Rituel des landes Bretonnes | EVENT 2.1

Aux jours où le voile des morts est presque rompu, le terrible Ankou effectue sa traditionnelle pérégrination, sur sa charrette grinçante, jusqu’à rejoindre la Baie des Trépassés où les chiens des équinoxes tentent de quitter les entrailles chtoniennes pour le vaste ciel. Il est accompagné par deux sorciers élus chaque année pour l’escorter à pied jusqu’à sa destination.

Dès les deux torches saisies et allumées par magie au contact de la paume qui leur est destinée, dès la silhouette de l’Ankou reparue, d’autres sorciers quittent leurs demeures, chaudement vêtus, afin de se joindre au groupe en partance pour la Baie des Naufragés. La silhouette de l’Ankou, suivie de sa charrette, quitte lentement la place du village, escortée par ses deux élus, et très vite, les demeures de pierres disparaissent derrière eux. Sous le chapeau large, le visage de l’entité reste obscurcit, invisible tandis que sa charrette grince et bringuebale sur le chemin pavé. Au loin, tel un mirage, danse les façades d’une autre ville, un panneau de bois encore flou en présentant l’entrée. L’entité ne se hâte pas, bien au contraire, elle semble soigner son pas, prendre garde à sa route.

La route de pierre est bordée de champignons, et au-delà, le paysage est mouvant, changeant, flou de plaines verdoyantes et de forêts, de cours d’eau et de collines. Derrière la charrette, les sorciers allaient trois par trois, et certains pointèrent du doigt, vers le flou végétal.

“Ils sont là !”

D’autres silhouettes cheminaient près de l’Ankou, sans jamais mettre un pied sur la route. Certains restent proches, tentent même de communiquer avec les sorciers, d’autres restent simplement à proximité. Parmi eux, un groupe de jeunes gens, d’une pâle couleur argentée, se tient la main, à proximité de l’Ankou.

Parmi elles, deux tendent les mains en direction des élus, leurs visages translucides souriant avec confiance et gravité.
Loom of Fate | 2023

La marche était paisible, cadence menée par le grincement de la charrette et les pas immatériels de l'Ankou. Il était étrange de constater le Voile ondoyer autour d'eux, tantôt plus fin et fenêtre vers l'inconnu glacée, tantôt suffisamment dense pour laisser voir le paysage breton défiler. Derrière eux, une procession avait pris place, sorciers et sorcières en escorte silencieuse. Voire carrément pieuse, pour certains. Camille pour sa part s'évertuait à rester neutre, objectif autant que faire se peut.

Même si sa famille avait toujours eut un penchant pour la religion catholique, ses nombreux voyages aux quatre coins du globe pour restaurer des pièces d'arts l'avaient rapidement confronté à une richesse culturelle qui l'avait incité à prendre du recule. L'homme ne croyait en aucune divinité particulière, mais respectait toutes celles qui lui étaient présentées... comme ce soir. Son regard s'attacha à la silhouette de l'Ankou et il se demanda s'il pouvait lui adresser la parole. Il voulait connaître sa version de la légende, de la croyance qui s'était développée autour de lui au fil des siècles.

Heureusement -ou malheureusement- son attention fut attirée par des silhouettes indistinctes à la périphérie de sa vision. D'une oreille distraite, il avait écouté les explications de Némésis, bien trop élevé pour l'ignorer après l'avoir spécifiquement adressée. Jusque là, il avait suivi le conseil de sa protégée ; ne regardant pas aux alentours par crainte réelle de finir nauséeux, mais il lui était désormais impossible d'ignorer les formes ! Camille fronça légèrement les sourcils, essayant de faire sens de ce qu'il voyait et ce ne fut qu'après quelques secondes qu'il réalisa toute l'étrangeté macabre du spectacle.

"- Sont-ils des... gens du petit peuple ?" Murmura-t-il avec grand intérêt. "Ou bien avons-nous affaire à des morts, piégés derrière le voile ?" Cette seconde hypothèse lui plaisait moins, mais semblait malheureusement plus probable étant donné la nature de leur pèlerinage.

Dans tous les cas, Camille s'assura de garder sa torche hors de portée des mains qui se tendaient vers eux et prit tout autant soin à ne pas dévier du chemin qu'ouvrait l'Ankou. Le sorcier n'osait imaginer ce qu'il lui arriverait s'il venait à s'égarer dans cet autre monde... Sûrement finirait-il comme ces êtres argentés et translucides. Une finalité qui ne l'enchantait guère, considérant tout ce qu'il avait encore à accomplir de ce côté-ci du voile. Son regard se posa un instant sur la créature mystique, puis il jeta un rapide coup d'œil par dessus son épaule avant e revenir au chemin qu'ils empruntaient pour ne pas aller trébucher.

"- En parlant d'élu... Félicitation pour avoir été nommée. Je n'ai aucun doute que vous saurez utiliser cet élan inattendu de popularité dans vos prochaines publications. Avez-vous d'ailleurs un nouveau sujet à l'esprit ?"

L'homme parlait à voix basse, comme on le ferait dans une église un dimanche matin. S'il comprenait l'idée de recueillement, à moins que l'Ankou ne lui dise de se taire comme le ferait une bibliothécaire acariâtre, il comptait bien rentabiliser son temps en prenant es nouvelles d'un de ses meilleurs investissements.

Pas piégés ? Et bien en voilà une perspective des pluss réjouissantes. Disait-elle qu'en tout instant ces silhouettes pâles et silencieuses franchiraient le voile pour se joindre à eux ? Et que se passerait-il en ce cas ?! Auront-ils à suivre les traditions sud américaines et iraient-ils partager le pain et le vin avec leurs morts ou bien devront-ils les exorciser comme le voudrait les traditions plus européennes ? Vraiment... quelle idée avait bien pu avoir l'Ankou à sélectionner un parfait étranger !?

Peut-être était-ce pour détourner son attention du sentiment d'impuissance qui l'étreignait que Camille parlait "travail" en un tel moment. Il ne voulait pas confronter son ignorance crasse et sa complète impuissance face à des forces supérieures. Aussi la réponse de Némésis lui arracha un léger claquement de la langue plein de désapprobation. Il lui lança le même regard sévère qu'un père aurait pour un enfant qui se ferait plus bête qu'il ne l'est réellement. Ce fut sur le même ton de la reproche bonne enfant qu'il répondit du tac au tac :

"- Savamment utilisée, même une renommée aussi régionale pourrait monter jusqu'à Paris et de là, aux bonnes oreilles. Ne sous-estimez pas vos capacités, Némésis. Moins encore les miennes et la portée que mon nom pourrait vous offrir, si seulement vous acceptiez de l'utiliser un peu plus souvent."

Il était frustrant de voir une de ses protégées bouder autant les largesses qu'il prodiguait avec la même générosité à tous les autres. L'entêtement de Némésis à n'accepter que le strict minimum était d'un incompréhension totale pour le sorcier. Pourquoi se priver ? Par principe ? Idéologie ? Camille aurait pensé qu'ils étaient au-dessus de tout ça depuis le temps qu'ils collaboraient. Il n'eut pas le temps de poursuivre sa morale, que la bretonne lui rentrait dans les plumes. L'homme haussa un sourcil, plus amusé et intrigué que réellement vexé. Il fut moins encore découragé à enchaîner :

"- Ah, la répartition des richesses. Un vaste sujet prompte au débat. Êtes-vous sûr que c'est le genre de discussion que vous désirez engager en un tel évènement ? Personnellement, je n'y vois pas de contre-indications, mais encore une fois je ne suis qu'un étranger en ces terres. Mon avis doit sûrement être insignifiant."

Il haussa un sourcil en lui lançant un petit regard de biais, ombre d'un sourire amusé aux lèvres. Il n'était pas dupe ; l'approche était savamment calculée pour le viser. Mais Camille n'avait pas honte de sa richesse et moins encore de la manière dont sa famille l'administrait. Less Delacours avaient renoncé d'eux-même à leur titre de noblesse lors de la révolution et faisaient largement circuler les Arts et la Culture sous toutes ses formes, depuis les hautes sphères jusqu'aux plus humbles. De toutes les familles riches de France, il y avait aisément pire à critiquer. La tentative était pourtant à saluer et ce qu'il en retirerait devrait être de plus éducatif, connaissant sa protégée. Il poursuivit donc d'un ton égal :

"- Amusez-moi donc un instant, Némésis. Par quoi voulez-vous débuter ; de la politique fiscale qui bénéficie à une certaine sphère sociale plutôt qu'à une autre ? Au sous-financement de services publiques, comme l'éducation et la santé ? Ou bien désirez-vous parler de l'absence scandaleuse de régulation sur les grandes sociétés et leur nombreux abus internes ? Une chose cependant : je vous laisserai parler de l'inégalité homme-femme avec mon épouse, si vous le voulez bien. Elle sera bien plus à même de vous renvoyer la balle."

L'homme était presque goguenard à la fin de sa diatribe, bien qu'il ait veillé à garder le volume suffisamment bas pour que ses mots ne soient pas portés jusqu'au reste de la procession. Malgré son amusement face aux tentatives 'mordantes' de la jeune sorcière, il ne voudrait pas s'afficher ouvertement comme irrespectueux. Camille n'oublie pas qu'il s'agit d'un pèlerinage religieux, mais aussi un moment de recueillement pour ceux en deuil récent.

La suite, par exemple, le lui rappella avec une certaine cruauté drapée d'ironie. Le sourire du Delacour disparu lentement alors que ses yeux bleus survolaient involontairement les visages de cendre pâles qui erraient à la périphérie de sa vision. Un frisson désagréable lui coula le long d'une échine musclée, rappelle sur la fragilité de sa propre existence quand son attention s'accrocha sur un nourrisson porté par une jeune femme. Étaient-ils de la même fratrie ou le transportait-elle uniquement dans l'espoir que le poupon puisse se faire remarquer de sa famille encore en vie ?

L'un dans l'autre, la perspective était glaçante. La vue d'un tel spectacle lui rappela désagréablement les attentats de 1917. Il y avait eu la Princesse Séléné et le nourrisson mort dans ses bras maculés de plâtre et de sang... Et il y avait eu son propre Emmanuel, inerte dans son étreinte. Camille serra brusquement le poing sur la torche, phalanges blanchies et pulpes rendues glacées par le soudain manque d'afflux sanguin. Son regard se fit plus dur et distant alors qu'il jouait distraitement de la mâchoire, tension palpable dans ses épaules et sa nuque.

"- ... Ou un visage que je ne désirerai pas revoir."

Son attention se porta résolument devant lui, nonobstant tout le reste siu ce n'était la silhouette courbée de l'Ankou. Était-ce pour cette raison qu'il avait été sélectionné ? Une tentative pitoyable de lui faire passer son deuil et tourner une nouvelle page dans sa vie ? Ah. Louanges soient faites si c'était le cas, mais que tous aillent ensuite au Diable. Il ne comptait en aucun cas abandonner son désir de vengeance.

L’Ankou progresse cahin-caha, sans guère se préoccuper ni des silhouettes translucides, ni de la longue procession sur ses talons, ni certainement de la répartition des richesses. A chacun de ses flancs, au-delà de la route, s’amassent quantité d’images humaines éthérées, certaines souriantes, certaines graves, d’autres rêveuses, et certaines tristes. Parmi celles-ci, Némésis en reconnaîtra certaines, amis ou connaissances, de longue date ou non, peut-être même un membre de sa famille ? Elle n’est d’ailleurs pas la seule, à présent. Des groupes se forment, derrière l’Ankou, discutant avec les formes irisées dans la plaine. Certains pleurent, mais ils sont rares, car le chemin du deuil et de la paix se trouve plus au sud. Ici, la mort a souvent déjà trouvé sa réponse, dans les pas de l’Ankou.

Et d’ailleurs, en parlant de pas… Le voilà qui s’immobilise, déposant sa charrette et fixant un point au devant de la route. Là, à une trentaine de pas, alors que le chemin se tord pour enlacer une colline à l’herbe luminescente, se trouve une forme large et opulente. Visage fripé et buriné, chevelure blanche longue surmonté d’une immense corolle de champignon en guise de chapeau, mise brune et verte, voilà un korrigan. Un korrigan aussi grand qu’un cheval, cependant ! Il s’est assoupi, la pipe pendant encore des lippes, menaçant à tout moment de s’abattre sur les pavés en répandant son contenu rougeoyant. Sa lourde bedaine se soulève et s’abaisse au rythme de sa lente respiration, chaque mouvement faisant grincer la chaise qui le porte, et qui semble vouloir rendre l’âme elle aussi.

Derrière l’Ankou, les premiers sorciers, formant l’avant-garde aux côtés des élus de l’année, s’arrêtent à leur tour. Certains se mettent sur la pointe des pieds, espérant apercevoir la raison de cet arrêt soudain, d’autres en profitent pour poursuivre plus librement leur échange avec les esprits, et d’autres encore s’interrogent ou s'impatient déjà tandis que l’immobilité de l’Ankou fige de même le paysage sur une lande verdoyante à l’herbe haute, dansant doucement sous la brise iodée, le ciel profond et gonflé de lourds nuages gorgés d’une averse encore retenue mais qui embaume d’ors et déjà l’atmosphère de sa fraîcheur. Au loin, la découpe de grands arbres séculaires ancre le bruissement et le murmure du chant végétal dans lesquels se glisse la voix des arbres.

Indifférent à la procession qu’il immobilise de sa présence, le korrigan inspire profondément au travers de sa pipe et exhale une fumée épaisse et odorante, délicieusement odorante. Il se tasse un peu plus, tandis que Némésis confie sa torche à Camille, émet un vague grognement avant de redevenir immobile. Un instant plus tard, la chaise sur laquelle le korrigan repose penche, un pied brisé, et finit bien assez vite en esquilles de bois sous le poids du fae. Celui-ci s’étale de tout son long, sur le dos, et gigote un instant avant de se laisser retomber au sol, bras et jambes écartés, sa pipe abandonnée à terre à quelques distances de lui, les braises s’éteignant rapidement. Il inspire profondément, expire de même, en grognant de nouveau, se gratte une joue, couvrant un peu plus son visage de son chapeau de champignon dont les spores parsèment la route comme une neige légère. Les exigences de la jeune bretonne semblent lettres mortes et lorsqu’elle s’empare de sa bombarde, c’est un autre concert qui commence… Celui d’un puissant et profond ronflement.

La hargne de Némésis avait toujours représenté pour l'aristocrate une éternelle source de fascination et de divertissement. Même lorsqu'elle était indirectement dirigée contre lui. Camille savourait cette bile acide proclamée sans filtres comme un petit plaisir coupable. N'ayant à ses yeux absolument rien à prouver, parfaitement en paix avec la façon dont il dépensait chacun de ses bézants, les critiques sociétales de la bretonne lui passaient largement au dessus de la tête.

Qu'elle ne renonce pas au contrat qui les unissait était une preuve suffisante pour lui : Némésis l'aimait bien au fond. Elle avait juste du mal à l'exprimer.

L'homme se passa donc de tout commentaire et de toute façon, il n'en aurait pas eu l'occasion, car leur guide décida de s'arrêter abruptement. La présence du Korrigan n'était pas une surprise pour le sorcier qui avait vu venir son imposante silhouette depuis une bonne centaine de mètres déjà. Il s'était simplement attendu à ce que l'Ankou ne l'ignore et ne passe au travers par quelques tours de magie féérique.

Visiblement, ce n'était pas le cas et ils se retrouvaient donc confronté à leur première épreuve. Une épreuve très factuelle et physique. De quoi casser un peu l'ambiance inquiétante de leur procession jusque là.

Le parisien réfléchissait déjà à comment déplacer l'honorable représentant des landes sans avoir à le réveiller lorsqu'il capta un mouvement à ses côtés. Surpris par la décision aussi unilatérale que brusque à l'égard d'une représentation vivante du folklore de la région si chère à son cœur, il resta comme deux ronds de flan à regarder Némésis faire.

Au bruit déplaisant d'une chaise brisée et à la vue de la créature magique étalée au sol, Camille fronça les sourcils en une expression de désaccord profond. Il posa la torche de sa jeune comparse dans l'anneau prévu à cette effet sur la charrette de l'Ankou.

"- La délicatesse est un don de nature, et non une acquisition de l'art. Et il semblerait que ma protégée en soit totalement dépourvue aujourd'hui." Marmonna-t-il avec un léger soupir de dépit.

Ayant retrouvé la liberté de sa dextre, le sorcier fit apparaître sa baguette et s'avança à son tour, jetant derrière lui un bouclier protecteur sur l'Ankou et sa charrette. Autant ne pas oublier "pourquoi" ils avaient été sélectionnés en première place. Toujours sans un mot et d'un simple mouvement élégant du poignet, il répara la chaise du Korrigan dans son intégralité.

Les esquilles de bois dansèrent dans les airs quelques secondes avant de se rejoindre pour se reformer sans un bruit. Tout aussi silencieusement, il pointa ensuite sa baguette vers le champs des landes, à sa droite et les herbes hautes commencèrent à se trancher, puis à se tisser pour former lentement un solide filet de cordes.

Camille s'arrêta finalement proche de Némésis et lui fit les gros yeux quand il la vit préparer sa bombarde. D'une voix qui se voulait aussi neutre que possible, histoire de ne pas étriller la jeune femme et l'inciter à utiliser la force brute plutôt que la manière douce, il déclara :

"- Korrigan des landes, aux vues de notre position, ce qui pourrait en faire un Koril, vous ne croyez pas ? Je pense me souvenir que déplaire à ces créatures peut nous forcer dans un défi de leur cru où l'échec nous vaudrait un aller simple dans une prison souterraine sans espoir d'en ressortir."

Autant dire qu'il s'agissait d'une perspective qui le réjouissait peu. Torche toujours en main, il observa les silhouettes des créatures argentés, puis de la couche de spore à ses pieds qui formait un tapis duveteux donc il ignorait encore les effets s'ils venaient à en respirer par inadvertance.

Du coin de l’œil, il s'assura que le filet de corde continue de se tisser tout seul : il désirait s'en servir en dernier recours pour draper le Korrigan et le tirer dans l'herbe de l'autre côté du chemin. Secrètement, usant de sa magie sans baguette, il avait essayé de soulever la créature : sans succès. Elle semblait totalement immunisée à la magie ! De quoi pousser Camille à redoubler de prudence.

Ce fut donc d'un pas plus prudent que Camille approcha l'immense créature et l'adressa d'une voix suffisamment forte pour être entendu par delà ses ronflements dantesques :

"- Bien le bonjour, représentant du Sleagh Maith*. Je suis Camille et voici Némésis. Nous sommes les escortes de l'Ankou or il s'avère que votre présence sur notre chemin, empêche notre convois d'avancer. Comptant sur notre aide, serait-il possible que vous preniez vos aises plutôt sur le bas côté ?"

Et il attendit de voir si cette approche serait un succès ou un échec.

L’absence de la seconde torche et l’éloignement relatif des deux élus auprès du korrigan incitent les esprits à se rapprocher, bien plus nombreux qu’auprès du reste du cortège. Ils observent, bien sûr, mais certains, enhardis, semblent commencer à tenter de dépasser les lignes de champignons qui bordent chaque côté de la route, pour l’instant sans succès notable. Des tentatives qui s’arrêtent dès l’instant où les ronflements font de même, lorsque la magie sans baguette tente de le soulever.

Sous son champignon, le korrigan ouvre un œil, dont il use pour lorgner les deux humains plantés près de lui. Il semble considérer les paroles qu’on lui adresse, cette fois, puis observe l’Ankou qui attend toujours, immuable et détaché. Lorsqu’il revient aux deux humains, c’est pour grogner, fermer les yeux, et dans un effort surhumain - quoi facilité par la présence de sa chaise réparée - se redresse, assis à même les pavés.

Chapeau de guingois, il se gratte la tête, puis cherche des yeux au travers des pavés jusqu’à retrouver sa pipe. Il indique celle-ci d’un vague geste de la main et grogne, en breton :

“Ramène moi ça, flammèche.”

Persuadé qu’on lui obéirait, il s’étire, observe de nouveau l’Ankou, ricane un instant avant de saluer la procession d’une levée du chapeau, qui fit apparaître d’autres champignons, beaucoup plus petits, sur le haut de son crâne.

“Bien l’bonsoir !”

Il reposa son couvre-chef correctement, semblant d’une jovialité parfaite sur le moment. Il essaya de se lever, en fut incapable, grogna, essaya de nouveau…

“Et ben voilà. J’ai mis deux quinzaines à m’installer et je dois déjà bouger ! Donnez-moi un coup de main, vous deux. C’est le moins que vous puissiez faire après m’avoir réveillé !”

Son regard vif bondit sur les humains les plus proches après les élus.

“Et vous aussi ! Arrêtez de bailler aux corneilles, vous allez avaler une fée !”