Women win wars

Dorimène lui avait dit qu’elle ne pourrait pas être là. Anya savait bien que sa belle-sœur lui faisait confiance pour mener à bien l’entretien avec la future baronne d’Apcher. Aucunement surprise de la nouvelle qui de toute évidence était déjà préparée depuis qu’elles avaient été mises au courant des vœux d’Arsène sur le choix de sa future femme, Anya était donc présente au domaine des d’Apcher. Dans son éternelle robe noire des deuils successifs, la bulgare n’attend pas de manière passive. Devant elle se trouve de nombreux fils de broderie et de tissage. Les couleurs sont comme un arc-en-ciel. Elle observe de ses yeux bleu acier le dégradé. A chaque nouveau membre de la famille, Anya le rajoute dans l’immense tapisserie des d’Apcher qu’elle a mis en ordre. Qu’ils soient morts ou vivants, voire même reniés, leur nom et leur visage son inscrits dans la tapisserie pour la prospérité. Elle avait passé des heures qui pouvaient se compter en semaine pour la restaurer, puis y mettre chacun de ses enfants, chacun des enfants de Dorimène, ses petits enfants. Il en serait de même pour les enfants d’Arsène et de Maeve, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’Anya ne puisse plus le faire. Une autre femme d’Apcher reprendra la tradition. Elle y veillerait.
Ainsi, lorsque le domestique parvint jusqu’à elle dans la salle relativement sombre, Anya ne relève pas la tête et le congédie d’un mouvement de la main. Un dernier regard sur ce qu’elle a préparé et Anya s’en détourne, sa robe suivant son mouvement. Sur les dalles, son pas claque de ses talons et la bulgare se dirige droite comme un piquet vers l’endroit où Maeve attend. Le domestique lui ouvre la porte avant qu’elle ne demande quoi que ce soit.
L’air frais de fin octobre la saisit sans qu’elle ne semble y être sensible. Déjà, son regard d’acier se pose sur celui si homologue de la future duchesse de Bretagne. Anya pense beaucoup de bien des Le Noir malgré la différence de religion qui les sépare. Il fut un temps où les Karkaroff étaient aussi païens que le sont les Le Noir. Il faut dire aussi que les Le Noir sont les sœurs de la Reine et Anya respecte la royauté. En ce sens, elle estime qu’Arsène a fait une très bonne alliance.
« Mademoiselle Le Noir, bienvenue au domaine. »
Son ton n’est pas froid, pas chaleureux non plus. La jeune Maeve a encore tout à prouver, Anya, elle n’a plus à le faire. Pour autant, Anya s’est déjà renseignée sur elle et elle se doute qu’elles auront quelques atomes crochus. La nouvelle génération, néanmoins, la laisse toujours un peu perplexe dans ce monde en total mutation alors qu’elle-même est figée dans le temps, celui des traditions qui se doivent de rester.
« J’espère que vous avez fait bon voyage. Je suis seule à vous accueillir aujourd’hui. Dorimène est attendue ailleurs, mais je ne doute pas que vous aurez tout l’occasion de la voir bien assez tôt. »
Concrètement, Anya n’avait pas grand-chose à dire sur la décision d’Arsène. Bien sûr qu’elle avait approuvé et émis son avis à Dorimène, mais elle n’était pas sa mère et elle ne pouvait qu’être là pour conseiller. Elle ne doutait pas que Dorimène voudrait de toute façon s’entretenir avec Maeve seule à seule et que son avis à elle, Anya, serait aussi important comme il l’était entre elles depuis toujours.
Se décalant, elle fit un signe de la main à Maeve pour qu’elle la suive à l’intérieur.
« Suivez-moi. »
Elle se détourne pour rentrer de nouveau à l’intérieur. Anya connait les lieux à tel point qu’elle pourrait les suivre les yeux fermés. Il y avait encore beaucoup à restaurer ici, même si avec le nouvel investissement d’Arsène, certains endroits l’avaient été. Anya y veillait en tant que dame des lieux. Elle guida Maeve vers la salle qu’elle avait précédemment quitté non sans laisser le temps à cette dernière de laisser sa cape au domestique.
« Souhaitez vous vous désaltérer ? » demanda Anya avant de lui désigner un des fauteuils, prenant place elle-même en face d’elle à côté de la table où elle avait disposé ses fils. Son regard froid se pose un instant sur le serviteur qui ne saurait tarder de répondre aux besoins de Maeve. Dans les combles de la pièce, un croissement se fait entendre. Ginka, son corbeau, observe la scène de son regard intelligent.

De son œil expert, ou plutôt de celle qui a l’habitude d’évaluer en un regard les femmes de la noblesse, Anya en déduisit que Maeve est non seulement jolie mais aussi de solide constitution. Le sourire qu’elle affichait n’était pas moqueur mais respectueux. Anya n’en pensa pas grand-chose. On lui adressait souvent des sourires respectueux qui cachaient bien des choses après tout. Et ce n’était pas à elle de prouver quoi que ce soit entre Maeve et elle. Quoiqu’il en soit, la politesse de Maeve était un bon point. Anya ne se répandra pas en courbette devant la future duchesse de Bretagne. Elle a beau n’être que femme dans une baronnie, donc de moindre importance dans l’échelle de la noblesse, ici, elle est sur son territoire et bientôt celui de Maeve. Ici, elles seraient égales. Il en était allé de même pour sa belle-fille et femme d’Alcidor, Clarisse. Même si Anya n’était jamais douce avec cette dernière, elle l’avait toujours traitée comme son égale sachant parfaitement ce que cela faisait d’avoir été à sa place.

Fort heureusement pour Maeve, la future duchesse de Bretagne aurait sans doute un mariage plus heureux qu’Anya et Clarisse.

Acquiesçant simplement lorsque Maeve refusa à boire, Anya prit place en face d’elle simplement. Peu de choses arrivaient à surprendre Anya. Le fait que Maeve parle une langue qu’elle ne connaissait pas en soit, n’était pas surprenant. Ce qui l’était était que Ginka semblait réagir et qu’Anya comprenait avant que Maeve ne revienne à elle qu’elle était capable de lui parler.

Fixant Maeve, Anya resta interdite avant de couler un regard glacé sur Ginka. Leur histoire était aussi ancienne que l’histoire de Ginka qui n’avait pas toujours porté ce nom l’était également. Ginka n’était pas tombée dans les filets d’Anya par plaisir. En fait, quand Anya l’avait capturée, c’était bien pour faire une expérience avec elle. Au cours de sa captivité, Anya ne l’avait pas spécialement maltraitée si on exceptait les transformations qu’elle infligeait à la Ginka humaine. Ginka avait fini par se persuader qu’elle n’avait rien à perdre : son existence était aussi courte que sa transformation finale inévitable. Elles étaient devenues amies de leur amitié bizarre et sans doute toxique.

Mais Ginka avait toujours été fidèle lorsqu’elle était définitivement tombée sous sa forme de corbeau. Leur relation était aussi proche qu’elle était sûre. Anya ne doutait pas que Ginka était aussi surprise qu’elle. La corbeau femelle n’ayant pas pour l’habitude que quiconque hormis Anya ne lui parle se mit alors à imiter comme ce qu’Anya lui avait appris :

« Oui, oui, oui oui ! »

Reposant son regard sur Maeve, la dame de fer finit par répondre :

« Oui, Ginka est ma plus vieille amie ici. Vous la trouverez souvent dans mon sillage ou me devançant. »

La bulgare reposa une dernière fois son regard sur le corbeau qui s’envola pour se poser sur son épaule. Elle sentait que Ginka était intriguée par Maeve et Anya se surprit à avoir des questions sur les capacités de Maeve, fortement utiles au demeurant.

Mais son attention fut finalement attirée par la dernière question de Maeve et Anya se tourna vers sa plus grande fierté.

« Oui. Je l’ai restaurée à mon arrivée ici. Chaque enfant qui naît y est inscrit. Chaque épousailles également. »

Elle marqua un silence solennel. Cette œuvre, elle en était fière et dans son orgueil, Anya savait que c’était un chef d’œuvre également.

« Vous y serez ajoutée. »

Se retournant vers Maeve, elle fit léviter les fils de couleur blanc. Son œil détailla la peau laiteuse, si blanche, si délicate de Maeve avant de commencer à trier ses fils, éliminant rapidement et avec expertise les teintes qui ne lui convenaient pas. Se faisant, elle demanda :

« Êtes-vous aussi douée aux travaux d’aiguilles que de parler aux animaux ? »

« C’est une façon intéressante de voir les choses. » répondit la d’Apcher en jetant un coup d’œil à Ginka.

Le mot exact qu’elle aurait dû dire était « jolie ». Une jolie façon de voir les choses. Mais peu de choses tombent sous ce qualificatif dans l’univers d’Anya. Tout ce qu’elle trouve beau n’est que la magie noire et ses aspérités. Chose dont elle ne s’épanche pas pour le moment. Anya se surprend à aimer la verve de Maeve. Elle semble réfléchir à ses mots, y trouver une certaine poésie… et s’intéresser beaucoup à l’animal de la pièce. La bulgare voit la lueur d’appréciation dans son regard. Elle se devrait de parler à Ginka quand elles seraient seules.

Le sujet est rapidement orienté sur un autre détail et pas des moindre de la pièce. L’immense tapisserie est aussi sombre qu’elle est grandiose. Il y en a d’autres avec le même style dans tout le domaine. Les chambres de ses enfants avaient également la leur, personnalisée. Elle avait également gardé celle de ses enfants morts, tous ses fils qu’elle avait mis dans un coffre. Les chambres avaient été libérées depuis longtemps après tout. Anya ne les avait pas ressorties pour les reprendre et les entretenir depuis un moment. Le commentaire de Maeve semble sincère. Impressionnant est aussi un mot réfléchi et choisi avec justesse.

Et puis, Anya, même si elle trie ses fils, écoute la réponse de la future baronne d’Apcher. L’information traverse le cerveau d’Anya avec intérêt. C’était une bonne chose de savoir cela. Cette alliance était tant profitable matrimonialement que pour la magie. Arsène avait fait un bon choix.

« Ce don sera justement apprécié. N’ayez aucun doute là-dessus. » commente-t-elle pour approbation.

L’honnêteté de Maeve est bien reçue par Anya qui acquiesce. Une femme d’extérieur, voilà qui devrait ravir les instincts d’Arsène. Il en fallait, il était vrai, mais Anya se demandait réellement ce qui poussait à des femmes de la bonne société comme Maeve à préférer travailler en dehors de leur chez elle. Il y avait d’après Anya, quelque chose de très noble à tenir sa maisonnée. Mais il semblait que les temps changeaient et Anya faisait partie de ce vieux monde qui ne s’adapterait jamais vraiment à ce dernier. Dorimène était bien l’exception en la matière dont Anya comprenait les motivations. Elles avaient du sens, un sens de meute. Tant que Maeve ne mettait pas de côté ses prérogatives maritales, Anya n’y voyait pas d’inconvénient. Elles étaient de toute façon bien assez ici de Clarisse et elle-même et parfois Athénaïs.

« Vous aurez de quoi faire en extérieur. La Bretagne n’est pas aussi montagneuse que le Gévaudan mais je suppose que vous trouverez vos marques. »

Anya approuve, non belliqueuse. Elle apprend à connaître la jeune femme en face d’elle après tout. Elle peut ne pas être d’accord sur tout mais cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas tolérer un peu. Tout en l’écoutant, Anya continue avec ses fils, cherche la bonne combinaison, fait déjà des calculs dans sa tête de ce qu’il lui faudra racheter ou non. Ce n’est que lorsque Maeve intervient que la bulgare redresse rapidement et de manière la tête vers la bretonne. Leurs regards se croisent et se passent de mots. L’ombre d’un sourire naquit sur les lèvres d’Anya.

Une petite validation.

Sa main tendue métaphorique est aussi appréciable. Anya comprend qu’elle a à faire à une femme de trempe qui n’est pas tant rebutée par elle que ce soit de peur ou de révulsion. Cela changeait de Clarisse qui se terrait dans les pièces, rasant les murs où elles se trouvaient au début et ne parlait que peu.

« Je ne sais pas ce que mon neveu vous a dit, mais il m’arrive de passer des nuits entières à broder, coudre et tisser. Il y a toujours quelque chose à faire ici, des vieilles pièces à reprendre. Si cela vous intéresse, je me ferai un plaisir de vous apprendre. Petit au début, bien évidemment. »

Elle se doutait qu’elles auraient du temps à perdre si Maeve faisait les nuits blanches avec elle les nuits de pleine lune.

« Clarisse, ma brue, était aussi d’un petit niveau au début. Elle fait des choses raffinées maintenant. »

La douceur de Clarisse, si étrange dans cet univers de forêt et de magie noire, tranchait grandement. Anya s’étonnait toujours de savoir que sa brue ne semblait pas changer. La mort d’Alcidor lui avait ouvert ses ailes délicates que son fils s’obstinait à mettre en cage. Anya lui en était reconnaissante d’être restée d’Apcher et ne pas avoir repris son nom depuis dix ans maintenant.

« Quelles sont vos autres compétences ? » demanda calmement Anya.

De ses doigts glacés, la bulgare remonta avec délicatesse la manche de Maeve pour lui faire comprendre qu’elle avait ce qu’il lui fallait et elle jeta aussitôt son dévolu sur les couleurs qu’elle souhaitait, les mettant de côté. Puis, d’un mouvement de baguette magique, Anya rangea son camaïeu de fils qui se disposèrent dans leur boite. Elle récupéra son tambour sur lequel se trouvait une broderie qu’elle venait de commencer et reporta son attention sur Maeve.

Ginka bouge légèrement sur l’épaule d’Anya, sa tête s’inclinant légèrement devant le clin d’œil de Maeve. Nulle doute que le corbeau viendra tôt ou tard discuter avec la future baronne. La bulgare, elle, est concentrée sur les réponses de la jeune femme. Elle note que la bretonne mentionne ses dieux celtes et Anya ne peut s’empêcher de froncer les sourcils. Pour elle, son dieu est unique mais les racines slaves résident toujours un peu dans certains syncrétismes orthodoxes. Elle n’est ni étonnée qu’Arsène est ce genre d’attention envers sa future épouse, ni déstabilisée par le fait que la future baronne puisse vénérer d’autres dieux et déesses que le dieu unique chrétien. Même si les orthodoxes n’ont jamais fait montre de tolérance et c’était peu dire face à l’effacement des traditions slaves, ni qu’Anya comprendrait, elle se promit de se renseigner un peu plus pour ne pas commettre d’impairs. Et tant que Maeve ne convertissait pas tout le monde, elle n’avait aucun problème avec cela.

Sans répondre car elle n’a rien d’intelligent à dire et qu’Anya était une femme de peu de mots, elle acquiesça. Maeve devrait se plaire ici, elle n’en doutait pas et cela la rassurait. Il était terrible de se sentir mal en ces lieux et Anya savait très bien de quoi elle parlait. Ses débuts ici n’avaient pas été exactement les plus joyeux. Seule femme avant que Cléanthis n’épouse Dorimène. Il y avait eu peu de chose à faire avec un Ménandre aussi violent qu’autoritaire. Elle se félicite qu’au moins, ni Clarisse, ni Maeve, ni aucune de ses filles ne soient seules.

La compréhension mutuelle est aussi silencieuse que Maeve gagne l’aval d’Anya. Elle entend de la sincérité dans sa voix et en est pleinement satisfaite. Pas les moins vexée d’être absente des conversations de son neveu, Anya sait qu’elle n’est pas celle qu’on nomme en premier. La lucidité de Maeve est un autre élément intéressant qui anime un peu Anya.

« Je ne le prends pas mal. Arsène n’a sans doute pas voulu parler à ma place. Nous aurons l’occasion d’apprendre à nous connaître. »

Et pour tout dire, Anya s’accommodait très bien de cette discrétion en France. Elle n’était pas en Bulgarie ici, où chaque pas était soupesé d’un regard car elle était la femme au don, la Karkarova douée. Cela ne l’avait jamais été un fardeaux en Bulgarie car là était sa place et son statut. Mais en France, elle se devait d’être plus discrète à cause de sa pratique de la magie noire. Alors, une femme qui entretient son foyer faisait forcément moins parler d’elle. Elle avait beau jouer un rôle important dans la FESP depuis une décennie, ce n’était pour beaucoup qu’un club de bonnes femmes. Et peu faisaient attention aux bonnes femmes, peu importe à quel point elles pouvaient être puissantes dans leur domaine.

Le regard un instant rivé sur sa petite œuvre, une sorte de dentelle brodée avec plusieurs types de nœuds différents, Anya se mit à compter un instant avant de reprendre naturellement son œuvre avec la dextérité qui lui était propre. Son oreille, elle, écoute attentivement Maeve. Elle se doute qu’en tant que fille Le Noir, Maeve a été élevée pour prendre la relève. Tout ce qu’elle cite est la base qu’une noble devrait posséder pour peu que son époux, son père ou son frère les laisse faire. Elle note néanmoins le changement de sujet sur la magie et cette fois-ci, Anya fixe un peu Maeve, arrêtant ce qu’elle fait. Son intérêt est maintenant total.

« Je suis curieuse de vous voir faire tout cela. » commente-t-elle.

Tout en parlant, Anya se demande à quel point elle peut parler de son don. Ce n’était pas un secret mais ce n’était pas non plus quelque chose dont elle faisait étalage. Sans compter que tout ce dont lui parlait Maeve n’était pas nécessairement de la magie noire… et Anya ne pouvait se dévoiler immédiatement sur la question. Mais elle pouvait bien lui donner quelque chose en échange.

À l’évocation de Clarisse, Anya reprit son ouvrage tout en répondant d’une voix un peu plate :

« Elle a été occupée par ma faute durant la nuit. J’ai décidé de la laisser se reposer. Vous aurez l’occasion de la voir plus tard. Peut-être viendra-t-elle plus tôt que prévu. »

Anya marque une pause. Sur son épaule, Ginka bouge et plante ses serres un instant dans son épaule pour prendre son impulsion. Puis, elle s’envole et sort de la pièce. Anya se doute d’où elle se rend : sûrement voir si Clarisse est réveillée.

Reposant son regard sur Maeve, Anya l’observer un instant avant de revenir à sa broderie. Un court silence plus tard, elle avait prit sa décision :

« A propos de don, il est une règle ici qu’il me faut vous énoncer. Dans les espaces communs, vous remarquerez que les miroirs sont recouverts. J’aimerais que vous fassiez attention à les laisser couverts … pour moi. »

Terminant un nœud, Anya releva son regard sur Maeve.

« Ma médiumnité me limite dans l’utilisation des miroirs car il s’agit de ma spécialité. Vous pouvez bien entendu les utiliser si je ne suis pas là ou dans vos appartements, mais pour éviter tout risque dans les lieux communs… Je vous serais grée de faire attention à les recouvrir. »

C’est toujours bon de rencontrer une autre femme touchée par le Don. C’est ainsi qu’Anya appelle sa médiumnité et sa particularité. Pour elle, il s’agit d’un honneur comme cela a toujours été le cas chez les Karkarova. En ce sens, elle se sent supérieur à tout le monde. Mais cela ne veut pas dire qu’elle se sent aussi supérieure face à celles et ceux qui ont le Don. Dans les yeux de Maeve, elle voit la sincère surprise et elle se demande un court instant s’il ne s’agit-là pas d’une prémisse de révulsion. C’est souvent le cas pour ceux qui ne sont pas touchés par le Don. Rapidement, la pensée est balayée par l’éclat dans son regard et avant même que Maeve n’ouvre la bouche, Anya sait que cette femme a soit l’habitude de cotoyer des gens comme elle, soit qu’elle-même est touchée par le Don. Sa phrase balaie la première option ce qui ravit un peu la bulgare à l’accent.

« Oui. » répondit-elle en acquiesçant. « Et le vôtre ? »

Anya réalise alors. Le Don allait péricliter dans les deux branches des d’Apcher et elle admettait qu’elle n’en était pas peu fière. Cela faisait un peu plus monter Maeve dans son estime également.

La question de Maeve était légitime et l’ombre d’un sourire apparait sur les lèvres d’Anya. La réponse à sa question était très simple en réalité.

« Certains miroirs sont maintenus avec de la Glue Perpétuelle. Les enlever reviendrait à abattre des murs hélas. »

Et comme la femme de l’ancien monde qu’elle était, Anya se refusait à cela. La demeure devait rester telle qu’elle et c’était à elle de s’adapter et trouver des parades. L’ancienneté et les traditions avaient la préséance sur son confort et Anya, de toute façon, ne cherchait que rarement son confort.

Un bruissement d’aile se fit entendre et du coin de l’œil, Ginka revint dans la pièce. Décrivant un cercle, elle se posa finalement sur le rebord du canapé avant de se mettre à imiter la voix de Clarisse :

« J’arrive, j’arrive, j’arrive ! »

Anya planta son aiguille, indifférente à l’information en apparence. Elle reprit, comme si elles n’avaient pas été interrompues :

« De plus, je n’aime pas déplacer les éléments qui étaient là avant moi. Si leur place leur a été attribué, c’est bien pour une raison. »

Et il ne lui appartenait pas de déplacer. Elle n’était pas la baronne non plus des lieux. Cela reviendrait à Maeve si elle en ressentait le désir.

Des bruits de pas se firent entendre et quelques secondes plus tard, l’air un peu ensommeillé mais le visage doux et la tignace blonde de Clarisse apparut.

« Oh, excusez-moi, je ne pensais pas avoir dormi tant. » L’air fautif de Clarisse est sincère et elle s’incline avec élégance vers Maeve. « Je suis enchantée de faire votre connaissance, Maeve. Permettez que je vous appelle par votre prénom ? »

Anya lève un sourcil sans lever son regard de sa broderie. Clarisse est de très bonne manière, mais sa chaleur est toujours étonnante. Elle est le soleil qui perce dans le froid de l’hiver, réchauffant doucement ceux qu’elle touche. Sauf Anya sans doute.

« Avez-vous pu vous reposer, Clarisse ? » demanda la bulgare toujours en continuant ce qu’elle faisait.
« Oui, Anya. Merci. »

Clarisse s’asseoit à son tour en souriant un peu à Maeve mais contrairement à la bulgare, semble ne pas vouloir prendre beaucoup de place. Ou est-ce la présence d’Anya qui l’écrase.

« Clarisse a tenu à me veiller cette nuit lorsque j’étais dans une vision. » expliqua enfin Anya en relevant son regard sur Maeve. Puis, elle regarde enfin sa brue. « Maeve possède également le Don. »

« Oh, c’est une bonne nouvelle. » commente la blonde, sincère et pourtant un petit doute dans le regard. Sans doute se demande-t-elle comment elle fera pour gérer deux médiums alors que l’une d’entre elle lui prenait déjà beaucoup de temps.

« Y a-t-il des spécifités que nous devons prendre en compte également de vôtre côté ? » demanda Anya, sincèrement intéressée et soucieuse.

Clarisse observe un instant ce que fait Anya et lui adresse un sourire lumineux avant de se tourner de nouveau vers Maeve. Anya ne doute en aucun cas que sa belle fille allait sans doute être peu bavarde en sa présence et se rattraper le moment venu où elle serait seule avec Maeve. Connaissant suffisamment Clarisse depuis le temps, Anya sait qu’elle voudra que Maeve et elle entretiennent de bonnes relations.

Relevant son regard sur Maeve, Anya arrête son ouvrage un instant en l’écoutant parler. Les médiums particuliers avaient toujours été une source de passion chez Anya, qui au-delà du fait qu’il existait une pression particulière chez les Karkarov de trouver le médium qui leur fallait, trouvait fascinant de savoir qu’il existait autant de médiums particularité que d’individus. Le tarot était sans doute l’un des plus connus. Anya avait deux ou trois fois touché à cela mais n’avait jamais été satisfaite. Les miroirs prenaient trop de place dans sa perspective. Pour le sommeil, en revanche, Anya fronça les sourcils. C’était là bien l’un des rares moyens qu’elle n’avait jamais utilisés.

« Nous veillerons à ne pas vous déranger dans ce cas. »

C’était une règle importante pour Anya que de ne pas déranger les personnes ayant des visions lorsque c’était le cas. Règle tacite chez les Karkarov, sauf lorsqu’elle avait découvert son don et qu’elle était par là également une sorcière. Si au début, un rien pouvait sortir Anya de ses visions, ce n’était plus réellement le cas aujourd’hui où l’inverse se produisait. Mais avec Apolline, Anya avait toujours insisté à ce que personne ne la dérange le cas échéant. Elle veillerait que ce soit la même chose pour Maeve si elle venait à s’en rendre compte.

Si savoir que le Don de Maeve n’était pas de naissance était une information intéressante, Anya n’en pensait rien. Peu importait qu’il soit appris ou de naissance, si elle avait le Don c’était bien qu’elle était digne et que ses fées avaient pensé qu’elle l’était également. Cela ne rendait pas moins le Don précieux.

Anya fut néanmoins surprise et ne le cache pas à l’énonciation que Maeve pouvait se trouver dans les visions des autres.

« Non, je regrette. » répond-t-elle aussitôt. « Mais j’ai entendu des histoires à ce propos. »

Dorotyea, sa grand-mère, lui avait expliqué il y a fort longtemps. Pour elle, cela n’était jamais arrivé et Anya ne tenait pas particulièrement à ce que cela se produise. Elle aurait tant l’impression d’être voyeuse que d’être vue et certaines choses ne devaient pas l’être.

« Comment était-ce de partager une vision avec un autre possédant le Don ? Est-ce que l’expérience différait de celle que vous avez d’habitude ? »

Sans doute que oui, mais Anya se posait plein de questions. La probabilité que deux personnes ayant le Don soient dans une même vision était malgré tout mince. Réfléchissant, la bulgare finit par dire :

« Vous devez sûrement avoir un lien spécial avec cette personne. La connaissez-vous ? »

Elle marque une pause.

« Pourquoi avez-vous appris ? Était-ce par passion pour la divination ? J’imagine que vous avez eu plus de facilité à contrôler le Don ? »