débris de nacre (zinaïda)
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(#) débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Invité leOn l’accueille à chaque fois comme un ami, dans le domaine de Zinaïda d’Adhémar. Lucie le reçoit avec sa sollicitude habituelle. Elle dispose le bouquet qu’il a apporté avec lui dans un large vase en cristal, s’épanche sur la beauté des anémones. Il fait son chemin à la suite de la jeune femme jusqu’à l’un de ces petits salons dont les maisons bourgeoises ont le secret. Alors qu’il s’installe dans un fauteuil et dispose soigneusement autour de lui les plis de sa robe de sorcier, la domestique dépose le vase sur la table basse. Il pleut sur la campagne parisienne. Elle le quitte pour aller chercher sa maîtresse, et puis sûrement du thé, qu’elle dit, vous prenez toujours du thé quand vous avez vos entrevues. Et lui, il regarde la pluie battre par la fenêtre. Elle tambourine, furieuse, et glisse dans l’atmosphère à la fois de l’humidité et de la mélancolie.
Ce n’est que partie remise, qu’il se répète doucement. Ses rêves ne le trompent pas ; ou plutôt, ses rêves ne le trompent plus. Tout vient à point à qui sait attendre, et il attendra. Ce qu’il voit dans le futur ne vient que rarement avec une date, un lieu, ou quelque absolu élément de contexte. Son don a ses beautés, mais il n’a pas celle-là. Dommage.
Il entend le bruissement de ses robes avant même de la voir. Il se lève d’un mouvement souple, la regarde, sourit et dit « Zinaïda » ; prénoms et tutoiement viennent facilement sur le bout de sa langue. Tout en délicatesse, élevé comme un prince, il fait sans même y réfléchir plus d’un instant les quelques pas qui le séparent de la jeune femme. Sa nuque se ploie quand il prend sa main dans la sienne, puis l’approche doucement de la sienne. Il ne l’embrasse pas, parce qu’il sait quelles sont les différences entre ceux qui prétendent connaître ces politesses-là, et ceux qui ne les connaissent pas. « Vous êtes magnifique, comme d’habitude », compliment susurré. Il se redresse, retrouve souplement le chemin du fauteuil dans lequel il se trouvait jusque-là. « Je suis venu aussi tôt que j’ai entendu que vous aviez à nouveau accepté de recevoir du monde. Je n’aurais pas voulu vous brusquer en me présentant avant que ça ne soit le bon moment... » ; les explications sont ponctuées de ces gestes légers de la main, doigts écartés, comme s’il dirigeait discrètement un orchestre au lieu de simplement suivre une partition calibrée : « J’ai été désolé d’apprendre ce qui s’est passé. Mais soulagé… non, soulagé et heureux de savoir que vous, vous vous portiez bien ». L’ombre d’un sourire danse sur son visage, juste au coin de sa bouche quand il ajoute doucement : « En corps tout du moins. Je n’ai sûrement pas la mesure de l’épreuve que vous êtes en train de traverser ».
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Zinaïda d'AdhémarCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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(#) Re: débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Zinaïda d'Adhémar leElle était apaisée, désormais. Avec la certitude que son fils était dans un endroit paisible. Quand elle se sentirait prête, elle aurait un autre enfant. Un frère ou une sœur pour Gabrielle, la prunelle de leurs yeux. Mais pour le moment, la vie devait continuer, et avec le soutien de son époux et de ses quelques amis, c’était bien plus simple de réussir à penser à l’avenir. Alors, peu à peu, elle avait recommencé à sortir, avec modération. A recevoir, tout aussi modérément. Le temps avait fait son œuvre. Et quand Lucie était venu lui apprendre la visite d’Ira de Sade, Zinaïda n’avait pas été étonnée. Il semblait évident que son ami, et les merveilles de son don en plus de la bavardise de la haute société, ait eu vent de la fin de son deuil. Sa lettre de condoléances avait été pleine de considération et de tact. Il semblait évident que sa visite serait de même.
Quand elle descends, l’ourlet de sa robe de velours aubergine frotte au sol dans un bruissement léger, mais qui suffit à annoncer sa venue au seer, qui se lève avant même qu’elle ne soit véritablement entrée dans le salon. Un sourire calme, alors qu’elle resserre sur ses épaules le châle brodé de fleurs qui la couvre, la tient décente dans son intérieur. Même ici, l’apparence est maîtresse de tout. “Ira, je suis heureuse de vous voir.” Son sourire s’accentue un rien, paresseux, à son baisemain parfait (contrairement à tout ceux qui se targuent de distinction et osent poser leurs lèvres sur la peau immaculée d’une dame), et à son compliment. “Et vous flatteur, mon ami. Ne croyez pas que je ne sois pas consciente de ce que ces derniers mois m’ont fait perdre en apparence.” Elle se savait plus terne, plus mince, même si elle s’appliquait à corriger ces défauts ces dernières semaines. A retrouver la perfection qu’on lui avait appris à maintenir. Peau veloutée, yeux brillants, beauté discrète et irréprochable. Elric ne serait certainement pas celui qui lui reprocherait de s’être laissée aller à la tristesse. Mais les autres, tous ces autres aux abois, prêt à déchirer sa réputation, et le peu de prestance qu’elle s’applique à garder. Rapaces.
Elle s’assieds face à lui, et sourit à Lucie qui apporte un plateau de thé, lui offre un remerciement et un compliment. Cette jeune fille était une perle qui avait tant pris soin d’elle ces derniers mois. Les condoléances, de nouveau, que Zinaïda accepte d’un signe de tête gracieux. Elle semble plus calme, plus mesuré après les derniers évenements. Grandie par la douleur et la tristesse. Peut-être n’est-ce pas une mauvaise chose. Sans doute que certains se rient d’elle de pleurer si longtemps un enfant qui n’a même pas vécu. Sans doute que son père trouve que la tragédie lui va bien au teint, l’assagira peut-être. “Nous avons eu de la chance.” Le mot est fort, sans doute. Chance n’est pas adapté. Chance, ça aurait été de faire survivre Alban. Mais Zina a été bien élevée. Elle ne s’étale pas ni sur ses problèmes, ni sur ses états d’âmes. “Il a fallu remercier le docteur Lacassagne, cependant. “ Un vague geste de la main. “C’est la jeune cousine d’Elric qui s’occupera de moi désormais. Avec mes spécificités, il faut un suivi particulier…” Elle plisse les yeux paresseusement. Qu’il est dur de faire confiance à la médecine quand elle a perdu tant de sa famille aux mains d’incompétents incapables de prendre en compte un simple malédiction. “Non, sans doute pas. Puissiez-vous ne jamais la connaître ceci dit.”
Elle dérive son regard clair vers la fenêtre battue par la pluie. “Mais ne vous inquiétez pas. Je vais aussi bien que possible. Je suis bien entourée.” Par les d’Adhémar, surtout. Même si la culpabilité de Nikolaï changeait un peu son attitude. Et sans doute que Sergueï avait pesté l’héritier envolé avant d’avoir pu l’utiliser à ses fins, mais qu’il aille au diable. Zina préférait se vouer aux choses positives pour le moment. La venue d’Ira en était une. “Vous voici de retour à Paris, ainsi? Resterez-vous longtemps loin de votre Provence ? Vous nous manquez, vous le savez. Resterez-vous dîner ce soir? Elric et Gabrielle seraient ravis.” C’est peut-être moins vrai pour son époux, solitaire, que pour sa fille, toujours pétillante, mais ainsi allaient les choses dans leur monde. Tout le monde était toujours ravi de recevoir des invités, et qu’importe combien il trouvaient ça désagréable intérieurement.
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(#) Re: débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Invité leMais elle ne sourit pas, Zinaïda. Pas vraiment. Il ne se fera pas prendre au piège si facilement. Quelque chose comme une ombre souligne les angles de son visage et creuse le fond de ses yeux. Au temps de la Grande Guerre moldue, son père avait la même ombre au coin des yeux. C’était une époque à laquelle il officiait encore comme voyant. Un soir, assis au coin du feu, sous ses trophées et ses rameaux, il lui avait donné un nom : la mémoire des massacres. Zinaïda avait l’expression de celui qui voit les désastres de la guerre. Une fatigue tordue de douleur ; rouge et âcre comme le sang.
Dans l’humidité de l’air, la théière exhale sa lourde odeur de thé blanc et de feuilles de framboise. Il l’écoute et il la regarde, alors qu’elle se livre à mi-voix. Il cherche les détails sur son visage. Il voudrait la lire comme un livre, retrouver les certitudes et le chemin qu’il avait soigneusement balisé. L’atmosphère est propice, après tout. Quand il pleut des cordes, c’est un temps tout désigné pour lire un livre dans un petit salon. Et puis parfois, presque par hasard, le livre est le visage d’une femme.
« Pensez-vous qu’elle sera en mesure de vous accompagner correctement ? » vient la question, toute en sollicitude. Elle lui sert partiellement à dissimuler le trait de dépit qui a jailli dans son ventre, en apprenant que l’un des réseaux d’information qu’il avait pris soin de mettre en place s’était écroulé comme un château de cartes dans un courant d’air. Adieu docteur Lacassagne, donc. « Les malédictions magiques ont pour première caractéristique leur injustice, il me semble. Vous me semblez parfois une figure tragique des romans anglais du siècle dernier » ; il sourit, légèrement, flatteur, puis ajoute pour une pointe de doute : « C’est bien entendu une forme de compliment ».
Ce n’est pas parce qu’il l’utilise qu’il ne l’admire pas. Elle lui paraît exemplaire, au fond. S’il y a une chose qu’Ira a constaté au fil de sa vie et de sa carrière de visionommeur, c’est bien que les femmes sont mille fois plus courageuses que les hommes. Mais le rôle qu’elle a appris, elle le joue à merveilles. Lui se cache souvent, lorsque le monde l’épuise, dans les coins de sa garçonnière ou du château de son enfance. Il a cette caractéristique en commun avec les félins dont il chérit la compagnie. Mais ici, il sourit toujours. « Je pense rester à Paris pour quelques temps. Castellane peut survivre sans moi… S’il y a quelque chose qui caractérise sa vieille roche de calcaire, c’est bien la solidité », dit-il sur ce ton badin des petites conversations mondaines. Les choses les plus sérieuses, dont la sévérité de son frère et cette tempête qui gronde dans les tréfonds de la vieille maison, il les gardera pour lui ; enfermées à double tour au fin fond de son ventre. Pareil pour ce désir de croiser Maverick par hasard dans les rues de la capitale magique. Pareil pour cette curiosité farouche qu’il ressent pour une jeune aventurière. Il y a la société et il y a le vrai. L’ardeur de son cœur est un secret ; mal gardé, parfois, mais un secret malgré tout. Puis il reprend : « Je ne voudrais pas vous déranger outre mesure. Je sais le chaos que peuvent provoquer des invités de dernière minute ». C’est la seule réponse autorisée par les usages. Est-ce qu’il dirait non ? Bien sûr que non. C’est une opportunité de plus de tisser sa toile, après tout. On ne dit pas non à ça.
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(#) Re: débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Zinaïda d'Adhémar leA la question concernant Gaëlle, la jeune femme hausse doucement les épaules. “Je n’aime pas les médecins, et pourtant, il me faut les subir. Mais je connais Gaëlle depuis nos années à Beauxbâtons. J’ai pour elle de l’amitié et je lui fais confiance pour mieux prendre en compte mes besoins.” Son regard s’accroche à une branche oscillant dans le vent. Une feuille solitaire s’en détache et disparaît à sa vue. “Je gage qu’elle saura mieux que le Dr Lacassagne comment concilier mon caractère et les précautions dûes à ma condition, quand le temps sera venu.” Quand elle se sentirait prête à enfanter de nouveau. Parce que pour la russe, voilà bien la seule utilité de la médecine. S’assurer de la santé de ses futurs enfants. Pour elle, il était trop tard de toute manière. “Nous n’y sommes pas encore.” Alban était bien trop présent à son esprit. Mais il y aurait d’autres enfants. Elle voulait être mère de nouveau, et savait combien la perte de leur bébé avait fait de mal à son époux. Elle se rattraperait.
La comparaison du seer la fait rire doucement. Il lui semble que désormais, elle ne serait plus capable de rire aux éclats de toute façon. “Il me semble parfois que mon destin ressemblera aux leurs. Une mort jeune et un de ces cadavres pâle et alanguis que l’on voit sur les tableaux romantiques.” Au moins, sa mort aura-t-elle un but, fut-ce celui aussi futile que de faire un joli sujet de tableau. Elle porte à sa bouche la tasse de thé fruité, souffle sur la boisson avec délicatesse. Fragile, elle l’avait toujours été, même si elle n’avait jamais voulu l’accepter. Elle était une Romanov. Elle aurait pu devenir folle, avoir un don exacerbé, des difficulté a pratiquer la magie… mais non. Elle, elle était tellement incapable d’écouter son corps que la moindre blessure, la moindre activité pourrait potentiellement lui être fatale. “Ah, mais pardonnez mon humeur macabre, mon cher ami. Ce temps maussade facilité le spleen.”
Comme s’il n’y avait que le temps. Comme si la perte de son fils n’était pour rien dans son humeur. Mais il y a des choses qui ne se disent pas, même aux amis les plus proches. Pas quand on est une femme du monde, pas quand la famille de son époux possède de l’influence. “Paris est chanceuse de vous avoir un temps, alors. Ses rues pourraient bénéficier de votre calme.” Et ses pêcheurs et autres intrigants de votre tranquillité. Elle cache la derniere phrase derrière un sourire tranquille. “Mais pensez tout de même que le marbre et la craie sont aussi calcaire l’un que l’autre. Et qu’il est facile de prendre pour acquis la solidité d’une pierre quand les éléments l’érodent hors des regards.” Rien n’est éternel. Le malheur frappe sans se soucier de prévenir. On l’apprenait souvent à ses dépends. L’ancienne princesse impériale tempère cependant ses propos forts sombres d’un souhait pieux. “Je souhaite cependant de longs jours à Castellane. Il est doux d’avoir un refuge.” Pour elle… sans doute était-ce le domaine d’Hermance, en Suisse. Il avait beau appartenir aux d’Adhémar, elle s’y sentait bien. Moins sans doute qu’au palais Catherine, mais plus jamais elle ne foulerait ces jardins, elle le savait. Son deuil était fait.
“Oh, pensez-vous, ce sera un plaisir. Nous avons toujours de quoi manger pour un convive de plus. Je peux demander à Lucie de préparer la chambre d’amis, si vous le souhaitez. Vous êtes le bienvenu.” Après tout, si Elric pouvait accueillir son ours de meilleur ami, elle était en droit d’accueillir un des siens, non?
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(#) Re: débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Invité leN'est-ce pas, au fond, comment tout le monde vit dans cette époque ? Les malheurs d’hier et les malheurs de demain ont laissé une empreinte sur le monde. Une mélancolie. Dehors, il pleut toujours, et il lui semble tout à coup que le monde pleure à gros sanglots.
Il sourit. L’expression est pensive. Ses longues mains se sont enroulées autour de sa tasse de thé ; elles y réchauffent le froid qui les gagne à chaque fatigue. « Vous savez que je vous souhaite le meilleur. Comme toujours », dit-il à son interlocutrice : « Et si, un jour, vous voulez changer de climat, Castellane vous ouvrira ses portes. Vous êtes la bienvenue et ma région sait être hospitalière quand elle le veut bien ». Cette fois-ci, il y a une pointe de nostalgie et de vie qui frémit au fond de sa voix. Un désir d’enfant de voir son vieux château vivre comme à la grande époque de son père. Les vieilles pierres ne se réchauffent qu’au contact des hommes.
Par contraste, la pluie battante sur la lande lui paraît plus austère encore. Maussade, qu’elle dit à raison. Il rit aussi ; trois notes qui s’envolent sur sa langue. Par imitation d’elle, il retient aussi tout grand éclat : il ne faudrait pas l’effaroucher. Le spleen a gagné la maison. Cette sorte de langueur, épaisse, poisseuse, noire comme le pétrole quand il s’accroche aux ailes des oiseaux de mer. « Vous avez vos propres visions singulières », remarque-t-il: « Peut-être devriez-vous meubler votre convalescence de cette manière. Peindre des tableaux romantiques. Je suis sûr qu’ils trouveraient preneurs ou qu’ils donneraient une teinte tout à fait singulière à votre retour en société ». Il l’imagine accueillant pour la première fois depuis des mois une grande assemblée de convives, comme le font souvent les grandes dames des sociétés moldues et sorcières. « Un jour, un dîner ; vous faites entrer tout le monde dans votre salle-à-manger d’apparat. Tous les murs sont couverts de rideaux. Et, au point d’orgue, vous les faites tous retirer d’un coup pour révéler trente toiles de jeunes femmes noyées, de tempêtes sur la mer et de montagnes torturées », vient la description avec un sourire taquin. Sûrement que la soirée serait mémorable, en lieu et place des éternels récitals de piano et des aimables conversations sur la tenue d’une baronne ou d’un prince.
Il les connaît bien, ces dîners. Sa carrière implique de trouver sa place au sein des familles. Il est aussi attaché à sa solitude, à son ermitage vis-à-vis du monde sorcier, que forcé de les quitter à intervalles réguliers pour rappeler la présence de la famille de Sade. Il n’a pas à feindre le léger sourire qui chatouille ses lèvres quand elle lui parle de la fragilité des refuges. C’est l’ombre d’une tristesse, juste au coin de la joue. « J’espère naïvement que j’aurai la chance de voir venir la chute de la maison des Sade avant qu’elle n’advienne réellement » ; cauchemars d’enfants de voir le foyer de sa jeunesse fissuré, détruit par la vie et par le temps : « Vous avez raison. Ce sont des réalités cruelles, mais nous n’avons guère d’autre choix que de vivre avec ce numéro d’équilibriste ». La corde raide est au-dessus du gouffre. On se masque la profondeur dudit gouffre par des palliatifs. L’absinthe. L’amour. La famille. Le destin, même. « Si vous souhaitez partager votre propre refuge avec moi pour un repas et pour une nuit, chère amie, je ne peux guère vous le refuser. Il y a bien longtemps que je n’ai pas vu le reste de votre famille. Je serais ravi de rester ici un petit peu plus longtemps », finit-il par acquiescer doucement. « Si cela ne vous dérange pas trop, je me permettrai cependant de vous emprunter une chouette pour prévenir Paris que je ne serai pas de retour ce soir » ; la préoccupation est à la fois sérieuse (des mondanités qui ne l’enchantaient guère) et prosaïque (il faudrait que quelqu’un visite sa garçonnière de la rue de Vaugirard pour nourrir ses chats). Mais le jeu en vaut la chandelle : continuer de, lentement, tisser sa toile ; voir à quel niveau d’estime le tient l’époux de la jeune femme, qu’il faudra bien un jour convaincre aussi.
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(#) Re: débris de nacre (zinaïda)
missive rédigée par Zinaïda d'Adhémar leIl dit singulière, et Zinaïda aime ça. Singulière, c’était positif. Loin de têtue, étrange, déprimante, macabre, qu’elle s'attribue elle-même ou qu’on lui offrait parfois. Ira avait une manière positive de tourner les choses. Et pourtant, il adopte le même ton de voix qu’elle, s’adapte à son humeur languissante. L’idée de peindre l’amuse. Après tout, elle dessine déjà, mais loin de ces femmes sans vie aux corps offerts aux spectateurs, de ces paysages en proie aux éléments. Oh, elle aime Caspar Friedrich et William Turner, mais n’a pas la prétention de leur ressembler. Ses dessins tiennent du gribouillage, sans doute. Mais la scène est amusante, comme seule Ira peut en avoir l’idée. “Mon dieu, je n’oserais jamais. Même si j’aime assez l’idée. Ce serait plutôt spectaculaire.” Doucement, voilà la princesse exilée qui secoue la tête. “Mais vous savez comme moi que le spectaculaire n’a pas sa place dans la vie d’une épouse.” Ou plutôt, dans sa vie à elle. Ce n’était pas tant son époux le problème : elle était certaine qu’Elric la soutiendrait quel que soit son projet. Mais prendre le risque de choquer la bonne société française lorsque l’on est née Romanov? Ce n’était pas une option.
“Et puis, je n’ai guère de patience que pour mes camélias. La peinture à l’huile met bien trop de temps à sécher : je préfère mes crayons et mes dessins d’enfants.” L’aveu offert l’air de rien. Car, même si elle doutait d’en faire quoi que ce soit un jour, il est vrai qu’elle dessine. Ou plutôt, qu’elle illustre les contes qu’elle invente pour ce fils qui ne verrait jamais le jour. Elle créait des personnages attachants et leur donnait un visage, imaginait leurs aventures et les montrait à sa fille qui avait déjà ses préférés.
Elle tend une main rassurante. “Puissiez-vous ne jamais connaître la chute.” Elle est souvent cruelle. Elle-même avait tout perdu avant même sa majorité et même si elle se savait chanceuse d'avoir épousé un homme comme Elric, certaines choses restaient teintées d'amertume. Son sourire se fait plus doux alors qu'elle confirme, la princesse russe. “Vous êtes le bienvenu au domaine de Mousse d'Alrune, Ira. Restez tant qu'il vous plaira.” Une autre qu'elle aurait peut-être demandé l'autorisation à son époux. Zinaïda n'en ressentait pas le besoin, ne se sentant pas écrasée par la présence maritale. “Vous verrez combien notre petite Gabrielle a grandi. Elle est véritablement mon ange et ma force. Ce prénom lui va comme un gant.” Sans elle… sans doute se serait-elle effondrée, bien plus fort, sans espoir de retour. Les larmes lui montent aux yeux. “Même si je sais que je n'ai pas été une maman à sa mesure ces derniers temps…”
Zinaïda secoue la tête et se force à se reprendre. Ira est un ami, mais même à ses amis, la russe n'aime pas montrer sa faiblesse, ses états d'âme. “Avoir un peu de vie dans cette maison nous fera du bien à tous, je crois.”
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