Bitume et boule de gomme [avec Aliénor Lestrange]

mi-octobre 1927 • Autodrome moldu
@Gaëlle d'Adhémar

Aliénor avait eu beau étudier les profils qu'on lui avait présentés, elle n'avait trouvé que déception. Était-ce donc si compliqué de trouver des employés compétents de nos jours? Par tous les faes, s'en était parfois rageant. La pile de papier et de photos représentant, à ce que l'on dirait, les mêmes messieurs à petite moustache peignée et retournée, avait fini dans la corbeille. Non, décidément, si l'on voulait avancer, il fallait tout faire soi-même, c'était un monde tout de même!

Et en ce dimanche gris, où les nuages semblaient bien prêts à pleurer tout leur saoul sur les âmes en peine des parisiens qui avaient la malchance de parcourir les rues de la ville Lumière, elle avait décidé de sauter le repas dominical au vicomte de Lautrec. Trop de travail, avait-elle dit. Et elle avait passé une grande partie de la matinée à son bureau, et son ventre criait famine. Bon. Et bien l'autodrome aurait bien de quoi se restaurer : les moldus étaient bien des choses, mais pas des sauvages. Enfilant son manteau de laine et son béret, Aliénor récupère son sac et transplane jusqu'au plus près. Elle finirait en taxi. Avec la pluie, les routes étaient boueuses et elle n'allait pas ruiner ses chaussures neuves - venues droit d'Italie, merci bien - au nom du secret magique. On ne plaisante pas avec le cuir italien.

Peu de temps après, la voilà installée à une table près de la verrière surplombant la piste. On lui sert un café serré et un croque monsieur médiocre, mais elle a une vue imprenable. Et peut tout à fait écouter les présents parler de leurs favoris. Bon, la plupart était des moldus, mais il y avait quelques sorciers, elle le savait. Et puis… même moldu, on pouvait travailler avec eux, avec quelques ajustements. Rien qui ne lui fasse peur : elle trouverait un pilote aujourd'hui, il faudrait que cette histoire soit bouclée lundi, ça n'avait que trop duré.

Les automobiles ne la passionnaient pas particulièrement. Oh, Aliénor en admirait la mécanique ingénieuse, qui palliait la magie, et reconnaissait volontiers l'invention comme étant une avancée certaine, mais à titre personnel, elle n'en avait aucunement l'intérêt. Tout juste savait-elle admirer l'esthétisme d'une jolie voiture, mais ses compétences s'arrêtaient là. Par contre, elle avait le nez pour le talent. Camille y veillait, depuis qu'il lui enseignait les ficelles du mécénat. Trier le bon grain de l'ivraie, elle savait faire. C'était pour cela que tous les pilotes à moustaches avaient fini à la poubelle. Ils étaient quelconques. Et jouaient beaucoup trop des muscles - qu'ils avaient bien trop volumineux. Non. Le script présentait un homme fin, pas une armoire à glace.

“Sainclair est encore, là, avec la Bugatti de Papa.” Oh, la douce mélodie de la jalousie dans la voix de ces hommes observant la piste. Une piste à suivre. Sainclair, donc. Visiblement un pilote assez doué pour s'attirer les foudres des parieurs et autres pilotes, vu les tenues de ceux-ci. Un instant, la jeune femme regrette de n'avoir aucune idée de comment différencier une Bugatti d'une caisse à savon. Cela lui aurait été utile pour repérer le Sainclair en question. Elle jette un coup d'œil à la piste, mais toutes les voitures se ressemblent. S'ils avaient pu donné une couleur pour la guider, ces imbéciles. “Trois courses gagnées ces derniers mois. C'est à vous dégoûter d'être pilote.” Bouhou. Si tu veux gagner, Jean-René, travaille. On a rien sans rien. “N'importe qui peut arriver sur la piste et se prétendre pilote de nos jours. Je suis sûr qu'il y a manigance. Les adversaires doivent être payés.” Tristes sires. M'enfin, ce Sainclair avait l'air d'être bien mal aimé. Et s'il y avait rumeurs, il y avait talent. On ne crachait pas dans le dos d'une personne médiocre. Ou alors pas de cette manière, en criant à la conspiration. Les deux pilotes s'en vont, probablement admirer la course de plus près, et Aliénor reste sur sa faim.

Elle fait signe à un homme qui lui jette des regards peu discrets depuis son arrivée. “Dites-moi, je débute. Laquelle est-ce, la Bugatti ?” L'autre ne semble pas croire sa chance et se lance dans une description ennuyeuse alors qu'il lui désigne la voiture qui se place désormais avec les autres au départ. Eh bien. Le pilote avait certainement la morphologie qu'il lui faudrait. L'autre continue de blablater alors que le sifflet du départ retentit. Mais le nommé Sainclair ne part pas, bloqué par une voiture à l'arrêt. “N'est-ce pas tricher?” Qu'elle demande. Et l'autre de défendre. “Il a dû avoir un souci. Ça arrive souvent au départ. Ils appuient trop sur l'accélérateur et crament leur moteur.” Mouais. Mademoiselle Lestrange avait beau ne pas être une experte, un moteur cramé ça devrait se voir, et quelque chose lui soufflait que ce clown était juste mauvais joueur.

Ah! Le voilà qui se dégage et commence son tour. “Vous vous intéressez aux voitures alors mam'zelle? Parce que j'en ai une grosse que je pourrais vous montrer si vous voulez.” Aliénor se tourne vers le dom Juan au rabais. “Je crains que vous ne mésestimiez votre véhicule, Monsieur.” Un regard plongeant un peu plus bas, sans honte. “De ce que j'en vois, cela tient plus de la bicyclette.” Les yeux s'arrondissent au ralenti. Benêt. “Bien, allez vous offusquer ailleurs et traiter les femmes de catin plus loin, j'aimerais regarder la course et vous me déconcentrer.” D'un geste de la main, elle le congédie sans plus de formes et l'ignore totalement, les yeux sur la piste. Elle avait appris que la plupart du temps, un homme vexé ne s'en prenait à une femme que s'il était sur de s'en sortir sans heurt. Ici, il y aurait bien un homme ou deux pour jouer les chevaliers. Il recule sous les ricanements, les joues pourpres.

Sur le goudron, les voitures semblent rouler à toute vitesse. Plus vite qu'un balai? Il faudrait qu'elle demande. Le conducteur de la Bugatti rattrape son retard. Des manœuvres qui semblent audacieuses, vu les réactions des spectateurs et le fait qu'il gratte les places une à une. Et sous la pluie en plus. Elle croyait se souvenir qu'il était dangereux d'accélérer et de prendre des virages serrés par ce temps. Un avantage que les balais gardaient sur les automobiles pour le moment. Les exclamations plus ou moins dégoûtées ponctuaient la remontée de Sainclair, qu'elle appréciait avec une certaine naïveté de néophyte. Tout ceci semblait assez impressionnant ceci dit. L'on ne remontait pas sur le podium en partant avec plusieurs secondes de retard si l'on n'avait pas du talent et un peu de témérité. Un concert d'exclamations : l'un des pilotes avait fini dans la barrière, mais celui qu'elle suivait continuait sa course, bloqué désormais par le 2e pilote qui semblait vouloir l'empêcher de le dépasser. Bon. Cela faisait de la compétition. Que Sainclair en question balaya d'une grande accélération, passant la ligne d'arrivée en second. Pas mal. Dans les spectateurs, les avis sont plus mitigés cependant. “La deuxième place? Avec tout ce qu’ils lui ont mis?” Tiens donc. Y’avait donc serpencendre sous roche… Voir dragon sous gravillon. “Ttt ttt ttt. Que c’est laid, la jalousie, messieurs. Dire que vous laissez passer l’opportunité d’une vie… Montrez-moi donc ou je peux aller trouver ce Sainclair, soyez gentil.”

Abandonnant son repas à peine touché et sa tasse vide, Aliénor suit les indications, descendant d’un pas tranquille les gradins jusqu’au bitume. Elle suit l’allée entourant la piste jusqu’au box du second, croisant un homme qui soulève son chapeau à son passage. Comme quoi il restait des gentlemen. Un sourire, un léger hochement de tête, et elle poursuit sa route jusqu’au pilote, qui a le bon goût d’ôter ses gants avant de lui tendre une main… fort peu masculine. Le blouson brouille les pistes en masquant les formes mais la voix et le prénom ôtent le moindre doute. Gaëlle d’Adhémar, donc. Une héritière qui cherche le frisson sur la piste? Bah, qui était-elle pour juger, elle faisait pareil, à sa manière. “Aliénor Lestrange.” Un sourire chaleureux, alors qu’elle lui rend sa poignée de main. “J’ignorais que Sainclair était une femme. Sorcière qui plus est. Cela donne encore plus de sel à cette course, et explique toute la mauvaise fois de ces messieurs là-haut. Ils en rongent leur moustache. D’ailleurs, expliquez-moi donc : qu’ont donc les pilotes avec les moustaches, j’ai l’impression de ne pas pouvoir en croiser un qui en soit dépourvu?! S’en est presque grotesque, on dirait une panoplie.” Elle secoue la main, montre la voiture. “Il semblerait que vous nous ayez offert une belle course. L'on semble avoir tout fait pour vous voir perdre.” Un coup d'œil vers les gradins. “Un peu d’humilité ne leur ferait pas de mal. C’est nauséabond, là-haut. Mais dites-moi plutôt : puis-je fumer si près d’un moteur? J’avoue mal m’y connaître, mais j’ai cru comprendre que la cigarette et les machines ne faisaient pas toujours bon ménage.” Un frisson imperceptible remonte le long de sa colonne vertébrale. L’idée même d’un incendie la mettait mal à l’aise. “Mademoiselle d’Adhémar, je suis à la recherche d’un pilote. Et je crois avoir trouvé en votre personne la perle rare. Accepteriez-vous que nous parlions un peu?”

mi-octobre 1927 • Autodrome moldu
@Gaëlle d'Adhémar

Un hommage à sa mère donc. Alienor ne pouvait pas réellement dire qu'elle savait ce que c'était : Isabella de Medici n'avait été qu'une génitrice vite disparue, et Demetra clairement pas une figure maternelle dont elle pourrait obtenir la fierté naïve d une mère pour sa fille, cela, elle l'avait vite compris. Elle, tout ce qu'elle savait, elle l'avait appris par elle-même, ou grâce à son père et ses frères. De femmes dans sa vie, il y en avait peu. Neith, cette belle-sœur qui la comprenait plus qu'elle ne l'aurait cru. Maeve, peut-être. Elle aimerait en tous cas. Mais Aliénor évoluait dans un milieu d'homme. Ses amis étaient des hommes, tout comme sa famille et ses mentors, la plupart de ses clients et partenaires d'affaires. Il y avait bien les actrices, mais elle n'avait que faire des divas.

"Ma foi, ils ne mordent pas, mais sabotent, visiblement." Plus dubitative que sa comparse à propos de ces hommes qui visiblement n'aimaient pas les femmes. Avec cette pluie, qui sait ce qui aurait pu se passer après tout. Comment auraient-ils pu être certains que rien ne tournerait mal? Ce genre d'homme était dangereux. Le genre qui, un jour ou l'autre, se cachant derrière une farce, tuerait quelqu'un. Vaguement, Aliénor se demande si elle pourrait faire quelque chose contre le pilote qui avait coincé Mademoiselle d'Adhémar derrière sa voiture. Voler sa voiture, lui retirer son permis? La puissance et la magie surtout permettaient tant de choses. Et sa mesquinerie était une source infinie de créativité.

A l'invitation de son vis à vis, la jeune femme allume sa cigarette à l'aide d'un briquet gravé, habituée à évoluer parmi les moldus. L'Imaginarium n'avait pas le choix : il n'y avait pas encore assez de réalisateurs sorciers pour faire un programme complet. "Bon, si vous songez à vous venger un jour, n'hésitez pas, vous aurez mon appui. Je n'aime pas les hommes qui croient perdre leurs attributs des lors qu'une femme les surpasse, et j'ai été élevée dans un pensionnat pour jeune fille : sans un peu de malice, aucune chance de survie." Elle sourit, amusée, lâche un nuage de fumée en détournant légèrement le visage, pose gracieuse de femme ayant l'habitude de se mettre en scène.

Et la voilà qui rit. "Je me targue de ne pas être une femme qui se contente des habitudes. Les conventions sont d'un ennui mortel, vous qui roulez à toute vitesse dans ces bolides devez le penser tout comme moi." Un geste de la main et la cendre tombe au sol sans qu'elle ne s'en soucie. Suivant finalement la pilote, Aliénor observe avec attention la pièce dans laquelle elle est invitée à entrer. Spartiate, effectivement. Mais bon, il ne s'agissait visiblement que d'une salle d'appoint, pas d'un appartement comme cela aurait pu arriver. "Qu'importe, je ne compte pas vous louer l'endroit." Un sourire en coin. Pour discuter, un canapé et une table suffirait bien. "Même si j'avoue l'idée de vous proposer un contrat devant ces tristes sires m'aurait remplie de joie."

S'installant en croisant les jambes, accoudée avec nonchalance, Miss Lestrange porte sa cigarette à sa bouche, regardant Gaëlle s'installer à son tour. Sa silhouette serait parfaite. Le blouson de pilote masquerait sa poitrine si besoin, le casque et les lunettes dissimuleraient son faciès. Avec du maquillage et quelques artifices, elle passerait sans mal pour ce bellâtre de Donald Keith, pressenti pour le rôle. Restait à lui faire accepter. Maintenant qu'Aliénor a trouvé sa perle rare, elle ne compte pas la lâcher.

"J'aimerais vous proposer un emploi, Mademoiselle. Je travaille dans le milieu du cinéma, et dans le cadre d'un film tourné en collaboration avec  un studio américain, il me faut un cascadeur." Un sourire malicieux. "Une cascadeuse en l'occurrence. L'acteur principal n'a rien d'un as du volant, et tous les pilotes n'ont le profil a atterri sur mon bureau n'ont aucun intérêt." Elle tire sur sa cigarette, une moue ennuyée aux lèvres. "Accepteriez-vous d'être payée et filmée en train de faire ce qui vous passionne, et d'avoir votre nom au générique d'un film d'un studio américain en pleine émergence?" Un rire. "La course ne comporte rien de dangereux, enfin, rien que vous ne puissiez gérer vu ce que j'ai vu tout à l'heure. Temps idéal, quelques virages serrés, un rival à moustache. Globalement, cela ressemblerait à un dimanche paisible. Pourriez-vous être intéressée ? Je vous avoue que je commençais à désespérer avant de vous voir concourir.” Pimenter la vériter d'un rien de flatterie. Après tout, Gaelle n'avait pas besoin de savoir qu'elle n'avait désespéré que pendant quelques heures, si?

mi-octobre 1927 • Autodrome moldu
@Gaëlle d'Adhémar

UUne moue pare un instant les lèvres de la Lestrange. Si loin? S'il leur fallait attendre l'égalité entre homme et femmes pour réclamer vengeance, elle aurait des boucles blanches avant d'avoir pu rigoler un coup. Bon, peut-être pas. Dans le monde sorcier, ça suivait son cours. Et puis il est vrai que tous les pays ont bien eu besoin de leurs femmes quand les hommes se faisaient canarder dans les tranchées. Non pas qu'elle l'ait vécu. Elle avait 12 ans en 1914 et ses préoccupations étaient bien loin de la guerre. Principalement parce que son père avait les moyens de l'en tenir éloignée. Mais savoir si oui ou non elle venait d'une famille riche et avait été privilégiée était une autre question - dont la réponse était oui, bien sûr, même si cela n'avait pas ôté la nécessité de prouver sa valeur, toujours. C'était un autre débat. Elle a un sourire amusé. "Espérons que l'égalité sur les pistes arrive vite alors. J'adore tourner en ridicule les hommes qui se reposent sur leur sacro saint phallus pour tout obtenir de la vie."

Aliénor était ainsi. Elle n'avait pas peur de dire ce qu'elle pensait, et si cela blessait un ego ou deux dans le processus, elle s'en moquait. Mieux, c'était un bonus. Il fallait parfois secouer les mentalités paresseuses. L'on ne devenait pas le meilleur en se reposant sur ses lauriers. Et Mademoiselle Lestrange n'avait pas l'intention d'être moins que ça. La meilleure de son domaine. Ça demandait un peu de courage, beaucoup de travail et d'investissement, et parfois, un peu de chance. Comme par exemple celle de rencontrer exactement la personne qu'il vous fallait en suivant la piste de la jalousie. Elle rit cependant. "Oh, les corsets ont leurs avantages. On peut y dissimuler presque n'importe quoi et ils nous ont appris à nous servir de nos cerveaux sous une réserve limitée d'oxygène. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi il y a aussi peu de femmes aviatrices ou baroudeuses de l'extrême." Les moits sont dit d'un tel ton qu'il est difficile de savoir s'il s'agit d'une plaisanterie ou si la jeune femme est parfaitement sérieuse. "Cela viendra. Grâce à des femmes comme vous qui font, et des femmes comme moi pour leur donner les moyens de faire. Autant de contrats qui en d'autres circonstances se seraient retrouvés dans les mains d'un homme." Elle inspire une bouffée de tabac et claque des doigts. "Et juste comme ça, une petite victoire pour le féminisme." Et comme elles partaient de loin, chaque victoire comptait.

La regardant avec sérieux en énonçant sa proposition, Aliénor croit voir l'ombre d'un doute au début, vite balayée semblerait-il. Quoi que ce soit, quelque chose dans son discours avait apaisé une pensée de sa future - si l'on veut que les choses se fassent il faut y croire - pilote. Les pensées de Gaëlle sont laissées tranquilles. Lestrange aimait à croire qu'elle n'avait pas besoin de ce genre de connaissances pour convaincre ses interlocuteurs. La vérité était qu'il avait fallu faire un choix et que les cours d'économie du spectacle lui étaient plus utiles que des cours d'occlumancie. De toute manière, les hommes ne pensaient qu'à une chose, c'était à imaginer leurs interlocutrices nues. Et le cinéma était majoritairement masculin.

Elle hausse un sourcil à la révélation de sa vis à vis. "Pour leur personnel de maison? Par Hecate, quel gâchis ce serait." Ce serait comme demander à Nicolas Flamel d'être cuisinier particulier. Ou à elle, d'être assise sur un canapé sans rien faire d' autre que sourire et se taire. Quand on a un talent, on l'utilise, bon sang. Et si l'enthousiasme est présent dans la voix de la pétillante blonde, ses mots semblent proposer une prise de recul. "Vous devez être diablement douée dans votre métier actuel, Mademoiselle, si le pilotage n'est qu'un passe-temps." Car ainsi allaient les choses dans le monde d'Aliénor Lestrange : l'on utilisait sa vie à rendre lucratif ou au moins valorisant, un talent que l'on avait eu la chance d'avoir à la naissance, ou que l'on avait cultivé. "Et hélas, j'entends vos arguments sur la fragilité de nos réputations." La fragilité de l'ego des hommes, plutôt, qui n'hésitaient pas à attaquer sur des sujets annexes les femmes compétentes, faute de pouvoir les prendre sur leur terrain. "Mais s'il s'agit de concilier les deux, je peux m'arranger pour la période de tournage, qui ne devrait pas prendre plus d'une après-midi. Si vous avez d'autres contraintes ou d'autres conditions, je pense que nous pourrons trouver un terrain d'entente." Elle expulse de nouveau sa fumée élégamment et fixe ses yeux bleus dans ceux de Gaëlle. "C'est de vous dont j'ai besoin. Si vous souhaitez une perruque, un faux nom, être payée sur un compte en Suisse en mornilles de 1921, une potion pour modifier votre voix, des sortilèges de colorimétrie pour vos yeux ou une loge avec un jus de prune gonflable frais, je m'arrangerais. Vous pouvez leur dire que vous vous appelez Axel Here si ça vous amuse, ça m'est égal." Un sourire amusé. "Le cinéma est un milieu de faux semblant. Si c'est moi qui fait votre contrat et que les américains ont un contrat avec moi, ils n'ont besoin de savoir que ce que vous jugez nécessaire. Et s'il s'agit de méfiance vis à vis du contrat de manière générale, rassurez-vous, vous aurez le loisir de partir à la chasse aux petits caractères." D'un geste décidé, elle écrase sa cigarette dans le cendrier, décroise et recroise les jambes. "Par contre je ne pourrais pas vous éviter la petite moustache, j'en suis navrée. Question d'imaginaire collectif sans doute, ils en ont mis une au personnage principal." Elle écarte les mains d'un air démuni légèrement surjoué. "Mais je vous promets que la colle de maquillage part très bien et que vous au moins ne serez pas coincée avec des poils en guidon sous le nez jusqu'à un changement de mode."