[TERMINÉ] principles set aside (galatée)

Cela faisait plusieurs jours qu’elle ne se sentait pas bien. Les symptômes, elle les connaissait bien pour savoir que sa méfiance s’était éveillée. Alors, elle était rentrée chez elle ce jour-là et avait fouillé dans sa pharmacie dans la chambre maritale. Fébrile, elle avait trouvé, comme elle s’en doutait la potion qu’elle cherchait. De l’époque où elle cherchait à tomber enceinte de Ruben, elle avait testé plusieurs potions d’annonce de grossesse. Et puis, elle était tombée enceinte d’Alaric et Ruben avait été dans sa matrice. La dernière potion rescapée était restée dans son placard, intacte et inutilisée.
La potion entre les mains, Neith reste longuement à la regarder dans le silence de l’hôtel particulier des Lestrange à Saint-Honoré. Elle est seule ce soir. Ruben qui n’a que six ans n’est pas avec elle. Elle était en voyage depuis quelques jours et l’avait laissé à Alaric qui, lui, était dans le domaine de Lautrec. Elle a encore à faire à Paris pour les Antiques Rêveries que son père lui a enfin laissé pour reprendre la direction. Elle avait besoin de ce voyage depuis sa rupture avec Zinaïda. Du temps en dehors de la France, ne s’occuper que du travail qui lui fait du bien. Elle n’a pas repris contact avec elle et pour l’instant ne le souhaite pas. Quand bien même se sont-elles quittées en bon terme parce qu’elles savaient toutes les deux que le mariage de Zinaïda était imminent, Neith avait besoin d’un peu de temps pour digérer la rupture amoureuse. Zinaïda resterait son amie pour toujours et une personne précieuse dans son cœur. Mais comme tout, le temps ferait son œuvre.
Alors, ce soir, elle est seule avec cette potion et ces symptômes qu’elle se traine depuis avant son départ. Elle avait pensé, naïvement sans doute, qu’elle avait mal digéré quelque chose, mais devant la persistance des symptômes et d’autres qu’elle commençait à voir sur son corps, elle avait dû se rendre à l’évidence : il y avait une possibilité qu’elle soit enceinte.
Ses pensées n’arrêtaient pas de tourner dans sa tête du moment que l’idée avait émergé. Elle avait fait les calculs sur les deux derniers mois. Sa relation terminée avec Zinaïda dont elle ne pouvait de toute façon tomber enceinte, ne restait que deux potentiels candidats. Alaric, bien sûr, mais elle savait très bien qu’elle n’avait pas eu de relations sexuelles avec lui depuis un petit moment. Cela leur arrivait sans que ce ne soit un signe alarmant de leur relation. Ce n'était donc logiquement pas lui. Le second, un sombre inconnu qu’elle ne reverrait jamais. Ce n’était pas dans ses habitudes de faire ce genre de chose, une nuit seulement. Elle se rappelait que cela s’était déroulé une semaine après sa rupture avec Zinaïda et qu’elle avait profité de l’occasion d’un voyage d’affaires pour se rendre en Égypte. Là-bas, elle y avait rencontré un homme. Ils s’étaient plu. Elle avait eu besoin de réconfort. Il lui en avait donné d’une certaine façon. Ils ne s’étaient pas dit qu’ils se recontacterait. Elle n’en avait pas envie, lui non plus. Mais il suffisait d’une seule fois malgré ses précautions, et si elle n’avait plus repensé à cet inconnu, il faisait maintenant partie de la liste qu’elle devait retenir.
Son ventre se tord. Elle espère se tromper.
Parce que si elle ne se trompe pas…
Il lui faut un long moment pour sortir de la chambre maritale et aller dans la salle de bain. Son regard croise son reflet dans le miroir. Elle inspire et expire avant de déboucher la potion et de la boire. Une grimace et elle manque de tout recracher. Elle avait oublié que le goût était immonde et elle insulte en arabe dans sa tête les inventeurs qui n’ont encore une fois pas pensé au confort des femmes. Mais c’est sans doute le moindre mal parce que lorsqu’elle reconnait les signes, la légère lumière qui se forme au niveau de son ventre, son monde s’effondre.

Elle avait pris le temps de se calmer, de réfléchir et de prendre la décision sur plusieurs jours. Elle ne l’avait dit qu’à sa mère, Rawiya, qui, l’avait rassurée en lui disant qu’elle était et serait toujours de son côté et qu’elle la couvrirait auprès de tout le monde, y compris, Alaric à qui elle n’avait rien rien dit et ne dirait rien. Lui, n’était au pas mis au courant. Neith et lui avaient déjà discuté de cette possibilité d’une grossesse surprise le jour où ils avaient pris cette décision d’ouvrir leur couple et de laisser la place à de potentiels partenaires. Elle était toujours d’accord avec ce qu’ils avaient discuté alors, mais elle n’avait aucune envie de lui parler de cela. C’était sa décision après tout comme il le lui avait très justement dit. Alors, elle la gérerait toute seule et elle était sûre et certaine.

Elle ne voulait pas de cet enfant.

Alors, elle avait fait comme si de rien n’était les jours qui avaient suivi. Elle avait mené sa vie comme avant, avait retrouvé Alaric mais ne lui en avait pas parlé. Et puis, lorsqu’elle avait été sûre et certaine de la marche à suivre, elle avait annoncé à Alaric qu’elle serait absente trois jours. Une amie de Maverick l’avait invitée, elle acceptait son invitation. Il n’avait rien soupçonné bien entendu, conscient que le Chaumet était proche de sa femme et n’y trouvant rien à redire. Ce n’était pas la première ni la dernière fois qu’elle partait un peu. Neith était une femme libre dans son mariage, cela il l’avait bien compris et toujours encouragé. Sans doute est-ce que cela l’avait soulagée qu’il ne pose pas trop de questions. Elle n’aimait pas lui mentir.
Si en réalité, Maverick n’était au courant de rien, parce que malgré tout l’amour qu’elle avait pour son meilleur ami, elle avait envoyé une lettre succincte à Josépha « l’amie de Maverick » pour lui demander si elle était disponible et qu’elle risquait sans doute de s’éterniser une journée. La réponse en main, elle avait mis son manteau et était parvenue jusqu’à la porte de Josépha. À peine vit-elle la jeune femme qu’elle sortit de sa poche sans fond une bouteille de vin, chère, très chère qu’elle avait piqué dans le cave des Lestrange parce qu’elle pouvait le faire et le voulait.
« Bonjour, je pense que nous en aurons besoin à un moment ou un autre. » dit-elle à la jeune femme avant de se pencher pour lui faire la bise en toute décontraction. « Enfin, je vais en avoir besoin sûrement. » Parce qu’elle avait sérieusement envie de boire à l’idée de ce qui l’attendait. Elle qui n’était pas spécialement du genre à avoir des comportements à risque savait qu’elle mettrait tous ses principes de côté parce qu’elle avait le droit et elle savait que Josépha ne la jugerait pas. Après tout, elle était celle qui lui fournissait ses potions de contraception et elles avaient suffisamment discuté de choses intimes, sur les siens en réalité, pour savoir que Neith pouvait lui faire confiance.
« Je ne vais pas passer par quatre chemin, Jo’, mais je suis enceinte et j’aimerai avorter. Est-ce que tu aurais quelque chose pour moi ? » Elle n’a pas tremblé dans sa voix. Elle a parlé avec la même assurance qu’elle le fait si bien d’habitude parce qu’elle était sûre d’elle, sûre de ce qu’elle voulait et de ce qu’elle ne voulait pas. Quand bien même, intérieurement, elle n’en menait pas large. Quand bien même, elle minimisait sans doute toute cette histoire.
Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. J’ai vécu pire, se répétait-elle depuis qu’elle avait pris la décision. Elle avait survécu à ce qu’elle considérait de pire et elle survivra à cela aussi. Il n’y avait pas d’autres choix.

La France était encore cette terre étrange. Pays qu’elle n’avait jamais connu. Territoire sur lequel elle n’avait jamais posé un pied et dont pourtant elle pouvait réclamer la nationalité. Fief qui avait envoyé sa mère en exil marital. Elle s’y posait finalement pour la première fois à vingt-quatre ans. Elle n’avait pas choisi de revenir sur ses terres familiales inconnues. Elle avait même rechigné à s’y installer. Aussitôt arrivée en Europe elle avait fait ses valises pour l’Italie où elle était restée un long moment à Pise dans le premier Jardin botanique d’Europe pour y étudier les variétés anciennes. Elle s’était ensuite inscrite à l’université de Genève, avait voyagé sur tout le pourtour francophone en évitant soigneusement les terres françaises. Elle ne frôlait le territoire que pour voir Maverick et ne comprenait pas la fascination qu’il pouvait avoir pour la noblesse. Elle avait peut-être une peur déraisonné de rencontrer au hasard un membre de sa famille et de se voir retourner à son pays natal. Elle était loin de savoir que sa mère n’avait plus aucun lien en France et que seule sa tante, la jumelle de son père, pourrait éventuellement tenter quelque chose.

Il lui avait fallu trois ans pour apprivoiser cette idée. Trois années de vie sur la route, entre l’île Maurice, le Bénin, Genève, et la France ainsi que de nombreuses escales çà et là. Et si elle avait adoré cette liberté. La possibilité de traverser le monde, du moment que l’on prenait le temps. Celle de découvrir et consigner ce qu’elle apprenait avidement. L’éloignement de Maverick avait fini par l’atteindre. Elle voulait se penser parfaitement imperméable, parfaitement indépendante. Mais elle ne pouvait pas transplaner d’un pays à l’autre et il fallait une certaine organisation pour installer des portoloins. La plupart du temps, elle empruntait les transports moldus. Le bateau et le train qui pouvaient prendre un certain temps, mais qui la fascinaient grandement. Elle voulait croire qu’il ne lui manquait jamais, mais c’était un mensonge. Tous les savoirs du monde ne pouvaient rivaliser avec les aventures de Maverick Chaumet. Lorsqu’elle traversait la mer pour rentrer du Bénin, les missives lui arrivaient plusieurs fois pour lui raconter la chasse aux reliques et elle s’en voulait de ne pas pouvoir être à l’instant même en train de partager ce moment.

Ainsi, elle avait fini par s’installer à Paris au début de l’année 1922. Elle avait loué une chambre de bonne sous les toits de Paris et avait pu apprécier la vue sur les toits d’ardoises et d’argiles. Elle avait haï la haute société guindée, mais elle avait pu retrouver Maverick et Neith. Elle avait finalement rencontré sa cousine, étrange jumelle qu’elle apprivoisait timidement. Elle avait gagné du temps de curiosité, et d’activité en diminuant son temps de transport. Elle avait surtout retrouvé une vie sociale plus stable et moins professionnelle. Elle avait pu coucher sur papier ses recherches, et attendait de les faire publier. Elle s’était remise plus durablement à la préparation de potion et décoction en tout genre. Elle revisitait de grands classiques des potions occidentales avec des plantes béninoises, tordait les effets, en magnifiait certains, en simplifiait d’autres.

Elle n’avait guère été surprise lorsqu’elle avait reçu le hibou de Neith. Depuis qu’elle était à Paris, elles se voyaient plus souvent, avec ou sans Maverick. Cela faisait quelque temps que Josepha prenait même une place de choix en tant que potionniste confidente. Elle fut plus surprise de la voir sortir la bouteille de vin, s’écarta immédiatement de la porte pour laisser son amie rentrer et répondit rapidement.

— « Oh, on trouvera sûrement une occasion pour la boire » Elle avait bien compris que l’occasion se présenterait à elle toute seule. Qu’elle était la seule des deux à l’ignorer encore, mais qu’elle le saurait vite.

Neith n’était d’ailleurs pas du genre à laisser planer le doute. Aussitôt rentrée, elle l’assomma avec la nouvelle. Heureusement pour elle, Josepha n’était pas du genre à s’empourprer et à perdre ses moyens. Elle glissa une main sur le bras de son amie et dit doucement.

— « Je peux faire le nécessaire oui, installe-toi, fais comme chez toi, je vais lancer la préparation. »

L’avantage était que l’appartement était suffisamment pour qu’elle puisse rester avec elle pendant la préparation. Sa cuisine était son atelier de potion ainsi que son salon.

— « Est-ce que quelqu’un d’autre est au courant ? Je suis désolée de demander. Tu as pu faire un test discrètement ? »

Il en allait de leur sécurité à toutes les deux. Elle demandait autant pour marquer qu’elle était digne de confiance que pour vérifier ses arrières.

— « Est-ce que je peux faire autre chose pour toi, pour faciliter l’expérience ? »

Elle-même n’avait jamais traversé l’expérience, mais elle avait fourni des potions abortives au Sénégal et au Bénin, lorsqu’elle faisait la sorcière vaudou dans des communautés moldus habituée aux décoctions de plante. Elle apporta deux verres pour le vin, mis à chauffer l’eau avec plusieurs plantes, fit tourner son sablier pour lancer un minuteur d’un coup de baguette, revint vers son amie.

— « Si ça peut te rassurer, ce n’est pas la première fois que je le fais. »

Si cela avait été pour elle, elle aurait été rassurée de savoir que ce n’était pas le premier essai de la potionniste. Elle avait beau savoir que Neith lui faisait déjà confiance et que sans quoi elle ne serait pas là, elle préférait le rendre clair.

Même si la situation est terrible, Neith est contente de voir Josépha. Cette dernière est toujours de bonne compagnie et elle a vraiment besoin de bonne compagnie en cet instant. Elle aimerait son mari aussi mais elle sait que certaines choses ne sont pas possible dans cet état. Ils ont beau en avoir parlé, Neith ne peut pas le mettre dans la confidence pour un tas de raisons. Rawiya était quelqu’un de sûre en revanche. Neith soupçonnait sa mère d’avoir déjà été dans la même situation qu’elle. Mais elle avait besoin que sa mère soit au courant.
Au cas où, le pire se produirait.
Parce qu’elle ne peut pas s’empêcher de penser au pire. Et ce n’est même pas la prison qui lui fait peur, cela, c’est bien la moindre de ses peines si c’est pour être libre de son ventre et de son corps. C’était plutôt, s’en rendit-elle compte, la douleur et surtout la mort. Le fait de laisser les siens derrière elle dans l’incompréhension la plus totale. Que Ruben grandisse en la haïssant parce qu’elle a choisi sa liberté, son intégrité et elle-même.
Elle chasse d’un battement de cil les pensées sombres, sans doute aidée par la voix de Josépha qui la ramène à la réalité. Boire, elle comptait bien le faire parce qu’elle allait passer une journée vraiment affreuse. Mais avant cela, elle voulait simplement savoir si elle le faisait en étant sûre qu’elle ne risquait pas sa vie, en tout cas, le moins possible ou si elle trouverait d’elle-même le moyen et cette fois-ci ne verrait peut-être pas un nouveau jour se lever. Parce qu’intimement, elle savait qu’elle serait capable d’aller jusque-là.
La douceur de Galatée ne vient pas expliquer le message qui fait que Neith se détend un peu. Défaisant sa veste finalement, Neith répondit à son amie :
« Oui, j’étais seule quand j’ai fais le test. Ma mère est au courant, cependant. Elle ne dira rien. Je voulais juste … » La voix de Neith se brise. Il lui faut un instant pour compléter. « Juste qu’elle soit au courant au cas où. »
Neith savait parfaitement ce qu’elles risquaient. Moins de personnes étaient au courant, mieux c’était. Elle avait de la chance, se dit-elle, que sa famille avait de cela de ne pas être si typique. Si dernièrement Tarek semblait prendre la direction de la famille, cela n’avait pas toujours été le cas et de bien des façons, c’était bien Rawiya qui avait l’autorité. Sa mère avait élevé ses filles et son fils de la même façon. Sans doute pouvait-elle s’estimer heureuse qu’elle puisse s’ouvrir à sa mère. Ce n’était pas toutes les femmes qui se retrouvaient dans son cas qui pourraient dire la même chose.
Revenant à Josépha, elle se trouva bien dépitée devant sa question. Que pouvait-elle faire pour rendre l’expérience plus agréable ? Neith n’en savait rien, jusqu’à ce que Josépha lui dise que ce n’était pas la première fois. Elle voulait bien la croire. Elle-même n’était pas naïve que ce genre de choses arrivaient plus couramment que les autres ne le pensaient. Mais de savoir que Josépha n’était pas à son premier coup la rassura effectivement un peu.
« Mmh… » Elle la remercia distraitement pour le vin servit et en but. Le goût pourtant particulièrement divin ne sembla pas la toucher plus que cela. « Si tu peux au moins me décrire tout ce qui va se passer et à quel point je vais avoir mal, je crois que ça m’aidera à ce que mon esprit ne s’emballe pas. »
Neith soupire.
« Et, ça va probablement être étrange mais… » Son cœur s’emballe et elle regarde ailleurs, se fustige intérieurement. Elle ne pleurera pas. « Juste me tenir la main quand ça sera le moment, si tu le peux. » Elle n’allait pas lui demander de la prendre dans ses bras. Ce n’était pas des bras de Galatée qu’elle voulait quand bien même se doutait-elle que cela devait aussi être agréable. Mais Galatée n’était pas Alaric et elle se contenterait simplement d’avoir juste quelqu’un pour lui tenir la main jusqu’à ce que cela passe. « Et me parler d’autres choses. N’importe quoi… juste autre chose. » Pour s’évader un peu de ce moment.

Josepha n’avait aucunement l’intention de se spécialiser dans ce type de potion. Elle n’avait d’ailleurs pas envie de s’installer à proprement parler en tant que potionniste. Elle n’avait guère besoin de métier installé. Elle vivait essentiellement de ses missions avec Maverick et tout ce qui venait en plus n’était qu’accessoire. Néanmoins, elle aimait partager le reste de son temps entre la botanique et les potions. La botanique prenait souvent le dessus, puisqu’elle écrivait actuellement une thèse dirigée à l’Université de Lausanne, mais fort heureusement sa connaissance des plantes l’aidait fortement pour les potions. Elle avait d’ailleurs entrepris, depuis son déménagement à Paris, de modifier les potions occidentales avec des plantes tropicales, équatoriales et sahariennes. À minima, elle pensait pouvoir modifier les effets de certaines potions. Au mieux, elle pensait pouvoir éviter certains effets secondaires désagréables. Les potionnistes occidentaux quoi qu’ils en disent, avaient la fâcheuse habitude d’avoir leur tête bien profonde dans leur propre nombril, et faisaient fit des connaissances étrangères. Pour eux, ces plantes étaient sans doute trop rares et difficiles à obtenir pour en valoir réellement la peine, surtout sur des potions si insignifiantes qu’une potion contraceptive, une potion de sommeil, ou des potions trop interdites comme celle d’avortement. Josepha, quant à elle, avait une autre vision des choses. Elle avait passé suffisamment de temps dans ses contrées pour se construire un stock intéressant, et elle avait à cœur l’indépendance totale de chaque femme. Elle s’était battue pour la sienne, et se focalisait volontiers sur aider d’autres femmes comme elle, à grignoter les derniers bastions de leurs cages parfois dorées.

Ainsi, elle ne travaillait que sur bouche-à-oreille exclusif. Il fallait connaître quelqu’un qui la connaissait pour pouvoir obtenir ses faveurs. Ses connaissances atypiques valaient bien cette exclusivité, et elle vendait — quand elle vendait — un accompagnement total, une discrétion à toute épreuve et une absence parfaite de jugement. En somme, elle se voulait comme une tombe empathique. Ce n’était pas bien difficile, sa vie était déjà remplie de secret. Et le sort des femmes était la seule chose capable de provoquer chez elle une tendresse voire un apitoiement. Elle avait envie de serrer Neith dans ses bras et de la rassurer. Elle ne savait pas si cela serait le bienvenu, elle-même aurait réagi de manière extrêmement négative à une embrassade non demandée. Elle voyait Neith comme elle, une femme forte, indépendante, qui ne se laissait pas facilement aller à ses émotions. Dans le doute, elle claqua des doigts, ramena l’attention sur elle plutôt que sur les pensées mortifères qui naissaient dans la tête de son amie !

— « Pas de ça sous mon toit » elle sourit, ramenant un peu d’humanité et de tendresse dans ce qui sonnait autrement facilement comme un rappel à l’ordre. « Tout va bien se passer, tu es entre de bonnes mains, tu repartiras simplement plus légère, je t’en fais le serment. »

Il y avait effectivement assez peu de risque sur un début de grossesse. Neith semblait s’être alarmé dès les premiers symptômes et ce genre d’intervention était relativement facile. La potion la rendrait malade, bien sûr, elle serait fatiguée évidemment, ressentirait des crampes probablement, elle serait traversée par des vagues d’émotion avant de les voir disparaître, mais à la fin, tout irait bien. D’ailleurs, Neith ne demandait que ça, savoir comment ça allait se dérouler. Les lèvres de la sorcière s’étirèrent en un fin sourire et elle finit par lui dire.

— « Oh bien sûr, je te détaille même la recette si tu veux. » Elle avait une confiance absolue en la jeune femme, c’était bien grâce à Maverick, mais plus les années passaient, plus les deux jeunes femmes se construisaient leur propre lien basé sur une reconnaissance, un respect et une affection mutuelle.
— « En premier, je mets de la Vanescensverde, globalement inutile pour le processus, elle va néanmoins t’aider à gérer tes émotions. En l’ingérant, tu vas potentiellement ressentir une vague d’émotion, comme si toutes les émotions liées à cette grossesse refaisaient surface, avant de ressentir une vague d’apaisement faire disparaître les émotions. Cela n’effacera pas les souvenirs, il faudrait un sortilège d’obliviette pour cela, mais cela atténuera fortement tout pic d’émotion trop insupportable. »

Cette plante était facultative dans la potion, mais elle la trouvait plutôt utile. Totalement inoffensive, elle provoquait un immense sentiment de calme à la personne qui l’ingérait. Elle fonctionnait bien avec les autres plantes qui rentraient dans la composition de la potion, et il aurait été stupide de s’en priver.  

— « Mais le composant principal est la Miféflora Vesperis, c’est une plante rare et compliquée à faire pousser qui contient un simili d’hormone antagoniste avec les hormones de la grossesse. C’est ce qui va provoquer les crampes. Les autres éléments sont là pour venir favoriser le processus et apaiser les douleurs. Tu vas essentiellement ressentir des crampes, potentiellement des nausées parce que la potion n’est pas particulière goûteuse. La durée des douleurs s’étend de 24 à 48 h suivant les personnes, mais si tu es au début de ta grossesse comme je le soupçonne, cela ne devrait pas être beaucoup plus compliqué que ça. »

Elle lui fait un sourire tendre avant d’ajouter rapidement.

— « Bien sûr je te tiendrais la main et ferais même le clown si ça te fait plaisir. » elle sourit « Tu aimes mon nouveau chez moi ? Qu’est-ce qu’il lui manque ? Tu as toujours eu très bon goût. Je n’ai pas encore bien eu le temps d’y faire mon nid. »

Elle ne s’attendait pas à recevoir un quelconque compliment sur son intérieur. L’espace était petit, peu décoré, et manquait franchement d’amour. Elle espérait néanmoins que ça soit un sujet suffisamment fertile pour commencer à détourner l’attention de Neith pendant qu’elle préparait la potion.

— « Sinon, je pense avoir bientôt fini ma thèse. Il me reste encore un an de rédaction. Je vise de la voir publier dans la foulée, je pense qu’elle peut en intéresser plus d’un, s’ils se donnent la peine de la lire. »

Elle sourit doucement, offrit une deuxième porte de sortie à la jeune Shafiq.

Le claquement de doigt de Galatée fit poser un regard plus ancré sur la jolie jeune femme. Son rappel à l’ordre la fit un peu sourire. Plus légère physiquement sans doute. Moralement… Neith soupira. Tout ira bien. Elle se le répéta encore et encore. Elle faisait confiance à Galatée. Elle était dans un environnement sécurisé au possible malgré les circonstances et ce qu’elles risquaient. Le reste n’était qu’anecdotique, quelque chose qu’elle pourrait mettre sous le tapis. Elle prendrait le temps de gérer tout cela émotionnellement plus tard. Seule cette fois-ci. Quand bien même savait-elle qu’elle faisait le bon choix et qu’elle savait qu’elle ne regretterait pas… Tout ceci, elle en avait conscience n'était pas anodin. Pourtant, une idée lui effleura l’esprit. L’envie de partir quelque part en vacances, avec Alaric et Ruben, seuls. Elle aimerait bien faire cela bientôt. Pour l’heure, elle se concentra sur Galatée qui la ramenait encore à cette situation en répondant aux questions qu’elle lui avait posée.
Si Neith avait toujours été une catastrophe en potions, elle admirait ceux qui, comme Galatée, en avaient la capacité. Elle, elle n’avait jamais eu d’atomes crochus avec cette discipline et cela se traduisait également sur le désastre qu’elle laissait derrière elle en cuisine pour des repas. Ainsi, elle ne cuisinait jamais ce qui n’était pas réellement un problème : elle avait des domestiques chez elle en tant qu’épouse Lestrange et quand elle était chez les Shafiq, il y avait toujours quelque chose à manger sans qu’elle n’ait besoin de faire quoi que ce soit. Pourtant, en écoutant Galatée, elle essaya de mobiliser ses connaissances qui remontait à loin. Haussant un sourcil sur l’idée de gestion des émotions, elle ne savait pas réellement si elle devait craindre cette information. Elle n’était en réalité pas ravie de ça. Mais s’il fallait passer par là… Elle préférait sans doute l’état second que Galatée décrivait. Au moins serait-elle égale pour la suite.
La suite concernant son état physique ne l’émeut pas particulièrement même si elle sentait une certaine tension la saisir. Elle ne peut s’empêcher de faire des calculs dans sa tête et de se dire, non sans soulagement, qu’elle avait bien fait de donner une fourchette de temps à Alaric. Au moins ne soupçonnerait-il rien, parce que quoi qu’il arrivait il faudrait qu’elle masque ses douleurs.
« D’accord. » répondit Neith de façon neutre.
Un sourire se forma néanmoins sur ses lèvres lorsque Galatée accepta de lui tenir la main le moment venu. Puis, le regard de Neith se posa sur les lieux. Réfléchissant un court instant, elle répondit à Galatée :
« Tu as l’air déjà bien installée. C’est plus grand que l’ancien si je ne m’abuse ? » Pour ce qui était de la décoration, elle constatait que tout était encore assez impersonnel sans doute parce que Galatée n’était là que depuis peu. « Quelques couleurs chaudes pourraient être intéressantes. Tu as une bonne luminosité ici. » Qui attireraient le soleil aussi et donnerait une ambiance plus chaleureuse. « Je peux te donner quelques adresses si tu veux chiner des meubles. C’était mon passe temps préféré quand j’étais enceinte de Ruben. Je crois que ma belle-mère n’a cependant pas spécialement tout apprécié… » Neith sourit. Elle aimait beaucoup sa belle-mère mais il fallait dire qu’elles n’avaient pas eu la même éducation. Il fallait également ajouter que Neith avait arrêté de travailler pour une grosse partie de sa grossesse et l’après. Essayer de refaire la décoration et ce besoin de nidification au pic de sa grossesse normal pour une femme enceinte avait été une de ses seules activités et les bienvenues pour ne pas perdre patience… Ou tout du moins y arriver moins vite.
Revenant à Galatée, Neith s’assit un peu plus détendue sur le canapé, son verre à la main et posa sa tête sur sa main en l’écoutant.
« Je suis contente pour toi. Tu en vois enfin le bout. » Elle sourit, reconnaissante des efforts de Galatée. « Et après ta thèse ? Tu t’es projetée ? » Elle ne savait pas ce que Galatée avait prévu mais elle savait qu’elle allait souvent de pair avec Maverick. Neith ne se souvenait pas que Maverick lui est dit quoi que ce soit, mais ce dernier était un électron libre après tout, ce qu’elle avait toujours apprécié chez son tendre ami.
Le regard de Neith ne put s’empêcher de dériver un instant sur la potion qui se faisait. Elle se força à revenir à Galatée et alla pour boire avant de demander par acquis de conscience : « Cela ne pose pas de problème si je bois avec la potion en plus hormis les nausées éventuelles ? » Ce qui serait sans doute du gâchis pour cette bonne bouteille mais elle avait s’en fichait présentement. Sa journée était suffisamment pourrie comme cela. Elle aura tout de même apprécié son vin.