la dolce vita (lorenzo)

Elle rit, fait une légère moue lorsqu’il l’appelle « mademoiselle » en italien. Elle déteste qu’on l’appelle mademoiselle, même si dans le cas de Lorenzo, c’était tout à fait taquin. Elle était une madame depuis bien longtemps et même avant d’être mariée, elle restait une madame. Alors, un peu boudeuse, elle ne répondit rien au fait qu’elle n’avait pas tant tenu l’alcool sur ce coup-ci. Il fallait dire qu’elle faisait attention à sa consommation. Entre toutes les obligations qu’elle avait surtout depuis que l’Aube était créée et le fait que finalement dans sa famille, ils ne buvaient pas tant notamment Yamanu qui avait totalement arrêté, elle gardait un œil à la limite de la psychoridigité sur sa consommation. Ça ne l’empêchait pas d’apprécier le bon vin, les bons cocktails et surtout le whisky et l’hydromel.
La bouderie presque enfantine qui se peint sur son visage, s’envole alors qu’elle sent la pulpe des doigts de Lorenzo caresser sa joue, déclencher un frisson incontrôlable. Qu’est-ce qui l’empêchait d’être démonstrative en public ? Beaucoup trop de choses, à commencer par l’habitude d’avoir plusieurs relations en même temps et d’être très discrète dans ces dîtes relations. Neith avait cette tendance à compartimenter. Même avec Alaric. Les évènements publics ensemble avaient vu peu de marque d’affection entre eux, sauf cas exceptionnels. Elle délimitait une ligne bien précise entre ces évènements publics où ils avaient une image, et les évènements privés où ils pouvaient être eux. Pour ses relations multiples et parce qu’elle savait qu’à plusieurs niveaux, beaucoup ne comprendraient pas, elle avait été encore plus distante. Il avait fallu protéger tant sa réputation de femme, qui plus était d’origine égyptienne avec toutes les médisances que les européens semblaient vouloir lui coller à la peau sur fond d’orientalisme, tout comme protéger aussi ses amours pluriels. Zinaïda en avait été un exemple frappant. Mais expliquer tout ceci à Lorenzo, là, maintenant tout de suite, serait fastidieux. Alors, elle ne s’embarrassa pas de paroles et combla les centimètres qu’il manquait pour échanger un baiser.
Retrouver ses lèvres avec le goût tant de la pizza que des cocktails est agréable. Comme un manque qu’elle comble. Et, lorsqu’elle se sépare, un fin sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu’elle reprend sa place. Ecoutant les propositions de dessert, Neith ne répondit rien et se laissa guider. Lorenzo savait de quoi il parlait. Il commande donc et elle écoute ses propositions. Son regard s’illumine devant l’idée d’aller observer quelques ruines archéologiques. La piscine est aussi tentante… Elle sourit néanmoins à son air de filou charmeur.
« Mmh penses-tu que nous pouvons faire les deux ? L’archéologue en moi ne dit jamais non à de vieilles pierres. » Elle rit un peu. « Mais pas longtemps, évidemment pour admirer le fameux coucher de soleil à l’hôtel de la piscine. » Et se serait suffisant pour elle pour redescendre un peu. Elle en oublie d’ailleurs ce qu’elle voulait acheter à la base : sa carte postale pour son mur de voyage.
Goûtant la tarte, elle s’exclame, spontanée.
« Masha'Allah, c’est délicieux. »

Le sourire satisfait qu’il lui donne la fait frissonner d’excitation. Son corps la surprend, elle qui n’a plus l’habitude de ressentir ça, elle qui en a la maîtrise la plupart du temps. Elle sent se courant électrique entre eux qui s’établit. Mais ce sourire satisfait était grisant et elle se rend compte qu’elle aime cette taquinerie qu’il a envers elle, même si elle déteste réellement être appelée mademoiselle. Peu importait la langue.
Et si le sourire satisfait se transforme en sourire solaire, l’égyptienne a un rire amusé et ne put s’empêcher de répondre :
« Mince, tu me devances. Moi qui comptais te le demander dès que nous serons dans la chambre. »
Son ton est léger et badin. Son sourire est un sourire de chat, fière de sa bêtise, avant de le faire s’apaiser contre sa cuillère et le dessert délicieux qu’elle mangeait.
« Voilà très longtemps que je ne suis pas rentrée dans une église. » admit-elle néanmoins sur un ton plus sérieux, consciente qu’elle a à faire à un croyant en face d’elle.
Neith respectait les croyances des autres même si elle-même n’était pas tant croyante. Les anciens dieux sans doute un peu… Elle se rappellerait toujours du rêve qu’elle a fait à onze ans duquel elle s’était réveillée avec le lapis lazuli au hiéroglyphe de Neith dans sa main. Les anciens dieux lui avaient rendus visites, Anubis l’avait entrainée et protégée sur le chemin dans le monde souterrain jusqu’à la Pesée où elle avait rencontré Osiris et cru qu’elle était morte, puis avait passé la salle d’un trône où elle avait fait la connaissance d’une Isis nourrissant son Horus sous le regard bienveillant d’une Nout céleste avant que son homologue Neith ne lui glisse entre les doigts devant son métier à tisser, elle tisserande du monde, le fameux lapis lazuli, faisant office de la messagère des rêves pour le compte de l’école la plus grande du monde. Elle se rappelait sa dévotion pendant quelques temps après ce rêve, émue par ce rêve aussi magique que spectaculaire. Néanmoins, cela s’était arrêté rapidement et Neith n’avait pas prié de quelconque dieu ou déesse même dans les moments les plus sombres de sa vie. C’était plutôt dans quelques rites proches de la culture musulmane qu’elle avait trouvé quelques réconforts : les nazar boncuk cousus à l’intérieur des manches d’Alaric, Ruben, Auguste ou Zinaïda pour les protéger de la malchance, les graines de cardamones sous le lit lorsqu’elle cherchait à tomber enceinte, l’encens brûlé pour éloigner les djinns lorsqu’elle était en dépression, la rituelle lecture des feuilles de thé de Kahina annuelle…
Alors en tant qu’hérétique, elle rentrait peu dans les églises. Mais les découvrir auprès d’un croyant et qui plus est si les pierres étaient vieilles l’enchantaient. Ainsi, répondit-elle finalement, sincère et presque tendre : « J’ai hâte de cette visite. »
Et elle se délecta de la tarte avant d’ouvrir un instant grand les yeux. « Effectivement. J’avais oublié ça. » Elle sait que son portoloin est plus tard dans la journée. Elle n’avait pas pu prendre beaucoup de temps. En fait, elle se réservait la majorité de ses vacances pour la fin d’année. Se surprenant à terminer la tarte, elle finit par laisser sa cuillière avant de regarder le plat de Lorenzo. « Bien, je crois que nous pouvons y aller ? » demanda-t-elle avec patience avant de se lever. Elle remercia chaleureusement Atia dans son italien limité autant qu’elle pu et eut droit à deux baisers chauds sur les joues en retour. Riant un peu, l’égyptienne attendit que le patriarche eût fait ses au-revoirs, remettant ses lunettes de soleil sur son nez.

Un sourire en coin et joueur, Neith ne répond pas à sa première phrase. Elle voit bien son regard et se demande un instant ce qu’elle a pu dire ou faire pour qu’il la regarde ainsi. Ils ont dépassé le stade des langues de bois. Neith n’a plus besoin de prétendre sur beaucoup de points. Presque tous les points. Pas dans ce domaine en tout cas parce qu’elle sait qu’ils n’ont pas terminé pour le temps qu’il leur reste ici au moins. Alors, être son égale, c’est aussi savoir faire ce genre de blague. Elle aussi, elle sait parler de sexe comme les hommes savent le faire. Sans doute était-elle une des rares à le faire si ouvertement avec celles et ceux qui sont rentrés dans son intimité. Mais mieux que personne, Neith sait que parler de ce genre de choses évite des drames. Alors, même si c’est un jeu, c’est aussi une façon de se connaître.
Elle imagine bien la scène, lui devant elle agenouillé. Elle aimait l’idée. Elle aimait encore plus l’idée de lui demander, mais s’il lui fallait une raison …
« Je peux faire la même chose pour qu’on soit à égalité. Si c’est, bien sûr, quelque chose dont tu as envie. Je ne suis pas égoïste, tu sais. »
Un sourire se dessine sur ses lèvres qui se transforme en un rire. Elle lui envoie un baiser du bout des doigts pour le remercier du compliment. Pour elle, s’en était un en tout cas. L’insulte aurait été de la faire être un ange, ce qu’elle n’était pas, loin de là.
Mais la corruption des âmes et des corps attendrait plus tard. Ils partirent du restaurant et finalement, Neith suivit le Medici jusqu’à la fameuse église dont il lui avait parlé, lui prenant simplement le bras. L’église ne paie pas de mine, mais le regard de Neith reste appréciateur. Son air se ferme et elle devient sérieuse. Quand bien même n’était-elle pas catholique, elle respectait les lieux saints quels qu’ils soient. Rentrant dans l’église, elle fit le minimum, à savoir se signer avec l’eau bénite malgré tout, respectueuse, tout comme elle se serait couverte les cheveux avant d’entrée dans une mosquée. Son regard observait les peintures, les décorations. Son appréciation est purement artistique et presque professionnelle d’une certaine façon. Elle se déplace, observe, apprécie sans jugement. Et puis lorsque la voix de Lorenzo s’élève, murmure dans le silence du lieu, elle se tourne vers lui.
Il est là un genou posé à terre, l’air si solennel. Elle se demande s’il y a bien un dieu qui vient juger ses actes, lui, l’homme marié qui bafoue sa femme avec une hérétique. Elle, elle sait déjà qu’elle est jugée par son Dieu. Cela l’indiffère et elle n’a aucun remord parce que ses actions sont guidées par une raison qui dépasse ce dieu en question. Mais lui ? Comment le vivait-il réellement ? Neith a envie de savoir, de connaître cet aspect-là de lui. Mais elle le sait, quelque part, la foi est aussi plus intime que le sexe. Les croyances des miracles sont si semblables de cultures en cultures, de religion en religion. Quelque part, les mythes des anciens dieux les relatent comme la Bible le faisait pour les chrétiens. Que ce soit par un Dieu, un prophète, le fils de Dieu ou des dieux anthropomorphiques, c’était du pareil au même.
Neith se rapproche alors et vient se mettre à ses côtés, se glisse à sa hauteur, respectueuse. Elle ne le touche pas. Cela aussi elle le respecte. Ici est un lieu saint. Les distances entre homme et femme doivent être respectées. Son regard parcourt un instant son visage, puis, elle continue à observer autour d’elle.
« J’espère qu’elle en fera d’autres, des miracles. » répondit-elle, respectueusement et sans jugement.
Elle resta là, à ses côtés, autant de temps qu’il le souhaiterait, continuant d’observer.

Elle ne doute pas qu’Eros leur soufflera ce qu’il préfère le moment venu. Pour l’heure, il n’est question que de foi et de croyances dans le silence de la petite église ancienne. Un moment spirituel dont elle n’a pas tant l’habitude. Croire en un être supérieur lui est difficile. C’est remettre sa vie entre les mains de quelqu’un d’invisible quand bien même le dieu des catholiques laisse le libre arbitre. Il n’empêche : elle aurait l’impression de ne pas être en contrôle et elle détesterait cela. Il faut dire que contrairement à lui, son héritage religieux avait cela de particulier que pour la plupart des gens, les anciens dieux avaient disparus et ne figuraient que sur des vieilles pierres, de vieux parchemins. Le monde n'était plus le même dans ces temps anciens qu’aujourd’hui et Neith ne pouvait pas coller l’ancienne foi aux préceptes dans la société dans laquelle elle vivait. Bien sûr, elle comprenait les anciens dieux et déesses, les fois des anciens. Elle avait parfois une affinité avec tel ou telle déesse ancienne mais elle n’en faisait pas un culte particulier, ne la priait pas, n’établissait pas un autel ou n’allait pas dans un temple dédié puisque la croyance avait disparu.
Lorsque Lorenzo explique les miracles, son dieu, les péchés, elle l’écoute en silence, sans le regarder et sent qu’il s’est rapproché. C’est sans doute cela qu’elle regrette des anciens temps : elle restait persuadée que les anciens dieux et déesses avaient été des sorciers et sorcières exceptionnels et qu’ils s’étaient inscrits dans l’Histoire en étant déifiés. Elle trouvait cela beau qu’il y ait autant de dieu et déesses que les humains en aient besoin. Elle trouve qu’il y a clairement un manque de diversité des religions monothéistes d’autant plus si c’est toujours Dieu qui devient le sauveur alors que des sorciers et sorcières sont en réalité à l’œuvre. Mais de tout cela, elle n’en dit rien. Il a le droit de trouver du réconfort dans ce qu’il dit et ce qu’il croit. Elle ne comptait certainement pas le vexer en blasphémant ou remettant en cause tout cela. Elle n’était qu’une oreille qui essayait de comprendre, de le faire parler et de s’intéresser à lui et sa façon de fonctionner.
Alors, lorsqu’il lui demanda si elle n’était pas catholique et si elle croyait en un dieu, Neith pose son regard sur lui.
« Je ne suis pas catholique, non. » commença-t-elle. Elle sembla prendre un temps de réflexion pour chercher ses mots. Si elle avait très envie de répondre que le seul dieu dans lequel elle croyait était l’argent parce qu’il régissait ce monde, elle choisit de ne pas blasphémer directement et de répondre néanmoins sincèrement : « Je crois en beaucoup de choses. » Elle quitte son regard et observe tout autour d’elle. « Je crois en quelques superstitions musulmanes comme les djinns qu’ils soient des ifrits, des maritins ou des sylphes. Je crois que les oeils bleus que je couds dans les manches des gens que j’aime les protège contre le mauvais œil ou encore que les graines de cardamones que j’ai dispersé sous mon lit m’ont permis de tomber enceinte de mon fils plus rapidement. » Elle ne peut s’empêcher d’avoir un sourire tendre face aux petites croyances qui ont bercé son enfance. « Je crois probablement en la réincarnation et aux âmes sœurs… et que les êtres aimés qui sont partis nous attendant quelque part avant de se réincarner parce que nous finissons toujours par nous croiser tôt ou tard dans toutes nos vies et que nos ancêtres restent avec nous et nous protègent lorsqu’ils n’ont plus besoin de se réincarner eux aussi. »
Son regard se repose sur l’homme à ses côtés et elle lui adresse un sourire : « Mais je ne crois pas qu’il existe une entité supérieure, un dieu particulier. Ni plusieurs d’ailleurs. Ou alors, ils sont morts depuis bien longtemps comme c’est le cas des dieux de mon ancien peuple. Et pour ceux d’aujourd’hui, je crains que ce monde est trop régit par certaines choses matérielles pour qu’un dieu puisse y faire quoi que ce soit. »
Elle marque une pause avant d’hausser les épaules. « Cela ne m’empêche cependant pas d’apprécier certaines divinités, certains textes religieux aussi et de respecter les lieux de culte que je trouve importants. » Un sourire amusé se dessine sur ses lèvres et elle ne peut s’empêcher de faire preuve d’humour : « Ou de prier les djinns de bien vouloir me laisser tranquille lorsque je tombe malade et de les chasser avec de l'encens. »