cours ô loup de bois - Anya

La nuit avait été longue comme elle l’était très souvent avec l’absence de Dorimène. Avant que sa belle-sœur ne décide de prendre la morsure, elle avait eu le mérite de la compagnie pendant qu’elle brodait ou tissait pour le domaine. Il lui fallait composer depuis quelques temps déjà avec le fait qu’elle se retrouvait seule. Apolline était en vadrouille elle ne savait où pour les Antiques Rêveries tandis qu’Athénaïs avait à faire chez elle. Il n’y avait que sa belle-fille qui aurait dû être là mais ses enfants l’avait retenue. Elle avait passé la nuit à tisser avec pour seule présence Ginka sur le haut de son métier à tisser. Lorsque les premières lueurs du jour avait éclairci le ciel, elle s’était comme à son habitude préparée. Onguents, pansements, fil de couture, paire de ciseau. Malgré la fatigue de la nuit blanche, Anya était sortir en direction de la forêt. Ginka l’avait aidée à retrouver chacun des membres de la meute.
Comme d’habitude, ce fut Dorimène qu’elle trouva en premier et dont elle s’occupa également. S’assurant que sa belle-sœur se trouvait relativement en forme malgré la nuit qu’elle venait de passer, Anya continua sa ronde auprès des membres de la Meute. Arsène, bien sûr, mais aussi Amaury, Léonore, Arthur, Naoki. L’absence d’Aloïs se faisait ressentir mais Anya n’en fit pas grand cas pour l’instant. Le reste des omega attendaient. Lorsque ce fut fait, Anya remarqua le second absent qui se faisait réellement désirer. Elle devait admettre qu’elle avait été surprise lorsqu’Arsène lui avait annoncé la venue d’un certain Alekseï Januszew. Le nom sonnait russe et en se renseignant grâce à ses relations avec la FESP, Anya avait découvert son rôle d’ambassadeur.
Constatant qu’elle ne le trouverait pas, elle décida de remettre à plus tard cette rencontre. Elle avait plus pressent à faire que de courir le bolchevik, comme s’assurer de ses stocks en vue de sa visite mensuelle chez les Rosier avant de songer à aller se reposer. Dans son antre à l’écart de la demeure principale, elle terminait ses notes de son écriture vieillie et ancienne. L’antre était tout ce qu’il y avait de plus sombre et glauque, bocaux de divers liquide, potions, plantes et choses non identifiés prenant la poussière, table et instruments, livres rangés sur leur étagère. Ginka était perchée sur son perchoir habituel et se contentait de la fixer de son regard un peu trop intelligent pour un corbeau.
Ce ne fut que les coups à la porte qui lui firent relever la tête. Tout le monde savait qu’à moins qu’il y ait une urgence, personne ne devait la déranger pendant qu’elle était dans son antre. S’approchant de la porte, la bulgare ouvrit cette dernière d’un coup de sortilège. L’homme qui lui faisait face était une montagne à lui tout seul au sommet de laquelle une tignasse blonde se trouvait. A son air, elle devine que la pleine n’a pas été tendre comme pour le reste de la meute. Les cernes sont profonds, l’air crispé ne trompe pas. Et lorsqu’il ouvre la bouche pour parler, elle note qu'il n'a pas d'accent. Le voilà donc le loup qui se cachait d’elle. Son regard d’acier trouve ses jumelles et Anya ne montre rien que sa froideur et sa hauteur habituelle.
« Monsieur Januszew. » commence-t-elle dans un russe parfait à l’accent bulgare. Elle le détaille de haut en bas avant de dire désigner le lit plus loin. « Asseyez-vous et montrez-moi où vous êtes blessé. » Son ton ne montre aucune chaleur si ce n’est son autorité naturelle. « Il faudra venir plus tôt la prochaine fois. » claqua-t-elle enfin sans le quitter du regard.

Le regard d’acier observe la mâchoire se serrer preuve que sa remarque ne fait pas plaisir. Anya n’est pas là pour se faire des amis malgré tout. Elle est, certes, une référence pour la meute, les soutenant autant qu’elle le peut à sa façon, mais Alekseï a mal démarré. Se cacher d’elle et l’éviter n’est pas très judicieux. Elle savait très bien qu’elle était intimidante, mais les règles de politesse s’appliquaient malgré tout. Lorsqu’il répond, elle n’est pas impressionnée mais cela lui laisse supposer qu’il avait précédemment été un loup solitaire.
« Vous n’êtes plus seul. Tachez de vous en rappeler. » répondit-elle avant de le laisser s’installer.
Refermant la porte pour que le froid de l’hiver ne vienne pas un peu plus descendre la température de la pièce, Anya pointe sa baguette sur le bois coupé qu’elle met dans sa cheminée pour renforcer le feu. Ce n’était pas le luxe ici, mais Anya n’en avait pas besoin. Certaines choses étaient trop chères pour être salies et Anya connaissait la valeur des choses.
Suivant du regard le grand blond, elle l’observe attentivement faire pour constater déjà d’un coup d’œil des soins dont il allait avoir besoin. Elle voit finalement des bleus, des griffures qui seront très faciles à faire partir. La douleur risquait cependant de rester. La magie ne pouvait pas tout réparer malheureusement. Alekseï avait eu une nuit compliquée dont il devra traverser seul les conséquences. Elle remarque également qu’elle a affaire avec le corps de quelqu’un qui s’est battu. Tout est noueux de muscles qui ne trompent pas. A force d’avoir les corps des membres de la meute sous la main et de ses expériences, elle sait reconnaître deux ou trois choses à ce sujet. Alekseï était le cliché même du russe.
Lorsque son regard tombe sur la cicatrice qu’il a sur les abdominaux, elle se souvient des célébrations de Sahmain. Elle avait laissé d’autres s’occuper de l’homme, elle-même occupée à jouer son rôle de matriarche à moindre degrés pour le banquet. Elle se souvient qu’on lui avait parlé d’un spectre.
À ses mots, Anya relève son regard dans le sien et fait un non de la tête.
« Votre corps a déjà été éprouvé par l’attaque du spectre et est arrivé avant votre transformation. »
La transformation avait bon dos mais elle ne réglait pas les problèmes de cicatrices de spectre. Un soupir agacé s’échappe des lèvres d’Anya.
« Leonore s’est occupée de ça elle-même ? Je ne reconnais pas son travail. C’est mal fait. »
Elle se déplace et vient récupérer son matériel. Quelques potions et onguents se déposent magiquement sur la table à côté d’Alekseï. Anya profite de se laver les mains dans une bassine d’eau propre avant de s’approcher.
« Où avez-vous le plus mal ? » continue-t-elle en russe, appréciant l’échange linguistique. Elle marque une pause avant de finalement demander : « Étiez-vous seul également en Russie ? » Sa curiosité est manifeste. Un ambassadeur russe sur les terres du Gévaudan, ce n’était pas rien. Si elle appréciait qu’Arsène semblait s’entourer de personnes importantes secondé par Dorimène, elle trouvait curieux que le russe se trouve ici. L’exode russe après la révolution avait beau être massive, Anya avait plus remarqué que ces derniers s’étaient plus installés vers Paris ou la Côte d’Azur. Peut-être était-ce la lycanthropie d’Alekseï qui avait motivé ce choix mais si c’était le cas, Anya dirait à Arsène de faire attention. Ce genre d’information sur la lycanthropie devait être cédée avec parcimonie. Le jeune baron devait s’en rappeler.

Elle sent comme une irritation lorsqu’elle critique le travail de la personne qui a tenté de le rafistoler. Sans s’émouvoir, ni être désolée de le contrarier, Anya considérait que c’était la pure vérité. Alekseï aurait pu récupérer plus vite s’il avait été entre les mains de personnes compétentes que ce soit elle ou Leonore. Et s’il est vexé, il devrait plutôt l’être d’avoir été suffisamment bête pour attendre de la voir parce qu’il l’évitait quelles que fussent ses raisons. Peu émue également qu’il soit plus facilement vexé à cause de sa condition, Anya n’était pas non plus connue auprès des siens et de la Meute pour être douce. La réponse à sa question vient finalement. Elle est un tantinet rassurée que Leonore ne soit pas devenue incompétente car elle aurait sûrement dit à Arsène de s’entretenir avec elle. Quant à cette compagne qui croyait bien faire, Anya jugeait qu’elle ferait mieux de s’abstenir la prochaine fois si elle ne souhaitait pas que son courtisan souffre comme il souffrait à présent. Elle comprend également mieux pourquoi il est glacé et mécontent. Elle a touché une corde sensible. Elle trouvera le nom de cette jouvencelle qui se croit médicomage.
Pourtant, elle resta silencieuse, considérant qu’il n’y avait rien de plus à dire et que son silence était suffisamment éloquent. Elle préfère s’occuper de lui et bien faire le travail. Regardant où il avait mal, elle jugea également que c’était l’endroit le plus urgent à vérifier. Il a beau tenter ne rien montrer, elle voit malgré tout son corps tendu. Ce spectre ne l’a définitivement pas raté. Écoutant la suite, la bulgare ne laissa rien paraitre bien qu’elle pensa que son neveu ferait mieux de ne pas adopter tous les loups errants qui passaient par là. Il en valait de la discrétion de la meute d’Apcher, de Dorimène également, cette dernière n'étant pas recensée… Et puis, elle avait tendance à se méfier des russes également. Elle ne pouvait donc que rejoindre Alekseï sur le fait que sa meute ferait mieux de rester en Russie.
« Je ne savais pas qu’un loup pouvait être dans deux meutes différentes. A moins que vous l’ayez quittée ? » Elle jetta un coup d’œil à la plaie saignante et reprit aussitôt : « Ne répondez pas tout de suite. Je vais regarder. Vous allez avoir mal. » Son ton est sec et factuel, sans empathie.
S’approchant, Anya s’autorisa à défaire avec une étonnante douceur le pansement, prenant autant de temps dont il en aurait besoin. Patiente, elle finit par retirer le pansement complètement et analysa la plaie. S’il souhaitait répondre à sa question, elle le laissa répondre et se concentra sur sa tâche. Elle nettoya la plaie, s’assura d’y apposer un cataplasme sur une bandelette. Elle ne remit pas le pansement mais se releva et déclara :
« Ne bougez pas. Cela doit faire effet. Je vais m’occuper du reste. »
Le cataplasme ne changerait pas le fait qu’il aurait mal mais elle parviendrait au moins à refermer la plaie. Il aurait de toute façon toujours les courbatures de sa pleine lune en plus de la fatigue.
D’abord silencieuse, Anya s’occupa des autres coupures et griffures qu’elle vit, des bleus également. Puis, après un petit temps, sa voix s’éleva de nouveau :
« Et où avez-vous connu mon neveu ? »
Elle retenait pour l’instant les autres questions qu’elle avait. Son regard revenait parfois sur la plaie qui ne saignait plus, mais dont elle surveillait l’avancée de cicatrisation en bougeant parfois la bandelette, consciente qu’elle lui faisait mal.