étais restée en arrêt à la maison. Guilhem est furieux bien sûr, mais surtout parce que je ne lui ai pas parlé de la grossesse en premier lieu. Il est parti trois jours chez ses parents avant de revenir pour que nous ayons une conversation, mais je n’ai pas su quoi lui dire. Je n’ai pas faim, je suis fatiguée et j’ai froid.
Je vis un cauchemar qui ne s’arrête pas.

1917Cher toi,
Les choses changent pour le mieux. Lentement, mais elles changent. J’ai souhaité disparaître dans cette chambre à te pleurer encore, j’ai cru que ça ne s’arrêterait pas… Guilhem a été remarquable. Actuellement, je prends trop de potions apaisantes pour qu’on essaie encore d’avoir un enfant, mais le médicomage dit que si les choses continuent à aller dans ce sens, cela devrait s’arranger d’ici quelques mois et nous pourrons recommencer. Il a promis que nous n'abandonnerons pas - je crois qu’il veut autant te voir naître que moi tu sais. Nous avons beaucoup discuté, il dit qu’il comprend que je suis une femme de terrain mais il m’a recommandé pour un poste au renseignement - où je ne serais sans doute pas renvoyée vers les fronts avant un moment le temps de prouver ce que je vaux. Je suis fatiguée de devoir encore prouver quelque chose, mais c’est une décision qui a évité à mon couple d’exploser ce que je ne pouvais pas me permettre en plus du reste. Et il ne le mérite pas.
Tu viendras, bientôt. Je dois avoir confiance.

1917Cher toi,
Guilhem est mort.
Guilhem. Je n’y arrive pas. Je n’y comprends rien, tout cela est absurde et injuste. Guilhem ne pouvait pas aller au front, alors il n’aurait jamais dû mourir maintenant ! Guilhem… Si gentil et si doux, si… Peut-être que je n’ai jamais ressenti ce frisson amoureux, mais c’était mon ami. Mon meilleur ami. Et il était merveilleux.
Il s’est rendu à un évènement et moi non, j’étais trop fatiguée, j’avais du prendre une potion… Et il n’est jamais rentré. Les nouvelles des attentats me sont arrivées, et toujours aucun mot de lui. Je m’attends presque à ce qu’il passe la porte. J’ai vu son corps, je l’ai enterré, mais je n’y arrive pas. C’est au dessus de mes forces.
Père m’a proposé de revenir au château familial un moment, et je pense que c’est ce que je vais faire. Je m’arrangerai pour le travail, tout ici me fait trop penser à lui.
Et toi ! Tu aurais dû être son enfant. Tu aurais dû être…
Je n’y arrive pas.

1917Cher toi,
Pourquoi mes parents n’ont-ils pas pu avoir un garçon ? Pourquoi a-t-il fallu qu’il n’y ait que nous ?

Père n’a pas laissé très longtemps à mon deuil avant de me demander de reprendre mon nom de jeune fille de façon officielle et de changer toutes mes lettres et sceaux. Ça m'a semblé étrange au début avant de comprendre… Madame d’Alefsen est une veuve éplorée, Mademoiselle de Fronsac est une fille à marier. J’ai cru que nous allions faire exploser toute une aile du château dans la dispute qui s’en est suivie - Guilhem n’est mort que depuis quelques mois et déjà je devrais penser à me remarier ? Père a mis en avant tout un tas de raisons parfaitement logiques mais que je n’ai pas voulu entendre. Je suis sa fille… Est-ce que je n’ai pas le droit de pleurer ?

Soraya a été l’éclaircie au milieu de cette tempête, elle s’est proposée. Ou elle a proposé de se marier, je ne suis plus certaine, mais cela revient à peu près au même. Ça n'aura pas l’air aussi désespéré que de remarier l’aînée si vite… Ma chère Sora, elle va se marier ? Je n’arrive pas à m’y faire. J’ai peur que les choses soient encore plus rapides pour elle que pour moi - j’aurais aimé, puisque je ne l’ai pas eu, qu’elle puisse connaître cette merveilleuse histoire d’amour et faire des noces avec… Je lui dois tellement.

J’ai accepté de faire les changements une fois la première année de deuil passé, mais Soraya rencontrera un Saint-Cyr avant la fin du mois et se mariera avant Noël… Il a intérêt à être bien son époux, je serai prête.

1918Cher toi,
La guerre dure depuis des années maintenant - c’est étrange comme parfois les choses se précipitent. Les rumeurs de paix arrivent, parce que les lignes ennemies sont de moins en moins mobiles. Quelques semaines après cette bonne nouvelle, Arsène venait au monde. Le fils de Soraya, le magnifique et merveilleux petit garçon de ma petit soeur adorée. Mon neveu… Je peux passer des heures à le regarder je crois, ce que Naji a trouvé extrêmement étrange même si il est mignon. Elle ne comprend pas encore - elle vient juste de finir sa formation à Beauxbâtons. Elle part dans quelques semaines pour commencer une formation d’archéomage, elle devrait être rapidement sur le terrain. Les choses changent tout d’un coup si vite. La fin de la guerre, Sora mariée et mère, Najima partie, moi qui reste finalement seule des trois filles à Belroy…

Pour moi aussi, les choses changent. Pas encore le lieu où je vis - ça fait du bien de revoir les montagnes. Mais il semblerait que l’on ait pas considéré mes absences dues à mes fausses-couches si mal finalement. On m’a signalé que je m’étais distinguée en me portant volontaire pour des missions pouvant être dangereuses pour une novice comme moi, et que ma présence régulière sur le front entre 1914 et 1916, et ce même quand j’étais enceinte, avait attiré l’attention de plusieurs personnes. Ceci, mon poste au renseignement où j’ai bien pris mes marques et où je commence vraiment à pouvoir être efficace et mes progrès en occlumancie ont convaincu l’Ordre du Temple de pratiquer mon ordination. Je vais être Chevalière enfin… J’ai l’impression d’être déjà à la victoire.  

1925Cher toi,
Soraya a enfin réussi. Je sais combien elle voulait cet enfant, et je crois que j’ai souffert avec elle qu’il tarde à venir - je ne connais ça que trop. Arsène et Eugénie sont des enfants merveilleux, mais c’est un fils qui puisse porter le nom que notre père attendait de son mariage. Et le voilà enfin, Octave. Ça aurait dû être une telle joie pour elle, un tel soulagement… Mais son mari ne s’est toujours pas réveillé depuis le naufrage et les médicomages ne sont pas optimistes. Je lui ai proposé de venir vivre avec elle un moment, pour profiter des enfants et d’elle et pour la soulager - j’espère qu’elle acceptera. Si non, je pense que j’irais quand même. Octave.

Sora a eu trois enfants. Alors oui elle a eu des années à avoir le dernier, mais elle en a eu trois. J’aime ma sœur de tout mon coeur, de toute mon âme… Mais quelque fois quand j’y pense, je me demande pourquoi elle et pas moi ? Je ne veux pas penser comme ça, et je ne veux non plus qu’elle y pense.

J’aurais tellement aimé que tu sois là, que ce soit que je puisse élever et adorer… Un jour, peut-être.
Père ne désespère pas et me reparle régulièrement de me remarier en tout cas.

1926Cher toi,
La loi sur l’héritage vient de changer.
Mon père m’a mariée quand j'avais dix huit ans avec un homme que je n’aimais pas et il a fait la même chose avec notre sœur dans le but que nous mettions au monde un garçon de Fronsac. Sora s’est usée la santé et l’esprit à essayer de satisfaire cette envie et moi je… Et la loi a changé.
Pour la première fois de ma vie, je n’ose pas aller trouver ma sœur. J’ai besoin d’elle, mais je n’ose pas le lui demander. J’ai peur de la voir. Je sais qu'elle ne peut pas me demander d’y renoncer et moi je ne peux pas lui dire que je prive potentiellement son fils de la destinée pour laquelle elle s’est battue pour le mettre au monde. Si demain je me remariais, si demain j’avais enfin un enfant à moi, alors elle… Et Octave, ce cher petit Octave qui est si doux et si gai… Comment le vivra-t-il quand en grandissant il apprendra que sa tante lui a pris ce qui devait être son héritage ? Et est-ce que je ne me suis pas assez battue moi aussi, est-ce que je n’ai pas prouvé que je le méritais ? Je ne sais pas quoi faire. Comment est-ce que je peux choisir un enfant que je ne connais pas plutôt que ma famille ? Comment est-ce que je pourrais renoncer à te rencontrer ?

1927Cher toi,
Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je reviens m’installer sur Paris j’ai l’impression que les choses empirent ? Voilà neuf mois que je suis revenue officiellement dans notre ancien hôtel (je ne m’attends plus à voir Guilhem passer la porte, mais j’ai quand même fait changer tous les meubles : son souvenir était encore trop partout), et les nouvelles dans les journaux sont alarmantes… Qu’on en vienne à attaquer publiquement le secret je crois que cela me dépasse.

Je suis revenue pour deux raisons principales, la première étant qu’ayant été promue je passais déjà le plus clair de mon temps à Paris et que les trajets incessants commençaient à m’user. La seconde… Et bien Père a dit que si je devais être la prochaine duchesse, je devais me marier et que puisque je refusais toutes les propositions qu’il m’a trouvé, je devais m’en charger moi et revenir un peu plus dans le monde… Tout ce que j’ai entendu sur le coup, c’est la possibilité à ses yeux que je lui succède : il serait prêt à l’envisager ? Il peut toujours adopter un cousin ou l’un des fils de Sora, mais il n’exclut pas… J’étais installée à Paris dix jours plus tard, mais je dois dire que vendre ma main n’est pas un art auquel j’excelle… J’aurais tellement aimé, libérée de cette contrainte d’un premier mariage arrangé, choisir quelqu’un pour ce que sa présence et sa chaleur éveillerait en moi… Je crois que ma déception me rend trop amère, et bien sûr je ne peux pas demander à Sora de m’aider.

Il nous reste du temps, non ?

Code:

<b>Sofia Boutella</b> <em>|</em> @"Zuhra de Fronsac"

Code:

@"Zuhra de Fronsac" (F · 35 ans)

Code:

<b>21.05.1892</b>  @"Zuhra de Fronsac" - Beauxbâtons

Code:

<b>Occlumens</b> @"Zuhra de Fronsac"

Code:

<b>Chargée du renseignement</b> @"Zuhra de Fronsac"

Code:

<b>Chevalière</b> @"Zuhra de Fronsac"