[TERMINÉ] indigo night (lorenzo)

« Tu crois que ça fait trop habillé ? »
Amonet posa sa tête sur sa main et parmi les tissus étales sur le lit, elle croisa les jambes en prenant un air boudeur.
« Ça dépend, tu comptes me dire qui c’est ? »
« Je déduis que comme ce n’est pas « c’est hideux », elle passe le Amotest. »
Un ricanement s’échappe des lèvres de Neith qui mourut alors que l’oreiller que lui envoyait sa cadette s’écrasait contre son bras.
« Le Amotest, éclata de rire Yamanu. j’aime beaucoup. »
Assis sur une chaise où normalement quelques vêtements trainaient, il s’amusait à allumer et éteindre une bougie avec sa magie sans baguette en passant sa main dessus.
Neith posa son regard sur le miroir de l’énorme dressing qu’elle avait dans sa chambre. Disposant de toute une aile de l’hôtel particulier dans lequel vivait la famille, elle avait son propre bureau, sa chambre, son dressing, sa salle de bain et une petite salle de lecture ainsi qu’une chambre pour Ruben avec sa propre salle de bain et dressing. Son frère et sa sœur, sachant qu’elle sortait pour la soirée, avaient décidé d’assister à ses essayages ce qui avait consisté à sortir toute sa garde-robe après un long bain et une séance de dessins au henné avec sa mère. Ses mains, recouvertes des symboles délicatement dessinés de la couleur ambrée essayaient d’aplatir de remettre le tissu transparent et étoilé.
Cela avait été un casse-tête pour faire son choix. Pas parce qu’elle n’avait rien à se mettre, Neith adorait trop les belles robes et la mode pour faire l’impasse sur quelques nouveautés. Non, le casse-tête s’était déclaré sur le type de message qu’elle voulait envoyer et le dîner auquel elle allait. Elle savait bien sûr que ce dîner n’était l’œuvre que de la négociation de la bague avec Lorenzo, mais il y avait une dimension plus intime qu’elle ne pouvait nier. Elle ne voulait pas envoyer tout de suite de message trop visible, pas non plus fermer la porte… et en même temps, surtout se laisser une porte de sortie.
Alors, voilà une demi-heure qu’elle hésitait entre deux robes spécifiques sous les devinettes d’Amonet et de Yamanu, qui lui était un peu plus subtil. Ils n’avaient rien réussi à lui faire dire. Elle n’avait rien partagé, ni sur sa localisation, ni sur l’individu ce qui ne lui ressemblait que peu, lorsque c’était réellement quelque chose dont ils seraient au courant en temps et en heure. Mais même Tarek, ni Rawiya, qui avaient été cuisinés par une Amonet infernale, n’avaient su.
Malgré ses pérégrinations, Neith surveillait l’heure. Elle devait prendre un portoloin pour aller au lieu de rendez-vous et elle était toujours à l’heure. Si ses cheveux, ses bijoux étaient déjà en place, elle n’avait réellement plus qu’à passer la bonne robe…
« Oh pour l’amour de Morgane ! Neith, arrête de faire ton djinn et met la bleue nuit avec cette cape. Ça ira très bien ensemble. Et crache le morceau. »
Un sourire satisfait et sadique éclot sur les lèvres de l’aînée des Shafiq.
« Je t’ai eue. » Amonet et sa patience inexistante, même si Neith devait reconnaître qu’elle avait été tenace pour l’avoir supportée jusque là.
Attrapant la fameuse robe, elle défait celle qu’elle avait et en remet une bleue avant d’ajouter la cape transparente mais suffisamment chaude au cas où il ferait froid dans les calanques en Provence. Après tout, ils étaient en octobre.
Sortant de derrière le paravent où elle s’était changée, Neith coula un regard tendre sur ses adelphes. Amusée, elle s’approcha de sa sœur et déposa un baiser sur sa joue, laissant une trace de rouge à lèvre dessus avant de lui dire avec tendresse :
« Ne boude pas. Tu sauras en temps voulu. »
Ou pas du tout selon comment se passerait la soirée. Bien, elle espérait, ne pouvant s’empêcher d’appréhender un peu. Décidant de ne pas plus s’attarder sous peine d’être en retard, Neith se redressa et se tourna vers Yamanu.
« Ça te dérange de sortir Cerbère demain matin pour moi ? »
« Non, pas du tout… »
« Parce que tu découches en plus ? »
« Oui ? Non ? Peut-être ? Est-ce que j’ai des compte à te render, Amonet ? » ne put-elle s’empêcher de dire en fixant sa sœur qui la tchippa.
« Allez, vas-y, Neith. Je retiens Amonet. » rit encore Yamanu.
Levant la main pour faire un au revoir à ces derniers, elle leur fit un clin d’œil puis leur glissa, malicieuse :
« Ne soyez pas sage. »
« Toi Aussi ! »

Et elle fila avant que sa soeur ne la rattrape pour cette fois-ci l’interroger jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Ce fut sans doute le regard de fausse détresse que rencontra son garde-du-corps qu’elle avait préalablement prévenu qu’ils sortaient. Depuis qu’elle avait accepté la présence de ce dernier, elle se devait de faire avec et comme il était lié au secret professionnel, ce soir, il serait le seul dans la confidence.
« Allons-y avant que ma sœur ne nous rattrape. » glissa Neith un sourire rieur aux lèvres.
Le portoloin était dans la cour intérieur de l’hôtel particulier et ils le trouvèrent facilement. L’heure arrivant, le portoloin s’activa. Le décor se métamorphosa alors que Neith reposait les pieds avec une certaine grâce sur le sol rocailleux. Ce fut d’abord l’air marin qui la saisit et puis, le bruit des vagues en contrebas. Elle savait bien sûr à ce que lui avait laissé entendre Lorenzo dans sa lettre lorsqu’ils se mettaient d’accord sur le lieu et la date qu’ils iraient en Provence, mais la Provence étant grande, elle n’avait pas cherché à deviner. Sans doute également pour se laisser un peu de mystère. Regardant autour d’elle, elle laissa le portoloin inutilisable pour l’instant à sa place avant de finalement constater qu’un escalier descendait dans la calanque pour mener vers une bâtisse qui donnait sur l’eau et sur une plage. À mesure qu’elle descendait, elle constata que de ce qu’elle voyait à l’extérieur, l’endroit semblait avoir été privatisé. Lorenzo avait donc pris au sérieux sa demande de discrétion et à en déduire le nom du restaurant, il s’agissait bien d’un restaurant français comme il le lui avait promis.
L’endroit était charmant et agréable, auréolé des lumières qui rendait le lieu intime sans doute. Son garde du corps lui ouvrant la porte, Neith rentra et constata que le lieu était particulièrement chic également. Elle se félicita de ne pas avoir fait de faute de goût quant à ses pérégrinations sur sa tenue.
Son regard maquillé de façon sophistiqué et en accord avec les couleurs de sa robe et de sa cape transparente, se posa alors sur le charmant italien.
« Don Medici, bonsoir. » souffla-t-elle, un sourire plus détendu qu’à l’accoutumé sur les lèvres et levant sa main.

Il y avait quelques années, Neith avait donné une conférence sur la symbolique des couleurs en Egypte antique. Elle s’était toujours amusée depuis à varier légèrement sa façon de s’habiller en fonction de ses recherches sur le sujet, ô combien passionnantes. Il était de coutume que le bleu était souvent associé à la sexualité, celui du bleu nuit qu’elle abordait ce soir avec les étoiles et les astres brodés était tout droit une symbolique très particulière. La déesse Nout dans le ciel séparée de son époux Geb, la terre. Et d’elle, après avoir contré Thot le temps pour s’unir à son époux, naquit les cinq enfants de l’amour. A l’époque, elle avait dit un brin amusé qu’il fallait toujours se méfier des égyptiennes qui portaient du bleu parce qu’elles cherchaient à vous séduire. Ce soir, elle ne pouvait pas être plus dans le vrai alors que Lorenzo apparaissait, lui, entièrement de noir dans un costume élégant.
Elle-même ne se cache pas de le détailler. En réalité, ils savaient aussi tous les deux implicitement que tout ceci n’était pas qu’une question d’affaire. Elle n’allait pas jouer les ingénues sur la question même si elle n’avait encore rien décidé. Toujours était-il qu’elle remarqua également son œillade avant qu’il ne la complimente. Il était bon de recevoir des compliments, surtout venant de quelqu’un qui la courtisait. Elle en avait oublié la sensation que cela laissait. Naturellement, Neith lui laissa sa main et reçut son baisemain.
« Merci. répondit-elle néanmoins humblement. Vous êtes également particulièrement élégant, M. de Medici. » Rien d’étonnant venant de l’homme qu’elle avait toujours trouvé parfaitement bien apprêté. Un sourire en coin se dessina sur les lèvres maquillées de Neith qui répondit : « Je n’en doute pas le moins du monde. »
Le cadre était magnifique et elle se surprend à penser également, très romantique. Cela ne la surprend pas. Dans les nombreuses rumeurs et scandales qui l’entoure, il était évident que Lorenzo de Medici était un homme romantique à sa façon. Si leur précédent échange eut lieu sur le cadeau potentiel d’un amant à son amante, Neith n’avait aucune difficulté à l’imaginer lui en faire de même et plus encore pour conquérir le cœur des femmes. Elle imagine également sans peine qu’il eût fait cela pour reconquérir sa femme encore et encore. Cela ne le rendait pas moins dangereux, Neith en avait parfaitement conscience. Pour autant, un peu de romantisme suranné ne lui déplaisait pas le moins du monde.
Suivant l’homme, Neith fit un geste à son propre garde du corps pour lui faire comprendre qu’il pouvait rester à distance raisonnable. Même si elle comprenait la nécessité de sa présence depuis le presque enlèvement de Ruben, elle aimait aussi avoir son intimité. Revenant à Lorenzo, elle lui répondit non sans observer le restaurant, chic :
« Très bon, et vous-même ? »
Elle le suivit jusqu’à la table désignée, admira la vue également. Réalisant qu’il faisait plutôt bon contrairement au nord de la France, Neith prit soin de retirer sa cape de nuit étoilée pour ne dévoiler que sa robe et les quelques tatouages apparents du fait de la coupe de cette dernière et sa coiffure. La plume de Mâat à sa nuque, le ruban de Möbius sur son omoplate gauche, les runes à l’intérieur de son bras droit, ou encore lorsque sa robe bougeait pouvait-on deviner à sa cheville droite une encre étrange.
« C’est un très joli endroit. » commenta-t-elle avant de reposer son regard sur Lorenzo. « Le Sud de la France m’avait manqué. Voilà longtemps que je ne m’y étais pas rendue. » Beaucoup la retenait à Paris et bien sûr à Reims en réalité. Le froid venant, elle pensait de plus en plus à partir quelques semaines dans son pays natale, l’Egypte, mais le sud de la France était aussi un bon compromis.

Ainsi n’a-t-il pas traversé toute la France contrairement à elle. Tant mieux pour lui. La richesse permettait bien des choses, réserver un restaurant pour une femme, une demeure secondaire ? tertiaire ? dans la belle Provence. Autant de choses qui devaient impressionner les femmes qu’il devait ramener. Autant de choses aussi qui ne surprirent pas Neith qui l’observa s’installer avec une décontraction qu’elle ne lui connaissait pas. Sans doute parce que leurs rendez-vous étaient toujours professionnels. Pour sa part, il lui faudrait un peu plus qu’un beau cadre et un homme aussi charmant que dangereux pour qu’elle se détente. Mais Neith avait toujours eu ce trait de caractère d’être dans le contrôle aussi façonné par des années de danse où Rawiya avait veillé au grain pour faire d’elle la femme qu’elle était aujourd’hui. Même si elle ne sembla pas prendre ses aises comme Lorenzo qui est après tout chez lui, elle croisa les jambes sous sa table et tourna la tête pour observer la vue. Le coucher de soleil était saisissant et les reflets sur l’eau, le ciel étaient beaux. Cela ne vallait pas les couchés de Soleil sur le Nil pour elle, mais elle appréciait réellement l’endroit.
Elle l’écouta tout en observant la vue. Elle n’était jamais allée en Italie. En fait, étant donné qu’elle avait le nom Lestrange a une époque, il était par définitif inenvisageable de s’y rendre. Même pour son travail soit son père avait trouvé quelqu’un d’autre à sa place quand il était gérant des Antiques Rêveries, soit elle avait elle-même envoyé un de ses employés lorsqu’elle était mariée. Mais elle était curieuse. Si Neith avait fait un compromis en acceptant de ne pas aller en Italie, plus rien ne la retenait maintenant.
Presque plus rien.
« Ce doit être beau alors, l’Italie. » répondit-elle avant de retourner la tête vers Lorenzo.
Inconsciemment, elle voulut se mettre à jouer avec son alliance qu’elle avait déplacé depuis trois ans de sa main droite à sa main gauche, se refusant à la retirer. Mais alors qu’elle sentit ses doigts bouger très légèrement, elle se rendit compte que son annulaire était vide du métal vieux de dix-sept ans. L’image mentale de la bague sur le rebord de sa coiffeuse lui revint. Elle l’avait laissée là et l’avait oubliée. Ce soir très précisément alors que cela ne lui arrivait jamais. Si elle en éprouva un certain trouble, elle n’en montra rien et se contenta de répondre :
« Un verre de vin de votre région préféré. » Son regard ne le quitta pas des yeux en parlant. « Rouge ou blanc, peu m’importe. »
Elle qui ne buvait que son thé à la menthe et préférait largement les whisky avait envie de se dépayser un peu avec ses goûts à lui. Une façon comme une autre de le connaître également, toute en subtilité.
Puis, elle demanda pour faire la conversation : « Vous retournez souvent en Italie, je suppose ? »

Un sourire fend ses lèvres en l’écoutant répondant au sien complice. Bien sûr qu’elle ne serait pas partiale si elle parlait de l’Égypte. Mais c’était là tout l’intérêt de demander à un natif. Parce que les descriptions font appel au cœur et à l’émotion. Aucune rationalité si ce n’est un passé, une enfance, des moments uniques qui n’appartiennent qu’à l’autre. Qui humanise l’autre. L
« Oui, l’Égypte est le plus bel endroit du monde, cela va sans dire. » s’amusa-t-elle. « Mais ne vous privez pas d’être sentimental. C’est tout l’intérêt des pays que nous chérissons. »
Néanmoins, elle le laissa prendre les directives lorsqu’il fallut commander de quoi boire. Écoutant attentivement son choix, elle n’avait pas réellement d’avis.
« J’en apprécie les arômes, oui. » Même si très honnêtement, elle était plus hydromel et whisky. Mais Neith appréciait le bon vin également et avait eu l’occasion de faire travailler son palais et ses goûts sur le sujet. Après tout, en France, le vin était une institution.
Finalement, sans quitter Lorenzo du regard, Neith lui retourne une question tant pour meubler la discussion que pour apprendre à le connaître autrement que par l’aspect du travail ou les rumeurs. Elle observe les micro-expressions de son visage en le voyant réfléchir à une réponse. Les mêmes micro-expressions que parfois il avait lorsqu’ils négociaient. Et sa réponse l’intéresse vraiment. Elle ne peut s’empêcher de constater que, tout comme les Shafiq, il y avait chez les Médici un rapport fort à la famille et aussi à la terre-mère. C’était quelque chose qu’elle avait remarqué avec les autres immigré également. Elle-même n’avait pas l’occasion actuellement de retourner aussi souvent qu’elle le voulait en Égypte, mais elle ne manquait jamais, lorsque c’était le cas, de faire un tour de toute la famille, nombreuse, là-bas. Et surtout, retrouver le domaine familial sur les bords du Nil au Caire était toujours une expérience qu’elle gardait jalousement pour elle. Après tout, pour elle, cette maison, c’était l’enfance d’une autre vie.
Mais ce qu’elle perçoit aussi de Lorenzo est cette sorte de hiérarchie qui n’a pas d’autre possibilité d’exister autrement. La première personne qu’il mentionne est bien sa grand-mère ce qui signifie que de toutes les personnes qu’il aurait pu mentionner, elle était un élément central de la famille. Même si Neith sait que les Médici viennent d’une famille profondément catholique, croyances qu’elle n’avait pas, il semblait qu’une femme était au centre, comme une orbite auquel personne n’échappait. Elle se demanda si c’était ce qui avait manqué à Agnès, de devenir cette orbite pour être semblait-il autant cocufié et dans une certaine mesure, si peu respectée.
La mention de son fils fit écho en Neith. Après tout, elle était mère et en avait un également. Elle ne pouvait que comprendre de vouloir garder un œil sur ses enfants. Les fils surtout.
« Les fils sont toujours à surveiller. » répondit-elle, un sourire en coin.
L’arrivée du vin qu’ils avaient commandé interrompit la conversation. Neith observa le serveur vouloir servir d’abord Lorenzo pour qu’il goûte et elle le lui laissa. Après tout, elle lui avait laissé carte blanche. Quand il sembla que le vin ne fut pas bouché, elle eut droit à son verre. S’en saisissant, Neith le leva avant de demander, un air amusé sur le visage :
« À quoi voulez-vous trinquer ? »
Son regard se perd de nouveau sur la vue, le bleu-violet de la mer sous le soleil couchant, la douceur de la soirée.
« Pour ma part, ce sera pour ce coucher de soleil. » Parce qu’elle ne perd jamais l’idée de s’ancrer dans l’instant.

Elle n’est pas surprise qu’Agnès soit évoquée. En réalité, Neith se demandait quand est-ce que ce serait le cas. La façon dont elle est évoquée, presque comme s’il n’avait pu la retenir, intrigue Neith plus qu’elle ne l’aurait pensée. Neith ne détestait pas cette femme même si elle se doutait que si cette dernière apprenait qu’elle voyait son mari dans un lieu aussi intimiste qui dépassait le cadre du travail, cette dernière la détesterait sans doute. Mais elle éprouvait une certaine pitié pour l’italienne qui n’était finalement qu’une victime des incartades de son mari. Et si Neith savait qu’elle ne serait pas mieux que les autres femmes que Lorenzo avait pu avoir si elle cédait, elle savait qu’elle n’avait rien à se reprocher. Des deux, ce n’était pas elle avec un engagement marital. Plus maintenant. Et quand bien même avait-elle encore été mariée avec Alaric, il aurait été parfaitement au courant et d’accord puisqu’il s’agissait de leur accord entre eux. Sans doute pas Lorenzo évidemment au vu des liens distendus entre Lestrange et Médici mais n’importe quel autre homme… Toujours était-il que la résilience d’Agnès était admirable. Si Alaric l’avait trahie de la sorte une seule et unique fois, Neith savait qu’elle aurait demandé le divorce. Mais sans doute que sur ce point, Neith avait plus de chance qu’Agnès. La tradition catholique était plus rigide sur la question du divorce et la famille de Neith bien plus compréhensive sur ce sujet également. Agnès, elle, n’avait pas ces opportunités, et finalement ce qui concernait le mariage entre Agnès et Lorenzo ne concernait qu’eux.
Décidant de ne pas répondre à la première phrase, Neith vit arriver le serveur et sans doute son intervention les sauva d’un instant de malaise. L’égyptienne observa un instant Lorenzo, notant son air concentré comme si gouter le vin était un élément capital de son existence. Puis, elle prit son verre servi et trinque au naturel du coucher de soleil parce que même si Neith était une femme aisée, elle appréciait les petites joies de la nature et aimait parfois y revenir. Sans quitter le regard de Lorenzo, Neith entend les sous-entendus derrière sa phrase et un sourire entier se dessine sur ses lèvres alors qu’elle lève son verre silencieuse, le regard plus ancré sur lui, puis buvant. Elle ne fit aucun commentaire et ne laissa rien paraitre bien qu’elle apprécia l’effet que cela faisait sur elle. Un effet de satisfaction imprimé à son égo. Elle savait encore séduire, il y avait là quelque chose de rassurant, à défaut que ce soit pour une personne libre d’engagement marital.
Le silence retombe à mesure que le soleil se couche définitivement, disparaissant pour laisser un ciel au camaïeu de bleus petit à petit pour tomber sur le ciel bleu nuit étoilé. Tournant la tête vers Lorenzo lorsqu’il évoque Ruben, Neith ne sait pas si elle est surprise qu’il évoque son fils. En fait, Ruben est une composante de sa vie qu’elle ne peut pas ignorer et ne veut pas ignorer. Mais très souvent, elle n’est vue que sous ce prisme-là : la mère dédiée à son enfant comme si elle n’était que cela. Bien sûr, il était naturel que Lorenzo pose la question. Lui-même était père et ils venaient d’évoquer un peu son fils. Mais parfois, Neith considérer qu’évoquer son fils ou même son ex-mari une seule fois était déjà beaucoup trop. Non pas qu’elle n’aimait pas ces derniers, ni en parler, mais elle ne se résumait pas que cela. Et sans doute également que parce que c’était Lorenzo de Medici en face d’elle qu’elle éprouvait cette farouche protection envers ce qui attrayait aux Lestrange. Certaines choses ne disparaissaient pas même avec le veuvage.
« Il se porte très bien et oui, il est en deuxième année à Beauxbâtons. »
Le ton est doux, le sourire est un peu plus franc également. Elle ne laissera cependant rien d’autre à Lorenzo, son fils était sa terre sacrée. À la place, elle sent un frisson la parcourir. La température a chutée ou est-ce comme une impression qu’il y a une autre ombre ici qui les a rejointe ? Un de ses doigts vient machinalement caresser l’endroit où sa bague maritale aurait dû se trouver. Parce que parler de Ruben c’était aussi parlé d’une partie d’Alaric.
« Seriez-vous d’accord pour rentrer ? » proposa-t-elle tant pour changer de sujet parce qu’il faisait frais et que contrairement à l’homme, elle était un peu moins vêtue que lui. « Peut-être pourrions-nous commencer à dîner ? » Et avec grâce, Neith se relève alors, son verre à la main.

Elle le sent profiter de l’instant et elle ne peut s’empêcher de le regarder. Les pupilles de l’homme avec la lumière sont plus intenses. L’homme fait plus jeune qu’il ne l’est ainsi même si Neith ne peut s’empêcher de se dire qu’elle aime les ridules qui s’affichaient tout à l’heure lorsqu’il buvait le vin et était concentré. Il semblait qu’observer le soleil disparaitre finalement, l’entrainait dans des réflexions sérieuses, peut-être un peu de fatigue bien que cela n’enlève rien à son charme. Lorsqu’il se tourne vers elle pour lui sourire de nouveau, c’est comme si elle le voyait remettre le masque qu’elle lui connait. Elle trouve cela intéressant de voir ne serait-ce que quelques secondes en dessous du masque bien qu’elle n’en montre rien parce qu’elle connait la pudeur des hommes.
Posant délicatement sa main sur son bras, elle le suivit à l’intérieur. Bien qu’elle avait déjà aperçu l’intérieur du restaurant en rentrant, elle pouvait dès à présent observer plus attentivement. Les lieux pouvaient être impressionnant pour beaucoup. Pour Neith qui avait l’habitude de trainer dans des endroits qui s’en rapprochaient, ce n’était qu’une routine comme une autre. Cela ne l’empêchait pas d’apprécier la décoration et de se douter que Lorenzo avait choisi cet endroit parce qu’il y avait ses habitudes.
Laissant l’italien l’aider à s’asseoir, elle le remercia brièvement avant de regarder la carte. Elle savait qu’elle ne paierait rien ce soir. En réalité, Neith détestait ne pas payer sa part mais elle savait que ce soir elle devrait mettre de côté son égo pour faire plaisir à l’égo de l’italien. Pour cette fois du moins, ce qui laissait supposer qu’il y aurait peut-être d’autres fois. Elle ne se fermait pas la porte en tout cas.
Adressant un sourire à Lorenzo qui avait écouté une de ses seules contraintes à savoir que le restaurant ne soit pas italien, elle écouta sa recommandation.
« Absolument pas. » Elle n’avait pas vraiment de préférence entre poisson et viande voire même sans aucun des deux. Parcourant le menu, elle jeta finalement son dévolu sur une spécialité du chef. Le serveur venant prendre leur commande, Neith demanda conseil au serveur sur le vin qu’ils pourraient avoir avant de revenir à Lorenzo. Un sourire aux lèvres, elle le détailla un instant avant de demander en désignant le piano :
« Vous savez jouer ? Ou de n’importe quel autre instrument ? » Son sourire s’accentua. « Ma famille a un peu une tradition des arts hormis ceux picturales que vous nous connaissez. Mon frère et ma sœur ont leurs spécialités. Yamanu joue d’instruments à corde en général. La harpe, la lyre ont trouvé grâce à ses yeux. Amonet a une voix exceptionnelle. Pour ma part, je danse les danses orientales en plus de danses de salon. »
Et pour être honnête, elle avait souvent regardé les danses de salon d’un œil un peu dédaigneux. Il fallait dire aussi qu’en Égypte, les différentes danses orientales prenaient réellement leur essort en depuis quelques années, notamment à cause des moldus et de la vague orientaliste qui en était découlé. Malheureusement, Neith voyait beaucoup trop les danses orientales être rejetées par la communauté à cause des occidentaux alors qu’il s’agissait d’une composante de leur identité. Les femmes qui dansaient ainsi étaient trop associée aux femmes de petites vertus… ce qui était faux en réalité même si de nombreuses prostituées caricaturaient les danses pour obtenir des clients.
« En général, nous faisons ce genre de concert en famille. Et croyez-moi quand les cousins et cousines s’en mêlent c’est un joyeux capharnaüm qui fait sourire les aînés. » Elle rit un peu avec tendresse.

Le serveur parti, c’est quelque chose de plus intime qu’elle confie à Lorenzo en s’appuyant de ce qu’il y a autour d’elle. Elle ne jouait pas mais avait vu jouer son mari et puis plus récemment Ruben qui avait voulu une activité pour se rapprocher de son père. Alors, elle se demande si derrière l’intérêt pour les artefacts anciens, il y aussi d’autres intérêts, peut-être des talents. Peu sont au courant pour elle, parce qu’ici, en France, ce n’est pas réellement ce qu’elle met en avant. Aussi parce que les danses orientales ont peu leur place ici et qu’elle apprécie de le faire dans le cocon familial qu’il soit maternel ou marital. Elle n’avait arrêté de danser que deux fois dans sa vie pendant quelques temps, la première fois lorsqu’elle avait été victime de son précepteur, la deuxième fois pendant presque une année après le décès d’Alaric. C’était toujours revenu parce que la danse cela faisait partie d’elle. C’était son identité.
Elle n’est pas surprise, évidemment, de l’intérêt de Lorenzo. Elle sait que pour des européens, c’est toujours un aspect qui intéresse. Elle, elle pourrait en parler des heures du rang mais sans doute que Lorenzo était plus intéressé par la pratique que la théorie. Elle sent qu’elle a piqué sa curiosité et Neith lui adresse un sourire pas si innocent. Elle note que le jour où elle voudrait danser la valse elle pourrait demander à Lorenzo, mais comme la plupart des hommes en France.
Elle essaie d’imaginer le jeune Lorenzo et sourit, amusée. Sans doute qu’effectivement les cours de piano imposés ne devaient pas être une partie de plaisir. Quoi qu’elle se rappelle que certaines séances de danse avec Rawyia avaient été une plaie aussi, sa mère ayant un certain sadisme à extérioriser avec sa fille aînée dans ces moments. Mais c’était aussi ce qui avait construit les bons souvenirs pour Neith. Ces moments avec sa mère. Et encore aujourd’hui, la mère et la fille s’amusaient à danser ensemble pour le plaisir même si Neith avait dépassé depuis un moment sa mère en terme de pratique et de talent sur ce point.
La proposition de Lorenzo d’ouvrir les concerts familiaux à des personnes extérieures déclencha un rictus à Neith. Les Shafiq n’avaient pas la prétention de se produire. Neith savait très bien ce que sa réputation, qui déjà semblait être tant sulfureuse sans qu’elle ne ne fasse rien du tout par rapport aux rumeurs, en pâtirait.
« Je crains malheureusement que vous soyez une minorité à voir l’esprit ouvert, sans même parler des danses orientales… » Son sourire est ironique. « Mais, un jour… Elle marque une pause, l’observe, sourit un peu plus mutine cette fois-ci. Lorsque vous venez dîner ou déjeuner chez nous que ce soit à Reims ou au Caire, je suppose que vous pourrez y assister. Il y aura la bonne musique, le bon cadre… elle désigne sa robe. Et j’aurai la bonne robe également. Cela fait beaucoup de la danse également. » Riant un peu, Neith termina son premier verre de vin. Son regard pétillant ne quitte pas l’homme en face de lui. « Mais vous verrez, il y a une énergie et tout le monde s’amuse. » Ce qui, dans le sérieux de nombreuses situations, était le principal et ce que Neith appréciait dans ces moments.
S’interrompant, elle vit leurs plats arriver ainsi que le vin qu’ils avaient commandé. Remerciant avec chaleur le serveur, Neith se tourna vers Lorenzo avant de lui souhaiter en italien : « Buon appetito. » Elle commença à manger et trouva que c’était très bon.

Le sourire de Lorenzo fait un effet qu’elle se découvre. Neith se rend compte à quel point, il est facile de se sentir spéciale à ses yeux. Parce qu’il est bon séducteur et qu’il sait jouer avec les femmes. Neith ne niera pas qu’elle n’est pas une femme et n’en a pas honte. Si elle n’est pas du genre à rougir de compliment ou de belles paroles, elle offre des vrais sourires, loin de ceux policés ou sérieux qu’elle peut offrir en temps normal. Non, tout ce qui réside dans son charme à elle, hormis le physique qu’elle sait quelque peu avantageux, c’est bien la manière dont ses lèvres s’étire et le pétillement de ses yeux lorsqu’elle sourit vraiment. Et même quand elle sourit vraiment, elle ne perd rien du contact visuel avec Lorenzo. Parce que le charme se trouve dans cet échange aussi, silencieux et pourtant, tellement plus bavard que ne pourraient être la parole.
Visiblement, la proposition de venir fait écho et semble animer l’italien. L’Égypte sera donc leur prochain rendez-vous ? Loin de la France. Loin de l’Italie. Sur ses terres à elle. L’avantage qu’elle y trouve c’est que là-bas, ils seront tranquilles. Là-bas, elle sera chez elle et sur son terrain. Mais sans doute que Lorenzo découvrira quelque chose de différent chez elle. La simplicité qu’elle peut avoir dans ces moments là-bas, une certaine innocence conservée. Et lui faire découvrir son pays malgré la présence coloniale moldue, ce que ses ancêtres ont fait et dont elle est si fière… C’est encourageant et plaisant. Voilà longtemps qu’elle n’avait fait découvrir cela à quelqu’un. Après tout, une fois qu’Alaric y avait été initié, il n’avait eu plus besoin d’être guidé.
« Et bien, l’Égypte se sera pour notre prochain rendez-vous. Ce sera avec plaisir. » répondit-elle, son sourire vrai ne la quittant pas.
Elle ressent le frisson de l’impatience sans savoir si c’est parce qu’ils seront de nouveau seuls et bien plus libres que dans ce restaurant, ou parce qu’elle est réellement excitée à l’idée de retourner en Égypte, son Égypte qui lui a tant manqué. Un peu des deux sûrement.
Servis, elle lui souhaite bon appétit dans sa langue et lorsqu’il répond dans son italien, elle ne peut que se demander ce que cela doit donner lorsqu’il murmure des mots doux dans sa langue. Sans doute que les frissons doivent se muer en sensations chaudes.
Commençant à manger donc, elle l’entendit s’intéresser à elle, ses relations avec ses frère et sœur. Son sourire ne disparait pas lorsqu’elle répond :
« Je le suis. J’ai deux ans d’écart avec Yamanu et cinq avec Amonet. Mais je suis aussi proche des deux. On est très soudé. Nos parents y ont veillés. » Tarek et Rawiya ont toujours su ce que faire famille voulait dire et ont passé cette volonté à leurs enfants même si comme dans toutes les familles il y a parfois des relations compliquées. Mais des petites jalousies enfantines avec Yamanu, elle n’en parle pas, ni des rapports compliqués d’Amonet avec Alaric à l’époque. « J’ai pour ainsi dire fait leur éducation magique avec la magie sans baguette. Ça nous a considérablement rapprochés de faire cela ensemble. J’étais presque majeure à l’époque, très avancée dans l’apprentissage en tant que tel. Même si Yamanu a effectué sa scolarité à Beauxbâtons, il n’a jamais manqué un de nos cours. Quant à Amonet, elle est allée à Uagaoudou comme moi et elle a pu en plus compléter son apprentissage là-bas. » Elle n’avait jamais regretté ce choix même s’il avait découlé de son drame à elle. « Ils sont très proches aussi de mon fils. C’est le premier petit enfant de mes parents et le premier neveu aussi. Et récemment, la politique a été aussi un de nos socles comme vous pouvez l’imaginer. »
Elle boit un peu de son verre avant de demander :
« Et vous ? Je ne me souviens pas avoir déjà rencontré un de vos frères ou de vos sœurs ? Vous en avez ? Vous êtes proches d’eux ? »
Parce qu’il était vrai qu’il était son client mais elle avait peu de contact avec le reste des Médici.