[TERMINÉ] indigo night (lorenzo)

Si le repas est délicieux, il ne l’est pas autant que la compagnie assise en face d’elle. Lorenzo est charmant. Elle le savait déjà, mais ce soir plus encore. Loin de ce bureau où elle impose cette distance. Il n’y a que cette table entre eux, mais elle a l’impression que ce n’est qu’un accessoire qui n’est qu’un détail dans la soirée. Un coucher de soleil, un bon repas, un bel homme. Tout semblait aligné. Peu à peu, Neith sent qu’elle se fait plus indulgente, moins lointaine. Lorenzo a réussi à piquer plus que sa curiosité. Elle sait évidemment qu’il joue un rôle, celui de la séduction parce que dans le fond, elle se doute qu’elle n’est qu’un jeu. Cela ne la dérange pas. Peut-être que lui aussi l’est. Ils sont après tout deux adultes responsables et qui semblent d’accord pour ces termes. Et puis, ce n’était pas comme si elle recherchait quoi que ce soit. Mais, elle pouvait profiter. Elle savait qu’elle avait l’opportunité maintenant. Que son rôle de mère avait été rempli en donnant un fils. Elle avait coché toutes les cases. Elle pouvait être totalement indépendante. Ses parents ne lui demanderaient rien. C’était à présent au tour de son frère et de sa sœur qu’elle avait réussi à protéger jusque là de cela. Neith était libre plus qu’elle ne l’était avant et elle comptait bien profiter de cette liberté.
Alors, elle profitait du repas, du cadre, de l’homme. Tout comme lui semblait profiter à la manière dont il la regardait. Cela lui plait et elle sait qu’elle lui plait aussi. Il n’y a plus beaucoup de doutes à présent. Elle se demande s’il les regarde toutes ainsi, s’il regarde parfois Agnès ainsi, avant que l’intérêt disparaisse. Lorenzo semblait rechercher la fièvre de l’instant présent ce qu’elle pouvait comprendre et c’était ce qu’il lui offrait ce soir. Elle appréciait l’effort, elle, la pragmatique qui réfléchissait parfois trop.
La pragmatique qui avait élevé ses frère et sœur avec la douceur et la dureté maternelle de l’aînée qu’elle était. Visiblement, Lorenzo comprenait plus ou moins. À sa question, Neith répondit un sourire aux lèvres :
« Bien sûr. Enfin, nous sommes arrivés en 1900. J’avais huit ans, Yamanu cinq ans et Amonet à peine trois. Ils ont fait leur vie ici entre l’Égypte et la France comme moi. Amonet est celle qui est le moins présente ceci dit. »
Et si Neith aurait pu lui envier cela, elle savait que ce n’était plus sa vie à elle. Elle avait vécu ce qu’elle devait vivre sur le terrain et si elle y retournait très exceptionnellement, elle avait maintenant d’autres responsabilités et une autre maturité à ce propos.
Ayant terminé son plat, Neith récupéra son verre et but tout en écoutant la réponse de Lorenzo. Elle est surprise de savoir que les Médicis sont si nombreux. Six enfant, ce n’était pas rien et elle acquiert un certain respect pour la mère de Lorenzo. Elle fait petit à petit la constellation familiale dans sa tête.
« Je comprends. La compétition dans la fratrie peut être un problème autant que salutaire. » Finalement, c’était ce qui avait failli arriver entre Yamanu et elle. Là où Yamanu était le soleil, elle était sa lune. Et Tarek avait choisi d’aimer un peu plus la lune que le soleil, même si Neith n’en doutait pas, pour son fils, Tarek ferait n’importe quoi. Neith n’était pas mécontente d’avoir moins de pouvoir sur l’Aube que Yamanu. Au moins, pouvait-il enfin briller comme le soleil qu’il était aux côtés de leur père ce qui était ce qu’avait toujours voulu Yamanu.
« C’est une bonne chose que vous soyez proche de votre sœur. Je sais d’expérience qu’il n’y a pas amour pareil que celui de sa fratrie. » Et c’était sans doute ce qu’elle regrettait pour Ruben, qu’il soit enfant unique.
Buvant un peu, l’égyptienne reposa son verre sans quitter du regard l’italien.
« Si je comprends bien, vous êtes l’aîné sans être l’aîné au vu de ce que vous gérez ici. » Son sourire s’accentua alors qu’elle le détailla un peu. « Votre père a pris sa retraite, c’est bien cela ? Il me semble que Baba m’a dit qu’il avait reçu une carte de sa part pour le féliciter de son avancée avec l’Aube Sorcière. Je sais que votre mère a également permis vos relations avec la Bretagne et Maeve. » Sourire en coin, Neith s’égaie à l’évocation de sa meilleure amie, et elle se demande ce que cette dernière penserait de tout cela. « Comment se porte Nolwenn ? » Elle avait eu peu l’occasion de rencontrer cette dame, mais elle lui avait laissé un souvenir impérissable.

« Seulement les cinq premières années. Je suis ensuite allée à Beauxbâtons. » Elle se garde de dire qu’elle a détesté Beauxbâtons, ni les choix qui ont conduits ses parents à la pousser à étudier à Beauxbâtons. Aujourd’hui, elle sait que c’était un jeu politique de longue haleine de son père. Cela n’en rend pas moins les souvenirs désagréables tant parce qu’ils charriaient des traumatismes divers que des peines de cœur. Mais elle entend le compliment. Sans doute que pour les européens l’éducation de Beauxbâtons devait être une des meilleures. Sans doute. Les goûts et les couleurs…
Elle préfère davantage parler de sa famille, questionner Lorenzo aussi parce qu’il l’intéresse. Au-delà de ses incartades conjugales, même-si Neith ne les juge pas. Elle savait mieux que personne que les termes d’un mariage ne concernait que les deux époux. Mais il y a aussi tout le reste : les frères et les sœurs, les parents, les enfants, les tantes et oncles et cousins et cousines. Le couple conjugal n’est pas que le seul cercle. Et elle peut comprendre ce qu’il dit sur Lucia. Elle-même sans ses frère et sœur n’aurait pas été la même. Mais contrairement à Lorenzo, elle ne se reposait pas sur eux. Parce qu’elle était l’aînée et que c’était plutôt l’inverse, aussi qu’elle le savait, Neith avait tendance en tant que femme de s’occuper beaucoup des autres même si avec le temps elle avait appris à s’occuper d’elle-même quand il le fallait. L’abnégation qu’elle pouvait avoir pour les siens était manifeste, à la hauteur des sacrifices qu’elle était capable de faire. Apprendre la magie sans baguette à Amonet et Yamanu en était l’exemple typique. Au détriment même de son mal être.
Elle ne peut s’empêcher d’avoir un sourire en coin lorsque Lorenzo parle de ses incartades. Elle se doute que ce n’est pas que ses adultères. Il lui avait semblé que les catholiques étaient bien trop rigides sur biens des points. Elle aurait détesté contracter un mariage ainsi. C’était d’ailleurs une de ses demandes à l’époque et comme cela avait été elle-même qui s’était mise en recherche d’un époux…
« Je vous le souhaite. » commenta-t-elle lorsqu’il parla de regarder dans la même direction. Elle, elle n’avait aucune doute que ce soit le cas dans sa famille.
Lorsqu’il lui proposa de la resservir en vin, elle accepta et le remercia. Ils avaient fini leur plat mais ne semblaient pas pressé ni l’un ni l’autre pour passer à la suite. A vrai dire, Neith apprécié la discussion autant que l’homme en face d’elle. Elle peut également se permettre d’un nouveau verre sans que cela ne lui fasse tourner la tête. Il lui en faut en général un peu plus pour perdre l’usage de sa langue et de ses capacités. Si elle voit son regard tomber un peu plus bas sur son visage là où il y a ses lèvres, elle en sourit mais ne dit rien et l’écoute.
Bien sûr qu’elle savait qu’Ernesto appréciait Tarek. Il faut dire que les vieux loups qu’ils sont (avec tout le respect que Neith avait pour ses aînés) se connaissent depuis longtemps. Elle se doute évidemment que la retraite n’est pas si facile. Il suffisait de voir à quel point Tarek était intéressé par ce qu’elle faisait aux Antiques Rêveries. Sans jamais lui dire quoi faire, elle savait qu’il avait du mal à décrocher malgré la politique qui lui prenait tout son temps. Rawiya jetait des regards noirs à son mari quand il se remettait à parler de ça devant elle, probablement parce qu’elle avait peur que Tarek ne fasse trop d’ingérence.
Le rire de Lorenzo à l’évocation de sa mère et du couple qui semblait renforcé et se redécouvrir fit sourire un peu plus Neith. Son regard s’attarde un peu sur l’italien alors qu’elle boit un peu de son verre.
« Changer d’air peut faire du bien à un couple. Je suis contente pour eux. » Sincère et bienveillante.
Néanmoins, le serveur sembla vouloir savoir s’ils désiraient passer à la suite. L’égyptienne demanda la carte et ils furent laissés tranquille. En reposant son regard sur Lorenzo, Neith garda un instant le silence en le détaillant et se mordant légèrement la lèvre. Puis, elle dit un sourire en coin :
« En parlant de mon père… » Elle baissa son regard sur la carte en faisant mine de s’y intéressée alors qu’elle avait déjà repéré ce qu’elle voulait dessus. « Il était très content de savoir que signora votre femme et vous-mêmes ayez pensé à lui et honorer notre culture lors de votre soirée. » Elle ne pouvait définitivement pas ne pas revenir sur le sujet.
Refermant la carte, elle releva un regard un peu plus intense sur Lorenzo avant de terminer :
« Mais je suppose que ce n’était pas que lui qui était à l’honneur, je me trompe ? Est-ce une idée de vous ou de signora votre épouse ? »
Parce qu’elle n’est pas idiote. Il y a trop d’indices que ce soit entre eux, avec Agnes également. Quelque part, Neith ne sait toujours pas comment prendre la décoration chez les Medici. Il y a un côté, celui de l’égyptienne pure et dure qui n’a pas pu s’empêcher d’être un peu chiffonnée. Elle n’apprécie dans le fond pas qu’on s’approprie les éléments de sa culture même si cela part d’une bonne intention. L’autre se demande, très curieuse, ce qui a pu se dire entre Lorenzo et Agnes vis-à-vis d’elle alors que rien ne s’est passé. Pas encore, certes, mais tout de même. Ca aussi cela la chiffonait, parce que contrairement à Lorenzo qui était un homme et à qui on passait toutes les rumeurs, il en allait bien différemment d’elle, l’égyptienne, l’orientale et la femme libre qu’elle était.

En le voyant s’étouffer, Neith ne peut retenir une pensée de satisfaction. C’est mesquin et puérile, mais sans doute que c’est bien moindre par rapport à certaines rumeurs qu’elle elle allait devoir essuyer. Parce que même si elle a réussi à faire passer cela pour un hommage à son père et l’Aube Sorcière, certains ne sont pas dupes. Et voir Lorenzo s’étouffer c’est un peu justice qui lui est rendu. Mais quoi qu’il en soit, Neith saurait faire face. Même si au fond c’est blessant. Elle a la peau dure et l’habitude. Alors, elle admet, elle attend de savoir comment lui allait s’en défendre.
Et sincèrement, elle n’est pas déçue.
Agnes, bien sûr est la fautive. Neith quant à elle, même si elle ne connait pas tant que cela pour l’instant Agnes, n’est pas dupe. Sans doute que Lorenzo l’a cherché également. Finalement, Agnes n’avait rien fait de mal en apparence et Neith ne pouvait lui reconnaître que sa subtilité, qu’elle appréciait particulièrement. Mais ils sont rares les européens qui reconnaissent qu’ils s’approprient les cultures des autres. Se faisant, il venait de marquer définitivement une avance qu’elle ne pouvait ignorer.
La suite ne la surprend pas même si, Neith admet être flattée. C’était vraiment lui donner trop d’importance. Sans doute que c’est également l’effet rechercher de Lorenzo. Mais à voir son air, elle se rend compte que cela lui coûte de lui dire tout cela, d’être honnête… ou tout du moins de lui donner sa version à lui. Elle en est même surprise qu’il en vient carrément à lui parler de répudier Agnes. Et Neith décide qu’elle ne peut définitivement pas détester cette dernière. Avec la tempête dans laquelle elle devait se trouver, Neith ne pouvait que compatir avec elle. Être une femme mariée autant que veuve n’était pas facile. Être femme tout court, en fait. Mais ainsi elle apprend plusieurs choses : qu’elle plait à Lorenzo ce qui n’était pas une réelle surprise, que son mariage avec Agnes commençait à devenir son point faible, qu’il faudrait qu’elle est une discussion avec Agnes en tout bien tout honneur, mais elle savait que cela ne saurait tarder. Qu’il n’y avait aucune intention du côté de Lorenzo que peu importe ce qui adviendrait cela n’aille pas plus loin.
Et elle en déduit une chose sur elle-même : tant mieux, elle n’avait pas envie de plus.
Elle avait eu son mariage en blanc et elle serait toujours la femme d’Alaric. Même si la mort les avait séparés et qu’il ne voudrait sans doute parce qu’elle le pleure jusqu’à la fin de ses jours, elle ne voulait pas d’un autre mariage, pas d’un autre nom que celui Lestrange ou Shafiq. Il avait été son époux et le resterait. Pour le reste, cela ne l’empêchait pas d’aimer ou de ne pas aimer et présentement, en ce moment, elle n’avait pas envie d’être aimée d’amour romantique. Et c’était précisément ce qu’avait l’air de vouloir lui offrir Lorenzo. Ça et autre chose.
Une opportunité.
L’opportunité de se rapprocher de la vérité sur le décès d’Alaric. Parce que même si elle n’était pas autant convaincue qu’Auguste, elle ne pouvait pas ignorer cela. Et franchement, Neith se savait être une grande fille. Même si elle savait que c’était sans doute moralement gris de coucher par intérêt, elle pourrait répliquer que se marier par intérêt n’était pas mieux. La seule différence était que dans l’un il n’y avait pas de contrat et on n’était pas cantonné à une personne. Mais elle n’oubliait pas que le pouvoir s’acquérait aussi dans les draps de soie ou revêches. C’était bien là une de ses puissances en tant que femme qu’elle comptait bien utiliser.
Les excuses sont agréables. Elle les savoure avec son verre de vin. Son regard ne quitte pas Lorenzo néanmoins. Elle ne parle pas tout de suite et son visage est redevenu un peu fermé. Peut-être qu’elle le fait exprès. D’une main, Neith hèle le serveur pour prendre le dessert. Elle a envie de quelque chose pour finir sur une jolie note de sucré après le sel de cette conversation. Alors, elle commande une tarte au citron revisitée, laisse Lorenzo commander ou non.
Attendant que l’homme s’en aille, Neith reposa son regard sur Lorenzo. Son air n’est plus fermé. Elle pose un regard qui en dit long sur le faciès de l’italien.
« Vos excuses sont acceptées. »
Le ton est doux.
Elle reprit son verre, but un peu avant de finalement pencher un peu la tête et de reprendre :
« Alors comme cela je suis magnifique et je vous plais ? Le sourire en coin est charmeur. Sa façon d’être aussi. « Je ne peux vous retourner que le compliment et le fait aussi que vous me plaisez. »
Son sourire se fait fin.
« Je suis contente que nous sortions un peu de notre relation client. » souffle-t-elle chaudement.

Il y a ce léger changement dans leur attitude. Une ambiance plus chaude et plus intime. Et comme toujours bien souvent, puis qu’il a été honnête, elle l’est en retour. Oui, il lui plait. Oui, il était belle homme. Pour le reste, elle peut bien garder ses pensées pour elle. Ce n’est pas utile à la conversation. Mais elle a cerné l’homme en face d’elle. Elle sait qu’il est dangereux bien qu’elle ne sache pas jusqu’où, et elle se rappelle que finalement, elle a toujours aimé flirter avec le danger. Elle sait aussi qu’il est menteur et franchement qu’elle n’aimerait pas être sa femme. Elle plaignait Agnes. Mais cela ne faisait pas pour autant qu’elle voulait s’éloigner de lui, connaissant ses propres travers.
Cela ne l’empêche pas comme en affaires d’être directe, parce qu’elle sait que ça désarçonne en face d’elle. Surtout parce qu’elle est une femme et que sans doute Lorenzo s’attendait à tourner autour du pot encore. Elle, elle a d’autres idées en tête. Certaines moins chastes que les autres. Certaines… pour faire durer le plaisir du flirt. Elle aime voir les airs un peu déstabilisés des hommes dans ce genre de moment parce qu’elle fait exactement ce qu’ils font. Pour les femmes, c’est un peu différent. Le conditionnement n’est pas le même. En voyant l’effet que cela fait à Lorenzo, elle sourit.
« Mmh, » commença-t-elle, pensive. Elle note le frisson que sa voix lui procure. Mais elle semble réellement réfléchir à la question alors que les desserts arrivent.
Neith a toujours mis une limite claire et précise dans son travail qu’il soit en tant qu’archéomage ou en tant que directrice des Antiques Rêveries. Elle compartimente les choses parce qu’elle sait bien qu’il n’est pas bon de mélanger affaires privées et affaires de business. Il y a également une autre motivation, outre le fait de se protéger, celle que si elle franchit cette ligne, elle sait que pour beaucoup, sur les hommes, elle ne sera plus légitime. Il était déjà compliqué pour elle parfois de l’être même après des années à « prouver » qui elle était, son savoir, ses connaissances, son expertise. Alors, si elle commençait à y inclure des relations plus intimes… Elle perdrait toute légitimité. Elle n’avait pas travaillé toutes ses années pour que tout soit réduit à néant.
« Vous le restez en l’état. J’ai une limite claire, signor, sur la question. Je ne couche pas avec mes clients. Vous ne comprendrez peut être pas, mais c’est une question de légitimité qui n’attrait qu’aux femmes qui travaillent en ce monde dans un monde d’hommes. » expliqua-t-elle finalement. Elle goutte son dessert et le trouve très bon. A moins que ce soit le tour que prend la discussion ? « Même si j’apprécie que nous sortions de ce cadre, je reste une femme d’affaires. Il serait idiot de ma part de ne plus vous considérer comme un client et donc ne plus faire affaires avec vous. Nous avons une si bonne relation. » Après tout, elle avait en face d’elle également un homme d’affaires.
Récupérant son verre, Neith fait tourner un peu le liquide, pensive avant de reposer son regard sur Lorenzo.
« A moins que vous ne souhaitiez pas rester mon client et auquel cas, je ne vous retiendrai pas ou ne peut que vous orienter vers un de mes confrères ou consoeurs, Et étant donné que les Shafiq avaient beaucoup prit le marché, il n’y avait pas tant de concurrence. peut-être devrions-nous réfléchir à une solution pour concilier les deux ? Nos désirs d’affaires et nos désirs primaires ? » Sans que cela ne la desserve elle. Ils étaient à égalité et elle comptait bien le rester, autres ambitions personnelles et désireuse de vérité ou non.
Elle, elle avait sans doute une solution, mais c’était plus amusant de faire monter ces désirs pour que la combustion soit lente et agréable.

Elle voit qu’il ne touche à rien. Elle, elle a encore faim. L’acidité du citron est délicieuse sur sa langue. Le sourire de Lorenzo, aussi. Satisfaite de savoir qu’il désirait toujours rester son client, Neith ne désire également nullement briser cela. Elle lui aurait bien proposé une sorte de compromis, celui qu’ils ne traitent plus directement ensemble à ce sujet. Mais Neith se sait trop bonne à contourner les règles si elles ne sont pas écrites expressément. Ce n’est pas tant de la faiblesse que de l’opportunisme. Quelque part, elle savait qu’il pourrait y avoir un conflit d’intérêt qu’elle souhaitait réellement éviter.
Un petit rire néanmoins s’échappe de ses lèvres quand il accentua sa phrase. Elle aimait beaucoup la ligne floue qu’ils construisaient.
« J’ai le souci des détails, effectivement. » répondit-elle en continuant à jouer avec un peu d’humour comme il le fait et parce que ça lui plait ce répondant.
Son rire s’accentue, parce qu’il la fait rire vraiment, et elle prend son verre.
« Mais mon cher, comme vous le dites, nous n’en sommes point-là et il ne se passe rien encore qu’une discussion entre personnes adultes et consentantes. Vous avez encore tout l’occasion de me séduire. Je ne veux pas vous retirer ce plaisir. A moins que vous n’arrêtiez une fois que vous aurez obtenu ce que vous souhaitez ? »
Même si elle a l’air de plaisanter, sa question est sérieuse. Elle aimerait bien savoir, que ce soit clair entre eux. Cela lui donnerait juste une indication d’à quel point elle pouvait faire durer le plaisir et de combien de temps elle disposait pour obtenir elle ce qu’elle voulait.
Elle trouve l’échange délicieux entre eux. C’est bon d’être prise au sérieux en s’engageant sur des pentes aussi intimes. Elle se rend compte à quel point cela lui a manqué. Alors, comme elle sait manier les paroles, elle sait aussi manier les silences et retourne à son dessert tout en l’écoutant. Elle s’étonne d’entendre parler de sa meilleure amie. Non pas qu’elle ne pensait pas à elle mais dans la discussion actuelle, cela lui semblait un peu saugrenue. Mais quand elle entend où il veut en venir, elle se dit qu’elle aime beaucoup cette solution. Les contrats sont en effet clairs. Elle aime l’idée.
« J’aime beaucoup votre idée. » admit-elle.
Un contrat pour sécuriser certaines choses. Cela voudrait dire prendre le temps d’y réfléchir aussi. Neith était trop pragmatique pour tout décider cette soirée et puis, elle l’admettait, elle voulait aussi prendre la température côté Agnes, parce qu’après tout, elles allaient se cotoyer.
Ayant presque terminé son dessert, Neith reprit :
« Je pense que cela peut donner matière à réfléchir chacun de notre côté pour savoir ce que l’on veut réellement. Qu’en pensez-vous ? »
Son sourire est de nouveau doux. Son regard, lui, de braise. Elle ne peut s’empêcher de poser son regard sur son assiette à lui.
« Vous ne mangez pas ? Le mien était très bon. » Sourire ingénue sur les lèvres, Neith étouffe un rire dans son verre. Cette situation l'amuse beaucoup trop.

Il décide de ne pas répondre et elle se surprend à aimer son air taquin. Ça le rend plus jeune, peut-être même au-delà de l’homme d’affaires qu’elle a connu, du chef de famille qu’elle a entraperçu. Elle aime beaucoup.
« Vous avez raison. » répondit-elle, sourire mutin aux lèvres. Cela lui donne envie de savoir malgré tout. Il sait jouer, Lorenzo. Elle est joueuse également. Elle veut bien le laisser l’entrainer dans ce jeu-là avec lui. Selon ses règles, avec pour cadre ce fameux contrat auquel elle devait bien sûr réfléchir. Ses termes à lui sont simples évidemment. Elle, elle doit un peu plus y réfléchir… Ou alors est-ce également pour jouer un peu. Peut-être aussi parce qu’une infime partie d’elle n’arrive pas à ne pas se méfier. La faute à ses traumatismes. Pas à lui. Ce n’est pas de sa faute s’il est un homme.
Il enclenche la musique et lorsqu’il admet pour le dessert, elle rit encore.
Ah, les hommes.
Lorsqu’il lui propose de danser et qu’elle tend les premiers accords qui indiquent un tango, le visage de Neith s’illumine. C’est comme si elle n’avait plus vraiment d’âge. Disons qu’en temps normal, elle aurait été moins expressive en société. Ici, ils ne sont que tous les deux. Et puis, en société, les valses sont belles uniquement à cause des robes, pas à cause des pas. Neith a le dédain d’une femme qui aime les danses de sa culture et d’autres cultures toutes aussi flamboyantes que la sienne et généralement pas européennes, même si elle adore la France, la valse et surtout les belles robes.
Le tango fait partie de ces danses de bal à deux et qu’elle sait danser. Neith parlant l’espagnol a fait beaucoup de voyages dans les pays hispanophones pour les Antiques Rêveries. L’Argentine en a fait partie. Mais c’est récemment dans les salons à Paris qu’elle a vu avec étonnement que le tango s’était exporté devenant à la mode. Alors, le tango, elle y a un peu touché aussi naturellement curieuse de varier son répertoire de danse, et elle a adoré. Elle n’a juste pas pris le temps de le danser depuis trois ans puisque son mari est décédé et qu’elle aimait le danser avec lui entre autres danses à deux.
« Avec grand plaisir, M. de Medici. » Sa main se glisse dans la sienne et elle se lève à son tour, grâcieuse. Ensemble, ils rejoignent la piste de danse improvisée. Elle sait qu’en tant qu’homme, italien de surcroit, c’est lui qui va diriger et cela ne la dérange pas. Au contraire, elle est curieuse de le voir faire.
« Êtes-vous friand de tango ? » demanda-t-elle curieuse et sans le lâcher du regard. Elle ne précise pas que pour elle cela fait longtemps, mais elle sait très bien que cela reviendra très vite. Elle est une danseuse après tout et son corps à sa mémoire. Elle se fait parfaitement confiance là-dessus.

Un sourire au coin des lèvres, Neith le laisse guider. Sans le quitter des yeux, son corps prend naturellement place. C’est comme un second langage pour elle. Celui d’un corps qu’elle maitrise tant par les gestes que les expressions que les messages implicites. Elle sait qu’ici, elle est reine de son royaume même si c’est lui qui guide. Elle sait qu’elle n’est jamais plus démoniaque que sur une piste de danse et avec un bon danseur en face d’elle. Les pas de tangos lui reviennent comme elle s’y attendait. Sans le quitter du regard, son sourire disparait. Elle suit son cap, le pied trainant mais précis. Il y a un sérieux qu’on ne lui connait que peu, ce sérieux qui veut charmer parce que pour Neith toute danse est une affaire sérieuse. Elle voit que pour lui aussi en face c’est la même chose ce qui rend le moment encore plus intense pour elle.
Les ondulations de Neith se forment avec précision. Elle se sait maitriser chaque parcelle de son corps, chaque pas est millimétré. Si proche de lui, elle sent son parfum d’homme, mais aussi la légère note de vin qu’il a bu précédemment. Elle l’admet : elle ressent ce désir curieux de savoir si le goût du vin est resté sur ses lèvres également. Mais le moment est trop important pour qu’elle se montre déraisonnable. Pourtant, pour la première fois depuis des années maintenant, il agite quelque chose en elle. Les braises de la passion se réveillent. Celles du désir rougeoient. Et le frisson de l’intensité la saisit alors qu’elle sent sa main sur sa cuisse, la passe déjà anticipée de Neith. Elle sourit un instant, consciente des messages silencieux qu’ils s’envoient et auxquels elle répond.
Il veut de la passion ? Elle sait en donner. Mais pouvait-il suivre le rythme ?
Alors que le rythme change, Neith se sent la volonté de l’impressionner autant que de jouer un peu. Elle ne peut s’en empêcher, montrer ses qualités de danseuse, peu importe si la robe ne convient pas. Elle est suffisante en revanche pour lui permettre de s’adonner à son premier amour.
Doucement, elle rapproche ses lèvres de son oreille pour murmurer, son accent arabe sans doute enroulé de passion, revenant un peu plus :
« Êtes-vous bon en improvisation, Signor ? »
Et alors qu’elle s’éloigne, c’est elle qui change les pas, ou tout du moins, ils se mélangent. Voilà qu’il y a un peu de valse, un peu de tango, un peu de java et même de danse classique. Elle ne lui cache que les pas des danses orientales. Elle ne veut pas gâcher la surprise qu’ils se sont promis.
Sur son visage, elle s’amuse et ne le cache pas et quand elle revient une dernière fois contre lui, c’est sagement qu’elle se remet réellement au tango pour quelques pas encore. Et lorsque les dernières notes sont lancées, elle continue de l’observer sans s’écarter, si proche de lui, le souffle un peu court. Ils ont beau ne pas s’être promis plus que ce qu’ils font, elle se sent prise d’une spontanéité toute sensuelle lorsque ses lèvres viennent se déposer sur le coin de sa joue proche des lèvres, y laissant une légère marque de rouge à lèvre.
« Merci pour cette danse, Signor Médici. Voilà longtemps que je ne m’étais pas amusée à ce point. »
Son regard est embrasé et elle a un sourire en voyant la marque. Avec sensualité, sa main vient effacer la trace de son méfait.