[TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
(#) [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys leLes pâles lueurs de Décembre flottent dans l’air de cette fin de matinée. Au loin, Compiègne brille déjà de mille activités et de mille labeurs tandis que le Domaine ducal des Valoys, sur les hauteurs, fourmille paisiblement. Le Duc a mené ses rituels du matin, des ablutions au paraître face à ses quelques gens et famille. Chacun s’est retrouvé le temps de la prière, d’un premier repas. Le tourbillon de discussions feutrées matinales, les tendres œillades jetées sur les enfants, les journaux étalés et les vives discussions. Les élections approchent, observe l’un de ses fils, il faudrait songer à faire campagne. Bien que sa vie plaidât pour lui, ce cher Monsieur le Duc pourrait sans doute se retrouver face à une déconfiture si un autre de Valoys venait à jouer sur ses brisées. On débat un peu vivement, puis on se calme. L’embrasement est toujours de bien courte durée autour de la tablée, et le cœur de Léopold se remplit toujours de joie à la vue de ce spectacle. Contrairement à son frère – Sangbieu, contrairement à leur père – il a le privilège de voir chacun de ces jeunes gens éclore au monde comme les plus suaves et vivaces des herbacées. Eux qui, dès l’enfance, ont pu cultiver leurs particularités, sont désormais une génération de vive espérances. Les erreurs de leurs pères, ils les corrigeront. Ils iront plus loin, ils dévoreront le monde de leur brillance, et ne restera, pour Léopold, que la ténue gloire d’avoir un jour aidé à les faire naître et grandir. La main de sa douce tendrement posée sur son bras lui laisse entrevoir qu’elle n’est certainement pas étrangères à ses pensées, les partage. Les comprend.
Voilà qu’il est presque temps, cependant. La Saint Sylvestre approche, et la famille de Valoys a été invitée par l’une des paroisses locales à venir dire quelques mots pour les jeunes filles et garçons dont on célébrera la bénédiction. A cette occasion, notre cher Duc espère bien en profiter pour cumuler les bonnes œuvres. Pourquoi ne pas donner l’occasion à cette étoile montante dont un de ses enfants lui a dit un mot, le jeune Monsieur Teyssier ? La garde-robe du Duc a si longtemps été dominée par l’hégémonie des Malfoy et par celle des couturiers norvégiens de sa douce qu’il y aurait peut-être là un vent de fraîcheur à faire souffler. Il s’est renseigné sur le jeune Émile. Enfin, Jeune… Il ne le tutoie que d’une dizaine d’années, comme le lui fait remarquer un petit souffle dans son esprit qui ressemble à s’y méprendre aux taquines intonations de sa douce. Patient, de goût sûr, semble-t-il, et s’étant déjà fait un nom de-ci, de-là… il y a de quoi être intrigué.
« Votre rendez-vous est arrivé, Monsieur le Duc » lui dit-on. Il opine gravement. Que l’on envoie Monsieur Teyssier dans le petit salon de réception attenant au bureau ducal. Une estrade y permet de prendre à loisir les mesures, et les murs et manteaux de cheminée en sont ornés des photographies des bonnes œuvres de Monsieur et Madame. Que l’on apporte aussi de quoi se sustenter et se réchauffer. A n’en pas douter, un thé, café ou chocolat pourra être le bienvenu par ces froides matinées hivernales.
Le Duc prend quelques respirations profondes, clos les yeux, compose sa persona ducale. Cette image publique est comme un masque qu’il ne laisse choir que si rarement, et jamais en dehors de son logis. Rares sont ceux qui peuvent le voir dépenaillé de son austère figure, et certainement plus rares encore ceux qui peuvent se targuer de voir, derrière le Duc, l’homme, le père, le mari, l’oncle ou le parrain. Tous ces visages là s’en retrouvent absorbés à nouveau par la figure ducale, et c’est presque en homme d’affaire, homme politique ou homme d’état qu’il passe la porte de son bureau pour entrer dans le petit salon où l’on servît Monsieur Teyssier et où quelques gens de la maison de Valoys sont restés pour lui tenir compagnie, ou peut-être le surveiller. Un majordome annonce.
« Monsieur le Duc »
Tous se lèvent tandis qu’il entre. Foutu protocole. Le carcan de convenances est bien en place.
« Monsieur Teyssier » La voix est affable, basse et plaisante. « Je vous remercie d’être venu de si loin et si rapidement. Avez vous fait bon voyage ? Nous n’avons pas encore de neige, mais cela ne saurait probablement pas tarder. »
Le rendez-vous a été pris moins d’une semaine auparavant. Un des avantages d’être Monsieur le Duc et Monsieur le Frère du Roi, sans doute : on accepte plus aisément de faire le déplacement pour le voir.
« Voyez-vous, j’ai entendu grand bien de vos dernières créations, et j’espérais que vous pourriez m’accommoder pour une célébration à la Saint Sylvestre où je me dois rendre. » A peine trois semaines pour réaliser la création, donc. Bénie soit la magie. Un défi assurément. « Vous serez bien entendu compensé pour votre temps et savoir-faire. »
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missive rédigée par Emile Teyssier leépingles et pâmoison
@Léopold De Valoys & @Emile Teyssier
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C'est un rire qui lui échappe, en premier. Jaune, ou réellement amusé, il ne saurait vous le dire. Un rire, toutefois, c'est certain - ça lui secoue le gosier, il s'en étoufferait presque. En cause, cette missive portée par un hibou nettement plus prestigieux que la vieille chouette de sa résidence. À l'image, certainement, de la maisonnée derrière les lignes qu'il a déjà déchiffrées. Son rire s'explique alors des plus facilement : c'est Monsieur le Frère du Roi, voyez, qui tient à se parer de ses vêtements. Rendez-vous lui est donné, s'il veut bien se rendre disponible pour Monsieur le Duc, d'ici la fin de la semaine. Il rit, Emile, parce qu'il croule sous les commandes - tout Paris semble vouloir se faire habiller, en cette Saint-Sylvestre. On l'attend déjà pour les essayages d'une demoiselle prête à faire ses premiers bals, et son retard sur le devis d'une troupe de danseurs itinérants est rendu à la limite de l'indécence. Il rit, parce qu'il faudrait bien être sot, pour refuser pareille opportunité. Emile ne peut que taire son coeur, qui crie trahison, et les railleries de Némésis, qu'il s'imagine bien trop aisément. Sa plume trouve rapidement un pot d'encre et, quelques mots couchés plus tard, voilà qu'Emile se sacre tartufe de la saison.
Le quotidien effréné d'un couturier dépassé par sa côte hivernal lui fait presque oublier le rendez-vous royal qui l'attend ; c'est attablé à la cuisine, brioche fraîche grossièrement mastiquée, que l'impératif lui revient. Entre trois froncements de sourcils, à tenter de se rappeler qui avait fini dans son lit avant d'en disparaître aux premières lueurs du jour, le souvenir fabuleux de ce projet de couture à Compiègne. L'agenda du jour est révisé, en vitesse, vérifiant d'un geste ample de la baguette la bonne tenue de sa malle à runes et coutures, s'assurant qu'il est en mesure de transplaner à proximité et - misère, Morgane, soyez clémente, est-ce là un début de mal de tête ? La bouche pâteuse, au réveil n'était-elle pas punition suffisante ? Elle semble l'avoir entendu, Emile ne finissant pas son tour sur lui-même la tête dans les fleurs du domaine des De Valoys.
Qu'on l'annonce, alors, le Teyssier. Le rendez-vous de Monsieur le Frère du Roi. Non, vraiment, il essaie, Emile, mais le rire lui monte à la gorge. Imaginez, enfin, le second fils Teyssier, prêt à croquer la future silhouette de, peu ou prou, la plus haute noblesse française. Sa baguette s’en agite presque seule, l’insolente. Un temps, pour se calmer, alors qu’on se plie pour le guider. Malle flottant derrière lui, Emile a le regard curieux qui court sur les murs qu’on lui fait tracer, sur ces hauteurs de plafond qui n’ont qu’à peine le temps de lui donner le vertige ; il est rendu au petit salon de réception. Il cherche à s’installer, s’assure des espaces pour que ses habillages soient à leurs standards habituels. Il ne connaît que peu le personnage, et s’imagine aisément qu’une session de charme ne sera pas le spectacle attendu, mais Emile aime faire du Emile. Quitte à fouler le domaine, autant y mettre les pieds avec son assurance usuelle.
Moue aux lèvres, le couturier accepte d’un geste distrait le thé qu’on lui propose, s’arrêtant face à l’estrade pour y laisser retomber, en une légèreté trompeuse des trésors qui s’y cache, sa fidèle malle alliée. Il va pour s’asseoir, quand se fait annoncer le Duc. D’un geste, sa baguette se voit discrètement rangée, sa posture corrigée. L’Emile aux relents de migraine, comme l’enfant Teyssier se gaussant d’être chez les De Valoys, ont la bienséance de s’évaporer, gaiement remplacés par sa plus fidèle personnalité. Voilà Emile le Couturier, yeux pétillant de charme, qui n’a pour seul épouvantard que l’image d’un tissu mal plissé, d’une couleur mal accordée, d’un accessoire mal posé.
À son nom, Emile répond un « Monsieur le Duc », accompagné d’un salut. Il fait les choses correctement, gentil bourgeois. « Hécate fut clémente, et mon trajet sans encombre. Ma seule déconvenue est de n’avoir eu la chance de voir votre domaine sous la neige ». Il s’autorise un sourire, assurément, pour ce mécène d’un jour. Serait-il moins habitué à la folie des demandes, le délai de la Saint-Sylvestre atténuerait certainement cette jovialité professionnelle. Aucun tic, toutefois, ne sait révéler la lassitude qui le prend. Trois semaines, à peine, en pleine saison ; il faudra certainement graisser la patte de ses tisserands pour que les meilleurs tissus lui parviennent, en premier comme à temps.
« C’est un plaisir certain de savoir mes créations flattées par vos cercles, Monsieur le Duc. Nous saurons assurément trouver le meilleur habit à réaliser dans les temps impartis, et à la compensation discutée. » Un sourcil se dresse, alors qu’il se penche légèrement vers l’homme devant lui. Aussi droit se tient-il, le Duc ne diffère en rien de ses autres clients, se convainc Emile. Ce n’est alors presque qu’un mannequin, face à lui, un sorcier encore bleu de ses créations, qu’il n’a plus qu’à parer. Austère, sa figure, Emile voudrait la peindre de couleurs. Il espère, sans se l’avouer, que Monsieur le Frère du Roi saura se laisser tenter par des patrons plus modernes que ceux de sa garde-robe habituelle, qu’il imagine sans mal être une panoplie répliquée de sa tenue actuelle, dont il reconnaît la griffe Malefoy. Elégante, efficace mais, Morgane l’entende et Lizzie lui pardonne, si classique.
« Avez-vous des impératifs, des demandes particulières avant toute proposition maison, Monsieur ? Si vous connaissez ma couture, vous savez certainement qu’elle sait se faire avant-gardiste, anglaise comme italienne, colorée comme friande de monochrome noir. » À chaque mot, le couturier se déplace vers sa malle, qu’il tapote discrètement ; ses compartiments s’ouvrent les uns après les autres, dévoilant les premiers indices de sa panoplie créatrice. Carrés de tissus, mètres et rubans frétillent, prêts à s’envoler séduire leur futur client. Emile veille, d’un geste, à ce qu’un des compartiments ne heurte pas le mur à l’arrière. Chargé de cadres divers, il ne manquerait que d’une maladresse pour que son spectacle ne tourne au désordre. « En robe ou en costume, quel sorcier souhaitez-vous incarner, à cette célébration ? ».
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(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys leIl suffit de peu, vraiment de peu pour que d’un œil, Monsieur le Frère du Roi avise l’impeccabilité des manières de son invité. Les bagages du styliste tailleur ont été déposés avec soin, et l’homme lui-même semble la jovialité et l’amour de son métier tout engoncés dans un seul bonhomme. Sa voix est assurée lorsqu’il répond le coutumier « Monsieur le Duc », accompagné d’un salut et qu’il poursuit, rebondissant avec goût sur les questions et pistes jetées sur sa route par une haute noblesse avide de décortiquer la moindre élytre d’un cafard sur sa voie, ou, peut-être, plus exactement, de chercher dans l’impeccabilité des manière bourgeoises une trace de quelque chose : « Hécate fut clémente, et mon trajet sans encombre. Ma seule déconvenue est de n’avoir eu la chance de voir votre domaine sous la neige ». Le Duc incline courtoisement la tête. Flatteries de convenance, certes, mais auxquelles il ne peut qu’admirer l’adroitement de son visiteur. Il faut dire qu’ils sont rares, ceux qui n’offrent pas l’impeccabilité de leur étiquette au frère du roi. Comme si ce lignage illustre venait aussi tout enrubanné du prestige de mériter – ou d’imposer, peut-être – le ton policé, l’œil brillant et la mise ordonnée du Grand comme du Petit jeté sur son chemin.
Les premiers échanges sont toujours un moment de tension et de merveilles. Le Duc, bien qu’il soit tout pétri de l’habitude d’être un homme public et de laisser Léopold au placard lorsque vient le moment de jouer sur la grande scène du monde, ne peut jamais tout à fait se défaire de ce petit sursaut d’individu qui transparaît sous le masque. C’est donc avec un plaisir certain, une gourmandise, presque, qu’il étudie son interlocuteur au visage si délicieusement expressif : « C’est un plaisir certain de savoir mes créations flattées par vos cercles, Monsieur le Duc. Nous saurons assurément trouver le meilleur habit à réaliser dans les temps impartis, et à la compensation discutée. » Le sourcil est dressé, le tronc penché, l’air est professionnel. Un ravissement de dévouement à son art mâtiné d’une inénarrable soif. Léopold peut en deviner l’ombre briller dans son œil. De quoi est-il assoiffé ? D’argent ? De défi esthétique ? De client difficile mais prestigieux ? Le Duc peut être, pour son interlocuteur, tout cela et plus encore : Il peut être un archétype de Noble, Un grand homme, un ancien combattant, un père de famille. Il peut se parer de tous les masques, embrasser toutes les persona et moduler tous les accents de sa voix.
« Voilà qui est réconfortant ». Le sourire est chaleureux, quoi que discret. Bouche fermée, ne surtout pas montrer l’émail sous le velours. « Avez-vous des impératifs, des demandes particulières avant toute proposition maison, Monsieur ? Si vous connaissez ma couture, vous savez certainement qu’elle sait se faire avant-gardiste, anglaise comme italienne, colorée comme friande de monochrome noir. » Ah. Dans le vif, donc. Tailler la chair et évaluer le prix enfoui dans les entrailles de la demande. Le Duc hoche la tête, pensif. Cela lui plaît, l’efficacité. Son impression du tailleurs s’en trouve améliorée tandis qu’il lorgne, avec intérêt, la malle enchantée que son invité a pris soin d’emmener avec lui. Les étoffes se dévoilent et le geste de baguette est mesuré. L’homme sait assez son art, semble-t-il, ou l’incarne-t-il du moins à merveille. « En robe ou en costume, quel sorcier souhaitez-vous incarner, à cette célébration ? ». La formulation n’est pas pour déplaire. Tournure chic ou réel entendement de la chose publique ? Un bon tailleurs devrait allier les deux, après tout.
Monsieur le Duc observe avec curiosité tout le spectacle s’éparpillant devant lui, d’un tailleurs et de son atelier portatif dont il devine déjà le chatoiement. « Pour tout vous dire, ce sont mes enfants qui m’ont encouragé à me montrer un peu plus audacieux dans ma mise. » L’amusement danse dans son œil. « Je crois que les mots exacts de mon aînée furent ‘Père, de grâce, ne nous faites pas l’affront d’être appareillé comme une corneille pour la Saint Sylvestre’. Et son frère de renchérir en proposant votre nom. » S’il eût été dans le secret de sa maisonnée, sans le moindre témoin, le Duc et ses proches ne se seraient sans doute pas manqué de laisser les rires remplir d’écho et de vie des pièces aux dorures trop mornes et trop austères, déposées là comme des strates et des strates d’héritages en vrac. Mais il est en représentation, aussi demeure-t-il austère. « J’aimerais donc m’en remettre à vos mains : je suis un homme qui aime une certaine sobriété et une bonne aisance de mouvement. Un ancien combattant doit être capable de protéger les siens, n’est-ce pas ? » La question est de pure rhétorique. « J’ai surtout été habillé » comme une poupée de cire par les âpres épingles de l’Atelier Malefoy, pourrait-on penser « de tons sombres, jusqu’à présent. Et préfère éviter trop de fioritures qui iraient mieux à une jeune personne qu’à un homme marié. » Les phalanges caressent le menton, pensif avant que l’homme ne se décide. « Un costume à la moldue me semble plus approprié. Mon deuxième sera avec nous et nous ne sommes que trop heureux de célébrer son doctorat récent. »
Y a-t-il vraiment quelqu’un dans le Royaume pour ignorer ce que certains appellent « l’infirmité magique » du deuxième enfant du duc ? La chose a défrayé la chronique sous forme de on-dits et de mots couverts. Oh, le scandale a fait trembler les de Valoys – un cracmol, vraiment ? Mais l’apparent calme d’un Duc inébranlable a tôt fait de calmer les jacasseries. Après tout, ce serait certainement de mauvais goût de se mettre à dos un père aimant de tout son coeur son deuxième, envers et contre tous les préjugés des sang bleus de l’élite, n’est-ce pas ?
« Madame la Duchesse et moi nous coordonnerons sur les teintes que vous pourrez proposer. Si le noir a de cela de commode de complimenter toutes ses toilettes, la chose peut être plus ardue pour le coloris. Qu’avez-vous en tête, Monsieur Teyssier ? Votre prix sera le mien. »
Une dangereuse promesse et un moyen efficace de jauger de la probité de son interlocuteur : ira-t-il gonfler ridiculement la note pour avoir eu le privilège d’habiller une fois Monsieur le Duc, ou sera-t-il raisonnable pour avoir le privilège de l’habiller plusieurs fois ?
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@Léopold De Valoys & @Emile Teyssier
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Son bazar ambulant aura su captiver l’attention de Monsieur le Frère du Roi. Difficile d’en faire autrement, quand sa malle semble prête à déborder des milles et unes étoffes et autres secrets de couture qu’Emile se plaît à y cacher. C’est que, sous ses airs d’atelier trop joyeux, l’outil est plutôt bien organisé. Le maître couturier peut, selon les séances, rapidement ajuster le pli pour que se drapent ses idées sur les silhouettes de ses clients sans contretemps. D’un geste de baguette, qu’Emile aime un peu trop démonstratif, blâmez son amour du spectacle, il est en mesure de proposer palettes de couleurs, carrés de matières comme patrons du moment. Il a même rangé, au fond du compartiment 4B, derrière l’étagère de rubans pailletés et les fioles d’assouplissant pour linges blancs, son mannequin vivant qui, rassurez-vous, n’a de vivant que l’habilité à endosser, au gré des coups de baguette d’Emile, les croquis qu’il crayonne sur son parchemin associé. Là, un trait de jambes plus fluide, pour un porté moins ajusté ? Emile gomme, et le mannequin voit son pantalon de costume affiné. Ici, plus d’épaules pour construire la stature de Monsieur ? Madame veut une taille plus cintrée ? C’est démodé mais, soit, cintrons - Emile croque, dessine, efface aux besoins.
Puisque l’homme semble intéressé par la mécanique d’atelier d’Emile, peut-être se laissera-t-il tenter par tout ce qu’elle sait proposer. Quel sorcier doit-il habiller, alors, pour ces festivités ? Audacieux, entend-il tomber de la bouche du sang-bleu. Si Emile n’ose pas rire, ce type de familiarité loin d’être acquise avec l’homme qu’il habille aujourd’hui, le Teyssier ne peut contenir le frémissement de ses lèvres. Ses yeux pétillent sûrement quand il s’autorise un « Ah, je n’ai jamais meilleur allié que notre jeunesse friande de modernité. Nous tâcherons de ne pas vexer vos enfants, c’est une piètre période de l’année pour les rendre malheureux. » La baguette du couturier frémit, et les couleurs les plus vives de sa malle semblent crier son nom. Il calme les tissus d’un geste distrait, tapotant gentiment les soies et cotons qui frétillent.
Les précisions du Duc lui font hocher la tête, soucieux de retrouver le sérieux propre à cette entrée en matière. Audacieux, mais sobre et en mesure de protéger les siens. Ses pensées s’agitent déjà, réfléchissant à cette création, pour le gala d’octobre, les lignes droites qui seraient flatteuses sur la silhouette de Monsieur, ou encore ce costume, là, dont le patron est toujours glissé dans le compartiment 1K, finalement jamais porté par son commanditaire. Tons sombres, apprécie-t-il d’un nouveau geste de la tête, sans fioritures. L’homme est marié, rappelle-t-il. Emile replace d’un mouvement la manche de sa chemise, remontée au fil de la discussion, et dont les détails cousus de fils mouvants doivent être de ces fioritures recalées par le Duc. Le Couturier va pour s’exprimer, s’interrompant de lui-même en réalisant l’expression pensive de son client, qui statue finalement : « Un costume à la moldue me semble plus approprié. Mon deuxième sera avec nous et nous ne sommes que trop heureux de célébrer son doctorat récent. ».
Comme souvent, à la mention du monde moldu auprès des gens de la haute, les doigts d’Emile s’agitent de tics sur sa baguette magique. Il espère que cela passe pour l’excitation du projet, et non pas pour l’appréhension qu’il porte au sujet. Il se garde bien, le Couturier, de mentionner l’origine moldue des lignes de costumes qu’il aime proposer ; son public Français est bien trop amateurs de jolie mode pour rester cantonné à la classique robe sorcière, que les Anglais, Merlin lui explique pourquoi, semblent toujours adorer comme pièce maîtresse. Emile attrape un de ses carnets de croquis, sur un des présentoirs principaux de sa malle, et résume : « Souple, modeste, qui se fait le reflet de votre statut d’époux et de père, et ose une touche plus actuelle : j’ai bien saisi vos attentes ? ».
Ce n’est qu’en faisant référence à son statut de père, justement, que la précision moldue prend tout son sens dans l’esprit d’Emile. Il blâme la nuit longue, l’heure matinale, son désintérêt profond pour la vie de famille royale, et toute autre excuse venant à l’esprit, pour la lenteur de sa compréhension. Son deuxième, voyez, était l’enfant cracmol, le sang-magie, l’abomination qui ne l’avait pas été, dans cette famille-là. Aurait-il eu le sang plus chaud, le carnet d’Emile se serait décomposé entre ses doigts. C’est un sujet sensible, que les enfants sorciers problématiques, vous comprenez ? Certains, plus chanceux que d’autres, ont tendance à lui rappeler l’absence de privilèges des sangs trop boueux. Sa soeur aurait-elle dû grandir avec une cuillère d’or en bouche, l’argent ne suffisant pas, pour qu’elle ait le plaisir d’aller célébrer son doctorat ?
Se raclant la gorge, comme pour chasser des pensées qui l’assourdiraient trop facilement, le Couturier poursuit : « Votre deuxième fils vous aura-t-il initié à la mode moldue, qui se veut plus sportive, en cette fin de décennie ? ». Il replonge, quelques secondes, la tête dans son carnet, en tapote la tranche quand il s’agace de ne retrouver les pages qui l’intéressent et, là, voici une de ses silhouettes moldues les plus actuelles. S’y croque un costume en trois pièces, évidemment. La chemise est simple, sans motifs, d’un bleu clair qui s’accorde parfaitement aux nuanciers de beige utilisés pour le gilet, strié, et la veste de costume. Le pantalon de golf, large, frôle les chaussures à lacets que revêt son dessin. Un noeud papillon, accordé aux lacets, et un étui à cigarettes runique viennent compléter la silhouette. Il n’y manque que le chapeau, hâtivement gommé par faute d’idées.
« Si votre célébration est de journée, il peut être audacieux de s’essayer à cette allure, en optant pour de la sobriété sur les couleurs et les accessoires. Autrement, un smoking ajusté, où nous paierons attention aux teintes et motifs, pourrait moderniser le queue-de-pie de fin de siècle, qui ferait bâiller vos enfants. » Emile tourne le dessin vers le Duc, qu’il s’en fasse une idée. L’allure sportive, après tout, ne parle pas à tous les hommes. « Soufflez tout de même cette idée à votre tailleur habituel ; le style sied particulièrement aux hommes qui apprécient le dynamisme de leurs mouvements. »
À la mention de son épouse, le Couturier sourit. Elizabeth, certainement, saura parer Madame de couleurs appropriées si le Duc venait à dévier du noir. La couleur était classique, trop pour cet homme qui voulait satisfaire les envies de modernité de ses enfants. Si l’allure sportive séchait, des bleus ou des rayures sauront peut-être davantage l’intéresser. « Nous trouverons sans peine comment complimenter votre tenue et celle de Madame, même si je vous attire loin du noir. Ne prêtez pas attention aux carrés de lins vifs, ils viennent d’arriver dans la malle et tiennent absolument à se faire remarquer. » Le Couturier hausse un peu la voix sur la fin, tapotant à nouveau les compartiments capricieux. Les mots audacieux et sobriété avaient tendance à les agiter. Le regard d’Emile se porte à nouveau vers le De Valoys, à qui il glisse : « Mes tarifs sont assez régulés, Monsieur le Duc, selon les délais, tissus, patrons et accessoires choisis ; vous n’aurez pas de surprise à réception du costume. »
Il invoque, de deux accio soufflés, son mannequin vivant et son fascicule à prix. Le premier, de bois vêtu, vient se dresser à hauteur de Monsieur, quand le second flotte devant ses yeux. Il pourra y trouver, s’il le souhaite, le détail des prestations d’Emile - qu’il n’avait jamais trouvé d’intérêt à faire gonfler pour la Haute, plutôt soucieux de les ajuster pour les nécessiteux. Se détournant quelques instants de son client, qu’il se saisisse à son bon vouloir du dépliant, Emile porte un oeil sévère sur son mannequin vivant. C’est que l’engin - bientôt dix ans que le Teyssier a mis au point ce système, et l’homme de bois qu’il habille une centaine de fois par semaine n’a toujours pas de nom - l’engin, donc, virevolte à chaque coup de crayon qu’il porte à ses dessins pour s’y modifier en fonction. Vu l’espace, Emile craint un sursaut gênant. Il relance, distrait : « Par quoi commençons-nous, Monsieur ? Sportif, classique ? ». Ses prunelles restent rivées sur ses alentours, à la recherche du bon emplacement.
1345 mots (c) oxymort
taking different roads ;
love will tear us apart again ᛉ
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys letw : Léo being his usual priviledgied self (aka un peu tête à claques)
Il est presque étonnant pour Monsieur le Duc de se trouver en pareille familiarité avec le jeune Teyssier – qui n’est pas son cadet de tant d’années, il faut le dire. Tout le spectacle qu’il donne à voir à la ducale personne a certainement à faire avec cette surprenante connivence. Quoi que Léopold ne soit pas dupe des tactiques de vente et d’embobinement que d’aucuns peuvent employer dans l’espoir de faire une vente, le jeune Teyssier lui fait bonne impression. Il faut dire que sa malle prend les couleurs d’une caverne d’Ali-Baba orchestrée de baguette de maître et que le damoiseau a suffisamment de bagou pour mettre en confiance le plus récalcitrant, ou le plus dubitatif, peut-être, des clients. Il a l’air assuré de ceux qui savent leur art, après tout. « Ah, je n’ai jamais meilleur allié que notre jeunesse friande de modernité. Nous tâcherons de ne pas vexer vos enfants, c’est une piètre période de l’année pour les rendre malheureux. »
Le Duc ne peut empêcher une inclinaison de la tête, pensif. Le petit commentaire est à propos tandis qu’il poursuit sa réflexion et conclut là par toute l’importance d’emprunter à la mode moldue son savoir. C’est souvent là un excellent test de confiance : si nombreux sont les sorciers qui renâclent, n’entendent rien au savoir faire de ceux que Dieu n’a pas béni de magie. Le Duc lui-même eût certainement été plus récalcitrant s’il n’était exposé, à intervalles réguliers, au monde moldu par son deuxième et les bonnes œuvres auxquelles il a si souvent participé. « Souple, modeste, qui se fait le reflet de votre statut d’époux et de père, et ose une touche plus actuelle : j’ai bien saisi vos attentes ? » Tout en songeant, il ne s’est pas aperçu qu’il s’est naturellement dirigé vers les murs de photographie, songeur. Sur une majorité d’entre elles, le voilà attifé avec goût de mode moldue, posant avec les uns et les autres. Les lorgnettes caressent un bref instant les flocons de papier glacé à mesure que s’étiolent les secondes, et le voilà happé à nouveau par l’inventivité de son invité. « Oui, c’est tout à fait cela. » Qu’il confirme posément, en homme qui a l’air de savoir où dorment ses goûts. Il faudrait là prendre un instant pour confesser que notre cher Léopold, s’il sait à peu près au moins ce qu’il abhorre, n’est certainement pas bien certain de ses amoures en matière de frusques, de fripes et d’impeccables oripeaux comme seul un tailleurs peu les lui proposer.
Le Teyssier, en connaisseur, a sorti ses armes. La mine furieuse court sur le papier tandis qu’il commente et compose son art : « Votre deuxième fils vous aura-t-il initié à la mode moldue, qui se veut plus sportive, en cette fin de décennie ? ». Sous l’œil intrigué du Duc qui n’est jamais homme à rechigner à voir un expert tout à son art, se dessine une tenue possible. Le costume trois pièces s’assemble de quelques coups de mine de plomb. La chose est intrigante : il ne se serait jamais imaginé dans un ensemble aussi moderne. Et un nœud papillon ? Quand a-t-il porté autre chose que la cravate ou le foulard ? Il se fouille le ciboulot sans trouver de réponse. Peut-être lors de leurs cinq ans de mariage ? Le tout paraît bien jeune : à n’en pas douter il a peut-être bien perdu douze ans, rien qu’à regarder le croquis. Son interlocuteur a peut-être senti son hésitation tandis qu’il contemple le croquis avec intérêt. « Si votre célébration est de journée, il peut être audacieux de s’essayer à cette allure, en optant pour de la sobriété sur les couleurs et les accessoires. Autrement, un smoking ajusté, où nous paierons attention aux teintes et motifs, pourrait moderniser le queue-de-pie de fin de siècle, qui ferait bâiller vos enfants. Soufflez tout de même cette idée à votre tailleur habituel ; le style sied particulièrement aux hommes qui apprécient le dynamisme de leurs mouvements. »
Monsieur le Frère du Roi hésite. A n’en pas douter, cela paraît presque informel pour qui est plus accoutumé aux baleines des vestes corsetées du siècle dernier. Mais il faut bien reconnaître que la chose paraît plus confortable que ses mises formelles usuelles. C’est presque avec une désarmante candeur mâtinée de curiosité que le Duc s’enquière : « Et vous dites que les moldus considèrent ceci comme formel ? Comme les modes évoluent aujourd’hui ! Voilà qui est bien moderne ! » Cela aurait sans doute pu sonner condescendant sans la réelle lueur d’intérêt qui illumine la pâle prunelle du Duc. « Nous trouverons sans peine comment complimenter votre tenue et celle de Madame, même si je vous attire loin du noir. Ne prêtez pas attention aux carrés de lins vifs, ils viennent d’arriver dans la malle et tiennent absolument à se faire remarquer. » Il est amusant de voir la malle s’ébrouer, comme vexée d’entendre parler de sobriété. Le Duc songe qu’il y a là sans doute un peu de la personnalité de son possesseur et ne peut s’empêcher de se demander s’ils n’y aurait pas quelques plumes froissées chez le jeune Teyssier lorsqu’il a prononcé ces mots. Voilà qui est secrètement bien hilarant. Aucun pouffement ni même – Dieu nous en préserve – sourire ne paraît sur les lèvres de Monsieur. Au contraire, il écoute avec une politesse toute acquise la négociation tarifaire. « Mes tarifs sont assez régulés, Monsieur le Duc, selon les délais, tissus, patrons et accessoires choisis ; vous n’aurez pas de surprise à réception du costume. »
Le Duc opine, s’empare par curiosité du fascicule qu’il feuillette promptement en hochant la tête. « Votre probité en affaires et tout à porter à votre crédit, Monsieur Teyssier. » Voilà le mannequin tout proche et le tailleurs désireux d’entrer dans le vif du sujet « Par quoi commençons-nous, Monsieur ? Sportif, classique ? »
Le choix est cornélien. La sécurité voudrait de dire « les deux » bien sûr, ou un de chaque. Ce que Monsieur le Duc peut à loisir se permettre. Mais il n’a que trop conscience de la fin d’année pour tous, et en particulier pour les tailleurs. Il ne peut que supposer qu’un badaud sans nom, même inondé d’argent, aurait été, peut-être, repoussé aux calendes par ce cher Teyssier. En homme pratique – et qui a peut-être emprunté un peu de la sobriété toute luthérienne de sa douce –, il sait donc que les caprices royaux ne sont pas de bon goût. Plût aux cieux que son frère en prisse quelque note. « Il n’y a pas meilleure occasion que la Saint Sylvestre pour se laisser aller à quelque jeunesse. Tentons ce style sportif qui semble défrayer la chronique du bon goût. A n’en pas douter, cela ne manquera pas de satisfaire les exigences de mes enfants. » Le sourire est presque imperceptible, mais la tendresse vibre dans sa voix. Personne ne peut vraiment ignorer le doux amour que le Duc porte à sa famille. Il s’écarte quelques secondes pour décrocher une poignée de photographies le montrant auprès de diverses œuvres de charité dans le monde moldu. Anciens combattants, orphelins et veuves de guerre. Certaines photos sont dédicacées au verso ou sur le grain luisant du cliché. « Remerciements de l’association X », « Une bonne année à Monsieur le Duc de l’assemblée Y », « Louis a bien trouvé une famille et vous remercie », le dernier cliché envoyé au sortir de la guerre par l’une des jeunes femmes – Sylvie ? Sophie ? – de l’une des premières associations qu’il a aidé à financer. La photographie montre le duc, un garçon dans les bras, discutant avec ladite jeune femme dont on voit à peine quelques boucles et une épaule plissée d’étoffe.
C’est avec une dizaine de clichés en main que le Duc revient vers l’homme de talent et d’aiguilles. « Afin que vous sachiez bien d’où nous partons en matière de mode moldue et que vous puissiez prendre conscience de l’ampleur du chantier, voici quelques clichés de votre serviteur en attirail moldu. Vos suggestions me font songer que j’ai probablement dû paraître bien trop formel pour ces occasions là. » Il laisse à ce cher Émile Teyssier tout le loisir d’étudier les clichés et poursuit, pensif, tout accaparé à son problème. « Votre expertise n’en sera probablement que plus essentielle dans l’entreprise. Je ne voudrais pas dépareiller à la messe, qui sera donnée dans une paroisse moldue, puis au repas. Je veux faire honneur à mes enfants, et en particulier à mon fils qui vient de recevoir son diplôme. Comme il passe bon nombre d’heures dans le monde moldu, en effet, pour ses études, il a acquis, il faut bien le dire, style et goût en la matière. Sa connaissance des us et coutumes de nos concitoyens n’a probablement d’égale que mon manque de sens de la mode. » S’il avait été présent pour l’essayage, sans nul doute aurait il eu tout le loisir de s’allier à ce cher Monsieur Teyssier dont les phalanges ne manquent probablement pas de courir sur les clichés laissés à son œil expert.
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Emile Teyssier leépingles et pâmoison
@Léopold De Valoys & @Emile Teyssier
cw: mention de la guerre et conséquences
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Il veut rester confiant, l’Emile, porter fièrement les convictions d’un style cultivé depuis tant d’années. L’air songeur du Duc, seulement, sait semer quelques soupçons de doute que le Couturier se hâte à chasser. « Assurément, les moldus se révèlent adeptes d’une mode moderne, prompte à célébrer la vivacité et l’audace d’une tenue pour se détacher de l’austérité des… disons, quelques difficiles années vécues. » Le Teyssier s’autorise un sourire, bouche fermée, sachant le sang bleu sensible au sujet ; nombre de ses actions de charité finissant, d’un moyen ou d’un autre, capturées pour l’éternité dans les journaux de la ville sorcière. Il s’acharne à le rassurer davantage, plaide le bon goût de la styliste qui habillera Madame et saura accorder les époux. Il faudra, pense-t-il secrètement, que le Duc congédie rapidement leur habilleur habituel si celui-ci se retrouve bouche bée, bêtement dépassé à l’idée d’avoir à habiller Madame en fonction de Monsieur, et non autrement.
Tourné vers son mannequin vivant, Emile n’entend que d’une oreille distraite le commentaire de son client sur ses tarifs. Il hoche toutefois la tête, cachant son inattention par un semblant de réaction, avant de l’inviter à se décider. Les tarifs, après tout, ne devraient être qu’une formalité pour une maison telle que celle-ci. Le Duc, de tous ses clients, ne sera certainement pas celui à venir négocier un ou deux bézants. La malle s’agite, en l’attente d’une réponse, la réflexion laissant le temps à Emile de s’ajuster. Enfin, le mannequin est placé, loin de l’estrade, loin des murs, à bonne hauteur pour que Monsieur s’y sente représenté, et puisse observer les changements qui lui seront portés une fois lui-même placé sur l’estrade, rubans s’affolant sur ses mensurations. La sentence tombe, son client a tranché ; Emile sourit.
« Vous pourrez porter le croquis de l’habit qui vous aura convaincu en fin de session à votre fils ; si celui-ci rejette franchement l’idée, je serai toute à votre disposition afin d’ajuster le trait. Il me serait regrettable de vous laisser un mauvais souvenir de votre soirée de célébrations… Nous allons déjà modifier à loisir les coloris et motifs du croquis que je vous ai montré afin d’équilibrer modernité et exigence, trouver ce qui vous sied au mieux. Monsieur, vous serez du meilleur style, promesse de Teyssier. » Si le clin d’oeil n’ose lui échapper, son visage se fend d’un sourire charmeur. Trêve de promesse, toutefois, il faut en venir aux armes : crayons, tissus et ciseaux attendent leur heure de gloire. Sa main reste en suspens, prête à saisir sa baguette pour faire s’élancer sa ronde d’essayage, car Monsieur, qui s’était de quelques pas éloignés, revient avec une poignée de clichés en main.
Sourcil haussé, oreille attentive, Emile s’approche et se saisit volontiers des ressources que lui tend ainsi son client. Il est rare que les dames et gentilshommes qu’il habille aient autant de photographies, d’une part, qui plus est ainsi vêtus. Son regard est bien vite captivé par les différentes silhouettes qu’il y voit, les robes ici et là, comme les costumes trop formels qui habillent parfois Monsieur le Duc. Petite moue vient tirer ses lèvres vers le bas, approuvant d’un hochement de tête les précisions de son client. « Les complets restent une invention relativement récente, vous ne deviez pas être le seul présent attaché à la mode du siècle passé, » souffle Emile. Il fait défiler les clichés, légèrement amusé par la sélection qu’on lui a mis en mains. Il n’y a pas que dans les journaux, semble-t-il, qu’on s’éprend des actions de charité de Monsieur le Frère du Roi.
L’homme lui est moins désagréable que ses compères sang-bleu, sa présence parmi les combattants et rescapés de guerre rappelant à Emile combien tous les sorciers ne se sont pas détournés des horreurs de la Grande. Les mots de Monsieur le Duc sont comme un flot abstrait, à sa droite, alors qu’il a l’index qui trace un des derniers clichés. Le Couturier s’est désintéressé des costumes, happé par la violence que les photographies font remonter. Sa gorge se resserre de voir les marques que les combats ont laissé, les visages déformés qui peinent à sourire, les femmes aux traits émaciés, les yeux encore trop irrités d’avoir pleuré, les enfants, Morgane, ces enfants qui montrent toutes leurs dents, prunelles pourtant déjà ternies de l’absence de leurs parents.
Une petite tête se démarque, brindille aux boucles et tâches de rousseurs, dents de travers et sourire sans honte, portée gaiement par Monsieur le Duc. L’image tire un sourire triste à Emile. Son coeur s’arrête, toutefois, quand ses yeux s’attardent enfin sur la dernière personne capturée sur papier glacé. Une épaule, des boucles désorganisées, et un profil, surtout, qu’il reconnaîtrait d’entre mille, capable même de le redessiner les yeux fermés, de le peindre à mains nues, de le décrire de tous les mots possibles. Ses phalanges sont blanches, tant elles sont crispées sur le papier ; il lui faudra s’excuser, le cliché en est tout froissé.
« Cette jeune femme… », interrompt le Couturier, impolitesse frappante venant secouer l’échange. Il ne peut se taire ; il n’arrive pourtant pas à continuer. Il lui faut avaler, déglutir, essayer à nouveau : « Monsieur le Duc, cette jeune femme, Monsieur, comment, où — ». Il balbutie, se perd, les yeux s’affolent. Emile s’étouffe, l’étau autour de sa gorge se dédoublant contre son coeur. Les deux se resserrent, semblent même se tordre et se contracter, pour l’achever. Les quelques mots qui se détachent sur l’image assènent un coup fatal : il en est persuadé, c’est impossible, mais c’est elle. Les probabilités sont minimes, risibles, on pourrait en rire, tant il doit se l’imaginer. Pourtant, son sang Teyssier le jure : ça ne peut qu’être elle. C’est elle. Ce sont ses E, qu’elle a toujours écrit à l’envers, qu’il a toujours raillé avec tendresse.
C’est radical, comme douleur. Il n’a pas le temps de prévenir, visage catastrophé tourné vers Monsieur, l’aspirine rivalisant avec son teint ; il s’effondre, Emile. Le vertige est soudain, le manque d’air asphyxiant. Il n’arrive à rien, ni tendre la main, ni dire un mot de plus, ses genoux flanchent. N’y a-t-il que le sol pour le rattraper ? Il n’en est même pas certain, la tête tourne trop, la bile tutoie le gosier, le noir hante ses globes.
Le Teyssier, alors, tombe dans les pommes. On l’excusera - c’est qu’il est persuadé, feu chevalier servant, d’y voir sa princesse disparue. C’est Elle, par Morgane.
1053 mots (c) oxymort
taking different roads ;
love will tear us apart again ᛉ
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys letw : Léo being his usual priviledgied self (aka un peu tête à claques)
S’il était une chose à laquelle Monsieur le Duc ne s’était pas préparé ce matin, ce serait certainement ces quelques secondes de basculement dans la comédie, ou peut-être le drame. Il faut dire que la session d’habillement augurait du bon. Ce cher Teyssier est indubitablement un expert de son art. Il a parlé avec goût et assurance lorsqu’il assura le Duc des dernières modes moldues « Assurément, les moldus se révèlent adeptes d’une mode moderne, prompte à célébrer la vivacité et l’audace d’une tenue pour se détacher de l’austérité des… disons, quelques difficiles années vécues. » Il fit montre aussi de cette bonhomie si propre aux adroits commerçants. Voyez comme il cajola et rassura le Duc, si bien que le coup de grâce fut porté : « Vous pourrez porter le croquis de l’habit qui vous aura convaincu en fin de session à votre fils ; si celui-ci rejette franchement l’idée, je serai toute à votre disposition afin d’ajuster le trait. Il me serait regrettable de vous laisser un mauvais souvenir de votre soirée de célébrations… Nous allons déjà modifier à loisir les coloris et motifs du croquis que je vous ai montré afin d’équilibrer modernité et exigence, trouver ce qui vous sied au mieux. Monsieur, vous serez du meilleur style, promesse de Teyssier. » Ce cher Frère du Roi ne put qu’acquiescer, conquis par tant de prévenance, égrenant même un sourire, bouche mi-close, où la blancheur de l’émail brilla presque. Une victoire dont trop peu purent se targuer dans leur commerce avec Monsieur le Duc. Il faut ici avouer à notre lecteur que lorsque Monsieur le Duc de Valoys narrera par le détail à son aimée toute l’affaire, il ne manquera pas de répéter à Madame les mots de Monsieur Teyssier, distrait, juste avant l’apocalypse « Les complets restent une invention relativement récente, vous ne deviez pas être le seul présent attaché à la mode du siècle passé »
Il est à présent difficile de relater, pour ce cher Léopold, Frère de Monsieur le Roi, Duc de Valoys et, de façon générale, homme d’âge mur à qui le destin a infligé beaucoup mais épargné plus encore, la folle cavalcade de ce qui survient désormais. Tout semble paisible, il a remis à Monsieur Teyssier, dont il devine le sourire tendre, parfois amusé, quelques photographies de ses meilleurs – ou pires – attires moldus. Oh, il se demande, avec un brin de nervosité, il faut le dire, ce que l’expert en pense de cette « mode du siècle passée » qu’il a porté si longuement. Peut-être est-ce là la preuve de l’inénarrable supériorité des moldus sur la gent sorcière : puisque Dieu ne leur a pas fait grâce de magie, ils ne cessent de faire tourner les rouages de leurs esprits et d’innover en toutes choses, pareillement à leur Créateur à tous. C’est presque avec amusement que monsieur le Duc songe là qu’il y aurait certainement de longues discussions philosophiques à tenir. Lui qui est résolument obsédé par le secret magique doit bien reconnaître qu’il y a, dans la culture moldue, un petit charme d’inventivité tout à fait plaisant.
Tout à ses songes, le Duc ne voit que trop tard l’effet que les photographies semblent avoir sur Monsieur Teyssier et se fustige alors de son inénarrable indélicatesse. Certains des clichés sont datés de quelques mois après la Grande Guerre seulement, et il ne sait rien de la jeunesse de son interlocuteur, et peut-être vient-il de commettre quelque ignominie. Comme toute sa classe d’âge, cependant, il ne peut que deviner que Monsieur Teyssier porta les armes. Ou ses frères. Ou ses fils. Tant et tant furent envoyés sur le front qu’il en perdit le compte. Et s’il a, pour lui, de donner, donner, donner encore en temps et en argent pour exorciser les démons celés dans les ombres, peut-être n’en va-t-il pas de même pour tous. Voilà que le Duc se maugrée pour son manque de prévenance. C’est que le tailleur, homme exquis et composé quelques instants plus tôt, a pâli et tremble. Les clichés s’éparpillent entre ses doigts et la couleur déserte sa face plus sûrement que se déroule les rouleaux d’étoffe dans l’atelier du Teyssier. « Cette jeune femme… » Il a le teint crayeux, les joues blafardes et le front blême. Les lèvres se vident de tout coloris et se font pâles cires gravées à même le masque d’effroi. Ses doigts tremblent sur le papier chiffonné qu’il essaie tant bien que mal de montrer à Léopold : « Monsieur le Duc, cette jeune femme, Monsieur, comment, où — ». Et le voilà au sol, un nuage de photographies étalées sous et sur lui, et un Duc pour le moins interdit. Que diable vient-il de se passer ?
« Monsieur le Duc, je vais chercher des sels ». Le majordome présent, demeuré silencieux jusque là est celui qui fait reprendre au Duc ses esprits. Il donne son autorisation et lévite le Teyssier jusqu’au divan le plus proche. Voilà l’élégant homme soutenu par le velours et la soie tandis que la photographie est récupérée et défroissée d’un coup de baguette. La connaît-il ? Sans doute. Si forte réaction ne pourrait être le fruit du hasard. Quelques instants s’égrènent. Ils paraissent des heures longues et étiolées autour de la figure tombée en pâmoison de Monsieur Teyssier. Le Duc se tient là, photo en main, tentant de rabibocher ses maigres souvenirs de la rencontre qui mena au cliché. C’est qu’il se creuse le ciboulot, interdit, quelque peut gêné de voir là ce cher Teyssier. Il faut dire que le Duc est rarement aux premières loges d’un tel émoi.
Par chance, voilà qu’on apporte les sels et que la présence de ses gens aide le Duc à reprendre un peu de contenance. L’odeur âcre vient titiller les narines du tailleur tandis que l’on les lui agite sous le nez. Il bouge, bat un peu des paupières. « Tout va bien, Monsieur Teyssier ? Vous avez fait un malaise ». La voix du Duc est toute pleine d’une sincère sollicitude. Il a écarté de son esprit quelque condition médicale, tant le choc fut visible sur le visage du Teyssier. C’est bien l’émotion, pense-t-il, qui fit se pâmer le styliste. Comment aborder la chose, maintenant ? Faut-il faire comme si de rien n’était, ou vaut il mieux en parler ? Il a l’air bien pâle, encore, son interlocuteur. Il vaut mieux faire une pause, pense-t-il. Peut-être affronter le cœur du problème permettra à notre ami de se remettre de tant d’émotions ? « Vous voulez boire quelque chose ? Manger un morceau ? Je ne voudrais pas que vous vous sentiez mal à nouveau. » Le domestique est tout prêt à apporter un peu d’alcool, de thé ou de quelque denrée que le coeur de Monsieur Teyssier pourra désirer. Le Duc lui-même s’est assis sur un fauteuil voisin, pour se mettre à hauteur de l’ému couturier. « Y a-t-il quelque chose que l’on puisse faire ? » Le on collectif masque le Duc et ses gens mais a aussi cette délicate pudeur du désengagement. C’est qu’il doit rester difficile à toucher, le Frère du Roi, la figure, lui dit-on toujours, doit bien prévaloir sur l’homme. « Vous connaissiez cette jeune femme ? » La photographie est déposée sur le genou. « Sylvie… Sophie, Sophia ? » Le prénom roule, incertain. « C’était en 1919. » Une information qui lui revient.
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Emile Teyssier leépingles et pâmoison
@Léopold De Valoys & @Emile Teyssier
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Émile a été amené à expérimenter quelques étrangetés depuis qu'il exerce son métier. Déjà enfant, trop petit pour tout à fait pouvoir s'accouder aux lourds plateaux de bois de l'atelier, le Teyssier avait vu milles phénomènes faire dévier le cours habituel d'une session d'essayage. S'il devait agiter un peu sa Pensine interne de quelques coups de baguettes, le Couturier pourrait sans peine relater cette matinée où Maman s'était tant trompée sur les mensurations de sa cliente qu'elle s'était retrouvée tête coincée dans sa parure, cris offusqués résonnant comme en sourdine d'entre les étoffes. Ses déboires préférés étaient plus tardifs, trentaine bien entamée ; celui d'un couple de fiancés ayant bravé l'interdiction parentale pour se promettre amour éternel tendait à facilement ressortir en fin de soirée. Emile était tombé sur eux, jeunes fauchés se lamentant d'un mariage expédié, et la tendresse de son cœur romantique, n'en déplaisent aux médisants le pensant amant instable, l'avait poussé à promettre quelques parures de festivités. L'affaire est jusque là plutôt honnête, rien à se faire gausser les curieux. C'est que, trop heureux des gentillesses du Teyssier, les amoureux avaient oublié de préciser le charme farceur, que certains se plairaient davantage à décrire comme maléfice vengeur, lancé par la belle-mère affolée. C'est une malle entière de tissus qu'elle avait déchaîné, par son sortilège ruinant toute tentative d'apprêter la jolie fiancée, Emile suant encore de se rappeler combien il s'était démené à faire se calmer les matériaux, trop occupés à se découper eux-mêmes en morceaux pour l'écouter. Imaginez, un salon modeste, recouvert de lambeaux, un couple faussement penaud en pièce maîtresse de ce désastre ambulant. Rocambolesque, cette affaire n'était toutefois que pâlote face à celle qui fustigeait ce jour le Teyssier.
Voyez, même une marâtre désobligée n'arrivait à rivaliser avec la calamité qu'il vivait en cet instant. N'y a-t-il rien de plus mauvais goût que de s'évanouir chez Monsieur le Frère du Roi ? Les sens lui reviennent à peine que déjà Emile voudrait se laisser retomber de honte. Il garde les yeux fermés, paupières douloureuses tant elles cherchent à se fondre sur son visage. Il aurait le teint rouge, si son sang circulait comme il se doit, mais la paleur de sa peau restait tenace, vestige d'un émoi renversant. Il faudra pourtant qu'Emile reprenne toute conscience, ne serait-ce que pour retrouver quelques convenances et répondre au Duc qui, loin de le railler, s'assurait de son bien-être. Il dodeline de la tête, le Teyssier, tente de balbutier qu'il n'a besoin de rien, peinant déjà à se resituer tout à fait. Sous ses doigts, le tissu d'un fauteuil ; on aura donc réussi à lui éviter la chute totale, l'effondrement sur les sols de la demeure de Compiègne. Quand il daigne enfin ouvrir les yeux, le Couturier ne peut que se confronter à l'air soucieux du Duc, et celui bien plus affairé du domestique. C'est qu'il se dandine presque derrière Monsieur, à la recherche d'une denrée à lui apporter pour le requinquer pleinement.
Emile porte une main à son visage, tant pour se cacher de leurs regards que pour renouer avec son corps. Il lui semble encore flotter hors sol, doigts tremblants et tête sonnée. Il s'éclaircit la gorge, une fois, deux fois, doit abandonner et souffler, d'une voix encore éprouvée : « Veuillez accepter mes excuses, Monsieur le Duc, pour vous avoir ainsi importuné. Quelques instants encore, si vous le voulez bien, suffiront à me rétablir. C'est que… ». Les mots lui échappent, au Teyssier ; il ne peut que relever la tête et laisser son regard s'attarder sur le cliché, vil fauteur de trouble, espoir inouï, reposant là sur les genoux de l'aîné. L'étau sur ses poumons semble encore se resserrer, et il lui faut contrôler ses respirations pour ne pas défaillir à nouveau. Le souvenir du profil de sa sœur, sur cette photographie, suffit à lui faire tant palpiter le cœur qu'il pourrait s'en arrêter. Il faut qu'il sache, Emile, si son âme s'est encore trop emballée, comme souvent lorsqu'il est question de sa protégée. Que le Duc l'excuse, mais il ne peut reprendre ses coutures, sans avoir même tenté d'en savoir plus. Lèvres entrouvertes, il s'apprête à plaider lorsque Monsieur, de lui-même, porte la conversation vers la cause de ses défaillances.
Yeux humides, il s'abstient de croiser ceux de son hôte, trop bouleversé pour se préoccuper de son impolitesse. « Je crois bien, oui, Monsieur, avoir connu cette jeune femme. » Il pourrait s'étouffer, d'avoir même pu prononcer ses mots. Cette jeune femme, songe-t-il, avec un désespoir aussi large que son bonheur est grand. Les mots sont terribles, synonymes d'une vie passée loin de lui, pourtant si beaux, puisque porteurs d'une vie entière, venue façonnée les traits de sa Sophie pour faire de l'enfant disparue une adulte photographiée. Si, encore, c'est bien elle qui se cache ainsi de l'appareil, épaule et cheveux seuls indices de son profil. Le Duc s'essaie à plusieurs noms, celui de Sophie retentissant avec la force de mille obus entre les tympans du Teyssier. Il lui faut fermer les yeux à nouveau, poings crispés à s'en blanchir la peau sur les accoudoirs de son assise. « Sophie, oui, » hoquète-t-il presque, soufflé. Le Duc enchaîne, sans réaliser l'ampleur des révélations qu'il fait alors à son habilleur du jour. 1919. Il y a huit ans, Sophie respirait encore. La découverte donne le tournis à Emile, qui, à n'en pas douter, serait retombé côtoyer les sels de la maisonnée s'il n'était pas déjà assis.
« Comprenez, Monsieur, que c'est ici peut-être la seule, du moins la première, piste sérieuse de ma jeune sœur que j'ai eu l'opportunité de retracer. 21 ans, sans arriver à grappiller ne serait-ce qu'une poignée d'indices de son existence, et voilà que vous me la tendez, encadrée sur un papier glacé. » Le Teyssier braque ses yeux sur le sang bleu, joues reprenant de la couleur alors qu'il s'égosille : « Je ne peux que vous conjurer de me le confirmer, que mon sang ne s'est pas échauffé sans raison ; qu'il s'agit bien de Sophie, ma tendre Sophie, sur votre cliché. » Il se redresse subitement, trop pour son corps encore empâté, et doit se retenir au dossier du fauteuil. Oublier son vertige lui est facile, alors qu'il retrouve sa baguette et conjure, d'un accio presque sifflant, deux papiers. « Ce visage, Monsieur, vous est-il familier ? Peut-il être celui de cette jeune femme ? » Il lui tend, mains tremblantes, deux portraits. L'un d'eux, vernis et protégé de milles sortilèges, révèle le visage figé de la benjamine Teyssier, sourire discret d'une enfant sans magie que les onze ans approchant n'invitaient plus à s'autoriser un rire. L'autre, aux traits plus hâtifs, imprécis, forme ce que pourrait être le minois de sa jeune sœur, trentaine à peine engagée. Il attend, cœur tremblant, la confirmation de ce que son sang lui crie.
D'une voix faible, il se sent obligé de souffler : « C'est que ce sont ses E, sur ce message, ses E qu'elle n'a jamais su écrire. » Qu'il le pense fou, le De Valoys, qu'il maudisse son impertinence : il lui faut être certain. Sophie, douce Sophie, tendre enfant, respirait encore il y a huit ans.
1189 mots (c) oxymort
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys letw : Léo being his usual priviledgied self (aka un peu tête à claques)
Monsieur le Duc est indubitablement en dehors de ce petit périmètre bien restreint où il se sent à son aise. Il faut dire qu’il console rarement des inconnus sans le contexte particulier de la charité. Pourtant, alors qu’il s’est assis au chevet de Monsieur Teyssier, tout son sens chrétien, toute sa compassion, ou peut-être toute sa folie et son souci de l’autre ont pris le dessus et il ne veut certainement pas laisser un si aimable et talentueux tailleurs aux prises de la détresse qu’il afficha si honnêtement. « Veuillez accepter mes excuses, Monsieur le Duc, pour vous avoir ainsi importuné. Quelques instants encore, si vous le voulez bien, suffiront à me rétablir. C'est que… ». Patience est mère de sûreté. Plutôt que de balayer d’un revers de main les excuses de son invité, Léopold attend, avec toute la délicate patience que recèle son âme. Il sait que souvent, les confessions viennent lorsque l’autre est laissé libre d’exprimer sa douleur, et il voit bien que Monsieur Teyssier souffre. Sa pâleur et ses tremblements le disent assez. Les pupilles que dilatent la détresse et les larmes prêtes à perler sur ses joues aussi sont autant de preuve de l’émoi véritable de son interlocuteur. Et s’il avait fallu davantage de preuves à apporter au tableau : « Je crois bien, oui, Monsieur, avoir connu cette jeune femme. Sophie, oui » Il voit bien, dans l’oeil du Teyssier qu’il a touché quelque chose avec l’année 1919, avec le nom, avec la mémoire. Alors il creuse, le Duc, il creuse les circonvolutions de sa mémoire. Cette rencontre, bien confuse, mêlées à tant d’autres au sortir de Guerre, est cependant illuminée du souvenir de l’enfant. Et c’est par lui, par lui surtout que le Duc tente de raviver sa mémoire. Le petit Louis, le duc s’en souvient bien. Un orphelin de guerre de six ou sept ans que le traumatisme des bombes et des morts avait rendu mutique et auquel il fut à la fois aisé et difficile de trouver une famille. Tant de bonnes âmes étaient prêtes à secourir ces jeunes enfants, mais si peu parvinrent à rallumer dans les yeux du garçonnet un semblant de vie. De mémoire de duc, Sophie était de ceux-là.
« Comprenez, Monsieur, que c'est ici peut-être la seule, du moins la première, piste sérieuse de ma jeune sœur que j'ai eu l'opportunité de retracer. 21 ans, sans arriver à grappiller ne serait-ce qu'une poignée d'indices de son existence, et voilà que vous me la tendez, encadrée sur un papier glacé. Je ne peux que vous conjurer de me le confirmer, que mon sang ne s'est pas échauffé sans raison ; qu'il s'agit bien de Sophie, ma tendre Sophie, sur votre cliché. » Il s’enflamme, le Teyssier tandis que le Duc assimile ces nouveautés. Une jeune femme perdue depuis vingt-et-un ans… Cela fait 1906, elle n’a donc pas été enlevée par la Guerre. Quoi donc, alors, pour séparer une famille ? Une séparation familiale, un crime resté impuni ? Une angoisse nouvelle brûle dans l’estomac du Duc, mais il craint de poser la question. Lui aussi ne se souvient que trop des conseils qui lui furent prodigués lorsque son deuxième se retrouva incapable de magie. Ne lui a-t-on pas dit, maintes et maintes fois, qu’il serait préférable de le laisser partir dans le monde moldu ? De l’y abandonner, privé de mémoire ? Sûrement… La détresse du frère, cependant, l’émeut, et brise sa mémoire. S’il avait écouté toutes ces voix, son aîné serait-il comme Monsieur Teyssier, en quête de son cadet et pâli par l’angoisse et le désarroi ? « Ce visage, Monsieur, vous est-il familier ? Peut-il être celui de cette jeune femme ? »
Tout à ses pensées, le Duc tressaille presque lorsque deux portraits lui sont tendu. L’un est une enfant, toute jeune. Dix ans, peut-être, un timide sourire sur les lèvres. Son âge rallume la flamme du doute dans l’estomac de Monsieur de Valoys : dix ans, onze ans, l’âge auquel les destins se scellent dans le monde magique. A-t-il touché juste ? Cette jeune fille a-t-elle été laissée seule dans un monde si cruel pour les enfants ? A-t-elle du travailler, se vendre ? A-t-elle été abusée, blessée, brisée ? Est-elle encore en vie ? Par empathie, peut-être, ou par simple déduction, voilà que le Duc partage les doutes qui, certainement, agitent l’esprit de Monsieur Teyssier à chaque heure du jour et de la nuit. Il examine les portraits avec le plus de sérieux et de rigueur qu’il peut afficher, ignorant presque le murmure du tailleurs à ses côtés « C'est que ce sont ses E, sur ce message, ses E qu'elle n'a jamais su écrire. » L’air de ressemblance avec le portrait adulte, sans doute imaginé, est assez frappant, sans être d’après nature. La précision du croquis de l’enfant est certainement révélatrice : elle a posé en modèle, tandis que l’autre n’est qu’une vue d’artiste.
« Je l’ai croisée dans le couvent carmélite, ici, à Compiègne », dit-il avec quelque lenteur, sans répondre précisément à la question laissée en suspens. « En 1919, j’ai donné à de nombreux fonds recueillant des orphelins de guerre dont le couvent, et elle était parmi les femmes qui avaient obtenu, pendant la guerre, l’asile à Compiègne et y ont vécu au moins quelques moments de la charité des sœurs et des donateurs. Je m’en souviens parce qu’elle ne portait pas le voile, et parce qu’elle était la seule à savoir éveiller l’intérêt du petit Louis que vous voyez sur la photo, et qui a perdu toute sa famille sous les bombes. » Il s’est fait grave, rassemble dans son souvenir les quelques interactions qu’ils ont eues. « Je l’ai vue deux fois seulement, c’était elle qui a cherché une famille pour l’enfant : elle voulait trouver des parents qui pourraient le comprendre, le faire sortir de son mutisme, le faire sourire. Nous n’avons que brièvement parlé, mais je me souviens de plusieurs choses : son nom, Sophie, et le fait qu’elle n’avait pas de magie, puisqu’elle n’était pas des quelques sœurs et réfugiées qui pouvaient en faire usage et que j’ai rencontrées à part du reste du couvent. » L’information est exacte, mais le Duc a surtout dessein, en observant les réactions de son interlocuteur, de deviner si son hypothèse est exacte. L’abandon, la mise au ban ou même à mort des enfants cracmols est encore trop souvent de mise dans certaines familles les plus conservatrices ou, peut-être, les plus désargentées qui voient dans cet enfant incapable de magie un poids, une malédiction ou quelque autre gêne pour le reste du groupe. Léopold s’est souvent demandé, contemplant avec une fierté douloureuse les accomplissements de son deuxième, s’il aurait lui même donné ce genre de conseils iniques et cruels s’il n’avait eu lui-même un fils cracmol ?
Il est pensif, il cherche tout ce qu’il pourrait lui dire.« Elle était grave, appliquée, mais n’avait, je crois, aucun désir de se faire sœur. Le dessin que vous avez là a quelque familiarité avec mon souvenir, mais elle était plus émaciée dans les joues, le menton un peu plus carré, je crois, et les pommettes un peu plus saillantes. Elle avait souvent le regard triste lorsqu’elle n’était pas avec les enfants mais son rire était aigu et communicatif lorsqu'elle s'occupait d'eux, je me souviens m’être fait la réflexion que sa vie avait du être bien dure. Je ne pourrais pas vous assurer avec certitude que c’est bien là votre sœur, mais la ressemblance avec le portrait est troublante et vaut certainement investigation. » Sa voix est douce, basse. Il comprend bien le désarroi de Teyssier et ne sait guère s’il pourra l’aider beaucoup, mais il veut essayer.
« Je peux écrire à la mère supérieure du couvent. Elle était déjà sœur en ces murs en 1919 et se souviendra probablement de Sophie ou pourra retrouver sa trace dans la documentation de l’institution. Je lui demanderai si vous pouvez la visiter et discuter avec elle. Peut-être sait-elle où votre sœur est aujourd’hui ou du moins où elle est allée en quittant le couvent. Avec un peu de chance, vous pourrez remonter sa piste. » L’offre lui coule des lèvres et la plume pourrait presque déjà s’agiter sur le papier : il sait que sitôt l’entrevue achevée, il ira bricoler sa missive en faveur du jeune Teyssier. Il a, déjà, l’adresse du jeune homme et pourra certainement organiser la rencontre avec aisance.
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Emile Teyssier leépingles et pâmoison
@Léopold De Valoys & @Emile Teyssier
cw: mentions de maltraitance d'enfant (surtout §4)
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Compiègne. 1919. Ces deux mots, mis côte à côte, pourraient enflammer le coeur d’Emile, s’il n’était pas déjà si bouleversé. L’image, vous le comprendrez aisément, a de quoi perturber le plus adroit des couturiers. La situation ne le pressant pas autant, le Teyssier se serait facilement aller à imaginer la scène ; sa soeur battant le pavé de Compiègne, sa robe frôlant les pierres des bâtisses du couvent. La voix lente du Duc, qui semble prêter attention à n’oublier aucun détail, fouillant certainement dans les recoins de sa mémoire pour retrouver quelques informations de ce jour sommes toutes anodin de son vécu. Emile dresse le portrait de Sophie, telle qu’il l’a toujours imaginée adulte, souffrant secrètement de savoir qu’elle est peut-être bien loin des traits qu’il lui a dessiné au fil des années, et la rêve quelques instants, droite et fière auprès des bonnes soeurs. Il sait son coeur pris d’effroi de songer aux circonstances qui l’ont menée à demander refuge en de tels lieux, au plein coeur de 14-18. Avait-elle été balancée dans les efforts de guerre ? Quelles missions avait-elle bien pu réaliser pour finir ainsi, en couvent sorcier ? Son passage avait-il laissé une trace, même subtile, minime, Emile prenait tous les filons, au sein de ce lieu de foi ?
Ses pensées semblent rejoindre les propos du Duc, qui souffle alors : « C’était elle qui a cherché une famille pour l’enfant : elle voulait trouver des parents qui pourraient le comprendre, le faire sortir de son mutisme, le faire sourire »». L’opposé des siens, hurle l’esprit d’Emile, qui se divertit facilement en lui rappelant toutes ces fois, innommables, où Sophie n’avait pu que souffrir des parents qui lui avaient été donné. Insensible à la foi, ne croyant en rien si ce n’est l’horreur humaine, l’existence de sa jeune soeur avait longtemps été, pour lui, le signe même de l’improbabilité d’une présence divine. Comment se pouvait-il, qu’un Créateur supérieur veille sur nous, pauvres hommes, quand un enfant était mis au monde dans des bras qui ne sauraient que l’étouffer ? S’il existait, sûrement ferait-il mieux les choses : et Sophie, alors, serait née ici, cuillère d’or entre les lèvres, protégée par le plus grand des noms. S’il existait, donc, Sophie n’aurait pas eu à chercher, pour des enfants traumatisés par l’horreur du nouveau siècle, des parents aux antipodes des siens. La photographie, qu’Emile avait brièvement tenu entre ses mains, et le message qui s’y inscrivait révélaient que le malheureux Louis avait su trouver famille aimante, lui. Combien sa soeur était pure, qu’en son âge encore, elle avait su reconnaître en une famille suffisamment de tendresse et d’amour pour savoir que l’enfant y serait heureux ? Avait-elle veillé à ce que la famille ait un Emile — aussitôt la pensée lui traverse l’esprit, aussitôt le Couturier manque de se mordre les lèvres jusqu’au sang. Imbécile. Quelle garantie apportait-il, quand même adulte, il n’avait su la sauver ? Incapable, insolent petit Emile. Pitié, que ce jeune Louis soit dénué des horreurs qu’un Emile savait seulement déguiser, à défaut de gommer.
Si le Couturier avait encore des doutes sur la présence de sa soeur au sein du couvent, les deux éléments principaux qui revenaient en mémoire à Monsieur le Duc suffirent à les effacer. Sophie, la dénuée de magie. Là encore, ça avait été ce qu’on savait retenir d’elle. Le souffle court, le cadet des frères Teyssier ferme les yeux. « Ma Sophie n’avait pas de pouvoirs non plus. Je ne peux croire en tant de coïncidences… » Il aimerait en dire davantage, mais les mots lui échappent. Doit-il expliquer, les raisons de sa disparition ? L’âge de Sophie, sa particularité, cela ne suffisait-il pas à tracer les lignes entre les repères ? Peut-être l’évidence le frappait, lui, trop aux faits de ces horreurs, mais un homme tel que le Duc n’avait pu y être confronté, pas quand sa famille était si protégée des malheurs, et il lui fallait alors tout expliciter. Sa langue se crispe, pourtant, figée contre ses dents, incapable de se délier.
C’est que la disparition de Sophie, chez eux, avait été une disparition des plus honnêtes, sur papier. Une enfant frêle, régulièrement dite malade et éloignée du regard de la société, toujours trop curieuse, qui se serait rapidement étonnée des marques sur un si petit corps. Son père, aussi habile soit-il à provoquer en de zones discrètes suffisamment de douleur et colère pour inviter une réaction magique, s’abandonnait parfois à des élans de violence incontrôlés qui rendaient ses tentatives plus difficiles à cacher. La faire porter pâle, alors, n’attisait aucun soupçon, sinon celui de la culpabilité. Sa disparition, à ses onze ans, n’avait été que facilement déguisée en une fin d’histoire tragique, petit enfant parti trop tôt. Il supposait, en tout cas, que c’était ainsi que Père et Maman s’étaient amusés à présenter la chose, portes familiales claquées bien trop rapidement après les faits pour avoir ouï dire des conséquences. Il n’espérait même plus, s’il la retrouvait un jour, que Sophie se fasse encore appeler ainsi. Parler d’elle, alors, et de toute cette situation, a un homme tel que Monsieur le Frère du Roi, fragiliserait énormément Emile ; qui, après tout, soutiendrait les divagations d’un frère, qu’on présentera facilement comme trop loufoque, trop ambitieux, prêt à utiliser toute excuse pour récupérer son atelier familial, quand la très précieuse famille Teyssier avait tant d’accroches sur son territoire ? Il ne lui manquait qu’un titre, et plus de terres, pour évoluer auprès des très nobles. Il s’était confronté trop de fois à des échecs, à la piste fermée d’une Sophie déclarée décédée, pour oser quelconque explication. Il prendrait, alors, en gardant son silence, toutes les chutes de tissus qu’acceptera de lui donner le Duc. Seul, il saura parfaitement les recoudre pour former, si son aiguille est clémente, un patron lui offrant une réelle piste.
Emile a déjà reçu, en moins de temps qu’il n’en faut pour prononcer un Accio, plus d’informations qu’il n’en a eu en vingt ans. Son cerveau est presque assommé par le flux constant de détails qui semblent revenir au sang-bleu. Grave, appliquée, plus émaciée que son grand frère souhaitait l’imaginer et — là, voilà, les mots douloureux. Le regard triste, une vie bien dure. Il ne peut en être autrement, quand on est ainsi chassée de son foyer, vendue aux plus offrants, quand on se retrouve, des années plus tard, à panser les plaies d’enfants toujours plus traumatisés. Les doigts crispés sur la photographie de Sophie, la plus récente qu’il ait et pourtant déjà tant datée, Emile s’autorise un long soupir. Il relève les yeux, adresse un hochement de tête au Duc. « Il me tord le coeur de l’imaginer si triste, mais je ne peux que vous remercier de ces nouveaux traits auxquels rêver. Je ne sais combien de visages vous avez-dû croiser au cours de ces dernières années, aussi vos efforts me sont des plus précieux, Monsieur le Duc. Je n’abandonnerai pas la piste, il en est certain. »
De lui-même, l’homme suggère un courrier, à la mère supérieur. Emile s’en trouve bête, les yeux écarquillés devant tant de gentillesse. « Monsieur » , souffle-t-il, voix flanchante. Misère, que Morgane lui vienne en aide, s’il ne veut pas se retrouver, une fois encore, les yeux mouillés et le corps branlant devant le Frère du Roi. Il pourrait presque lui en baiser la main, là, à l’instant. Emile se retient, mieux dressé que cela, tout de même. Il offre un mouvement de tête gracieux à son hôte, articulant clairement : « Votre recommandation ne pourra que m’ouvrir les portes du couvent plus rapidement, Monsieur le Duc, et je vous en suis extrêmement reconnaissant. Il paraît sot de vouloir se précipiter pour dérouler une piste si datée, mais, comme je vous l’ai expliqué, c’est la première qu’il m’ait été donné de voir de si près, en tant d’années. Sophie avait 11 ans, alors, et l’imaginer vivante, bien que fatiguée et éprouvée, est déjà d’un réconfort terrible, vous pouvez l'imaginer. Que cette discussion avec la mère supérieure mène ou non à Sophie, je suis déjà votre obligé, Monsieur. » Et, comme pour retrouver de sa confiance habituelle, Emile s’autorise à glisser, sourire cherchant à faire frémir ses lèvres : « Si, après cela, vous n’avez pas le plus beau costume de tout Paris pour vous habiller, Monsieur, alors je ne me nomme plus Teyssier. »
1341 mots (c) oxymort
(#) Re: [TERMINÉ] Épingles et pâmoisons | ft Émile
missive rédigée par Léopold de Valoys letw : /
Qui eût pu croire qu’une simple rencontre de conventions avec les aiguilles les plus audacieuses du tout Paris, vantées par ses enfants déboucherait sur une si délicate affaire ? Monsieur le Duc de Valoys se serait sans doute gaussé d’entendre fourmiller la chose dans ses esgourdes. Et pourtant, on y était ; il s’était assis auprès d’Émile et avait laissé libre court à toute sa mémoire pour lui relater une entrevue qui paraissait désormais trop brève. Comme il aurait aimé, le Frère du Roi, faire plus. La discordante et désespérée psalmodie d’un aveu lui permet de faire les connexions nécessaires : « Ma Sophie n’avait pas de pouvoirs non plus. Je ne peux croire en tant de coïncidences… » Comme il est gonflé, le cœur de Monsieur le Frère du Roi de tant de souffrances iniques et inutiles. Son fils ou Monsieur de Montrose sont certainement de brillants exemples que l’absence de magie ne diminue en rien les capacités d’un individu. Et pourtant, il fut un temps – et il est parfois encore vrai – il aurait, comme tous les siens, éructé que la magie, don Divin, est le seul apanage des justes et des êtres à l’image du Créateur. La naissance de son fils a fait tant vaciller cette certitude qu’il laisse, désormais, au Divin le soin de mener son dessein sans plus chercher à le décrypter. Pour autant, le sujet est toujours douloureux, comme une plaie à vif dans l’âme d’un père qui a pour défaut de trop aimer chacun de ses enfants et de vouloir les protéger des tourments de la vie sans y parvenir tout à fait. Il ne pourrait imaginer chasser fils ou fille de la maisonnée à ce prétexte, et voilà qu’il devine – projette peut-être – dans les tremblements de Monsieur Teyssier une bien sordide histoire, faite de douleur et d’abandons, et de seul Dieu sait quoi d’autre.
Le voilà pris d’un remord. Il aurait peut-être du s’enquérir de la famille de la jeune femme. Lui demander s’il pouvait l’aider de quelque manière que ce soit. Mais comme toujours, et comme tout bon noblion aux œillères de sa condition, il avait laissé passer cette chance dans les affres du l’après-Guerre. Il faut dire que la période s’était prêtée à la cécité, fût-elle volontaire ou non, et les souffrances les plus visibles étaient celles qui avaient en premier reçu le soin et l’attention. Celles qui, comme la jeune Sophie, avaient été abandonnés de longue date, en étaient réduits à quémander quelques miettes de la charité ruisselante en ces temps de reconstruction. « Mais vous n’avez pas fait la guerre », « laissez place aux veuves et orphelins », « celui-là est ancien combattant ». Voilà quelques phrases que le Duc devinait trop souvent prononcées. Et lui aussi avait participé à la chose, bien malgré lui, en n’ayant pas l’humaine décence d’échanger plus d’une poignées de phrases avec cette femme. Peut-être aurait-il pu lui épargner de vives souffrances. Voilà que le jeune Monsieur Teyssier, en frère éploré, se fait un écho tonitruant du sentiment du duc « Il me tord le coeur de l’imaginer si triste, mais je ne peux que vous remercier de ces nouveaux traits auxquels rêver. Je ne sais combien de visages vous avez-dû croiser au cours de ces dernières années, aussi vos efforts me sont des plus précieux, Monsieur le Duc. Je n’abandonnerai pas la piste, il en est certain. »
Tout à son souci d’aider, le Duc hoche gravement la tête avant de proposer de lui-même, quelque aide : sans doute son entremise avec le couvent pourra aider cette famille à connaître une heureuse réunion. A ces mots, l’adroit tailleurs cache mal son hébétude. Le voilà qui balbutie, les yeux embués, la voix tressautante d’une touchante sincérité : « Monsieur » Ledit Monsieur le Duc lui laisse le temps de chercher ses mots. Il a lui-même le cœur tout gonflé d’une émotion bien ardue à déchiffrer, et il songe là que son médecin lui dirait sans doute d’un air docte que ce sont les nerfs, Monsieur le Duc. Mais au diable les nerfs, le voilà ému de voir la sincérité de Monsieur Teyssier à peine celée sous le vernis d’une conversation maîtrisée : « Votre recommandation ne pourra que m’ouvrir les portes du couvent plus rapidement, Monsieur le Duc, et je vous en suis extrêmement reconnaissant. Il paraît sot de vouloir se précipiter pour dérouler une piste si datée, mais, comme je vous l’ai expliqué, c’est la première qu’il m’ait été donné de voir de si près, en tant d’années. Sophie avait 11 ans, alors, et l’imaginer vivante, bien que fatiguée et éprouvée, est déjà d’un réconfort terrible, vous pouvez l'imaginer. Que cette discussion avec la mère supérieure mène ou non à Sophie, je suis déjà votre obligé, Monsieur. » Il sent, le Duc, ou il devine, tout du moins, la blessure à vif de son interlocuteur. Il imagine un mélange tremblant d’espoir vif et de douleur se disputer l’âme de Monsieur Teyssier. Alors il choisit le parti du raffinement et de ne pas appuyer sur la plaie béante des gros doigts de la convention. Il incline la tête, accepte la reconnaissance qui lui est si honnêtement offerte bien que toute son âme ne s’en défende : il n’a que faire de la reconnaissance ou d’avoir pour lui des obligés. Toute peine qu’il efface de ce monde atténue la grandissante question de son statut : à quoi bon d’être le Frère du Roi, le Fils d’un Roi, le Duc de Valoys si tous autour de lui sont voués à la souffrance ? « Si, après cela, vous n’avez pas le plus beau costume de tout Paris pour vous habiller, Monsieur, alors je ne me nomme plus Teyssier. »
Le sourire qu’offre le Duc est doux. Mélancolique aussi, un peu. De cette douloureuse douceur que seuls connaissent ceux qui souffrirent dans leur âme. Il songe brièvement qu’il n’aurait pas pu partager l’émotion vive, nue, cruelle de Monsieur Teyssier s’il n’avait cheminé sur les tranchées. Il incline la tête, rebondit sur la dernière pointe et laisse couler l’émotion de côté pour laisser son interlocuteur reprendre un peu de contenance. « C’est moi qui suis votre obligé, Monsieur Teyssier. Vous avez après tout accepté de mettre vos aiguilles et votre bon goût au service d’un désastre ambulant. » Et d’offrir là un point de contact à Monsieur Teyssier pour le laisser s’épanouir à nouveau dans le persona de l’artisan. Il soupçonne qu’il y aura bien le temps pour les larmes ensuite.