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Mère maquerelle de l'Empire des Sens, italienne au sang chaud et à l'accent méditeranéen prononcé, veuve noire, habile manipulatrice.
Candidate à la chambre de la noblesse, magistrat supérieur à la cour de Justice Magique, membre de la FESP, lycanthrope non recensé.
Duchesse de Bretagne, grande prêtresse du culte celte, très présente en politique, considérée comme femme la plus puissante de France.
Vétéran de la Grande Guerre, lycanthrope alimentant un folklore comme de la Bête des Tranchées, mécène pour les orphelins de guerre.
Héritier des Romanov en sursis, habile manipulateur ayant permis aux Romanov de s'implanter en France grâce aux Lestrange.
Victime collatérale de la guerre Lestrange/de Medici, voleuse de haute volée et espionne utilisant des niffleurs pour ses larcins.
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Yuan de MontroseLACHESIS | SECRET IS THE ONLY WAY.
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Succès
Fin Novembre 1927
Les murmures dans l’amphithéâtre s’estompèrent à l'instant où Yuan, brièvement présenté par le professeur de philosophie des Halls de Saint-Félix, gravit les marches de l’estrade avec l’autorité sereine d'un mandarin des anciens temps. Le silence respectueux qui s'ensuivit témoignait de l'anticipation palpable parmi les élèves et les enseignants présents.
— Mesdames, messieurs, commença-t-il d’une voix aussi douce que le claire de lune.
C’est avec une gratitude profonde que je me tiens devant vous en ce jour, ici, dans les Halls Saint-Félix, que j’ai moi-même fréquenté en tant qu’élève. Je remercie chaleureusement votre professeur — qui a également été la mienne — de m'avoir invité pour partager avec vous un modeste aperçu de la pensée qui a façonné ma patrie d'origine, la Chine.
Il laissa un silence méditatif s’installer, un instant de réflexion offert à l’audience, avant de reprendre, son regard s’attardant sur chaque visage, comme s’il cherchait à pénétrer les cœurs et les esprits.
— Aujourd'hui, je souhaiterais ouvrir avec vous une fenêtre sur les richesses intellectuelles de la pensée chinoise, forgée à travers âges par la plume des grands maîtres. Nous vivons une ère de transformation, où les anciens repères sont souvent mis à l'épreuve. Il est donc crucial, d'élargir son champ de vision. La sagesse des penseurs chinois, bien qu'elle semble lointaine, peut éclairer notre chemin dans ce monde nouveau.
Il se tourna légèrement, sa posture droite mais empreinte de cette souplesse taoïste qui lui permettait de s’adapter, tel le saule se pliant sous la tempête.
— Maître Kong, que vous nommez ici Confucius, enseignait que la fondation de toute société repose sur l'harmonie entre les individus. Le respect mutuel, l’honneur, et la rectitude morale sont les piliers de la civilisation. Et bien que les siècles aient passé, ces valeurs demeurent aussi immuables que les montagnes. Ensemble, nous explorerons ces concepts qui, bien que construits il y a des siècles, résonnent encore dans l’actuelle Chine républicaine*.
Il marqua une pause, son regard, semblable à une eau tranquille mais insondable, se posa ensuite sur les élèves, alors qu’il s’apprêtait à effleurer un autre courant de pensée.
— Le Tao, pour sa part, nous enseigne à suivre la voie naturelle, à observer le flux des événements sans résister. Le Taoïsme, à l’instar de la nature, nous rappelle que la rigidité conduit à la rupture, tandis que la souplesse garantit la survie. Une leçon essentielle, non seulement pour les anciens empereurs, mais aussi pour nous, citoyens de ce monde moderne, en constante métamorphose.
Un silence, comme celui précédant une tempête, fut imposé par Yuan. L’impératrice Cixi, en provoquant la chute de la dynastie Qing avec ses idées conservatrices, avait démontré cette importance de suivre le Tao. Yuan soupira. Contenant son mécontentement, il continua son intervention, sans ne dire mot à ce sujet.
— Enfin, les stratégies politiques et militaires qui peuplent les récits historiques, tels que le Roman des Trois Royaumes, ne sont pas des artefacts oubliés du passé, mais des clés pour comprendre l’art de gouverner et de négocier dans un monde où les conflits ne sont plus confinés aux champs de bataille. L’Art de la Guerre de Sun Zi n’est pas uniquement un manuel pour les généraux ; il est une boussole pour tous ceux qui cherchent à naviguer les méandres des relations internationales avec la Chine.
La diction de son intervention était emplie de cette sagesse ancestrale qui, bien qu’étrangère aux jeunes occidentaux présents, éveillait chez eux — il l’espérait — une curiosité inattendue.
— Un guide pour anticiper, planifier et triompher sans même lever le glaive, ajouta-t-il d'un ton malicieux.
[…]
Alors que ses dernières paroles s’éteignaient, l’amphithéâtre se fit silencieux. Il était difficile de discerner si l’audience était impressionnée ou simplement en train de digérer cette avalanche de concepts. Cependant, Yuan savait qu’une graine avait été semée dans tous les esprits. Le reste, comme toujours, dépendait du temps.
— Je vous remercie de m’avoir accordé votre attention. À travers notre échange d’aujourd’hui, j’espère vous avoir montré que la philosophie ne se limite pas aux cadres européens. La Chine, riche d’un héritage millénaire, a bien des enseignements à offrir au-delà des arts, dans les sphères de la philosophie, de la politique et de la modernité. Je vous encourage à ne point enfermer votre esprit dans les limites d’une seule tradition, mais à intégrer l’ensemble de ces philosophies dans votre réflexion critique, afin de tracer des voies nouvelles vers une compréhension plus profonde et des solutions plus créatives aux défis futurs qui se dressent devant nous.
* République de Chine (中華民國), 1912 – 1949.
Auguste LestrangeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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Succès
C’est un bref sentiment nostalgique qui l’étreint aux premiers instants de la présentation tandis qu’il réalise lentement combien elle lui a manqué. La première fois qu’il a eu la chance d’en être le récipiendaire fut aux prémices de son instruction à St-Félix, en qualité de jeune étudiant. Découvrir un bref aperçu des courants philosophiques provenant de Chine a été à la fois un plaisir personnel mais aussi une opportunité réelle, comme monsieur de Montrose l’affirme lui-même, d’étendre sa vision et de dépasser le cadre des pensées classiques occidentales enfermées dans des codes relativement similaires, même d’un pays à un autre.
Même après plusieurs années, il trouve encore de nouvelles nuances au discours du secrétaire ministériel, très loin de regretter les petites faveurs qu’il utilise pour avoir le droit de s’installer avec les nouveaux étudiants dans l’amphithéâtre principal. Une pratique qui eut sans doute fait grimper Nestor aux rideaux en criant à l’outrage mais Auguste n’y prête fondamentalement pas la moindre attention, si ce n’est pour un bref instant de divertissement à l’image qui lui vient à cette pensée. Ce ne sont après tout que des faveurs inconséquentes et pour le bien de l’éducation plus que pour toute autre raison.
La présentation passe en un battement de cœur, ou peu s’en faut, le temps une donnée secondaire lorsqu’Auguste est fasciné. Il cille, lorsque les applaudissements retentissent finalement, s’autorisant, dans le soudain brouhaha, un moment pour retrouver pleinement conscience de son environnement. Un coup d'œil sur sa montre lui indique que la phase des questions vient sans doute de s’achever, et avec elle, la présentation dans son ensemble. Replongeant l’outil dans la poche de son veston, Auguste patiente le temps de voir les premiers étudiants se lever, puis se glisse dans la masse pour rejoindre la porte dérobée qu’il sait se trouver derrière les tentures.
Le passage lui permet de couper au travers de la foule pour atteindre les couloirs utilisés au profit des experts invités par l’académie. Ses pas vifs lui permettent de rejoindre le petit groupe avant qu’il ne se morcèle et son approche attire indubitablement les regards.
“导师 DaoShi / Maître,” offre-t-il à monsieur de Montrose, de même qu’un salut de circonstance avant de se tourner vers la maîtresse référente des premières années, “Professeur.”
Celle-ci échangea encore brièvement avec monsieur de Montrose avant de prendre congé, laissant les deux hommes seuls. Une aisance qui arracha l’ébauche d’un sourire aux traits pourtant froids et protocolaires d’Auguste, ayant une nouvelle pensée pour Nestor. Décidément.
La pensée s’efface pourtant bien vite. De Montrose est une personnalité autrement plus subtile et fascinante que Nestor, et ce depuis le premier jour. Un homme doté d’une solide expérience autant culturelle qu’humaine et politique, avec lequel il a toujours eu plaisir d’échanger depuis cette première présentation sur les courants philosophiques chinois. Auguste se montra alors prolixe dans ses questions, engagé dans sa curiosité et le retour que De Montrose lui fit fut de ceux qui vous cheville l’intérêt au corps. Il faut dire qu’ils se retrouvent dans un partage de l’expérience de la culture chinoise, au sein d’un pays qui le voit surtout comme exotique et pas toujours en bien.
Bien entendu, Auguste ne s’est jamais placé sur un pied d’égalité avec le secrétaire ministériel. Leurs expériences diffèrent vastement et c’est bien pour cela qu’il rechercha l’enseignement de De Montrose, non comme expert invité par St-Félix mais comme mentor, à la fois intellectuel et politique, encore plus après la mort d‘Alaric et sa propre accession au statut d’héritier de la famille. Leurs entrevues comme leur copieuse correspondance restent dans l’esprit d’Auguste comme l’une des meilleures choses qui eut pu lui arriver. Une chance qu’il a osé provoquer et pour laquelle il espère toujours mériter l’attention que De Montrose veut bien lui accorder.
“Votre introduction aux courants de pensée est toujours un point d’orgue du premier cycle académique. J’espère que nous aurons l’occasion de vous entendre également nous offrir votre didactique sur des questions spécifiques. Il me semble avoir entendu le maître de débat évoquer une séance sur l’application de la vision taoïste à la situation politique française. J’ai le distinct sentiment qu’il cherche à tirer partie des engagements vastement opposés de ses élèves.”
Observant un instant de silence, Auguste se plaît à chercher les bribes subtiles d’expression sur le visage de son interlocuteur, avant d’ajouter.
“Puis-je vous accompagner ?”
Yuan de MontroseLACHESIS | SECRET IS THE ONLY WAY.
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31 Octobre 1927, Hall de St-Féli
Yuan inclina légèrement la tête, un sourire discret effleurant ses lèvres en entendant le salut en mandarin. « 导师 »*, ce terme, prononcé avec une certaine aisance par Auguste, évoquait à la fois respect et complicité. « 十年树木，百年树人 ; Il faut dix ans pour faire pousser un arbre, mais cent ans pour former un homme »**. Yuan se réjouissait de participer à l’épanouissement de cet élève.
— Auguste , salua-t-il d'une voix douce.
Un sourire imperceptible, empreint d’affection et de fierté silencieuse, éclaira le visage de Yuan. Il savait que ce jeune homme, d'apparence sévère mais animé intérieurement par une soif insatiable de connaissances, avait toujours un pas d’avance dans ses réflexions. C'était une qualité que Yuan admirait particulièrement.
— Maître de débat ou tacticien, ils ne sont parfois qu'une même personne, n’est-ce pas ? dit-il doucement, laissant traîner un peu de malice dans ses mots. Je me demande comment les jeunes esprits interpréteront le concept de 无为(wúwéi) - l'action par la non-action - dans le contexte des débats parlementaires français. La pensée taoïste, en sa fluidité, pourrait perturber les esprits trop rigides de vos camarades. Nous sommes en France, le pays de la Loi***, après tout, où l’ordre et les règles dominent. Peut-être y verront-ils une forme de sagesse politique, ou peut-être le considéreront-ils comme une invitation à l'inertie. Dans tous les cas, je suis certain que la discussion sera... animée.
Il marqua une pause, observant les traits d'Auguste, ce visage encore jeune, mais déjà gravé de la responsabilité que l’héritage de sa famille lui imposait. Yuan voyait en lui le potentiel d’un dirigeant capable de manier ces philosophies complexes avec une finesse que d'autres de son âge n'avaient pas encore développée.
— Appliquer cette vision à la politique française, en cette époque de transformations et de tensions, pourrait offrir une perspective apaisante. La politique, trop souvent, est marquée par des luttes de pouvoir et des conflits d'intérêts. Le Tao nous invite à chercher l'équilibre, à comprendre que la force brute n'est pas toujours la solution. « 天下莫柔弱于水，而攻坚强者莫之能胜 ; l'eau est la plus douce et la plus faible des choses, mais elle peut pénétrer ce qui est dur et fort »****.
L'idée d'explorer la vision taoïste dans le contexte politique français était fascinante. C’était un parfait exemple de ce que Yuan essayait d'enseigner - l'art de transcender les frontières culturelles pour trouver la sagesse universelle.
— Pour répondre à votre question : oui, je serais ravi que vous m'accompagniez. Je suis certain que votre présence enrichira notre échange. Comme le dit Confucius, « 三人行，必有我师 ; Quand trois personnes marchent ensemble, il y a forcément parmi elles mon professeur. »*****.
Il fit un geste gracieux de la main, invitant Auguste à marcher à ses côtés alors qu'ils quittaient la salle.
— En marchant ensemble, peut-être pourriez-vous me parler de ce que vos réflexions au sujet de ma présentation de ce jour. Je suis toujours curieux de savoir si mes paroles trouvent réellement écho dans vos réflexions personnelles. « 学而不思则罔，思而不学则殆 ; Apprendre sans réfléchir est vain, réfléchir sans apprendre est dangereux. »******
**导师 : Professeur, Tuteur, Chercheur (académique).
**十年树木，百年树人 : Chengyu , issu de l'ouvrage classique des Annales de Guan Zi (管子·权修), est une métaphore qui met en évidence que le fait d'éduquer une personne demande beaucoup plus de temps et d'efforts que de faire pousser une plante.
*** Pays de la Loi, traduction littérale de 法国 , France.
**** 天下莫柔弱于水，而攻坚强者莫之能胜 : Extrait du chapitre 78 du Daodejing (道德经) de Laozi (老子).
***** 三人行，必有我师 : vient des Analectes (论语·述而) de Confucius. Le texte original : 子曰：“三人行，必有我师焉；择其善者而从之，其不善者而改之。 (Traduction : Le Maître dit : "Quand trois personnes marchant ensemble, il y a forcément parmi elles mon professeur ; je choisis ce qui est bon chez elles et je l'imite, ce qui est mauvais chez elles et je le corrige en moi-même.”)
****** 学而不思则罔，思而不学则殆 : Cette phrase exprime une méthode de lecture et d'apprentissage préconisée par Confucius dans les Analectes (论语). Acquérir des connaissances sans les examiner ou les questionner ne mène qu'à une compréhension superficielle. Inversement, réfléchir sans une base solide de savoirs expose à des erreurs et des conclusions erronées.
Auguste LestrangeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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Dire qu’il n’apprécie pas la façon dont Yuan de Montrose l’observe en cet instant eut été mentir. Ce qu’il lit de ces traits élégants et tranquilles le réchauffe d’une fierté qu’il ne goûte que rarement. Tout autant qu’il s’en noue l’estomac à la pensée des raisons qui le poussent à aller au-devant de son mentor plus qu’il ne l’eut fait de rigueur. En l’instant, néanmoins, Auguste tord volontairement le cou de son appréhension, savamment juché sur son expression de courtoisie ajustée, pourtant immanquablement patiné d’un quelque chose qui préfigure à ses sentiments à l’égard de Monsieur de Montrose. S’il n’est en terrain conquis, il est néanmoins en terrain allié.
“Nombreux sont ceux qui considèrent les débats comme un duel,” ne peut-il s’empêcher de commenter, ayant encore à l’esprit les incontournables attaques personnelles de Nestor quelques jours plus tôt, bien qu’il gardât un ton tout à fait conversationnel, “du moins est-ce l’impression que me laisse parfois les podiums de cette année. L’influence grandissante des élections.”
Difficile de les blâmer. Au contraire, l’engagement de la jeunesse sorcière assure un renouveau idéologique. Il faut l’espérer, en tout cas. Mais il ne semble pas être le seul à contempler pareille possibilité car lorsque Monsieur de Montrose évoque le concept de wúwéi, Auguste ne manque pas d’y voir l’expression même de ce que bien des voix françaises détestent. Un instant, ses yeux en pétillent d’amusement, sans qu’il n’offre la moindre réplique, pondérant la question à sa juste mesure tout autant qu’il se fait auditeur attentif. Il opine néanmoins à plus d’une reprise, indiquant que son attention reste toujours vive.
Et il le suit, nouant les mains derrière son dos.
“无为 Wúwéi / L'action par la non-action,” glissa-t-il, la voix paisible, “vous connaissez mon amour disproportionné pour les définitions. Je ne déroge sans doute pas à moi-même en affirmant que tout dépend de ce que nous appelons l’‘action’ et de ce que non appelons la ‘non-action’.”
Une habitude prise à l’usure des voyages et de l’apprentissage de nouveaux langages, lorsque le jeune homme qu’il est découvrit à ses dépens que l’imagerie mentale est aussi peu universelle que l’évidence ou le sens commun. Sans se perdre dans le passé, il possède encore de vivides souvenirs de ses déboires aux Etats-Unis, ou encore en Asie du Sud. L’image de la brioche qu’une jeune femme lui tend dans une échoppe à Hong-Kong, par exemple, en lui affirmant qu’il s’agit de pain. Ou, plus dramatiquement, celle des douaniers américains au moment de lire le manifeste de marchandises écrit de sa main.
“Lorsque vous avez abordé le concept pour la première fois, du moins la première fois pour moi, je l'ai assimilé à une donnée physique. Par exemple accepter de laisser un partenaire de débat développer sa pensée, au risque que celle-ci s’ancre plus aisément dans l’esprit de l’auditoire, mais en retirant ainsi du temps d’écoute, une possibilité de mieux cerner les arguments et contre-arguments, les motivations et sources de la pensée.”
Leur pas est lent, une habitude terriblement étrangère à Auguste et son emploi du temps si chargé mais si lui croule sous l’ouvrage, Monsieur de Montrose, lui, doit littéralement se noyer. Et pourtant, ils vont lentement. Alors il se contente de se concentrer sur l’agréable de l’instant, un partage sain et sauf, dépourvu de tensions, sans enjeux si ce n’est rouer une pensée en constante évolution. Les couloirs, à cette heure, sont tranquilles, puisqu’ils prennent le sens inverse du reste des élèves, et le temps est clair s’il n’est clément. Autant de conditions positives pour favoriser l’écoute et l’échange et Auguste note, confondu, qu’il en a terriblement besoin.
“J’en suis ensuite venu à juger cette définition trop restreinte et restrictive. Si elle s’applique effectivement à une donnée physique, et on peut trouver d’autres exemples pour l’appuyer, je pense qu’elle est plus pertinente et riche en possibilités, si on l’étend et la nuance, et elle nécessite intrinsèquement de nous questionner sur notre perspective d’un sujet ou d’une situation.”
Curieux, mais aussi empreint d’une certaine forme de timidité auprès de cette figure emblématique de la République de Merlin, Auguste ne peut s’empêcher de surveiller sa gestuelle et son expressivité à la recherche de ses réactions.
“L’individu qui affirme que l’eau est faible n’a jamais été pris dans une tempête au large, gagerais-je. Sans même parler du témoignage du temps sur une falaise, comme vous le suggérez. Celui qui l’affirme perçoit en son esprit un cours d’eau ou une ondée ponctuelle. De même, quand nos pairs affirment devoir agir, ils s’imaginent uniquement l’instant présent, sans pousser la perspective sur les années et les cycles. Du moins est-ce là ce que je pense présentement.”
Pourtant, en dépit de ses précautions verbales, l’affirmation ne lui convient pas tout à fait. Il reste un sentiment d’inadéquation, de fragilité ou de manque dans l’idée qu’il souhaite exposée. Un instant silencieux, Auguste pondère avant de s’exprimer à nouveau dans l’espoir de compléter.
“Il y a, dans une majorité de discours politisés aujourd’hui, un sentiment... d’urgence, une certitude du besoin d’immédiateté que contredit de nombreux livres d’histoire et d’anthropologie. En cela, je pense que pour comprendre tout l’intérêt du 无为 Wúwéi / L'action par la non-action il faut avant tout repositionner sa pensée au-delà de ce besoin d’immédiateté.”
Il l’observa de nouveau, sensiblement plus assuré dans sa réflexion, mais invitant également la critique, certain que la réponse de Monsieur de Montrose lui permettra d’avancer sur ce concept. De même qu’une absence d’information offre tout de même une information, avec la bonne projection intellectuelle, se garder d’agir revient en réalité à agir. Cela demande cependant un travail de soi-même et une certaine discipline, dont il n’est lui-même pas toujours doté.
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31 Octobre 1927, Hall de St-Féli
Yuan écouta les réflexions d'Auguste avec une attention bienveillante, les yeux légèrement plissés. L'évocation des débats comme des duels, en cette période d'effervescence politique, lui tira un sourire teinté d'ironie.
— Vous avez raison, Auguste, les débats sont souvent perçus comme des duels, commença Yuan, sa voix douce mais empreinte d'une certaine gravité. C'est en effet une tendance regrettable, mais pas surprenante en ces temps d'élections, lorsque les ambitions se cristallisent et que chaque parole devient une arme pour ou contre l’adversaire. Dans cette agitation, beaucoup oublient l'essence même de la politique : le bien commun. Si le débat devient un champ de bataille, où est l’espace pour la réflexion ? Le Tao nous enseigne autre chose. Comme le disait Laozi, "天下有道，却走马以粪。天下无道，戎马生于郊。Quand le Tao règne sous le ciel, les chevaux de guerre sont renvoyés aux champs. Quand le Tao est oublié, les chevaux de guerre paissent dans les faubourgs."*
Yuan fit une pause, laissant ses paroles imprégner l'air autour d'eux. Il y avait dans les propos de son élève une maturité naissante, mais aussi une soif constante de comprendre les mécanismes plus subtils du monde qui l'entourait : et cela réchauffait le cœur de l’ancien mandarin.
— Votre réflexion sur le wúwéi est tout à fait pertinente, Auguste. Il s'agit de l'art de laisser les choses suivre leur cours naturel sans forcer les événements, mais aussi sans pour autant les ignorer. Laozi, dans son Daodejing, appliquait ce principe à la gouvernance : le meilleur souverain est celui dont la présence est à peine perceptible, car il laisse son peuple agir selon son plein potentiel.
Il sourit, se rappelant les empereurs de la dynastie Qing avec une certaines nostalgie, avant de poursuivre avec une note plus pédagogique.
— Ce concept fut même érigé en devise par plusieurs empereurs de notre Histoire. Saviez-vous que le trône de l'empereur Kangxi portait l'inscription wúwéi ? En son règne, un panneau de laque, portant cette inscription, surplombait le trône impérial** ; un rappel constant que la puissance d'un souverain ne réside pas dans la force qu'il impose, mais dans la manière dont il canalise les énergies autour de lui. Que gouverner avec sagesse nécessitait souvent de ne pas intervenir directement. Cette philosophie du wúwéi a perduré jusqu'à la fin de la Chine impériale en 1911.
Yuan fit une brève pause, reprenant sa respiration.
— Le taoïsme n'est pas le seul à prôner cette voie. Même Confucius, dans sa vision plus structurée, évoque la retenue du souverain comme une forme d'équilibre. Une invitation à la réflexion avant l'action. Le légisme lui-même, bien que plus autoritaire, reconnaissait parfois que l'excès d'intervention directe du souverain pouvait nuire à l’ordre naturel des choses. Ce que nous appelons la non-action est, en réalité, une forme d'action subtile. Vous l’avez bien saisi lorsque vous parliez de laisser un partenaire de débat développer ses idées. Cela n’est pas passivité, mais une stratégie mûrement réfléchie.
Yuan tourna son regard vers Auguste.
— Vous parliez également du sentiment d'urgence qui envahit les discours actuels. Peut-être est-ce là l'un des pièges les plus insidieux de notre temps. Le taoïsme nous invite à prendre du recul, à considérer les cycles plus longs de l'histoire et de la nature. Comme le dit Confucius, "欲速则不达 ; La hâte ne mène nulle part."***
Yuan soupira, repensant tristement au conservatisme de l’Impératrice Douairière Cixi qui mit brutalement fin à la Réforme des Cent jours du jeune Empereur Guangxu.
— J'ai vu trop de dirigeants, en Chine comme en Occident, tenter de forcer le changement, d'imposer leur volonté contre le cours naturel des choses. Invariablement, cela conduit à la résistance, au conflit, à la souffrance.
Yuan s'arrêta, plongeant son regard perçant dans celui d'Auguste.
— Le vrai défi pour un leader, Auguste, n'est pas d'agir constamment, mais de savoir quand agir et quand s'abstenir. C'est de comprendre que parfois, la non-action est la forme d'action la plus puissante. "为无为，则无不治 ; Pratiquez le non-agir, et tout sera en ordre."****
*道德经, Daodejing
** Nick Obolensky, Complex Adaptive Leadership, Ashgate Publishing, 2014, p. 196.
*** 论语, les Analectes de Confucius
**** 道德经, Daodejing
Auguste LestrangeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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Succès
Parvenir à offrir toute la palette de sentiments que Yuan de Montrose peut offrir d’un sourire a toujours semblé, à la gauche créature compassée qu’est Auguste, du domaine de l’art. Une approche de la communication et un raffinement des sentiments et de leurs subtilités qu’il admire profondément. Qu’il envie même, à dire vrai. Là où l’envie est stérile, cependant, l’apprentissage, lui, ne l’est pas, bien qu’il n’espère en rien être un jour capable de s’exprimer avec autant de dignité que son mentor.
Et il a raison, bien sûr. Oublier l’essence d’un débat, l’opposition d’une idée contre une autre dans le but de faire évoluer la pensée et chercher des réponses, confine à oublier l’essence même de ce qui fait, en fin de compte, la brillance des hommes. Leur capacité à travailler ensemble pour un meilleur avenir commun. C’est du moins à cette pensée que se raccrochent, dans son esprit, les propos de Monsieur de Montrose. L’idée, néanmoins, lui semble très dure, en très amère, par ce qu’elle sous-entend.
Pour cette raison au moins autant que par pur respect pour son mentor, Auguste applique justement le principe dont ils devisent : écouter avant de s’exprimer. Il a la chance de bénéficier d’entrevues privatives avec une figure éminente du paysage politique comme social de la France moderne et ce n’est pas la manière d’opportunité que l’on gaspille par précipitation inutile. Coi jusqu’au bout et tâchant d’ordonner ses pensées, Auguste ne peut cependant s’empêcher d’être admiratif que les concepts discutés puissent également se recouper avec des pensées qu’il tient d’autres sources.
Comme si, en des points stratégiques, les pensées issues de cultures variées et riches se rejoignent pour former des nœuds solides que couvrent des interprétations personnelles singulières. Et c’est là quelque chose de magnifique à ses yeux. Quelque chose de bien plus magique que le plus élégant des sorts. Aussi, lorsqu’il s’exprime, sans esquiver son regard, c’est naturellement de ce sentiment que viennent ses premiers mots. “Votre exposé me rappelle un adage que mon père m’a très souvent rappelé, à savoir qu’un bon dirigeant n’est pas celui qui sait tout faire, mais celui qui sait adresser les bonnes questions aux bonnes personnes, et choisir le bon acteur pour résoudre le bon problème.”
Bien entendu, Crepus n’a jamais partagé ses idées sur la meilleure façon de gouverner pour le simple plaisir de l’exercice, contrairement à d’autres leçons. Auguste ne peut se montrer suffisamment naïf pour ignorer qu’il l’a très tôt destiné à marier chez les Valoys. Est-ce que l’ambition paternelle défait la véracité de ses mots cependant ? Il a tendance à penser que non, car comme la magie, la sagesse et la philosophie sont des outils qui doivent permettent à un individu de s’améliorer. Ils ne sont pas le garant de l’usage que l’on fait d’eux.
“L’impression que me laisse les débats actuels, et je m’inclus dans la masse des concernés bien évidemment, c’est que chaque participant pense avoir raison et cherche à s’imposer, alors que l’usage du débat permet justement de trouver des réponses, de voir les arguments de chacun évoluer au profit d’une création nouvelle, influencée tant par l’un des partis que par l’autre. Le débat n’est plus alors un terrain de création dévolu, comme vous l’indiquiez, au bien commun, mais aux agendas personnels.”
Et il s’avère très complexe de sortir de ce cycle lorsque l’on met un doigt dans l’engrenage. Le souvenir de sa joute verbale avec Nestor revient bien trop aisément à son esprit, car s’il est monté sur le podium avec des intentions objectives, il en est venu à entrer dans le jeu personnel qui fut l’écueil de cet échange, et dont il est sans doute aussi coupable que Nestor. En cela, et bien qu’il eût la sympathie de leurs camarades, Auguste garde le sentiment d’une défaite dans ce débat, car il n’a rien apporté de concluant et d’utilisable pour la question initiale.
“Dans un cas comme celui-ci, pensez-vous qu’il faille alors, non pas confronter l’interlocuteur au risque de le piquer au vif, mais davantage appliquer la règle du 无为 Wúwéi / L'action par la non-action en se limitant à maintenir notre propre rectitude afin de prouver par l’exemple ? Et, en bâtissant autours de cette hypothèse, que penseriez-vous d’adjoindre à la famille royale ce rôle de modèle ? Certes, le souverain n’a pas de pouvoir officiel à l’heure présente, mais par son image, et par le respect qui est encore attaché à la couronne, il en découle une influence sur le peuple français.”
Son regard, curieux, cherche le sien. “Cela pourrait apporter une troisième voix, différente, aux débats actuels qui s’avèrent particulièrement clivant. J’ai l’impression qu’il y a une perception différente du temps et de l’application des changements sur la durée entre nos sociétés occidentales et les sociétés orientales, mais je ne pense pas que la pensée française soit imperméable à l’apprentissage d’une autre mesure. Sans doute, comme dans un débat, cet apprentissage sera le terreau d’une nouvelle création, si on lui donne l’occasion d’exister. Qu’en dites-vous ?”