[TERMINÉ] demanding is need, begging's a sin | arsène

Bien nombreuses missives avaient été reçues au domaine d'Apcher durant les derniers mois écoulés. Condoléances sincères, respects hypocrites, menaces voilées sous de délicates lettres rédigées à l'encre noire sur du parchemin vieilli. Elles s'entassaient sur le bureau du Baron, se mélangeaient les unes aux autres sans jamais se voir classées, triées, rangées. Quelques unes virent leurs écrits disparaître dans l'âtre de la cheminée, léchées par les flammes dansantes. Pourtant, dans ce flot continuel de hibou reçus à toute heure, une lettre en particulier avait attiré l'attention du loup blanc.

S'il avait déjà reçu des invitations le sommant de se déplacer, ce contexte était encore bien inédit. Arsène n'avait jamais encore eu l'occasion de traiter des affaires internationales, son père n'avait d'ailleurs jamais pris le temps de l'initier puisqu'en dehors de la France, les d'Apcher ne s'intéressaient pas au monde qui les entourait. Fiers chauvins auvergnats, ils laissaient avec plaisir ce genre de questionnement aux de Valefor. Ils leurs faisaient de toute façon parfaitement confiance, royalistes qu'ils étaient. Pourtant, malgré ses racines bien enterrées sur le territoire français, Arsène devait bien admettre que d'être contacté par un ruskof envoyé sur ses terres pour montrer patte blanche et tenter de nouer des liens internationaux était plutôt flatteur. Il se sentait puissant, fier d'être considéré alors que sa propre nation l'aurait volontiers chassé de ses terres toutes fourches dehors. Mais les d'Apcher n'étaient point faciles à déloger. Le fief appartenait à la famille depuis plus de 900 ans, et si même la trahison des Le Floc'h et des Chaumet n'avait réussi à le réduire en cendre, il ne faisait aucun doute que rien ne pouvait l'abattre.

Entre les mots clairs et concis ne laissant aucun doute sur les intentions de son auteur, deux lignes avait attisé la curiosité et l'intérêt du Baron. Une chose en commun que l'on ne pouvait coucher sur le papier mais qui pourrait l'intéresser. Quoi que cela puisse être, Arsène se doutait de ce qui pouvait les relier. Car en dehors de sa condition de loup, le Baron n'avait point de particularité dissimulée.

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Poussé par une lune montante le rendant confiant, Arsène avait attendu le lundi soir pour finalement se décider à rejoindre l'étranger à l'auberge de mademoiselle Hermance. Si le village se trouvait à plusieurs heures de marche, Arsène avait fait le choix de seller son étalon plutôt que de se rendre sur place à l'aide de la magie. A dire vrai, il préférait galoper sur les longues étendues de son domaine plutôt que de transplaner qui lui donnait mal au coeur. Il n'utilisait la magie que lorsque la distance était bien trop grande pour être effacée à cheval. Une singularité qui ne faisait qu'ajouter à l'excentricité de la famille d'Apcher.

Le jour était tombé lorsque le Baron arriva à Saint-Chély-d'Apcher. Le village, niché entre les montagnes auvergnates était un véritable paradis. Ici, point de moldus venant souiller les pavés, aucune raison de cacher sa magie. Lorsqu'il était enfant, Arsène adorait venir ici avec sa mère. Il courait dans les ruelles et s'échappait toujours pour aller quémander des sucreries à la confiserie. Ici, tout le monde se connaissait. Les habitants étaient toujours les mêmes, vieux sorciers retraités et leurs enfants fermement attachés à leur Auvergne. La ville ? Très peu pour eux.

Arsène attacha son étalon sous le sommaire abri construit pour les chevaux d'Apcher par mademoiselle Hermance et inspira à plein poumon l'air frais gorgé d'odeurs familières de ces montagnes. Par la lune, qu'il aimait cet endroit. Il retira ensuite ses gants de cuir avant de pousser la porte de l'auberge.

La brise fraîche auvergnate laissa alors place à l'ambiance chaleureuse et la douce senteur de la viande rôtie et des bougies. Il salua madame Hermance d'un signe de tête, tout en sondant la salle. Vide, c'était habituel à cette heure de la soirée. Seul deux ou trois âmes en train de diner, un couple de sorciers cinquantenaires, le vieux Léopold avec son oeil de verre, et un homme qui lui tournait le dos. Carrure large, il était attablé une cigarette à la main. S'avançant d'un pas sûr, Arsène contourna la table pour lui faire face.

« Daube de sanglier ? Très bon choix. Vous devriez goûter les biches de nos terres une autre fois. Un délice »

Il ôta son manteau, le posa sur la chaise et pris place en face au ruskof avant de se tourner vers mademoiselle Hermance et de lever la main pour lui commander une choppe de bière brune.

« Je m'excuse de vous déranger durant votre diner, je n'ai pu me libérer plus tôt. » il lui tend la main « Arsène d'Apcher. Voilà un endroit encore inédit pour des présentations. »

Le Baron n'était point homme à baisser facilement sa garde devant des inconnus. Courtoisie de convenance en masque, il ne laissait rien transparaître de ses émotions. Les sous entendus que le dénommé Alekseï avait pu esquisser dans sa missive étaient désormais l'évidence même pour un homme béni par la lune dès la naissance. Ils se reconnaissaient, ils se reniflaient, l'instinct de la bête toujours aiguisé pour trouver chemin vers les siens. Et les contractures musculaires que pouvait percevoir l'alpha lui indiquait qu'il était de manière plus qu'évidente en position de force face à ce loup étranger qui flairait la soumission.

L'homme derrière la bête, pourtant, avait une carrure à ne point rougir. Le teint clair et les yeux d'un bleu glacial venaient s'ajouter à un nom de famille aux sonorités de l'Est. Une prestance bien affirmée, il ne faisait aucun doute que l'homme attablé en face de lui ne devait pas être sous estimé. Poigne ferme et chaude, les prunelles flamboyantes d'Arsène se plantant dans les iris azur d'Alekseï. Car malgré la lune encore lointaine, les bêtes s'étaient trouvées, et il avait bien l'intention de faire comprendre à son hôte à qui il avait affaire.

Pas d'inquiétude. Excusez mes méthodes quelque peu cavalière dans ma prise de rendez-vous mais je préférai que ce que notre discussion se déroule loin des oreilles indiscrètes. Non pas que nos conditions soient des secrets mais je doute que mon gouvernement apprécie ce que j'aurai à vous demander. Je tiens toutefois à vous remercier de vous être déplacé. C'est un honneur de vous rencontrer.

Un soupir amusé échappa au Baron tandis que mademoiselle Hermance lui apporta sa choppe. Il la remercia d'un mot, puis la regarda s'éloigner. Pour sûr, la condition de la famille d'Apcher n'était pas un secret en Gévaudan, et encore moins ici. Village niché dans les montagnes portant le nom de la famille seigneur de ces terres depuis bien des siècles, Saint-Chély-d'Apcher était le village sorcier le plus fidèle à la maisonnée. Là où les autres avaient sorti fourches et flambeaux pour chasser la Bête en son temps, certains des ancêtres de la famille, cousins et autres serviteurs avaient pu trouver refuge entre les murs de pierre des chaumières du village. Choisissant le camp de leurs Seigneurs plutôt que de leurs détracteurs, ils avaient ainsi gagné la sympathie des d'Apcher et les habitants de la génération actuelle étaient encore bercés par des récits plaçant les membres de la famille Baronne en héros trahis.

Mais si la discrétion et l'acceptation des loups possédant leurs terres était assurée par les habitants de ce village, les choses étaient bien différentes dans le reste de la France. Aujourd'hui encore, ils était méfiés, craints. Plutôt que de les accepter pleinement en aménageant des espaces spécialement conçus pour éviter aux loups de blesser des personnes innocentes, on préférait les enfermer, les enchaîner, les contraindre à l'agonie dans de petites cages tel des animaux impies. Plutôt que de les accepter, chercher à les faire disparaître au moyen de recherches sur une potion capable d'annihiler ce don de Séléné. Discrimination à vomir.

« J'ignore de quelle manière notre condition est vue en URSS, mais je ne puis que vous conseiller de rester discret en France, cher ami. Dans l'hexagone, le loup est mal vu, il est chassé. Je vous conseille de rester vigilent lors de vos sorties nocturnes. »

Il avala une longue gorgée de bière avant de poursuivre.

« J'apprécie toutefois votre discrétion, si nous aurions tout aussi bien pu nous entretenir dans l'intimité de mon bureau, il m'est toujours très agréable de me rendre à Saint-Chély-d'Apcher. J'ignore encore vos doléances, mais le cadre informel d'une auberge, une cigarette et une bonne pinte de bière après une longue chevauchée me met à n'en point douter dans la meilleure des conditions. »

Il sort à son tour une cigarette d'un étuis argenté poinçonné des armoiries familiales.

« Alors, Alekseï, pouvez vous me dire la raison de notre entrevue et de votre passage dans nos montagnes ? Vous avez évoqué votre gouvernement, êtes vous là pour affaires ? »

Ne perdant rien de sa superbe, le loup bombe le torse. Si l'homme aurait pu être plus subtile face à un être ordinaire, la présence du loup face à lui le faisait agir d'instinct. Sans chercher à le dévorer, il l'enveloppait de son aura, cherchant à tester les réactions lupines. Le dominant tire sur sa cigarette, avalant à plein poumon la fumée parfumée du tabac le regard toujours fermement ancré dans celui du ruskov. Il n'allait pas détourner le regard, certainement pas.

« Par ailleurs je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion pendant votre diner, si vous souhaitez le terminer avant d'entamer nos discussions, je pourrais vous rejoindre avec une part de tarte aux mirabelles. »

La communication non verbale faisait rage entre les deux loups. L'alpha d'une part, testant, enveloppant la pièce de son aura dominante, ordonnant à la soumission. Le bêta de l'autre côté, en proie à une différence significative entre le regard et la gestuelle. Arsène n'avait jamais été de l'autre côté de la barrière. Il avait toujours été un dominant, et avait depuis toujours été élevé pour prendre la tête de la meute lorsque le moment serait venu. Il n'avait jamais fait preuve de soumission, pas même envers le loup noir du Gévaudan, mais il avait dû ronger son frein parfois et cet aveu de faiblesse l'avait rendu plus bouillonnant encore. Les deux hommes en étaient encore aux présentations, ainsi le loup blanc ignorait de quel côté se situait le bolchevik, bien qu'il ne sembla pas en posture de domination. Quant à savoir s'il agissait ainsi parce que l'alpha était sur ses terres ou parce que lui n'était point dominant, seul le temps et les échanges le lui diraient.

A n'en point douter, Alekseï n'aurait aucun mal à maîtriser Arsène en combat singulier, nature lupine mise de côté. Si le Baron savait user de sa baguette, il ne faisait pas le poids à la force pure face à un membre aussi carré de l'union soviétique. Heureusement, point d'affrontement ne semblait à l'ordre du jour, et le russe montrait patte blanche par son attitude. Arsène s'autorisa alors à se détendre, calmant la Bête qui s'était faite comprendre, c'était une certitude.

Je vous en prie, restez.

Le Baron s'installa alors plus confortablement, continuant de fumer sa cigarette en sirotant par intermittence sa pinte plus que bienvenue après cette longue chevauchée dans la nature auvergnate. Il écouta son interlocuteur parler, expliquer les raisons de cet entretien. S'il ne disait mot sur sa mission en France, ses ambitions de loup étaient pour autant très claires. Arsène leva un sourcil pourtant, puisque le ruskof ne lui demanda pas clairement de rejoindre sa meute durant les pleines lunes qu'il passerait dans l'hexagone. Attendait-il une proposition de la part de l'alpha ou souhaitait-il une lettre de recommandation pour rejoindre un autre groupe de lycanthropes ?

Arsène se redressa sur sa chaise, posa nonchalamment un coude sur la table et se frotta la lèvre de manière pensive.

« Je comprends le désarrois de votre Bête. Comme vous le dites si bien, le loup n'est point animal solitaire. Il aurait été bien plus commode pour vous de posséder une forme animale moins communautaire pour vous épanouir dans les forêts françaises. Un renard pourquoi pas ? Ou bien un lapin. Mais un loup... »

Arsène laissa mourir sa phrase en tirant sur sa cigarette.

« J'ai cependant du mal à saisir l'objet de cette conversation. J'entends parfaitement que vous souhaitez trouver compagnons pour vos pleines lunes, mais qu'attendez vous de moi, Alekseï ? Êtes vous en train de me demander de manière détournée l'autorisation de joindre ma meute durant la durée de votre séjour en France ? Si c'est le cas, demandez sans crainte, mon ami - camarade, vous dites chez vous ? - inutile de tourner autour du pot. La meute d'Apcher est la plus fournie de l'hexagone, à ma connaissance et je ne saurais vous en conseiller une autre, vous vous en doutez. »

Alors que le Baron marque une pause dans son laïus, il observe le couple de sorciers quitter l'auberge non sans avoir posé un regard lourd et appuyé sur le russe. Évidemment, les villages auvergnats aussi bien nichés dans les montagnes n'ont que peu l'habitude des étrangers, alors lorsque l'un d'eux est en entretien avec le Baron lui même, cela peut poser questionnements. Surtout dans une auberge si peu fréquentée. La lourde porte s'ouvre sur un courant d'air froid, et Arsène attend qu'elle se referme pour poursuivre.

« Même si rejoindre les miens ne se fait pas aussi simplement qu'en le demandant gentiment, vous conviendrez que cela serait la porte ouverte à n'importe quelle personne mal intentionnée qui pourrait nuire aux miens... »

L'alpha scrute, il guette le moindre geste, la moindre tension musculaire ou quelconque lueur dans le regard du russe installé devant lui et qui semble désormais bouder son repas depuis que leurs échanges se sont intensifiés. Il teste, cherche à déterminer si le dénommé Alekseï joue parfaitement franc jeu ou s'il est animé par quelque dessein plus pernicieux. Forcé de constater qu'il semble n'avoir rien à cacher à première vue, le loup blanc s'adouci et écoute attentivement les paroles de l'étranger.

Il ricane légèrement à l'évocation d'un alpha qui ne serait pas le Baron d'Apcher. Idée saugrenue, mais pourtant légitime à questionnement. Naître à la tête d'une famille noble ne faisant pas par défaut un homme loup dominant, bien qu'aussi loin que la mémoire de la famille puisse chercher, la meute d'Apcher fut toujours guidée par le Baron en place ou par son fils aîné en âge de réclamer cette position ainsi que l'avait fait Arsène lui même une décennie auparavant en succédant au loup noir. Tel était le rôle à jouer, telle était la tradition, la manière de faire des loups du Gévaudan. Et que la lune l'entende, le jeune Baron espérait bien que ses propres enfants à venir ne rompent point la tradition familiale. Non pas qu'il y ait à rougir de naître bêta ou delta, ils sont nécessaires au bon fonctionnement d'une meute après tout.

« Votre loup a deviné juste, Alekseï. Je suis à la fois à la tête de la famille d'Apcher tout autant qu'à la tête de ma meute. Ployez donc, camarade, je vous en prie. Mais me feriez vous le plaisir de m'indiquer le rôle que vous jouez au sein de votre meute au pays ? »

Car bien qu'il n'eût à ce stade de la conversation encore point demandé clairement à joindre les siens, l'alpha n'en oubliait pas son instinct de dirigeant. Loup depuis la naissance, il ne pouvait ignorer les suppliques d'un semblable en mal de meute, en mal de se congénères. Tendre la patte au loup solitaire était l'une de ses spécialités, si bien que la meute d'Apcher ne cessait de s'agrandir depuis qu'il en avait pris la tête.

Et puis vint finalement la question fatidique, claire et solennelle ainsi qu'il aimait qu'on lui réclame. Car plus que tout, Arsène aimait l'honnêteté. Oh, bien entendu, seul un fou accepterait d'une poignée de main une telle demande sans chercher à creuser d'avantage - et fou, il ne l'était point. Il devait admettre pourtant, en dominant sûr de lui, que se voir quémander une place auprès des siens le comblait toujours autant d'une fierté sans pareil.

« Je ne vois à priori aucune raison de vous refuser l'accès à mes terres lors des pleines lunes. Toutefois comme vous devez vous en douter, je vais avoir besoin de plus d'informations et la certitude que vous serez prêt à vous plier aux obligations que j'impose aux membres de ma meute. Tout cela, évidemment, dans le but de m'assurer que votre présence ne nuira ni au groupe, ni à ses membres, ni à ma propre réputation. »

Car il ne faisait pas bon être loup garou en France depuis que ces traitres de Chaumet avaient réduit à néant les efforts de ses ancêtres. Depuis les sanglants événements, les lois concernant les lycanthropes avaient évolués, elles s'étaient durcies. Forcés de se recenser pour ne pas être hors la loi, il leur était également interdit d'exercer un métier en lien avec la sécurité nationale ou à la justice. Lois injustes qu'Arthur tentait de combattre avec l'appui de la princesse héritière mais qui, à l'heure actuelle, étaient encore bien en vigueur.

« Je ne demande aux jeunes recrues rien de bien contraignant. Tout d'abord, vous êtes vous recensé auprès du Ministère des Affaires Magiques en arrivant sur le territoire français ? Les d'Apcher tiennent particulièrement à se trouver en règle et n'acceptent pas de loups clandestins. »

Voilà une affirmation qui n'était pas tout à fait exacte. Mais cela, Arsène se garda bien de l'ébruiter. Seuls les membres de confiances étaient tout à fait au courant que dans l'ombre, l'Alpha s'assurait de garder un nombre respectable de lycanthropes non recensés dans ses rangs. Rejetant en bloc la politique du Ministère et ne lui faisant aucunement confiance, ce n'était qu'une précaution indispensable pour s'assurer d'avoir toujours un coup d'avance en cas de pépin. Il tira une dernière fois sur sa cigarette, l'écrasa dans le cendrier à disposition et poursuivi son laïus.

« Vous êtes libre de vaquer à vos occupations, hors cycle, à condition de garder votre langue quant au fonctionnement de la meute. Nous aimons la discrétion, la rivalité lupine n'est pas un mythe comme vous le savez, et d'autres meutes convoite mes terres riches en forêts. Il serait de mauvais goût que qui que ce soit d'extérieur à la meute se retrouve au courant de nos fonctionnement. »

Arsène laissa passer quelques instants de silence, tentant de déceler les pensées de son interlocuteur face à ses paroles, puis repris la parole.

« Enfin, vous devez impérativement vous rendre sur les terres d'Apcher l'après midi avant votre transformation, et y rester jusqu'au lendemain. Nous passons nos pleines lune exclusivement sur les terres de ma famille. Forêts denses regorgeant de gibier et des hectares à parcourir à perte de vue. Point de moldus à déplorer sur notre chemin, le territoire de la meute est protégé par des charmes magiques afin de ne pas risquer que nos activités nocturnes ne mette en péril nos voisins ainsi que le secret de notre condition. En Gévaudan, les rumeurs filent à toute vitesse lorsqu'il s'agit de meute de loups gigantesques. »

Là encore, Arsène se gardait bien de fournir au russe ses véritables pensées quant aux moldus et au secret magique. Il se contentait de lui servir un discours bien rôdé et de montrer un côté tout à fait acceptable de la meute. Il était toujours prudent avec les nouvelles recrues, ne souhaitant pas risquer de révéler à un espion des informations pouvant mettre en danger les siens.

« Je vais également avoir besoin de plus d'informations quant à la durée de votre séjour en France. J'aimerais pour finir m'assurer que l'alpha de votre meute au pays ne sera pas froissé de votre désir de joindre les miens le temps de votre passage en hexagone. Je ne tiens pas à mettre la meute en danger si d'aventure votre chef décidait de nous attaquer pour laver quelconque affront. »

Inlassable ballet silencieux de deux loups étrangers tentant de juger si le compère assis en face de lui est digne de confiance. Jeux de regards, méfiance informulée et désir de sonder l'âme lupine offerte en amitié, voilà tout ce qui se dégageait de la conversation des deux hommes. Oh, extérieurement, rien ne viendrait indiquer qu'entre les deux se joue une véritable lutte animale, et qu'au premier signe de faiblesse c'est un tout autre ballet qui risquerait de s'animer.

Mais heureusement, les deux hommes semblent s'entendre. Ainsi que l'avait soupçonné le loup blanc, son compère russe n'occupait pas la place de loup oméga dans sa meute. Instinct animal ou devinette rondement résolue, l'on ne saurait dire. Arsène s'autorisa un instant à rire intérieurement si d'aventure il venait à imposer Alekseï à son rang habituel au sein de la meute. Il ne faisait aucun doute que Léonore s'en insurgerait, oser lui prendre sa place à elle ? L'avait-on bien regardée ? Sa fougue et son franc parlé avait toujours plu à Arsène, il préférait cela à des non-dits et des mots acerbes que l'on pourrait colporter dans son dos. Car franche, féroce et brute de décoffrage, la louve l'était mais jamais elle n'eut osé franchir la ligne blanche et manquer de respect à son alpha.

La hiérarchie était effectivement bien établie dans la meute d'Apcher, le russe ne se trompait point. Et son désir de ne quémander aucune place particulière mais simplement terrain vaste à fouler et un groupe à intégrer ne manqua pas de mettre le baron dans les meilleurs dispositions. Bien qu'il ne s'agissait là que de paroles, les réponses que lui destinait le Bêta lui convenaient parfaitement. S'il acceptait avec une si respectable facilité les conditions du loup blanc, ce dernier daignerait sans aucun doute à lui accorder un essai à la prochaine pleine lune. L'esprit de meute et le désir de la voir s'enrichir toujours plus ne le quittait jamais, tel était le fardeau qui était le sien en tant que chef. Dominer, soumettre, mais surtout, protéger et prendre sous son aile tout loup égaré dans le besoin.

« Fort bien. » Se contenta de répondre le Baron tout en se redressant sur sa chaise. « Tant que vous gardez pour vous les détails quant à nos habitudes, il me semble raisonnable de vous accorder de tenir votre alpha originel informé de votre condition. J'attends cependant que, durant votre séjour au sein de ma meute, vous obéissiez à mes demandes tout comme s'il s'agissait de celles de votre chef au pays. Je ne tolère au sein de mes rangs aucune forme d'insoumission. »

Là encore, il imaginait sans mal le haussement de sourcil agacé d'une Léonore effarée qu'il ose affirmer une telle chose. Car s'il n'acceptait, il est vrai, aucune forme d'insoumission au sein de la majorité des membres de sa meute, le comportement de son propre frère pouvait tout à fait passer pour de la rébellion. Arsène chassa cette pensée, il avait de toute façon prévu de mettre un terme à l'indiscipline d'Arran.

« Puisque nous semblons nous entendre sur les choses les plus essentielles, je suis prêt à vous accorder une pleine lune d'essai au sein de ma meute, mais il vous faudra au préalable faire la connaissance des membres hiérarchiques qui la composent, à savoir de mes deux bêta qui veillent tout autant que moi à la sécurité de nos oméga. Bien que mon instinct ne me fasse que très rarement défaut, il y a plus en jeu que ma propre vie si d'aventure vous aviez de mauvaises intentions à notre égard. »

Car malgré tout, il ne fallait pas l'oublier, le loup est un animal territorial. Et quoi de mieux qu'infiltrer une meute pour en découvrir les failles avant de les confronter pour récupérer leurs terres ? En bon alpha, et même s'il possédait quoi qu'il arrive le dernier mot, Arsène n'oubliait jamais de sonder le ressenti de ses Bêta avant de prendre la décision d'intégrer une nouvelle Bête à sa meute.

« Ces conditions vous conviennent-elles ? Vous avez peut être également des demandes ou des interrogations que je pourrais lever ? »

Les minutes s'égrainent inlassablement alors que le russe termine son repas, et qu'un accord semble sur le point de se sceller entre les deux lycanthropes. Arsène n'avait jamais été du genre à tergiverser des siècles avant de prendre une décision, il préférait laisser aller son instinct et tenter les choses plutôt que de les craindre. Il avait de toute façon confiance en sa meute, en les siens et en lui même. Il était sur son terrain, sur ses terres qui le mettaient indubitablement en position de force face au loup étranger venu quémander place dans un groupe. Il n'avait jusqu'alors encore jamais eu à regretter ses choix - du moins, jamais à ce sujet.

Terminant sa pinte de bière d'une gorgée, l'alpha écouta les paroles de son compère en levant un sourcil. S'il était l'alpha de la meute d'Apcher, il n'en restait pas moins un homme sachant écouter les griefs de ses semblables et prendre en considération leurs émotions. C'est d'ailleurs ce qui faisait de lui un meilleur chef que son père avant lui, qui avait la fâcheuse tendance de régner en Maître en oubliant que sans le soutien des siens, on n'est plus rien. Et si le loup blanc du Gévaudan ne courbait jamais l'échine lorsqu'une décision était prise, il était assez avisé pour entendre les revendications des siens afin de toujours agir pour le bien de tous.

« C'est pourtant le moment de les négocier, mon ami. Car si d'aventure vous veniez à rejoindre effectivement ma meute, tout marchandage sera impossible alors. Mais j'apprécie votre dévotion ainsi que votre confiance, je tâcherai de la mériter durant votre séjour chez nous. »

L'entrevue des deux hommes touchait à sa fin, la soirée avait été bien employée et la conversation avait été plus que satisfaisante. Un loup de plus à compter dans ses rangs, si Amaury et Naoki - qui remplaçait Léonore durant son absence - n'y voyaient aucune raison majeure de s'y opposer, était toujours une victoire personnelle pour le chef de meute. On disait des d'Apcher qu'ils étaient décadents, que leur noblesse était vouée à s'éteindre et qu'ils finiraient par tomber dans l'oubli, pourtant la réalité de l'ombre était toute autre. Et ce n'était que le début.

« Il sera inutile de patienter si longtemps, je devrais pouvoir organiser cette rencontre dans les prochains jours ou les prochaines semaines suivant vos disponibilités. Envoyez moi un hibou dans deux jours, ainsi votre oiseau saura vous trouver lorsque je répondrai à votre missive, si d'aventure vous avez déjà quitté le Gévaudan. »

Arsène se leva alors de sa chaise, et passa son manteau. Il tendit la main à Alekseï.

« Je vous souhaite bonsoir, Alekseï. J'ai hâte d'avoir de vos nouvelles, si toutefois vous ne changez pas votre fusil d'épaule d'ici là. Je me réjouis de vous faire découvrir les terres sauvages françaises et ses reliefs. »

Et sur ces mots, le baron sorti de l'auberge après avoir réglé auprès de mademoiselle Hermance sa consommation du soir. Dehors, l'air était bien frais et il mis prestement ses gants avant de poser sa main sur l'encolure de son étalon. Pour sûr, cette invitation énigmatique avait été bienvenue. Il ne restait plus qu'à patienter et voir si l'échange de ce soir porterait ses fruits...



RP TERMINÉ