[TERMINE] oiseau de mauvais augure (luka)

Rares étaient les fois où Rachel Fabre avait autant envie de fumer la totalité de son paquet de cigarettes mentholées d'un seul coup. Aujourd'hui, pourtant, elle se faisait violence pour ne pas consummer les trois dernières cigarettes qui lui restaient. La nouvelle de sa mission pour l’Ordre lui laissait un arrière-goût particulièrement amer dont elle n’arrivait pas à se défaire peu importe à quel point le goût mentholé revenait dans sa bouche. Dans sa poche, l’autorisation spéciale de Coriolan Montaigu pesait lourd. Elle aurait aimé la déchirer et s’en détourner. Elle savait que cela lui était impossible et dès que l’idée fut émise, elle la trouve stupide. Pourtant, elle n’arrivait pas à décolérer. Elric avait eu beau n’être que le messager, la pilule passait mal pour Rachel. Mais elle ne savait pas si c’était à cause de cette situation incompréhensible ou parce qu’elle s’inquiétait réellement et n’en menait réellement pas large pour la première fois depuis longtemps dans son rôle de Directrice du Fort Invisible.  

Elle s’inquiétait pour Eugénie d’abord. Les confidences de son amie lui avaient glacée le sang quant à la sécurité de la Delacour. Cela l’avait ramenée à sa propre sécurité et surtout celle de ses proches. Rachel n’avait jamais demandé de protection jusqu’à présent. Seul son logement de fonction était sous Fedelitas ce qui était suffisant. Sa mère avait pour une fois, la chance d’être moldue. Personne ne penserait à aller dans le monde moldu. Mais la rouquine commençait à sérieusement revoir cette « chance » qui n’en était plus une maintenant qu’elle avait fait la demande auprès de Coriolan qui ne le lui avait pas refusé. Les limites du monde sorcier et moldu étaient clairs. Les protections demandées par Rachel ne pouvaient s’appliquer à Sidonie. Elle allait devoir se débrouiller toute seule si elle voulait protéger sa mère de Nikhil Valerius. Ou Luka Romanov, peu importait sa réelle identité.

De tous les mages noirs du monde entier…. râla-t-elle en levant les yeux vers le ciel de Paris. Elle maudit l’univers et avec ça ceux qui ont donné l’ordre. Elle n’était qu’une exécutante et elle savait parfaitement qu’elle n’avait rien à en dire. L’Ordre avait ses propres raisons et les individus étaient bien peu face à la cause.

Mais tout de même.

Terminant sa cigarette, Rachel inspire et expire, essaie de reprendre contenance, seule en dehors de la maison d’arrêt discrète qui se trouve dans Paris. Luka avait été transféré ici et elle était celle qui devait lui annoncer les termes de sa conditionnelle… Elle en plaindrait presque Dzerjinski. Presque.

Il faut y aller, s’intime-t-elle après cette pause.

Reprenant son masque imperturbable de directrice du Fort Invisible, Rachel retourne à l’intérieur. On la connait ici pour savoir qu’elle pouvait passer comme elle le souhaitait. Sa venue n’était pas fréquente puisqu’elle accompagnait réellement exceptionnellement certains détenus jusqu’à Paris, mais visiblement, le mot avait été passé. Elle n’eut aucune difficulté pour se rendre jusqu’à la bonne salle gardée précieusement par deux gardiens du Fort.

Rachel les salua d’un signe de tête, prit une inspiration, se blinda et actionna la poignée de la porte.

« Monsieur Valerius, commence-t-elle avant de tirer la chaise devant elle. Je vois qu’on vous a apprêté pour votre sortie. »

Qu’est-ce qu’elle aurait aimé qu’il soit simplement relâché dans les Pyrénées en plein milieu du froid et qu’il y meurt. Cela aurait soulagé tout le monde, y compris elle-même. Mais à la place, il avait de nouveaux vêtements, une allure plus présentable même si les années de détention se voyaient.

Rachel le regarde fixement. Ses sens sont pourtant en alerte.

« Je suis ici pour vous parler des conditions de votre libération. Êtes-vous prêt à m’écouter ? »

Dans le bout de ses doigts, elle le sent, cette forte envie de reprendre une cigarette.

C’est étrange de le voir lavé, un minimum rasé et avec des vêtements qui ne sont pas ceux du Fort. Rachel ne l’a connu, après tout, que lorsqu’il était sous sa garde. Le quartier de haute sécurité avait cela de particulier que Rachel y avait passé beaucoup de temps surtout à l’époque où Luka y rentrait. Pour bien se faire voir de son supérieur alors principalement. Aussi parce qu’elle savait que si elle savait gérer ce quartier, elle saurait gérer le reste. Cela n’avait pas manqué. Elle est néanmoins contente de ne plus tant y être. C’était malgré tout un endroit qui marquait plus que les autres, sans doute l’état des prisonniers qui, pour la plupart, n’étaient pas censés en sortir soit parce qu’ils y étaient condamnés, soit parce que leur peine n’avait pas été assez forte pour arriver jusqu’à l’exécution, soit parce qu’il s’agissait de personnes particulièrement dangereuses aux plus ou moins longues peines. Depuis sa prise de poste il y avait de cela six ans, Rachel y passait régulièrement pour inspecter et parce que ce quartier était le plus sensible. A force de surveiller Luka et d’entendre surtout ce qu’il pouvait bien faire dans sa cellule selon les rapports des gardiens et gardiennes, elle avait appris à le connaître.

Mais l’inverse était aussi vrai, malheureusement.

Le cynisme de Nikhil (ou Luka) lui est au moins familier. En revanche, elle ne savait pas s’il était une carcasse comme il le prétendait si facilement. Elle avait toujours trouvé que, contrairement aux autres détenus de cette section, Nikhil avait cette lueur dans le regard qui refusait de s’en aller. Ce qui, d’après Rachel, n’occasionnait rien de bon du fait qu’il soit libéré. Elle n’a rien à répondre à son sarcasme et ne le fait pas, toujours économe en mot dans son travail mais précise au possible. Elle attend simplement qu’il réponde à sa question.

Le regard dépareillé de Luka est toujours perturbant, mais Rachel a l’habitude d’être fixée par cette paire d’yeux. Ce dont elle n’a pas l’habitude c’est de savoir qu’elle pourrait le rencontrer dans la rue et non derrière des barreaux. Et c’est d’autant plus perturbant lorsqu’il ne répond pas à sa question mais montre une affinité d’observation dont elle se serait bien passée.

J’espère que l’Ordre sait ce qu’il fait, pense-t-elle en serrant les dents.

Sa réponse lui fait se reprendre et s’insurger contre elle-même également. Était-elle si transparente que cela ? Sa prévenance ne l’atteint pas spécialement, mais Rachel reste inconsciemment vigilante à la chaise, à ce lit, à tout ce qui se trouve dans cette pièce. Comme si tout était un danger potentiel. Tout allait le devenir probablement pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’elle soit certaine qu’elle ne soit pas menacée, ni sa mère.

« Je prends cela pour un oui. » répondit-elle froidement. « Votre conditionnelle sera effective ce jour dès que nous aurons terminé cet entretien. Comme vous pouvez l’imaginer, des contrôles réguliers seront effectués. Il vous faudra vous rendre à cette maison d’arrêt aux dates et heures qui vous seront transmis à votre sortie. Tout manquement à ces obligations vous ramènera au Fort Invisible dans les meilleurs délais et sans préavis. »

Pause.

« En cas de récidive pour quel crime ou délit que ce soit, cette liberté conditionnelle se verra annulée et vous retournerez au Fort Invisible pour y purger le reste de votre peine avec possibilité de rallongement selon la nature de la récidive. »

Elle, elle n’était pas dupe. Luka allait forcément recommencer quelque chose, d’une façon ou d’une autre. Quelque part, elle espérait que cela se produise pour prouver à l’Ordre que cette idée était d’une stupidité sans nom pour la France, la République mais aussi les membres de l’Ordre impliqués et qui risquaient leur vie.

« Votre contrôleur pénitentiaire se nomme Aleksei Januszew et se présentera à vous au moment opportun. Votre conditionnelle n’est effective qu’à partir du moment où vous coopérez avec les aurors. Si votre contrôleur ou qui que ce soit se rend compte de votre non coopération aux informations demandées, votre conditionnelle s’annulera comme précédemment dit. »

C’était peut être un euphémisme. En réalité, elle ne savait pas quels étaient les ordres d’Alekseï. C’était son problème. Mais de ce qu’elle savait de la Meute, le nom Romanov était recherché.

« Votre liberté ne tient qu’à votre coopération pleine et entière. Est-ce que vous avez compris tout ce que je viens de dire ? »

Elle se retient de soupirer quand il pose sa première question. Non, elle n’avait réellement envie de lui faire aucune faveur. Il en avait déjà bien trop dans la vie : resté vivant malgré dix années de captivité pour commencer. Puis la faveur de l’Ordre, si l’on pouvait appeler cela une faveur. Alors non, Rachel n’avait aucune envie d’accéder à sa requête et ne répondit même pas, se contentant de le fixer. Elle le voit bien essayer de ne pas sourire ce qui l’agace encore plus. La façon dont il demande, sa manière de l’observer sont d’autant de choses qui font qu’elle décide qu’elle ne donnera rien.

« Non. » fut tout ce qu’elle répondit.

Elle avait déjà fumé la quasi-totalité de son paquet à cause de lui et il voulait en plus de cela une lui en taxer une ?

Mais qu’il s’étouffe avec du vide, pensa-t-elle de moins en moins calme intérieurement malgré le visage impassible qu’elle affiche.

Elle n’était pas l’hôpital de la charité non plus. Et elle se fiche éperduement de savoir qu’il pourrait lui en vouloir. Face à tout ce qu’elle lui a fait subir pendant ces dix années de détention ce n’était qu’un grain de sable. Mais dans l’esprit malade de l’homme qu’elle a en face d’elle, elle se doute que ce grain de sable peut prendre les allures d’une tempête.

Eh bien, tant pis. décide-t-elle. Fouttue pour fouttue, il peut bien lui tenir rancune de cela aussi. Elle n’en a rien à faire. De toute façon, il serait bientôt libre et pourra demander à des illustres inconnus. Il avait tenu dix ans sans cigarettes, il pouvait attendre encore quelques minutes.

Mais à la réflexion, peut-être aurait-il mieux valu lui donner cette cigarette pour que sa bouche soit prise et ne pas à attendre ses âneries. Dans les faits, elle sait qu’elle s’est sans doute mal exprimé. Il est absurde de rajouter de la perpétuité à la perpétuité. Elle sait qu’il se fiche d’elle allègrement et la patience de Rachel se fait grignotter minutes par minutes. Elle en vient à prier Dieu de lui donner la force de ne pas l’achever là. Elle y pense fort mais se dit qu’elle n’a vraiment pas envie d’avoir ça sur la conscience et qu’elle commença à devenir réellement misanthrope et mauvaise à force de le cotoyer lui. Ou simplement est-ce son humour bien à elle.

L’un dans l’autre, elle le fixe, cligne plusieurs fois des yeux. Ça ne la fait absolument pas rire, mais lui semble trouver la situation très drôle. Jouer le pitre, il pouvait bien le faire maintenant qu’il savait qu’il sortirait. Que pourrait-elle bien lui faire ? Pas grand-chose, en l’état. Et c’est ce qui la fait enrager intérieurement, le pouvoir qui s’échappe à présent. Elle décide de ne pas répondre, de ne rien faire, par épuisement moral ou par lâcheté intellectuelle. Il sera bientôt hors de ces murs et il n’y aura plus de barreaux pour les séparer, ni de menottes, ni quoi que ce soit d’autre.

Juste ma foi pour l’Ordre du Temple.

La suite, en revanche, est plus sujette à la faire réagir. Et pas de la bonne manière : elle avait réellement atteinte la limite de sa patience à présent.

« Vous avez raison. C’est le problème de mes patrons et je ne suis que la messagère. »

Ce qui lui allait très bien en bonne Charon qu’elle était. Mais elle notait ce qu’il disait comme un avertissement qu’elle avait déjà signalé de toute façon. Il ne lui apprendrait rien. Elle se doutait qu’Aleksei aurait du pain sur la planche. La seule chose qui était sûr était qu’elle avait un effet de surprise qui pourrait le destabiliser.

« Mais je fais confiance en mes patrons pour savoir que vous, monsieur Romanov, reviendrez et vous coopèrerez parce que vous n’avez pas le choix si vous voulez rester en liberté. »

Qu’il prenne ce nom comme un avertissement, et sans doute le devrait-il, ou comme une information factuelle, celle qu’elle connaissait un de ses noms (peu importe que cela soit son vrai nom ou pas), elle s’en fichait. Il saura bien assez tôt que les aurors qui sont dépêchés pour le surveiller et Aleksei sont deux entités différentes. Ce n’était pas son rôle de lui révéler cela et Rachel ne dirait rien d’autre.

« Avez-vous des questions sur votre liberté immédiate en l’état ? Des questions pratiques ? Je suis ici pour y répondre encore quelques minutes. Si vous n’avez rien à me dire, nous arrêtons là l’entrevue et je mets en marche votre libération dans les prochaines minutes. »

Et elle ferait bien attention à prendre la route opposée à la sienne au demeurant.

Elle a envie de le gifler pour qu’il ravale son sourire de haut qu’il a. Rachel expire et laisse un tremblement infime s’échapper. De colère, de peur aussi sans doute. Colère de la situation qui n’est pas que de son fait à lui mais de son impuissance à elle. Peur aussi des conséquences de tout cela. Elle sait qu’elle ne doit pas craquer. Pas ici, certainement pas devant lui. Mais c’est tentant de vouloir lui éclater la tête contre le rebord du lit. Rachel sait cependant qu’elle doit se contrôler. Ils ne sont plus au Fort. Cet homme va se faire libérer. Elle ne peut pas jouer ainsi avec le feu alors qu’il est si proche de la sortie et qu’il sera si proche d’elle d’une certaine façon.

Elle espère ne jamais le recroiser en dehors de ces murs et de ceux du Fort Invisible. Mais elle sait qu’elle devra lire les rapports, qu’elle continuera à le surveiller de loin. Si elle n’a aucun pouvoir de décision, cela ne l’empêchera pas d’utiliser certains de ses leviers. Pour l’avoir à l’œil, pour savoir où il est si tant était qu’il jouait le jeu. Une part d’elle ne savait plus si c’était par habitude de l’avoir sous la main ou parce qu’elle avait vraiment besoin de se rassurer en sachant. Les deux se mélangeaient sans doute dans son esprit angoissé. Au moins, l’Ordre avait une longueur d’avance et c’était énorme, suffisant aussi pour la rassurer. Un tout petit peu.

Elle espérait un peu qu’il soit un minimum déstabilisé devant le nom qu’elle utilisait. Elle fut très déçue du contraire et pas réellement surprise. S’il avait pu être le bouffon du Fort Invisible, sans doute que Luka aurait excellé à faire le pitre. Il trouvait même cela drôle. Rachel soupira intérieurement.

« Entre autre. »

En fait, elle ne savait pas les détails. Les politiques internes de l’Ordre du Temple ne l’intéressaient pas. C’était sans doute pour cela qu’elle refusait la place de Grande Sceptique depuis le temps. Elle n’avait aucune envie d’être mêlée à quoi que ce soit d’important et de politique au sein de l’organisation. Mais elle se doutait que le cas de Luka était sans doute plus ancien encore. Rachel n’avait pas creusé et ne le ferait pas. Elle savait que parfois, ne pas savoir était une façon de se protéger.

Regrettant instantanément de lui laisser la parole pour poser les questions qu’il veut lui poser, Rachel regretta le bon vieux temps où elle pouvait lui lancer un sortilège de Mutisme. Elle eut presque le réflexe d’ailleurs, l’espace d’un très court instant. Mais l’écouta et sentit le bout des doigts lui piquer. Elle avait vraiment envie d’une cigarette.

« M. Januszew saura vous trouver. Ces détails ne vous concernent pas. » répondit-elle simplement.

La façon dont s’y prendrait Alekseï ne l’intéressait pas. C’était son problème, pas le sien. Mais elle imaginait bien un sens de loup ou quelque chose du genre.

« Autre chose ? » demanda-t-elle d’une voix monocorde.

Mon Dieu, serait-ce trop te demander qu’il n’ait pas d’autres questions ? pria-t-elle non sans un certain cynisme.

Elle est toujours déçue de voir qu’il s’en tape complètement. Tant pis. Au moins sait-il maintenant que des personnes savent qui il était. Ce qui, elle l’espèrait, ferait qu’il aurait une motivation de revenir à ses rendez-vous ici. Même si c’était le problème d’Alekseï, le risque qu’il ne revienne pas était aussi le problème de l’Ordre et Rachel avait aussi peur que cela lui retombe dessus également. Elle avait beau l’avoir surveillé pendant dix ans, elle n’apprécierait pas lui courir après en dehors de sa prison.

Le regard de Rachel fixe l’homme en face d’elle qui semble ne rien prendre au sérieux. Elle n’est pas certaine ce qu’il insinue sur Alekseï. Les rivalités entre pays qui ne sont pas la France l’indiffèrent particulièrement. Rachel est une chauvine et n’est pas très versée géopolitique. Ce n’est de toute façon pas à elle de penser à cela sauf quand il s’agit de détenus qui ne sont pas ressortissants français. Cela aurait pu être le cas de Luka, mais visiblement, personne ne l’avait réclamé. Et encore, si cela avait été le cas, elle n’aurait fait que suivre les ordres de Coriolan en tant que directeur du département de la justice magique.

Elle ne répond donc rien, attendant simplement que Luka eut terminé de se donner en spectacle pour l’irriter un peu plus. Elle espérait qu’il n’avait aucune autre question mais elle savait qu’il en déciderait autrement… ce qui ne loupa pas et l’exaspéra un peu plus.

Mon dieu, mais il n’est vraiment pas pressé de sortir de prison lui…. s’exaspère-t-elle laissant s’échapper un soupire qu’elle ne cache même plus.

À quoi bon vraiment ?

Rachel porte sa main à son visage et se masse légèrement le front.

« Est-ce que j’ai l’air, Monsieur Romanov, de connaître tous les traiteurs de Paris pour que vous puissiez vous trouver une orange ? » lâcha-t-elle non sans cynisme.

Elle s’exaspère que c’est la libération la plus saugrenue à laquelle elle a eu l’occasion d’assister de sa carrière. Saugrenue et effrayante.

« Je n’ai pas de journal sur moi mais je peux au moins vous dire que nous sommes le 15 novembre 1927 et qu’il est…. » Elle sort sa montre à gousset. « Dix neuf heures trente et une. Si vous continuez à préférer poser des questions et me préter des métiers que je n’ai pas, je suppose que vous n’êtes pas pressé de sortir d’ici… »

Son ton est sarcastique au possible, mais son exaspération n’est même plus cachée. Ce guignol aura tout de même le mérite d’avoir deux ou trois choses à raconter à Basile quand elle le verrait et le faire rire connaissant le bourreau.

« Est-ce là tout ? »

Elle est pressée. Pressée que ce supplice s’arrête et qu’elle retourne chez elle pour s’y terrer.

À sa réponse, Rachel se demande si les années au Fort Invisible ont réellement fait en sorte de griller le peu de réflexion que le Romanov ou peu importe son nom, possédait encore. Était-il vraiment en train de lui avouer un délit qu’il comptait mettre en pratique dès sa sortie ?

Au moins, il rentrera plus vite en prison, pense-t-elle non sans un certain cynisme.

Cela n’arrangerait pas les affaires de l’Ordre du Temple, ceci dit. Elle souhaitait bien du courage à Alekseï avec cet imbécile. Elle décide néanmoins de se passer de commentaire et attend avec la patience inexistante qui est la sienne qu’il en finisse. Ce qu’il sembla faire à son plus grand soulagement. Déjà, elle pense sérieusement aux protections supplémentaires qu’elle allait mettre chez elle. Il faudra qu’elle trouve un moyen pour qu’Ombre et Nuit, ses deux chats, puissent sortir et rentrer sans être empêchés par ces sortilèges. Et puis sa mère, il fallait qu’elle s’assure que Sidonie soit en sécurité également. En réalisant l’état de son emploi du temps, l’angoisse de Rachel monte d’un cran. Tant pis, elle ferait l’allée retour sur une nuit même si ce n’était pas pratique.

Sa dernière phrase lui déclenche un frisson de terreur qui n’apparait pas sur son visage. Elle haït qu’il utilise son prénom. Celui-ci sonne terriblement mal dans sa bouche.

« Faites votre vie, Monsieur Romanov. Si vous ne souhaitez pas retourner entre mes murs, je vous conseille de persister dans la voie d’une possible rencontre.  Et pour vous que ce soit ici au Fort ou dehors, ce sera toujours Madame Fabre, pas Rachel. » marque-t-elle froide, souhaitant conserver cette distance comme si elle l’arrêterait d’une prochaine rencontre.

Se levant, la directrice du Fort Invisible se détourna pour toquer fortement à la porte de la cellule qui s’ouvrit. Son regard se posa sur les deux gardiens à qui elle adressa un signe de tête.

« Monsieur est prêt. Raccompagnez-le à l’accueil pour qu’il récupère ses affaires avant son départ. »

Elle refusait de le toucher ou d’utiliser sa magie pour le libérer de ses menottes magiques. Sans un mot ni un autre regard, elle s’éloigne de son pas inégal avec cette envie terrible de cramer les trois dernières cigarettes le plus vite possible.