[TERMINÉ] l'hypocrisie des mariages - Zinaïda [FB]

 

Le jour était venu si vite. Pourquoi attendre après tout? Pour que les mariés apprennent à se connaître? Inutile. Ils auront toute la vie pour ça, n'est-ce pas? Alors la cérémonie s’était organisée dans l’indifférence polie de Zinaïda, qui se contentait d’hocher vaguement la tête lorsque par miracle on demandait son avis. C’était les d’Adhémar qui payaient de toute manière, son père n’aurait pu se fendre du coût d’un mariage princier, et c’était pourtant ce qu’il voulait. Zina, elle, s’en moquait. Qu’importe la décoration, cela ne changerait rien au fait qu’elle serait bientôt Zinaïda d’Adhémar-Romanov, ou peut-être pas après tout. Pourquoi porter le nom des siens après ce genre de trahison? Pourtant, Yulian essaie de l’intéresser, de la faire participer. De lui tirer une réaction, même de colère, quelque chose d'autre que cette indifférence polie, cette résignation. Il ne reconnaissait pas sa sœur.

Il y avait de quoi : elle n’était plus la même. Si en surface c’était le calme qu’elle montrait, elle rageait intérieurement, rêvait de déchirer la robe pourtant si jolie, de lâcher un feudeymon sur l’endroit de la cérémonie - Guérande, un endroit où elle n’était jamais allée et qui n’avait aucun écho en elle. Elle avait pensé à fuir, un instant. Mais pour quoi, pour aller ou? Se réfugier dans la pauvreté et la crasse? La liberté ne valait pas ce sacrifice. Pas encore. Son mari aurait au moins ce que son père n’avait pas, un nom, de l’argent, de quoi construire une belle vie s’il tenait parole, et de ça, elle n’était pas encore certaine.

Et le jour même, tout était parfait. La mariée y compris. Elle souriait, offrait son meilleur profil, montrait l’image d’un bonheur de façade parce qu’elle refusait de montrer à son père combien il lui faisait mal en la vendant ainsi. Nikolaï, lui, devait allègrement lire dans ses pensées mais elle se consolait en se disant qu’avec les pensées parasites du reste de l’assemblée, il allait souffrir sérieusement. Et ce serait bien fait : s’il avait voulu s’épargner la migraine il n’avait qu’à pas organiser le mariage de sa sœur.

Zina serrait des mains, accueillait des félicitations de gens qui ne lui auraient pas jeté un regard si elle n’avait pas épousé Elric. Sa famille n’avait rien à faire ici, et pourtant, il y en avait quelques hein, les survivants, tous obligés de sortir leurs plus beaux atours ou à défauts d’en louer ou d’en emprunter, pour maintenir l’illusion que les Romanov gardaient leur puissance. Ridicule. Vous êtes ridicules. Je vous hais. Elle capte un regard de Nikolaï et ne détourne pas les yeux. Quoi? Que vas-tu faire? Que peux-tu me faire de pire, hein?

Mais elle s’exécute, marionnette bien dressée, et quand un convive aviné réclame un baiser des mariés, prends la main de son mari, son nouveau maître dans la sienne et rougit, sur commande, comme on le lui a appris, montre la façade d’une ingénue et pose finalement ses lèvres à peine maquillée sur la joue de l’homme dont elle partageait désormais la vie, se retient de lever les yeux au ciel sous les félicitations et les rires. Bandes d’hypocrites. Y en avait-il un, ici, ce soir, qui soit sincère? Vraiment heureux pour ce couple en devenir, ou vraiment conscient de la vaste blague qu’ils représentaient? Elle s’éloigne sous un prétexte quelconque. Sa robe l'oppresse et il lui semble un instant qu’elle n’arrive plus à respirer.

Zinaïda s’empare d’un verre de vodka et se dirige vers l’extérieur. On n’avalait pas une coupe de champagne et toutes ces petites bulles cul sec, et elle avait besoin de sentir la brûlure de l’alcool dans sa gorge, dans son ventre, pour se rappeler qu’elle était toujours vivante. Il lui fallait une cigarette. Sa cachette était stockée sur un balcon, si toutefois personne n’y avait touché. Mais le balcon est occupé par le témoin, un homme qu’elle ne connaît pas, comme aucun des amis de son époux il faut dire. Tant pis. Elle glisse sa main derrière un pot de fleur et en sort ses cigarette à la vanille, ridiculement féminin lui a-t-on dit mais après tout, elle est une femme non? Allez tous au diable. La princesse russe porte la cigarette à ses lèvres, regrettant son fume-cigarette qui n’aurait pas été discret à dissimuler, et murmure un juron dans sa langue natale. Pas de briquet, et sa baguette est enfouie sous des couches de tissu et de tulle, contre sa cuisse, bien trop loin pour être attrapée discrètement.

Elle replace une mèche de cheveux vagabonde et s’approche doucement de l’homme, de l’Est lui aussi, il lui avait semblé entendre les sonorités de son russe natal dans son nom, en même temps qu’elle remarquait son regard noir. La voix est douce alors qu’elle voudrait pouvoir montrer sa mauvaise humeur elle aussi. Mais le spectacle continue n’est-ce pas? Même pendant la pause cigarette. “Excusez-moi… Pourrais-je vous emprunter du feu, s’il vous plaît?” Et tant pis si l’on sait que la mariée rougissante fume, elle n’est plus à cela près. Un silence, et elle regarde à son tour les jardins en contrebas. “Vous ne semblez pas vous amuser ce soir.” Vous non plus. “Y-a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour changer la donne ?” Sois gentille, serviable, soit polie et aimable, incline-toi, écrase-toi, respecte les hommes qui régissent ce monde et soit à leur service. Ou du moins, fais-le leur croire.

 

Il allume sa cigarette avec un détachement certain. Mais cela ne veut rien dire. Cela pourrait-être autant signe d’un homme distant et solitaire, que de fatigue, d’un homme qui n’aimait pas les foules, ou qui jugeait ce péché qu’elle partageait avec bien d’autres. Il ne croise pas son regard, et Zinaïda le remarque, bien, que croyait-il? Sans doute n’était-elle pour lui qu’une petite dinde sans cervelle de plus, avec qui il n’est pas besoin de faire le moindre effort, parce qu’elle ne se rendra compte de rien. Et bien, Monsieur, vous êtes tombé sur la mauvaise personne.

Il se tourne vers elle sans sourire. Sans faire le moindre effort. Et la violence de ses mots n’a d’égale que celle de sa voix. Il voulait la voir disparaître? Mais qui était-il, enfin, cet homme de l’Est qui visiblement avait à coeur de lui en vouloir? L’homme continue et elle se sent comme une immonde intrigante ayant manipulé pour avoir ce qu’elle voulait. Sans doute l’était-elle. Elle ne s’était après tout pas opposée à ce mariage. Mais l’intrigue, elle avait été faite sans elle. Par son père et par Elric qu’il semblait vouloir tant protéger de l’affreuse goule qu’elle était. Par Morgane, que lui avait-elle fait pour recevoir sa haine gratuite? Et dans quel monde se défoulait-on ainsi sur une jeune mariée? Avait-il seulement idée de ce que ce mariage signifiait pour elle, de ce qu’elle sacrifiait? Avait-il idée de ce que c’était que de se savoir paquet échangé d’un père à un mari, mais jamais indépendante, jamais en confiante. De savoir que l’on était une condition d’alliance, offerte en échange d’argent ou de protection? De n’être considérée que pour sa matrice, pour l’espoir qu’elle ferait fils et fille forts ou mariable à leur tour à l’envie?

Il ne savait rien de sa vie. Et il se permettait de lui jeter au visage sa mauvaise humeur et une haine qu’elle n’avait rien fait pour mériter? Tout ça parce qu’il semblait qu’il fasse partie de ces communistes au service du Parti de ce moldu moustachu qui lui semblait bien pire que son cousin le tsar. Elle porte la cigarette à ses lèvres, sans trembler sous le regard glacé de son interlocuteur. Il ne lui faisait pas peur : que pouvait-il lui faire de plus de toute façon? La tuer, ici? Qu’il ose. Et puis, ce serait un service à lui rendre, au fond, non? “Mes griffes… Ainsi, c’est ce que vous vous imaginez? L’affreuse russe blanche qui séduit votre ami, le trompe, le manipule pour se faire épouser? “ Elle rit, froide, et expire la fumée de tabac de ses lèvres maquillées avec soin. “Est-ce donc ça que vous me reprochez? Mon nom? Croyez-vous réellement que j’ai une quelconque responsabilité dans les évènements de Russie?” Il ne pouvait pas être si idiot : il voyait bien qu’elle n’avait pas l’âge pour avoir pu faire quoi que ce soit en 1917, si? Mais alors, il la haïssait simplement pour un nom qu’elle portait? C’était encore plus risible, sans doute. “Les rouges sont tant susceptibles de croire ce qu’on leur dit sans chercher à comprendre.” Un soupir. “Non pas que les blancs soient mieux.” Elle hausse les épaules. Elle a étudié la politique de son cousin. Et sait que ce que ces communistes en disent est souvent fort simplifié, pour mieux embobiner le peuple. Bien sûr, Nicolas a fait des erreurs, parfois grossières. Mais sa plus grande erreur a été de se faire marcher dessus par ses ministres. Toujours est-il que réduire la Révolution d’Octobre a cette unique phrase, la Russie se rappelle ce que les Romanov lui ont fait, c’était grossier.

“Vous n’avez aucune idée de ce qui se joue ce soir, et pire, vous vous en moquez. “ Il n’avait aucune connaissance ni même l’envie d’apprendre le fait qu’elle n’avait rien demandé, qu’elle avait été vendue dans le fruit d’une transaction entre son père et son mari. Qu’elle n’avait séduit personne. Que c’était Elric, celui que cet homme voyait comme la victime, qui avait cherché à l’épouser, en dépit de tout bon sens, de toute logique, et qu’elle ne comprenait pas plus que lui ce qui pouvait avoir poussé Monsieur d’Adhémar a une telle mésalliance. Non, cet homme la hait pour le seul crime de porter le nom de Romanov, comme tous les communistes. Ceux qui lui ont retirés ses cousins, sa mère, ses soeurs. Son crime, ça avait été de naître. Sacré ami qu’Elric a là. Qui veut tant le protéger qu’il ferme les yeux à tous le reste. “Désolée de vous décevoir. J’ai parlé pour la première fois à mon mari le jour de nos fiançailles, et j’espère que vous lui accorderez assez de crédit pour croire qu’il ne s’est pas fait embobiné par la vilaine séductrice que je suis en moins d’une heure. “ Elle lève les yeux au ciel. Elle n’avait que mépris pour les gens qui perpétuaient la haine sans y réfléchir. Qui portaient des œillères. Qui se complaisaient dans l’ignorance et se contentaient de croire ce qu’on leur disait.  Cet homme était peut-être différent. Mais c’était cette impression qu’il lui offrait en cet instant. Un aveugle voulant se croire héros.

Elle lâche sa fumée vers le ciel. Elle ne laisserait pas cet homme l’atteindre. Elle ne laisserait pas cet homme la faire se sentir moins que rien parce qu’elle faisait partie d’une famille impériale. Elle au moins n’avait pas de sang sur les mains. Vu son visage, sa coupe de militaire et sa manière de cracher son fiel, une intuition lui disait que ça n’était pas le cas pour lui. “Mais oui, en soi, je pourrais disparaître. Si ce n’était pas un voeu purement égoïste. Si vous ne souhaitiez pas que je me condamne à une vie de pauvreté et de malheur - j’imagine que vous vous doutez de ce qui arrive aux femmes de mon monde lorsqu’elles fuient le mariage…- pour votre unique contentement personnel.” Elle plante son regard clair dans le sien. “Je ne vois pas pourquoi je devrais payer toute ma vie parce que vous êtes un enfant gâté qui boude parce que son ami a un nouveau jouet.”

 

Alekseï rit, et le rire qui s'échappe de la barrière de ses lèvres tient presque plus de l'aboiement, plus animal qu’humain. Presque imperceptiblement, aidée par la pénombre du balcon, Zinaïda fronce les sourcils alors qu’un frisson parcourt sa colonne vertébrale. Comme si un danger rôdait. Lui? Elle le regarde une seconde à la dérobée. Était-il plus que cet ami taciturne et colérique? Était-il là… pour eux? Pour sa famille, qu’il considérait visiblement comme responsable de tous les maux d’un pays? Elric était-il au courant? Ce mariage n’était-il qu’un piège, dans lequel ils étaient tous tombés en un battement de cils, aveuglé par ce parti trop beau pour être vrai, par les promesses de l’argent des d’Adhémar? Les noces prendraient-elle une teinte horrifique alors que le sang des siens, noir et pourpre mêlé, se répandrait au sol, parlerait-on de l'évènement dans les journaux du lendemain? Tu t'effraies sans vraie raison. La jeune femme regard son annulaire où brille, juste derrière son alliance, le saphir de sa bague de fiançaille. Elle porte sa cigarette à ses lèvres en un geste mesuré pourtant, soigneusement étudié. Ne pas lui montrer tes doutes. Ne pas lui montrer ta peur. Elle caresse la pierre précieuse. Choisit de faire confiance à celui qui était désormais son mari. De croire qu’il ne l’aurait pas trahi ainsi après ces belles paroles.

L’instant passe alors qu’il ironise. Touche juste, finalement. Oui, il avait appuyé là où cela faisait mal. Sur ce mariage qu’elle ne comprend pas, et qu’elle n’avait pas demandé, mais avec lequel maintenant, elle devrait faire au mieux. Mais elle vit avec cette douleur depuis de longs mois maintenant. Elle a appris à l'apprivoiser, et ça n'est plus si douloureux. Plus comme au début. Alors elle peut lui offrir un sourire ironique, souffle nonchalamment sa fumée dans l’air nocturne. “Moi au moins ne suis-je que le jouet de mon mari, et pas d’un politicien qui m’utilise comme chair à canon. Elric est bel homme. On ne peut pas en dire autant de ce cher Vladimir.” Quitte à se faire baiser, autant que ça soit agréable, non?

Elle hausse les épaules alors qu’il la met en garde, ne répond même pas à ce sujet. “Vous n’avez aucune idée de ce que je sais et de ce que j’ignore.” On lui avait toujours appris à se taire quand elle n’avait rien d’intelligent à dire. Visiblement, cet Alekseï n’avait pas eu la même éducation. Elle agite d’un geste gracieux sa cigarette pour en faire tomber la cendre dans le vide, d'un air désinvolte.  Il a cependant raison : les livres ont leur limite, et effectivement, elle n’était pas présente au moment de l’abdication de son cousin, et de la fuite de sa famille. Parce que lui oui, peut-être? Ce genre d’homme lui sortait par les yeux. Du vent, des menaces, mais souvent, cela aboie plus que ça ne mord. “Mais je devrais sans doute vous être reconnaissante, n’est-ce pas? De ne pas me jeter au bas de ce balcon en plein milieu de mes propres noces, de ma famille et de celle de mon époux.” Comme s’il le ferait réellement. “Ou bien êtes vous de ces électrons libres qui se soucie moins de sa propre vie que de satisfaire ses instincts?” Animal.

Elle porte de nouveau sa cigarette à ses lèvres, et regarde l’homme qui lui fait fasse, avec sa mauvaise humeur. “Au moins nous sommes d’accord. Elric mériterait mieux. Mais il a fait son choix, quand il aurait pu avoir sans doute n’importe quel parti. Alors si vous voulez vous plaindre, allez donc le faire chez lui, voulez-vous?” Parce que ce n’est pas comme si j’y pouvais quoi que ce soit. Qu’il la laisse donc en dehors de sa haine et de ses reproches, elle n’avait pas de temps pour ce genre de comportement, concentrée qu’elle était sur ces noces, sur ce qui se passerait après. Quand Elric et elle seraient seuls.

Le silence s’étire une seconde ou deux, et elle entends quelques rire par dessus la musique. Il y avait au moins quelques personnes qui s’amusaient, c’était déjà ça. “Elric et moi sommes mariés désormais, il faudra vous y faire. Vous avez eu six mois pour empêcher ce mariage après tout, si vous y teniez tant que ça, et vous ne l’avez pas fait. Il serait temps de cesser vos enfantillages, non?”  

 

“Parce que vous pensez que j’ai envie de transmettre mon mal à mes enfants?” Les yeux s’arrondissent, incrédules. “M’imaginez-vous stupide ou simplement cruelle?” Il y a dans les iris clair de la jeune mariée une blessure. Qui pourrait vouloir du mal à un enfant? A son propre enfant? Mais face à son indignation, il y a cette odieuse vérité : Zinaïda n’est pas maîtresse de sa malédiction. Et si elle espère de tout coeur que le sang dilué par celui de son époux - dût-elle lui donner descendance- soit exempt du noir des Romanov… Elle ne peut le garantir. Peut-être devrait-elle refuser de coucher avec lui. Ne pas prendre le risque de propager ce mal. Sans doute serait-ce pour le mieux.

Les lèvres se referment sur la cigarette dont elle tire une dernière bouffée. Mais face à cet homme qui la menace ouvertement, elle, la princesse russe déchue, mais la nouvelle épouse, elle refuse de s’écraser. De se taire. De faire profil bas. “Monsieur, tuez-moi maintenant si vous le désirez, mais soyez prévenu. Ne vous avisez pas de me croire sans défense.”. Elle ne se battait certes pas avec les mêmes armes, mais cela ne voulait pas dire qu'elle n'en possédait pas. Son regard clair est implacable, et sa mine relevée porte la marque d’une noblesse de sang. “Si vous attaquez, veillez à ce que je ne me relève pas. Car autrement, je vous retirerais tout ce que vous aimez, tout ceux en qui vous avez confiance. Elric le premier.”. Elle prévient. Peut-elle réellement le détruire, cet homme aussi arrogant que détestable? Elle n'en a aucune idée. Mais l'on ne gagnait pas des batailles si l'on n'était pas sûr de soi.

Elle crache la fumée et écrase le mégot sur le cendrier dans la balustrade. “Vous êtes pire qu'un enfant. Vous pleurnichez sur le choix de votre ami, mais êtes bien incapable de vous dresser contre.” S'il la haïssait tant, alors qu'il mette fin à sa vie. Qu'il plaide l'accident. Elle au moins serait libre. “Vous avez une chance unique de vous débarrasser de moi. Ici, maintenant. Alors faites-le, si vous en avez le courage et si vous êtes prêt à en assumer les conséquences.” Elle marque une pause, le regarde droit dans les yeux. Et durant une seconde ou deux, il ne se passe rien. “C’est bien ce que je pensais.”