la dolce vita (lorenzo)

Elle avait attendu le 25 octobre 1927 avec une certaine impatience. Ce n’était pas que parce que c’était Lorenzo, même si bien sûr elle était aussi impatiente de le revoir. C’était aussi la possibilité de voir l’Italie, pays qui lui avait été interdit pour sa sécurité pendant ses treize années de mariage. Si elle n’avait jamais bravé l’interdit par prudence plutôt que par réelle obéissance, Neith devait admettre que la possibilité de découvrir un autre pays la rendait particulièrement heureuse. Pour l’occasion, elle avait appris même quelques phrases basiques bien qu’elle savait qu’elle n’aurait pas tant l’aisance de les dire. Mais pour le principe, sa curiosité intellectuelle et aussi parce qu’elle avait un souci particulier de respecter les coutumes des pays qu’elle visitait, elle avait pris trop de plaisir à se prêter à cet exercice.
Elle n’avait pas hésité à prévenir sa mère d’où elle se rendait. Non pas que sa mère surveillait ses allées et venues, loin de là, mais Neith avait pas mal partagé avec elle ce qui se passait avec Lorenzo, sans rentrer dans certains détails néanmoins, et notamment celui que tout n’était pas si innocent. Bien sûr, la perspective de vivre une histoire était tentante mais Neith préférait ne rien s’attendre et profiter de l’instant présent. Peu importe où tout ceci les conduisait. Toujours était-il qu’elle préparait néanmoins comme toujours ses portes de sortie. Pour que sa mère ne soit pas surprise de voir sur sa montre à gousset que l’aiguille de sa fille ainée fut sur la case « En voyage » alors que cela n’était pas prévu du tout.
L’heure était enfin arrivée et Neith prit le portoloin avec sa garde du corps. Ce fut immédiatement la chaleur, douce contrairement au froid qui s’installait à Reims, qui la saisit. Dans sa robe couleur pourpre au style des années vingt, ses gants blancs, son chapeau blanc sur la tête et sa lourde chevelure rassemblée en une tresse, Neith remit en place ses lunettes de soleil avec élégance avant de s’assurer que sa veste légère était bien ajustée. Son regard, déjà, parcourait avec curiosité tout ce qui se passait autour d’elle.
Pitigliano était un village toscan sur flanc de falaise magnifique. Alors qu’elle remontait en direction de l’hôtel dans lequel Lorenzo l’attendait, Neith s’amusa grandement à découvrir l’architecture, les reliefs. Les odeurs et les parfums aussi, elle qui adorait aller sur les marchés pour connaître les cultures et les senteurs parce qu’elle était une femme de sensations, fit un crochet parce qu’elle avait le temps sur un des marchés sorciers qui s’apprêtait à fermer. Le regard pétillant, elle n’en oublia pas l’heure du rendez-vous et s’aventura dans les rues dont elle reconnut certaines architectures : étrusques, romaines, baroques également. Lorsqu’enfin, elle arriva sur le côté de la Piazza Cavour sorcière, elle resta un instant à observer les arches, puis la vue avant de se décider à rentrer dans l’hôtel.
Retirant ses lunettes, l’égyptienne adresse un sourire poli au réceptionniste.
« Buongiorno, signor, et puis, elle se rendit compte que si elle voulait parler en italien, ce fut naturellement l’anglais, sans accent, qui lui revenait, alors, elle demanda : « Mister Medici is waiting for me. I am Mrs Shafiq.** »
Le réceptionniste lui indiqua chaleureusement dans un anglais parfait (elle soupçonnait que comme elle parlait sans accent l’anglais, il la prenait pour une anglophone ce qui lui allait très bien), qu’elle pouvait attendre Lorenzo dans la partie salon. Remerciant l’homme, l’égyptienne s’installa dans les canapés non sans donner à sa garde du corps quelques indications avant que celle-ci ne s'écarte pour se fondre dans la masse. Puis, Neith attendit sagement, les jambes croisées sous sa robe l’arrivée du Medici.

Elle ne sait pas réellement ce qu’elle resent quand elle le voit arriver. Peut-être un peu de tout et de rien à la fois. Peut-être que, lorsque son regard le détaille, le déshabille presque, elle ne peut s’empêcher d’avoir ce très léger sourire en coin. Il a fière allure dans son moment qui ressemble à des vacances. Elle pose un regard sur la chemise ouverte sans s’en cacher, sans pudeur. Après leur dernière soirée, pourquoi s’en cacher après tout ? Ils étaient tous les deux parfaitement au courant de ce qu’il se tramait entre eux. Elle ne serait pas ici sinon. Les pieds nus, il montre clairement qu’ici, il est chez lui. Ce n’était finalement que de bonne guerre. Lorsqu’il viendrait, parce qu’il viendrait, en Égypte, ce serait elle qui serait chez elle.
À la lueur de ses yeux, elle devina qu’il avait bu, mais sans le juger, elle en fut amusée. Qu’il était amusant de voir le patriarche Medici loin des fastes de ses fêtes et de la rigidité du bureau qu’ils partageaient lorsqu’ils faisaient affaire. Elle aimait beaucoup la vision, elle l’admettait. Mais visiblement, l’alcool le rendait de bonne humeur, à moins que ce soit sa présence. Avait-il craint qu’elle ne vienne pas ? Neith, pourtant, respectait toujours ses engagements. Si elle ne comprend que deux mots sur ce qu’il lui dit en italien, elle ressent ce petit frisson qui ne lui avait pas échappé lorsqu’ils s’étaient quitté au restaurant.
« Buongiorno Lorenzo. » répondit-elle, un sourire vrai sur les lèvres. C’était la première fois qu’elle l’appelait par son prénom devant lui. À vrai dire, depuis qu’ils s’étaient embrassés elle les jugeait suffisamment proches pour qu’en privée tout du moins, elle puisse se permettre cette familiarité. Ce ne serait sans doute pas la même chose en public ou s’ils étaient dans le cadre de son bureau. « Je vous remercie. Cette ville est absolument magnifique de ce que j’ai pu en voir. »
Sincère et chaleureuse se disant, Neith se lève finalement, et constate qu’il la regarde à son tour. Elle sourit, l’air de rien. Elle aussi a adopté un style plus décontracté.
Si elle ne comprend pas les mots en italien, elle en a la traduction et adresse un sourire cette fois-ci poli à Lorenzo.
« C’est très gentil. Merci. » Elle s’approche alors et reste devant lui. « J’espère pouvoir profiter de la piscine, alors. Vous y étiez, je présume ? » demanda-t-elle en l’examinant des pieds à la tête, amusée.
Elle se sent d’aussi bonne humeur que lui et curieuse de savoir ce que lui réserve cette journée et nuit en sa compagnie.

« Je serai ravie de découvrir cela avec vous à mes côtés. » répondit-elle sur le même ton et avec un clin d’œil charmeur. Peut-être y a-t-il un double sens. Peut-être lui en avait fait un également. Quoi qu’il en soit, Neith suit l’homme qui semble bien détendu et à sa question enchaîné naturellement : « Non, cela a été. Le cadre est charmant. Cela rend le voyage divertissant. » Sourire en coin.
Le lieu est remarquable. Neith admire appréciatrice les lieux. Lorsque son regard se pose sur la piscine, elle se dit que définitivement, elle ira dedans à un moment ou à un autre.
Tournant la tête vers Lorenzo, elle a un rire à sa question avant de toucher brièvement son bras, tactile, puis de lui faire un clin d’œil.
« Les étés éternels, qu’est-ce que cela serait bien. »
Elle s’installe donc, croisant les jambes sous sa robe, prend le temps de remettre son chapeau sur sa tête et ses lunettes sur son nez. D’ailleurs, son nez, elle lève un peu vers le soleil. Elle aime le soleil. Il faut dire qu’il est très souvent là au Caire et en Egypte. Elle se sent comme un tournesol et profite sans s’en cacher.
Puis, finalement, elle pose son regard sur le verre qui leur est servi. Elle n’a jamais goûté de spritz et en voyant la couleur orangée, elle a un instant où elle se demande s’il y a de la citrouille dedans. Pour être déjà allée en Angleterre, elle sait qu’ils en mettent partout et elle n’avait jamais compris. Mais c’est la rondelle d’orange qui attire son regard, la faisant se détendre légèrement. Elle se saisit du verre et va pour trinquer.
« A ces courtes vacances. » Même si elles ne duraient que moins de vingt quatre heures. Neith prenait quand même et se disait qu’elle aurait réellement besoin de partir en vacances bientôt. Après les fêtes de Samhain et la mission qu’elle savait qu’elle avait bientôt. Ce serait direction l’Egypte pour une semaine au moins. « Combien de verres dois-je demander pour vous rattraper ? » s’amusa-t-elle.
Bien sûr, elle a remarqué qu’il n’était pas sobre, mais elle se doute que s’il a bu dans cette chaleur, cela devait forcément taper un peu. Elle, elle savait qu’elle serait sans doute vigilante sur sa consommation, comme bien souvent. Les seuls moments où elle pouvait ne pas l’être était quand elle était en famille uniquement.
« Ainsi, dans votre lettre, vous me disiez que vous aviez des affaires ici ? J’espère que celles-ci se sont bien passées. »
Il n’y a aucune volonté de chercher des informations, juste celle de discuter un peu alors qu’elle l’observe par-dessus ses lunettes de soleil tout en sirotant son verre de spritz. C’était effectivement rafraichissant. Elle aimait beaucoup.

Elle sent comme une gêne en face d’elle. Elle se doute qu’il n’a pas l’habitude des femmes qui entreprennent, jouent le jeu, charment. Pourtant, elle n’allait pas faire l’effarouchée alors qu’ils s’étaient embrassés et que le contrat qu’ils avaient évoqué laissait entendre la possibilité qu’il y aurait plus que des baisers. À quoi bon jouer les hypocrites ? Dans le fond, ça l’amuse beaucoup de le mettre mal à l’aise. Elle se sent puissante, maîtresse d’elle-même, en contrôle. Mais sans doute était-ce gâcher son plaisir à lui ? Et bien s’il la voulait, il faudrait bien qu’il s’y habitue, et il pourrait y trouver un autre type de plaisir. Et puis elle lui avait dit : cela ne l’empêchait pas de la séduire en retour.
Pourtant, ils n’en sont pas là. Neith ne fait en fin de compte qu’être un peu naturelle ou cacher plus précisément ce qu’elle ressent derrière ce naturel. Elle est toujours pincée par ces rumeurs. Il est plus facile cependant de faire comme si de rien n’était. Lorenzo n’était pas celui qui avait écris le Troll Déchaîné et ils en avaient déjà discuté par lettre. Elle n’allait pas montrer devant lui cette vulnérabilité-là. Ils sont là pour profiter du temps, de l’Italie, de ce qu’il a à lui faire découvrir. Alors, elle le prend au mot.
Elle profite.
Un rire amusé s’échappe de ses lèvres lorsqu’il ne répond pas vraiment à sa première question. Mais qu’il avoue qu’il boit beaucoup, ce qui n’était pas un secret d’après les rumeurs mais toujours mieux de l’entendre de la bouche de l’intéresser, lui permettrait de faire attention. Même si elle ne le fait pas exprès, Neith n’est jamais réellement totalement la garde baissée. C’est souvent inconscient lorsqu’il s’agit des hommes. Elle ne le juge pas néanmoins sa consommation. C’était ses affaires, sa vie, sa santé. Elle n’était pas son épouse. Elle n’était personne.
L’écoutant parler de sa grand-mère, Neith a un sourire simple mais attentif. Il est cohérent avec ce qu’il lui a dit au dîner. Évidemment qu’il devait venir voir sa grand-mère tant qu’il était en Italie. Quant au reste, elle commente, sincèrement intéressée et pas réellement surprise :
« Tant mieux si vous avez trouvé le problème. Je souhaite que votre activité soit florissante. »
Que ce soit un mensonge ou pas, elle s’en fichait bien. Elle était vraiment intéressée par cette histoire de vin.
Elle reste finalement silencieuse, juste pour profiter du soleil, de la chaleur, des odeurs et des sons. Du léger courant d’air qui passe dans les arbres, de l’eau qui fait un peu de bruit, des battements de son cœur qu’elle sent pulser, le goût amer sur la langue du l’amertume du spritz. Neith se sait femme de sensation et qui pouvait être autant matérialiste qu’apprécier un instant présent, surtout lorsqu’elle voyageait. Et puis finalement, elle murmure, les yeux toujours fermés : « Ça m’avait manqué un soleil aussi franc. Il y en a peu à Reims dernièrement avec les jours qui raccourcissent de plus en plus. »

Elle aime ce silence où ils ne font que profiter de ce qui les entourent. Il n’y a que le cadre et leurs présences. Neith garde les yeux fermés. Elle savait qu’elle aurait une certaine nostalgie en rentrant en France. Elle aime Reims, bien sûr, qui était une très jolie ville maintenant reconstruite, mais elle aurait envie de réellement repartir au Caire. L’énergie de la ville lui manque. Les escapades dans le désert aussi. Sans doute que partir pour mieux revenir lui serait bénéfique pour affronter certaines choses. À la place, elle profite du soleil italien et de la présence à ses côtés.
Neith écoute Lorenzo les yeux fermés. Elle peut comprendre son point de vue. Ce n’est que quand elle se sent se relever qu’elle rouvre les yeux pour poser son regard sur le sien. Elle voit son sourire mutin et hausse un sourcil. À la proposition de la piscine, son visage s’illumine.
« J’avais apporté le miens. L’avantage de beaucoup voyager c’est que maintenant je suis parée à toutes les éventualités… » Elle rit un peu. « Mais je vais définitivement aller faire un tour pour voir ces fameuses pièces. »
Parce que pour la férue de mode qu’elle était, elle ne pouvait définitivement pas passer à côté de cela. Mais la proposition, elle la prend et lève son verre en guise de réponse. Lui semble vouloir déjà aller à l’eau et elle l’admet, elle le regarde. Elle n’est pas surprise que l’italien soit bien entretenu. Il avait toujours eu l’air de l’être. C’était un homme qui prenait soin de lui. Neith devait admettre qu’elle avait toujours eu un faible pour les hommes qui aimaient prendre soin d’eux tout en remplissant certains critères de masculinité qu’elle ne niait définitivement pas. Alors, son regard observe les muscles et ce corps d’albâtre. Il se glisse dans l’eau et elle reste un petit moment à l’observer en sirotant son verre. Quand elle arrive au bout, elle se lève sans un mot et rentre dans l’hôtel.
À la réception, elle donne son nom et on l’accompagne jusqu’aux fameuses créations dont Lorenzo parlait. Neith doit se faire violence pour ne pas tout essayer, mais elle y passe un peu de temps et prend un plaisir fou avant de se décider sur un maillot de bain vert dans lequel elle se trouve très jolie. Elle doit cependant faire un crochet jusqu’à la fameuse suite et arrivée dedans, alors qu’on lui fait faire rapidement le tour du propriétaire, Neith a un sourire aux lèvres. La décoration est très jolie et la vue…
Elle reste accoudée sur le balcon à observer un peu avant de finalement poser son regard sur la fameuse piscine qu’elle voit. Lorenzo n’a pas bougé. C’est sur la table de chevet qu’elle laisse ses boucles d’oreille et ses bijoux. Sa robe violette, ses gants et son chapeau se plient et se rangent d’un mouvement de la main.
Enfin, elle se décide à redescendre, non sans commander un autre spritz. Si elle ne saute pas tout de suite dans l’eau, Neith dépose ses lunettes de soleil sur la table où le spritz lui est servi. Puis, elle prend le temps de défaire sa longue tresse pour relâcher ses cheveux, se disant que ça ne servirait à rien de les défaire. Puis, elle s’approche du bord de la piscine. Lorsque son regard croise celui de Lorenzo, elle lui adresse un sourire solaire. Finalement, elle se prépare, son corps fin et sculpté par des années de danse, tatouages dévoilés sauf sur celui de sa nuque cachée par ses cheveux détachés, Neith plonge. L’eau est à la meilleure température possible. Elle nage sous l’eau et traverse la piscine jusqu’au bout et que son souffle lui manque. En remontant à la surface, elle ne peut s’empêcher de rire avant de se mettre à nager rapidement dans l’autre sens, s’amusant à faire une ou deux longueurs pour ressentir son corps. Puis, lorsqu’enfin, elle décide de se poser un peu, elle se laisse dériver vers le milieu de la piscine et reste le visage levé vers le ciel, les yeux fermés.
Qu’est-ce que ça lui avait manqué de se baigner dans une piscine.
Rouvrant les yeux, elle tourne la tête pour poser son regard sur Lorenzo avant de lui dire :
« Avez-vous déjà testé des hammams, Lorenzo ? » Elle se met finalement à nager pour s’accouder sur le rebord à côté de lui. « Nous en avons un privé chez nous dans notre demeure au Caire. Lorsque vous viendrez, je pense que cela pourra vous intéresser en plus de la piscine que nous possédons. Je crois comprendre que l’eau est un élément que vous aimez bien. » Elle sourit, amusée.

Si elle se doute que Lorenzo ne connait pas l’existence des hammams, elle ne peut s’empêcher de sourire en l’entendant prononcer le mot. Evidemment, quand elle, elle le prononce, c’est sa langue maternelle qui lui revient et l’accent est donc bien arabe sur sa langue. Pour elle, il n’y avait pas plus bel accent que celui de l’arabe qui était une de ses langues maternelles. Parce qu’avec l’occupation des anglais malgré l’indépendance de l’Egypte qui ne datait que de 1922, elle avait appris à parler ces deux langues dès la naissance. Trois avec le français bien que cela n’intervienne que lorsque son enfance fut sur les terres gauloises. L’allemand n’était venu que pour ses études à cause des nombreuses ressources en égyptologie qui l’obligeaient à apprendre la langue. Enfin, l’espagnol était plutôt une nécessité liée à son travail. L’assimilation en France la forçait à n’utiliser sa langue maternelle, l’arabe et parfois l’anglais, qu’avec sa famille, son fils inclut. Pour autant, elle aimait aussi partager des éléments de sa culture quand on cherchait à s’y intéresser. Pas quand on cherchait à se l’approprier.
« Vous devez sûrement connaître les hammams, » commença-t-elle, pédagogue, en décortiquant la prononciation du mot principal pour l’aider à mieux comprendre. sous le nom de « bains turcs ». C’est en tout cas comme cela que les occidentaux les appellent. Les hammams veulent dire littéralement… mmh, les bains d’eau chaude en français. Ce sont comme vous pouvez le deviner à la traduction des bains de vapeur humides. Leur origine remonte aux thermes romains, mais cela a été adapté ensuite. »
Elle ne peut s’empêcher de lui adresser un sourire complice. Les romains, ils devaient s’y connaître. Neith bouge et se retourne pour poser son regard sur la magnifique vue alors qu’elle continue de parler, plus lointaine cette fois-ci.
« En gros, ce sont des lieux de sociabilisation publics et relaxation qui font partie de la culture arabe, principalement suite à l’empire ottoman et cela s’est beaucoup démocratisé dans les pays du Maghreb ou en Syrie. Ce sont des endroits où on s’échange beaucoup d’informations. » Elle a un petit rire tendre, presque enfantin. « Pour vous donner une idée, ce n’est pas rares que les mères et pères de famille échangent sur les mariages de leurs enfants. Comme pour vos marchés ou fêtes par exemple. Ce n’est d’ailleurs pas censé être mixte, nous y avons fait une petite entorce dans notre hammam privé au Caire. Nous avons un très gros rapport avec les ablutions. Les hammams permettent cela, être propres tant physiquement que spirituellement. »
Et si son regard est perdu, elle ne peut qu’éprouver quelques sentiments de nostalgie en continuant de parler. Elle se perd dans ses souvenirs. Son enfance au Caire, les quelques voyages aussi au Maghreb. Rawiya était originaire du Maroc et Neith savait qu’ils avaient aussi quelques origines amazighes également. Elle se souvient des moments avec sa mère dans les hammams où elle écoutait et sympathisait avec les autres enfants présents. Elle n’avait jamais retrouvé équivalence en France. Elle se rappelait des mosaïques de l’al-maslakh, où sa mère se déshabillait et rangeait parfaitement ses vêtements, commençait déjà à échanger avec les femmes présentes. Puis, il y avait le choix entre les différentes salles de la moins chauffées à la plus chauffée selon ce qu’on préférait ; bārid, wastānī, ḥarāra. Elle, elle adorait passer de la moins à la plus sans transition. Elle se souvient de ses rires et des regards couvant de sa mère.
« C’est très bon pour la santé, la respiration, le sommeil, les douleurs musculaires également. Et personnellement, j’adore y aller après avoir fait une session de danse intense parce que ça détend beaucoup. » Elle repose son regard sur Lorenzo. « Ma mère était terrible pendant nos cours de danse. Alors forcément, revenir à un état plus sommatique, le hammam chez nous est tout désigné. »
Elle se rend compte qu’elle a beaucoup parlé et adressa un sourire mi-excuse, mi-complice à l’italien.
« Malheureusement, les hammams ont tendance à disparaitre en Egypte. C’est moins le cas au Maroc et en Algérie… et j’ai définitivement beaucoup trop parlé. »

Lorsqu’il lui dit de ne pas arrêter de parler et qu’il aimait l’entendre parler avec autant de passion, de sa voix aussi chaude que pouvait être le soleil, Neith posa son regard sur lui. Elle ne savait pas s’il jouait le séducteur, mais il y avait quelque chose d’honnête dans son expression. Au même moment où elle le regarde, lui regarde le paysage. Ils ne sont pas synchronisés, mais ils n’ont pas besoin de l’être. Quelque part, qu’il s’intéresse à elle, sincèrement, pas juste pour faire la conversation, cela rappelle à Neith qu’elle peut être intéressante. Elle n’en doutait pas bien sûr. Elle savait qu’elle était une femme lettrée, avec de l’éducation, qui voyageait beaucoup, privilégiée sur certains aspects. Mais le fait de faire campagne pour Tarek, même si elle adorait cela, faisait qu’elle ne se mettait pas en avant. Elle pouvait avoir des discussions passionnantes avec les gens qu’elle rencontrait pendant ces soirées. Mais ces discussions étaient rarement autour d’elle ces derniers temps. Cela ne la dérangeait pas, mais que Lorenzo ne prétende pas par jeu de séduction, cela lui faisait plaisir.
Elle l’écoute ensuite, intéressée, amusée. Son regard reste dans le sien lorsqu’il la regarde de nouveau et demande. Elle, elle sourit, sincère, non sans lui adresser également un regard long. Enfin, après quelques secondes de silence, elle répondit :
« Oh oui. Ne vous inquiétez pas. »
Même si elle avait prévu d’autres choses également. Et puis, elle se dit qu’ils pourraient toujours y retourner le temps que leur relation durerait.
Neith décide de disparaitre sous l’eau en se laissant couler avant de nager jusqu’à l’autre extrémité du bassin à l’opposée pour lever la main et faire un geste. Sa boisson à moitié entamée s’envola pour venir jusqu’à elle et elle profita pour boire un peu. Puis, elle décida de sortir de l’eau et de s’asseoir sur le rebord de la piscine. Son verre à côté d’elle, elle fit le même manège pour récupérer ses lunettes de soleil qu’elle mit sur son nez avant de simplement profiter du soleil sur sa peau trempée, les pieds dans l’eau. Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes qu’elle demanda :
« Quand désirez-vous que nous visitions les endroits que vous aviez en tête ? »
Parce que quelque part, avec son esprit d’aventurière qu’elle avait beaucoup bridé pour devenir une femme de bureau, elle avait un peu hâte. Neith ne cachait pas son enthousiasme qui était presque enfantin. Un sourire vrai se dessine sur ses lèvres :
« Cette idée de découvrir des lieux en dehors de tout tourisme intrigue la femme avide de découverte et d’aventure que je suis. » Elle rit, tendre envers elle-même. « Je sais que j’ai largement vécu ce que j’avais à vivre avant de reprendre les Antiques Rêveries, mais parfois, le terrain me manque. Heureusement, ma jeune sœur, Amonet, satisfait ma curiosité. »
Penchant très légèrement la tête, naturelle, Neith prend un air taquin.
« Alors, signor Medici, dans quelle aventure comptez-vous m’emmener ? »
Malgré le double sens de sa phrase et le regard qui se fait long, elle ne joue pas. Pas vraiment en réalité. Cette idée de se défier, de rendre la vie moins morne, retrouver quelques bases de son existence, peut-être un côté enfantin et jeune finalement, était quelque chose de naturel chez elle. Depuis le décès de son mari et depuis la scolarisation à Beauxbâtons de Ruben, Neith se retrouvait avec trop de temps libre seule. Alors, le peu où elle était avec quelqu’un qu’elle appréciait, et c’était le cas avec Lorenzo, peu importait les subtilités qu’elle n’oubliait pas, elle aimait pousser un peu pour vivre quelque chose qui créerait un bon souvenir. Elle ne doutait pas qu’avec lui ce serait le cas. Et elle sait qu’elle peut apprendre à le connaître aussi comme cela, dans un contexte où ils sont tous les deux en dehors de leur zone de confort bien que cette fois-ci, se serait plutôt elle. Mais ça ne la dérangeait pas. Elle adorait sortir de sa zone de confort lorsque les circonstances s’y prêtaient.