[TERMINÉ] Paris in a nutshell

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Grognement du moteur, pneus battant la route. La citroën ralentit tandis qu’il la guide dans une rue secondaire, loin du boulevard encombré, image presque fidèle de la vie parisienne dans ses tréfonds comme ses apprêts. Trouver une place à son destrier n’est guère compliqué, des parkings privés, à la sécurité grassement payée, lui permettent de continuer à jouir de son acquisition en dépit d’une ville encore en pleine transition. Il lui faut bien trouver des bons côtés à la vie Parisienne, non ? En quelques minutes à peine, il est conduit à une place, arrête le moteur et ferme la voiture, remettant un acompte au gardien avant de prendre congé. Ses pas vifs l’emportent plus loin encore du boulevard, vers une entrée dérobée, de celles utilisées par les sorciers lorsqu’ils désirent ménager leur privauté.

Grimpant les marches, le parvis du Ministère des Affaires Magiques déroule son austère beauté à ses pieds, puis un hall au parquet de marbre et au classicisme superbe. Auprès de l’hôtesse, il n’a qu’un nom et une fonction comme motivation. Januszew. On ne dérange pas un ambassadeur pour des broutilles, mais quelques bézants apaisent bien des mœurs et il est orienté vers le bureau de la coopération magique où on le fait patienter, une fois sa carte de visite transmise. Attente de courte durée, somme toute, ou bien est-ce simplement la retenue des lieux qui apaise toute forme d’impatience ? Auguste ne rechigne jamais à toute opportunité de poursuivre sa lecture de la Métamorphose de Kafka.

“Monsieur Lestrange ? Monsieur Januszew va vous recevoir.”

Auguste ravale un sourire à l’entendre massacrer le patronyme avec autant de libéralité. Il opine néanmoins, range méthodiquement sa lecture dans la poche avant de sa veste, enchantée pour contenir bien plus qu’elle ne devrait, puis se lève, suit sa guide au travers des couloirs lambrissés.

Lorsque la porte s’ouvre sur le bureau de l'ambassadeur, c'est une oeillade à la curiosité patinée de courtoisie qu’il glisse vers la chaise de maître, derrière le large et lourd bureau. Au fond, l’idée d’avoir été trompé par un dandy quelconque lui est presque comique, et fort bien joué, si elle s’avère correcte.

Il découvre pourtant bel et bien le sévère visage slave dont il se souvient, derrière le large bureau tel une tranchée de 1917. L’homme s’est donc montré honnête, par droiture, ou parce que l’information ne vaut pas la peine d’être galvaudée ? Les deux, sans doute. Voilà à quoi il s’arrête, non sans le pétillement du divertissement qui, sans coup férir, chasse sa tenace morosité. La curiosité est bien ancrée, ferrée par le tour, sans aucun doute, et Auguste patiente, que l’employée ministérielle se soit esquivée, pour avancer davantage et lui tendre une main franche en salutation, reprenant l’attitude qu’il a adoptée lors de leur précédente rencontre.

“Merci de me recevoir, ambassadeur Januszew.” Lippes que menace un sourire encore jugulé, mais les prunelles franches. “Je dois dire que me voilà rassuré de vous trouver bel et bien dans cet office. Parfois, la libéralité des soirées mondaines pousse à la fantaisie sociale.”

Regard entendu, tandis qu’il s’installe derrière le bureau, à la place de l’invité, faisant face à Edmoundovitch. La cigarette lui vient plus aisément qu’au cours de la soirée, mais il fige son geste avant de décocher un regard interrogateur auprès de son hôte, jouant avec le bâtonnet. Après tout, à devoir rester dans ce bureau, autant lui laisser l’entière décision de la qualité de son environnement. Il est peut-être bien à l’emplacement de son rôle annoncé, mais ça ne signifie pas pour autant qu’il apprécie la retenue de ces murs et de ce plafond, tout honorifique soit-il. Lui-même ne supporte la vie administrative que ponctuellement.

“Ne craignez rien, je souhaitais originellement vous laisser un message. Ma visite sera de courte durée.”

Une fois de plus, Edmoundovitch est la victime de son besoin de distraction, sous les mêmes termes, et la même motivation. Il ne manque plus qu’Auguste lui annonce que tout est le fruit de ses déboires avec Nikolaï Romanov et la farce est complète. Mais non, ce n’est plus tout à fait juste. L’ambassadeur s’est montré un invité intéressant et mérite simplement d’être davantage découvert.

 

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Autorisation reçue promptement consommée, Auguste allumant sa cigarette et lui laissant quelques instants, le temps d’échanger. Edmoundovitch a les traits tirés, fatigue évidente ombrant son teint clair et le brillant de ses prunelles. L’observation fait naître chez Auguste une profonde curiosité, tout à fait déplacée. Est-ce un dossier particulièrement sensible ? Ou bien une charge personnelle ? Il n’a sans doute aucune chance d’en apprendre davantage et creuser lui coûterait sans doute les bonnes grâces de l’ambassadeur, un prix qu’il n’est pas prêt à payer pour ce qui n’est rien de plus qu’un caprice oisif. Et il doute bien évidemment d’être l’oreille adéquate à ses yeux pour confier quoi que ce soit, surtout avec le nom Lestrange si ardemment exposé en haut de la première page du Cri de la Gargouille, sur le bureau.

“Votre prédécesseur, si je ne m’abuse, fut un grand ami de la république. Cela a des conséquences, même en France.” En dépit de notre bonhomie eut-il envie de préciser, et peut-être Edmoundovitch le comprit dans le sourire caustique qu’il lui dédia avant de tirer sur sa cigarette. Un détail, rapidement, prend prépondérance dans son esprit, lui faisant froncer les sourcils, et l’ambassadeur le lui confirme en reprenant la parole. Un simple geste de la tête, compréhensif, vient ponctuer la surprise d’Edmoundovitch à le trouver dans son bureau. < Si vous avez un café, je ne suis pas contre. Merci. > fait-il, en passant au russe en lieu et place du français. C’est lui, à présent, qui aura un désavantage, mais si cela peut mettre le slave à l’aise, c’est peu cher payé.

< Suite à notre précédente rencontre, je souhaitais tenir parole en vous proposant quelques présentations d’intérêt, et je me suis trouvé des plus sots à ne pas avoir pris note d’une adresse pour vous envoyer une invitation. Pur manque de prévoyance de ma part. J’espère que vous saurez l’excuser. > Sans toutefois expliquer pourquoi il n’a pas laissé une missive à l'accueil, cela doit certainement éclairer davantage les circonstances de sa présence soudaine. Quant à l’horaire… Eh bien qu’il le veuille ou non, Auguste reste un nanti, jouissant de certains privilèges. Des privilèges qu’il tend parfois à utiliser. Parfois. L’extraordinaire situation de cet été l’a motivée en ce sens. Il a besoin de souffler, il le sait, et il tente de ménager tous ses désirs contraires.

< Je ne serais pas contre un nouveau jeu, ceci étant mais… pas aujourd’hui. > Entournure des lèvres crochetées en un semblant de sourire, suffisamment discret pour être méjugé au besoin. Auguste Lestrange n’a pas toujours eu le sourire aussi pudique, mais… les temps changent, et la bienveillance semble ne jamais tout à fait payer. < Pensez-vous être disponible demain soir ? Août à Paris n’est pas propice aux larges rassemblements, c’est un mois très familial, mais j’ai une invitation pour l’un des rares événements qui égayera la période. Voulez-vous m’accompagner ? > Il doute même de se déplacer seul, mais ne s’ouvre pas de cette intention, ne souhaitant pas donner pour change qu’il lui force la main. Un instant, l'envie d'ajouter 'si vous en avez le temps, vous semblez épuisé' le brûler mais il se retient. Lui affirmer qu'il a mauvaise mine n'eut pas été des plus courtois.

 

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Dire qu’il a déjà fréquenté les offices diplomatiques eut été mentir, alors pendant qu’ils attendent les cafés, Auguste observe le lieu avec une curiosité discrète. Fort heureusement, Marcelle, de son doux nom, semble faire de la promptitude une valeur fondamentale, revenant après quelques minutes tout au plus, le temps pour Edmoundovitch et lui d’un très bref échange. Sa délicate attention fait naître chez Auguste un sourire qui se veut chaleureux, charmant sans que l’on puisse jamais confondre son attitude avec une attention douteuse. “Merci beaucoup, vous êtes une hôtesse exemplaire.” Il laisse l’ambassadeur la congédier tandis qu’il prend possession de la tasse, déposant dans la sombre boisson l’un des cubes de sucre. Le goût ne s’en trouvera que complimenté.

Il reprend, abandonnant la langue de Molière pour celle de Dostoïevsky et répondant au signe de tête d’Edmoundovitch d’un simple battement de cils.

< Parfois, c’est nécessaire. Je suis ravis de ne pas vous êtres une gêne. >

Du bureau, il apprend qu’Edmoundovitch est un homme ordonné, à minima, mais même un parangon de discipline ne peut effectuer qu’une certaine somme de travail en un éventail d’heures allouées.

En outre, le compliment ne passe pas inaperçu, suffisamment vocal, de la part d’un slave, pour qu’Auguste en soit flatté. Après tout, les circonstances de leur première rencontre peuvent tout à fait laisser planer le doute quant à l’image qu’il a pu donner de lui-même. Il est toujours bon de se voir confirmer que l’on ne s’est pas présenté comme le dernier des butor. Edmoundovitch lui fut une découverte agréable, au parfum de renouveau, pile dans un moment où ses noires pensées furent les plus fortes. Auguste ne s’ouvrira jamais de telles vérités auprès de lui, mais avoir autre chose à considérer que les tréfonds qu’atteint sa relation de compagnonnage lui fut salutaire. Il a passé une excellente soirée, ce quatre juillet, même s’il l’a paya d’une violente gueule de bois.

L’ébauche d’un rire contenu s’allume dans sa voix lorsque son vis à vis en fait justement mention. Et s’il ne lui fait pas l’insulte d’un sourire, ses traits se parent de bonhomie.

< Je ne vous entraînerai pas à de pareils excès, vous avez ma parole. >

Lui n’en a sans doute qu’une trentaine, mais il a souffert tout autant. Et en la compagnie d’Edmoundovitch, Auguste est presque certain de n’avoir guère à ressasser ses chagrins.

< Je crains que nous n’ayons un faible pour la chaleur. Mais le sud comporte également de nombreux domaines familiaux propices à cultiver les liens générationnels pendant au moins un mois, sans la tentation des mondanités. Sans parler que le beau monde a parfois besoin de refaire son arsenal de rumeurs et de drames sociaux. Cela demande du temps. >

Parler d’alcool n’est sans doute pas tout à fait dans son intérêt, cependant. Il sent le besoin, et profite d’un silence pour boire son café à petites gorgées. Ce n’est pas le meilleur de France, mais après tout, Auguste préfère les décoctions grecques et turques aux torréfactions de l’hexagone. Et en ce moment, sa consommation atteint les sommes que son cher père engloutie dans ses potions de jouvence. Une pensée qu’il chasse, tant elle est stérile. Oui, il consomme beaucoup de café. Et alors ? Chacun son poison. Et en parlant de poison, ou de carburant, comme eut affirmé Camille, Auguste jaugea la mise d’Edmoundovitch pensivement. L’ambassadeur lui a semblé suffisamment intelligent et maître de ses circonstances pour qu’il ne doute guère pouvoir s’exprimer.

< Accepterez-vous que je vous habille pour l’occasion ? Votre mise lors des Fééries était suffisante en extérieur, mais nous serons sous un tout autre éclairage, demain. Ni le salon des miroirs, ni l’opéra ne sont cléments qu’envers les scrutateurs. Je peux vous donner l’adresse de notre hôtel afin de nous y retrouver un peu en avance. >

Une lueur légère glissa dans ses prunelles.

< Dites-moi, je vous sais camarade du parti, mais êtes vous, par ailleurs, bon duelliste ? >

 

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Pincement expressif des lèvres pour retenir un rire bon enfant à cette ironie offerte en toute confiance par Edmoundovitch. Il y porte le pouce, la tête légèrement détournée et le regard amusé bien que brièvement fuyant. Nul doute que les journaux doivent faire étalage de ses rendez-vous avec la Princesse Séléné, mais il préfère ne pas aborder le sujet tant qu’il ne s’agit pas d’un besoin absolu. < En effet. Il faut bien entretenir notre influence auprès du peuple, et laisser les journaux arracher quelques bribes de nos existences permet de détourner l’attention d’autres sujets de plus grande importance. Comme les élections de l’an prochain, par exemple. > La causticité de l’observation ne lui enlève en rien sa sincérité. Et il sait faire partie du système.

Auguste se redresse, perdant l’impression de timidité tempérée qu’il s’est donnée. < Et vous, quel rapport entretenez-vous avec les grandes publications ? > La Russie aime-t-elle les potins, elle ? Il n’en a pas la moindre idée. Nikolaï ne lisait guère les journaux, aux dernières nouvelles mais depuis peu, il ne prend plus rien de ce que son amant lui a montré pour valeur étalon. Quelque chose, une amertume toute pétrie d’outrage et de méfiance, lui susurre de ne plus rien accepter de cet homme, quand bien-même eut-il ses propres torts au-devant de leur brouille. Le rappelle invoque un léger tic nerveux à son arcade, qu’il dissimule dans une expression qui se veut amusée, bon enfant.

Fort heureusement, l’évocation de la soirée du lendemain et les réactions de son invité lui servent à merveille. Auguste pondère brièvement l’idée d’arrondir les angles de sa réponse, mais rien dans l’attitude d’Edmoundovitch ne lui a indiqué qu’il fut incapable de s’entendre énoncer la vérité, aussi vexante puisse-t-elle être. < C’est ce que l’on dit, en effet. Je préfère vous l’évoquer directement, plutôt que de vous laisser marcher dans un cul-de-sac. Là où j’escompte vous introduire, vous serez scruté et étudié sous toutes les coutures, au sens le plus littérale du terme. > Dès qu’il eut l’âge de se présenter aux côtés de son père en soirée, Auguste reçut une éducation lui permettant de placer socialement n’importe qui, y comprit par l’accoutrement.

Il est loin d’être le seul. Et la majorité ne sont pas aussi bienveillants que lui. Penchant sensiblement la tête, il avoue avec un geste des épaules et du chef. < Je n’ai pas non plus envie d’avoir honte de vous, comprenez. C’est ma réputation que je mets en jeu, en vous présentant. Ce que vous ferez et ce que vous afficherez sera toujours rattaché à moi. Même si je suis désenchanté de la futilité que beaucoup de mes pairs peuvent avoir, un suicide social n’arrangera pas mes affaires. > Edmoundovitch est un homme intelligent, plus sensible qu’il n’en a l’air. Rien de ce qu’Auguste évoque ne devrait être une surprise pour lui. Il est cependant bon, parfois, d’énoncer l’évidence.

< Ne vous en faites pas, la Russie n’a pas l’apanage de savoir élever la violence sous toutes ses formes… > Il boit une gorgée de son café, puis ajoute, sans animosité aucune < J’évoque effectivement la discipline du duel magique. Je crains que les opportunités de luttes plus physiques ne soient hors de ma portée.> Qu’il s’agisse de l’antre des naufragés ou même des cercles moldus, il ne peut tout simplement pas se le permettre. Trop de risques et pas suffisamment d’intérêt. Quoique… Peut-être serait-ce une forme utile de catharsis à son état depuis un mois ? Mais autant n’adresser cette hypothèse qu’en ultime recours, lorsque tout le reste eut été tenté et aurait échoué.

Et puis, ce qu’il peut lire dans les iris d’Edmoundovitch l’intéresse en l’instant plus que l’idée de malmener un moldu. < Alors ? Est-ce une des nombreuses cordes à votre arc ? > Ses prunelles happent les siennes, presque voracement. < Je ne sais comment cela se fait en Russie, mais chez nous les duels sont illégaux depuis des années. Ce qui n’empêche pas certains clubs de prospérer… Je gage que vous n’avez encore jamais entendu parler des Lances d’Argent ? >

 

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Pourquoi prendre ce risque, en effet. Il eut été aisé de s’en tenir à des fréquentations plus communes et bienveillantes, voire à des alliés de circonstances comme ses contacts au sein de la Haute Bourgeoisie. Mais le retour sur investissement eut été, lui aussi, moindre. Les raisons exactes de sa décision ne sont cependant pas des privautés qu’il offrira sans soupeser leur valeur et ainsi, Auguste biaise la réponse immédiate qu’il lui apporte. < Le risque est calculé. Je préfère être parfaitement franc envers vous sur les enjeux pour, justement, le diminuer. Vous ne m’avez pas donné l’impression d’être un homme qui me portera volontairement tort si je ne vous donne aucune raison de le faire. >

En un sens, peut-être Auguste éprouve-t-il un soupçon d’embarras à user de lui alors même qu’il éprouve une réelle forme de sympathie à son égard. La soirée qu’ils ont précédemment passée ensemble s’attarde comme un souvenir agréable, si ce n’est très imbibé et quelque peu déformé. Mais n’est-ce pas là l’évidence des relations du beau monde ? Edmoundovitch use de lui pour ses contacts, quand bien même tous deux peuvent s’estimer, il est bien naturel que lui aussi sorte gagnant de cette entreprise. Avec un geste ouvert des mains, Auguste ajouta avec tranquillité : < Je pense qu’il est important que vous sachiez le monde dans lequel vous mettez les pieds et que vous puissiez agir en conséquence. >

Le concept de perdre la face n’est pas venu au monde en chine, quoique l’Empire du Milieu l’ait sans doute exalté et codifié sous de nombreux aspects. En France mais aussi au sein de l’Empire Britannique, la discipline du paraître est primordiale lorsqu’on fréquente les hauts cercles et que l’on cherche à être pris au sérieux. Or, Auguste gagne à ce qu’Edmoundovitch soit prit au sérieux.

< Le tour de force des vieux lignages français a toujours été de parvenir à conserver leur influence sur la République. Même si celle-ci possède de farouches défenseurs, et qu’elle sait s’imposer, la réalité économique l’empêche d’écarter ce qui est plus de la moitié des forces vives. Aujourd’hui, que ce soit le monde bancaire, l’industrie, la presse, tous les gros faiseurs sont des biens des vieilles familles. Personne ne peut ignorer durablement leurs volontés. Ce sont certains de ces individus que vous allez croiser demain en ma compagnie. Ce sont eux dont vous voulez l’écoute si vous voulez réellement avoir de la substance. Août étant un mois paresseux, ils seront beaucoup plus ouverts à la rencontre de nouvelles personnalités. >

C’eut été énonçable en peu de mots, mais Auguste préfère tout de même poser les bases soutenant les motivations qu’il nourrit à le faire se présenter devant ce public spécifique. Après tout, même avec les lambeaux de connaissances qu’il possède d’Edmoundovitch, il est évident que la soirée s’avèrera inconfortable. Tout apaisement est donc certainement bon à prendre.

Fort heureusement, tout n’a pas à être si complexe. Du moins est-ce ce qu’il espère. La découverte d’un club de duel discret eut été un événement à partager avec Arsène, ou Camille, mais évoquer cette idée auprès d’Edmoundovitch leur offre à tous deux l’avenue d’un rendez-vous hors des éclats mondain, où ils pourront abandonner le fardeau du decorum. Où, du moins, Auguste le pourra. Bien entendu, savoir que l’ambassadeur est tout à fait capable de se battre sert également à ses considérations pour la soirée officielle. Entre cette imposante carrure dont il domine le paysage et ses capacités, les laquais des Médici ne manqueront pas d’hésiter à s’en prendre à lui. Et avec de la chance, il en repérera quelques uns.

< C’est déjà bien davantage que nos concitoyens. > Le quidam quotidien ne se rend pas à l’Antre des Naufragés pour laisser libre cours à ses bas instincts. Bien entendu, il est à parier que ce cher Lorenzo n’aura pas envoyé de seconds couteaux s’il doit subir quelque outrage en cette soirée. Mais nul besoin de l’évoquer avant que quoi que ce soit ne se précise.

Réprimant un soupir, Auguste chassa de l’immédiateté de ses pensées toute ombre italienne, préférant n’offrir que son assurance. Bien qu’Edmoundovitch ait affirmé ne pas être un enfant de la lune, Auguste n’en est pas convaincu pour autant. Quoique… Quel peut être l’inconfort éprouvé par un lycanthrope à être ainsi enfermé dans un bureau à longueur de journée ? N’ayant pas l’intention de sembler intrusif auprès d’Edmoundovitch, Auguste décida de garder la question pour sa prochaine visite auprès d’Arsène. < Plus que l’illégal, il semble que ce soit, ironiquement, l’excellence qui nous rassemble. Les Lances d’Argent furent un club de duel élitiste n’acceptant que des sorciers dotés d’une baguette en bois de Tremble. De ce que l’on m’a rapporté, leur nouvelle itération ne reprend certes pas cette spécificité mais n’en reste pas moins un lieu destiné à des duellistes confirmés. >

 

05 Août 1927 • Île de la Cité • @Alekseï Dzerjinski

Un bref instant, Auguste se plaît à imaginer ce qui se trame sous la mine impassible d'Edmoundovitch, les pensées que ces yeux bleus stoïques dissimulent. C'est un exercice oisif, inutile et même profondément égoïste. N'est-il pas le premier à vouloir fortifier ses pensées ? Quelles soient siennes et à nul autre ? S'infiltrer dans la psyché d'autrui, voilà bien un jeu pour politiciens et mondains. Pour manipulateurs, tout simplement. Il le fait néanmoins sans autre arrière-pensée que la curiosité toujours éprouvée envers cet homme. La France sorcière est sans nul doute tout ce que la Russie peut aujourd'hui détester après l'avoir portée aux nues pendant tant d'années. Edmoundovitch, en fils de l'hiver, a laissé tout derrière lui, d'une possible famille jusqu'à une nature profondément, viscéralement différente sans oublier des idéaux radicalement opposés. Tout cela pour servir son pays. Un sacrifice exemplaire s'il en est, mais qui porte aussi de troublantes similitudes avec la situation des Romanov. Un bolchévik serait-il jamais plus proche de l'ancienne famille impériale ?

< Ne me remerciez pas pour si peu. >

Ils ne sont, cependant, pas assez proches pour qu'il se fende d'une question si personnelle. Et Auguste tient justement à l'opportunité de l'être. Entretenir des liens superficiels est un jeu mondain vieux comme le monde bien sûr, mais c'est aussi un jeu lassant, surtout lorsque l'on est au pied du mur de la propre stérilité d'un cercle intime bien trop réduit. Alors pourquoi lui ? Peut-être parce qu'Edmoundovitch semble avoir des choses à narrer, justement. Une substance qui ne lui est pas imperceptible. Nonobstant, Auguste se félicite, au vu de sa réaction, de lui avoir proposé de l'accompagner, autant pour la soirée que pour ce prospect martial qui leur fera, à son sens, beaucoup de bien. A tous les deux. La discipline physique maintient autant le corps que l'esprit et en ce mois d'Août c'est plus que nécessaire. La paresse est une pestilence invasive et pernicieuse qui prend racine dans toutes les faiblesses de l'être, qu'elles soient légitimes ou non et il refuse d'y céder aussi aisément. D'accorder cette victoire supplémentaire sur lui.

Son attention est alors attirée par l'éclat de trivia offerte, qu'il salut d'un léger mouvement de la tête avant de se fendre d'une négation.

< Non je ne savais pas. La tradition de création des baguettes est fascinante mais un sujet dans lequel je ne me suis guère plongé. >

Mais son visage, s'il ne sourit pas tout à fait, s'adoucit d'appréciation. Ainsi le tremble accompagne les âmes révolutionnaires ? C'est, sans le moindre doute, une paire des plus seyantes.

< Mais en effet, on peut sans mal faire l'association. En dépit de nombreux appels récents à une résolution pacifique des conflits, l'histoire tant à prouver que révolution et batailles vont main dans la main. Et je me permettrais d'affirmer qu'elle vous sied. >

En vérité, Auguste découvre sur l'instant qu'Edmoundovitch possède justement une baguette de tremble. Mais... N'est-ce pas une ébauche de sourire, qui orne soudainement les lippes du slave ? Coïncidence ou compliment subtilement distillé ? Egoïstement, Auguste préfère le voir comme une preuve de leur aisance mutuelle plutôt que comme un élément impromptu. Sans pour autant le lui faire remarquer, n'ayant pas encore perdu tout de ses bonnes manières, il le conserve par devers lui, et se concentre davantage sur ce qu'on lui confit et qui éclaire un instant ses vives prunelles d'un éclat de bonne humeur. Incapable de ne pas se fendre d'un bon mot, Auguste rétorque :

< Notre tradition ne le rend pas aussi proverbiale mais je dirais que tout dépend. Vous avez de la chance, je ne suis pas un Medici. >

Achevant son café, il consulte brièvement sa montre à gousset puis la range proprement et se relève, repoussant souplement la chaise sans un bruit. D'un geste usuel et inconscience, Auguste lisse les pas de sa veste, puis reporte son attention sur Edmoundovitch. L'homme a certainement tout autant à faire que lui n'en eut sans les semonces de Léonore, et réclamer davantage de son temps en l'instant eut été malavisé. Non, la chose attendra puisqu'ils seront de compagnonnage le lendemain. Cela rend la perspective d'une telle soirée beaucoup plus agréable et Auguste se prend déjà à pondérer les rencontres les plus intéressantes pour l'ambassadeur de toutes les personnalités qu'ils vont croiser.

< Je ne vais pas vous réclamer plus de votre temps, Edmoundovitch. >

Il sortit de l'une de ses poches intérieures une carte de visite.

< Voici l'adresse de notre Hôtel Particulier. Je vous donne rendez-vous pour deux heures de l'après-midi ? Est-ce que cela vous conviendra ? >

En ayant l'usage, Auguste est certain d'avoir à peu près cerné les mesures du slave, il ne manquerait que les ajustements pour rendre la mise absolument parfaite pour sa silhouette. Hors de question qu'ils se présentent devant le reste des invités sans cela, sans l'assurance que personne ne pourra se fendre du moindre commentaire désobligeant qui marquerait une rebuffade. Être vu sous un mauvais jour est bien plus aisé que de réussir à impressionner ces personnalités à la fois décadentes et critiques. Les origines et appartenances d'Edmoundovitch sont un premier défi, mais un défi avec lequel Auguste peut composer. Mais pas le reste, aussi ridicule que cela puisse sembler.

 

06 Août 1927 • Faubourg Saint-Honoré • @Alekseï Dzerjinski

L'immense demeure parisienne s'élève en figure du Faubourg Saint-Honoré, derrière ses grilles de fer forgé et d'enchantements dissimulés, trônant dans son parc privatif comme un joyau au sein d'un écrin de velours d'un vert vivifiant. Bien qu'ancien, acheté à une vieille famille noble désargentée qui ne put l'entretenir elle-même, elle est désormais résolument moderne avec son style inspiré des bâtiments haussmanniens, toute de façade blanche sculptée, son toit de métal d'un bleu clair et ses travaux de fer forgé aux balcons et fenêtres, allié à une petite touche de premier empire. Depuis le grand portail entrant, une allée dallée régulière reliait l'entrée au porche même de la maison, tandis que des chemins alternatifs rejoignaient les bâtiments secondaires, dont celui destiné aux automobiles de la famille.

Une minute ou deux après qu'Edmoundovitch eut sonné au portail, celui-ci s'ouvrit tout seul, admettant le visiteur entre les murs des protections familiales, lourdement renforcées. Le claquement de la herse de fer, lorsqu'elle se referma, fut même suivie du léger bourdonnement d'un bouclier, parfaitement reconnaissable à qui a subit un entraînement martial. Dans le même temps, la lourde porte double du manoir, sculptée, s'ouvrit pour laisser passer un Auguste en simple chemise et veston, la mine sensiblement surprise, bien que cette humeur fût vite chassée lorsqu'il trouva l'ambassadeur sur son perron. Sans lui faire l'affront de regarder l'heure, Auguste le rejoignit en extérieur - la journée étant graciée d'une légère brise rafraîchissante en dépit de la chaleur - pour lui serrer la main.

"Bonjour, Edmoundovitch. Merci de vous êtres déplacé. J'espère que le bureau se porte bien ?"

D'un pas sur la droite, il laisse la porte accessible, et l'invite d'un ample geste de la main.

"Je voue en prie. Soyez le bienvenu."

L'intérieur au sol carrelé est gardé délicieusement frais, et porte un léger parfum d'herbe et de menthe, mais aussi sensiblement plus lourd et effacé, celui des boiseries gardées vernies et scrupuleusement entretenues. Le perron laisse place à un large hall décoré avec goût, donnant d'un côté sur un salon secondaire, de l'autre sur une salle de lecture, et face à eux, entre les deux grands escaliers, vers le reste du rez-de-chaussée. C'est cependant vers l'étage qu'Auguste conduit Edmoundovitch, montant l'un des grands escaliers jusqu'au premier et à une salle réservée pour les essayages et les rendez-vous d'artisans. Exactement ce qui doit occuper une partie de leur après-midi. La vaste salle, faisant face à l'arrière du jardin, offre une luminosité merveilleusement radieuse, sur un espace pauvre en meubles, si ce n'est pour un superbe canapé art déco, une armoire à liqueur et une table.

Et bien entendu, le tailleur et tout son matériel ainsi que ses assistants, déjà présents. Celui-ci vint se présenter avec un naturel confondant.

"Bonjour Bonjour ! Vous êtes donc monsieur Edmondovitch c'est cela ? Noël Eyrolle, suis ravi de vous rencontrer. Je suis créateur au sein de la maison Chanel, monsieur Lestrange m'a commissionné pour m'occuper de votre mise. Je vous en prie, installez-vous !"

Auguste, observant Edmoundovitch de côté, glissa simplement :

"Vous voulez boire quelque chose ? Idéalement nous n'auront besoin que d'une seule prise de mesure afin que Monsieur Eyrolle puisse ajuster votre ensemble, mais j'ai aussi réussi à obtenir la liste exactes des invités de ce soir, je pourrais parallèlement vous offrir quelques bases sur chacun d'eux du meilleur de mes moyens, afin que nous soyez pas désarmé un fois sur place."

L'observant attentivement, Auguste cilla finalement en prenant conscience qu'il a oublié de proposer à son invité de déposer sa veste et ses effets, une tâche usuellement réservée aux domestiques. Soucieux de ne pas prolonger cette faute, néanmoins, il lui tend légèrement une main et ajoute promptement :

"N'hésitez pas, si vous désirez déposer quelque effet que ce soit. Vous avez tout loisir de vous mettre à votre aise."

Et avec l'ébauche d'un sourire contenu.

"Autant que cela soit possible dans un tel cadre, j'imagine."

 

06 Août 1927 • Faubourg Saint-Honoré • @Alekseï Dzerjinski

Son regard erre un instant, au compliment, avant de se fixer sur Edmoundovitch. Le slave ne porte aucune trace de ruse, aucun signe de mensonge. L’affirmation en est d’autant plus lancinante, quand bien même il sourit et, après un instant d’hésitation, lui offre un léger signe de tête sans pour autant commenter. Ce n’est pas sa demeure. Elle appartient à son père. Plus tard, elle appartiendra à son frère. Aurelius deviendra le patriarche des Lestrange, lorsqu’il sera lui-même au bras de Séléné, prince consort, pièce rapportée. Il a toujours eu connaissance de cet arrangement, évidemment, mais en avoir conscience ne lui ôte pas l'entièreté de son ambiguïté.

Edmoundovitch ne le comprendrait sans doute pas. S’il n’est de la classe ouvrière, du peu qu’il a pu en apprendre, il n’est pas pour autant enchaîné à ces traditions. Chacun sa croix, jamais la même. Ils poursuivent vers leur destination et Auguste présente le tailleur professionnel dont il s’est entiché depuis quelques saisons, se gardant bien de toute hilarité face à la différence de taille - c’est le cas de le dire - entre lui et son invité. En lieu et place, il noue sagement les mains dans le dos, laisse les deux hommes s’appréhender. La demande d’Edmoundovitch reçoit un léger signe d’assentiment, Auguste se détournant pour aller lui chercher une tasse de café, s’arrêtant un instant pour demander, par-dessus son épaule :

“Turc ou Européen ?”

Une fois la précision en poche, lui trouver un breuvage adéquat est un jeu d’enfant, avec l’aide de l’un des elfes de maison attaché à leur demeure. Il dépose la tasse sur la table attenant à l’un des canapés, lui décochant une mire surprise, bref aveux promptement effacé derrière son habituelle expression courtoise. En vérité, il n’a aucune raison d’être surpris. Les Delacour sont prééminents dans le paysage culturel français, tant et si bien qu’il est impossible de les ignorer. Une rivalité pour Crépus, bien entendu, de bon aloi et bon enfant, sans aucun doute, entre lui et Camille. En sus, voilà qui fait une parfaite entrée en matière pour la suite du programme qu’il a concocté.

“Camille Delacour est l’organisateur de la soirée. Une figure incontournable de la culture française et un excellent partenaire de mes affaires.”

Un nom sur toutes les lèvres depuis les petits bourgeois jusqu’à la noblesse, mondains et artistes, donnant le ton à la mode et aux humeurs de la société française. Bien sûr, qu’il en a entendu parler. Il eut fallu être une taupe ou un reclus pour que ce ne soit pas le cas.

“Sa fille sera également présente. Si ma liste est la dernière en date.”

Il en est certain, bien entendu. Camille ne lui eut pas menti à ce sujet. Pourquoi, d’ailleurs ? Qu’aurait-il eu à y gagner ? Ainsi qu’il l’a prédit, la célébration s’effectuera en comité restreint, les invités sont de mise, afin de l’égayer.

“Qu’avez-vous entendu, à leur sujet ?”

Auguste s’approche. Sobrement, il indique à Edmoundovitch où se placer debout devant le grand miroir de plein pied, où déposer veste et veston, aisance serviable aux lèvres et dans le geste. Il tique de l’ébauche d’un sourire aux coins des lèvres à l’infortune du slave avec les noms français, écho divertissant des déboires d’Armand le jour de leur rencontre. Eyrolle semble aussi peu se formaliser qu’Edmoundovitch lui-même. L’homme rit de bon cœur, lui, débonnaire. Les Lestrange ne sont pas ses clients les plus capricieux, quoiqu’ils puissent se montrer exigeants. Et leur compagnie est plus souvent agréable qu’un fardeau.

“Mais bien entendu, permettez-vous, permettez-vous. Je dois au moins autant écorcher votre nom que vous le mien.”

Tandis qu’il s’affaire, préparant ses outils de mesure, ses patrons, Auguste tourne pleinement son attention vers le slave.

“Nous sommes effectivement nombreux mais je serai le seul représentant familial ce soir. Mon père dîne avec la famille royale, et mon frère est noyé jusqu’au cou dans les dernières éditions du Cri de la Gargouille. Mais je pourrais vous présenter l’une de mes cousines, Lucilla, avant notre départ, si la curiosité vous prend et si vous ne craignez pas d’être réquisitionné. Elle vient tout juste de faire ses débuts, et elle est voracement curieuse de tout ce qui a trait aux relations internationales de la France… Elle ne cesse de me tarabuster à votre sujet.”