cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
(#) cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Emile Teyssier lecheek to cheek
@Neith Shafiq & @Emile Teyssier
le 2 novembre 1927
cw : sexualité implicite, alcool
◊ ◊ ◊
Ses bretelles claquent contre son torse alors qu’il ajuste son gilet de veste cintré d’un mouvement, joli minois s’agitant déjà au rythme de la voix d’Ella. Sur scène, radieuse, regard survolant la foule survoltée, elle ensorcèle tout mortel qui s’est vu errer jusqu’au Chansonia. Il la dévore des yeux, prunelles rivées sur ses mouvements de mains, habile connaisseur de ceux qu’elle sait autrement procurer, des milles plaisirs qu’elle s’éprend à donner. Le rhum au fond de son gosier ne fait que gommer le souvenir de ses baisers, et il aimerait se détourner du bar trop rempli, dire un bonjour solitaire à son pieu, pour une fois ; seulement l’ardeur de leurs émois d’avant-scène font encore vibrer son coeur d’un trop plein d’énergie à relâcher. La belle est trop occupée à charmer tout le Canal St-Martin, à faire tanguer la péniche, pour qu’il n’aille ravager à nouveau sa peau de baisers, aussi finit-il par défaire son regard d’Ella. Ils se laissent aller, à l’occasion, quand le temps se fait trop long, apprennent à redécouvrir les différentes manières qu’ils ont de dire oui ; Emile craque plus souvent que non, quand il vient ici, et que Sa danseuse se fait toujours portée disparue.
Il exagère, Emile - c’est dans ses manières, excusez-le. Ce n’est qu’un bourgeois, comprenez-vous, et de province, qui plus est. Un de ceux qui s’est pâmé, en arrivant pour la première fois au Chansonia, devant le faste de l’art déco qui meuble les lieux, transi d’inspiration devant les motifs de tels ou tels piliers. Faut-il le faire, pour apprécier d’abord les meubles et tapisseries aux demoiselles et gentilshommes qui dansent leurs meilleurs Charleston. Bien vite, son corps s’était laissé guider vers la piste, loin des fauteuils en cuir trop engoncés, loin du bar trop bondé, loin sur la piste, où chacun s’évite avec la grâce des gens qui savent tourner bras et jambes au rythme des chanteurs et musiciens. Ses premiers pas avaient été hasardeux, presque dangereux, tirant des rires habitués des piliers de la piste ; on lui avait appris, à sentir venir le pas, à guider au mieux ses partenaires, à se laisser guider, quand une main venait lui attraper le coude et l’inviter à virevolter sur scène.
Bientôt quinze ans, si ce n’est vingt, qu’il s’abandonne à des danses, d’abord moins endiablées qu’aujourd’hui. Ici, les rythmes sont jouissifs, jambes et bras désaccordés, kick devant, pas derrière — il en a vu passer, lui aussi, des tout blancs de la danse qui ressortent du Chansonia les yeux grands ouverts et le coeur qui palpite comme la première fois qu’on découvre ce qu’elle vaut, la vie. Il en a fait danser, des femmes plus belles que Morgane, des hommes plus chauds que les royaux, tant qu’on pourrait l’imaginer les oublier, Emile, plus encore au coeur de ces nuits où l’alcool et son foie se réunissent, bras dessus bras dessous, jusqu’à ce qu’une gorgée de trop ne lui rappelle les limites du corps humain.
Certains se démarquent, toutefois, et viennent ravir le couturier, qui n’est plus qu’un parisien d’adoption comme tant d’autres, sous les voiles du Chansonia ; il y a des figures qui le font se trémousser d’avance, des regards qu’ils croisent qui lui assurent des danses endiablées, ponctuées de rires passionnés. Il y a eu, longtemps, la silhouette de Neith, singulière parmi toutes les autres, qui savait lier technique et inventivité de telle sorte qu’Emile se perdait volontiers sur la piste à ses côtés, trop heureux de n’avoir à penser à rien, si ce n’est de prédire le pas d’après, le saut qui les ferait sourire plus large qu’avant. Ça le démange déjà, rien que d’y repenser, et il regrette sa présence sur la piste, dépourvue de ses talons endiablés depuis trop de temps déjà.
La grogne le regagne, aussi délaisse-t-il la foule du regard pour rattraper l’attention du barman. Un nouveau verre est glissé entre ses doigts, qu’il se surprend à siroter plutôt qu’à déglutir. On le connaît assez, maintenant, pour ne pas venir l’inviter à danser, quand il est ainsi adossé au comptoir. C’est lui, qui cherche la perle rare, celle ou celui qu’il traînera jusqu’au bout de la nuit - ou jusqu’à ce qu’Ella délaisse le micro et vienne s’enrouler autour de sa taille. Ses yeux s’arrêtent, enfin, sur un homme face à lui, l’allure mutine, le sourire enchanteur ; d’un geste de la tête, l’invitation est faite. Les derniers grains de sable de vingt-deux heures coulent, dans l’horloge du temps, alors qu’Emile finit d’un cul sec l’alcool dans son verre, vite abandonné au comptoir. Plus une pensée n’est tournée vers le rhum qui gratte encore sa gorge, son sourire se fait le reflet de l’excitation qui le prend. Danser, enfin - le nouvel air qui fait vibrer les murs de la péniche s’apprête à mener les corps vers l’égarement tant recherché. Il n’y a plus que quelques pas entre l’inconnu prêt à l’emmener au paradis et lui, quand un reflet, à trois heures, le fait s’arrêter net. Carnassier, son sourire s’effrite pour laisser éclore un rire extatique.
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Anya d'Apcher
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(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Neith Shafiq leElle ne sait pas quand cela s’est dénoué chez elle. Était-ce parce que cela faisait moins mal à présent et que certaines autres étapes de sa vie étaient passées ? Ou l’ennui des soirées solitaires ? Ou le manque des sensations du corps qui se mouve sur la piste de danse jusqu’à ce que le soleil ne se lève ? Cela n’avait pas d’importance finalement. Le fait que lorsque Tarek lui avait dit de songer à prendre une soirée pour elle avant tout ce qui l’attendait, l’idée avait éclos dans sa tête comme une réminiscence d’une vie passée. Depuis toujours, « les soirées pour elle » avaient été aussi simple que cela : danser dans le cocon de la salle de danse chez eux pour s’entraîner encore et encore sur des danses qu’elle ne peut pas faire en société avec sa mère pour professeure, son frère à l’accompagnement, sa sœur au chant. Puis, plus tard cela avait été ces soirées au Chansonia, au moins une fois par semaine, avec Alaric ou seule. Elle se souviendrait toujours lui qui lui fait la surprise de l’emmener au Chansonia pour la première fois. Son idée avait été de lui faire plaisir et cela avait réussi. Par la suite, elle était venue avec ou sans lui. Parfois, ils ne dansaient qu’une ou deux danses avant de passer la soirée avec d’autres illustres inconnus ou habitués.
Elle avait adoré cette liberté des rencontres qu’elle y avait fait et surtout cette occasion nullement manquée que de danser et faire danser. Dans tous les moments difficiles de sa vie, Neith s’était vue sauvée par la danse et elle sait que si elle n’avait pas pu se rendre physiquement au Chansonia, elle avait continué de danser pour elle-même dans l’intimité de son chez-elle. Ce soir, cela ne suffisait plus et elle se rendait compte que le manque des soirées au Chansonia lui manquait affreusement.
L’excitation filant dans ses veines, elle avait décidé qu’elle devait y retourner. Il fallait refaire des souvenirs, en recréer d’aussi beau que ceux qu’elle avait vécu dans sa vie de Lestrange. Elle ne laisserait pas la mort lui retirer cela comme elle n’avait jamais laissé celui qui lui avait fait du mal lui retirer la danse.
Cela passait également par reprendre ses petits rituels d’avant soirée de ce genre. La robe sera framboise ce soir avec quelques sequins, suffisamment large pour lui permettre de faire des mouvements sans problèmes avec sa flexibilité entretenue. Ses bijoux n’étaient pas trop ostentatoires. Elle sortait, oui, mais elle n’était pas dans une soirée tant guidée. Il en allait de même pour son maquillage tandis que ses cheveux étaient laissés libres. Devant le miroir, elle ne peut s’empêcher d’être un peu émue de se retrouver ainsi. Il n’y a plus Alaric pour lui dire qu’elle est belle mais elle sait qu’il l’aurait pensé.
Le manteau sur les épaules, elle glisse un baiser sur les joues de ses parents qui s’amusent de son comportement et lui souhaitent une bonne soirée. Et de cette soirée, elle comptait bien en profiter. Le portoloin attérit comme toujours dans la rue qu’il faut, non loin du Chansonia sur le Canal Saint Martin. Plus elle s’en approche, plus elle sent que l’excitation monte. Elle aime la sensation d’avant arriver. Elle reconnait les arbres, entend déjà la musique de loin qui s’échappe de la péniche, reconnait les bâtiments, voit quelques enseignes ont changé depuis ces trois longues années. Lorsqu’elle le voit, enfin, le Chansonia, c’est les étoiles dans les yeux de la provinciale qu’elle est encore un peu qui s’allument.
Son pas la guide devant le videur.
« Bonsoir Adrien, je suis contente de te retrouver. »
« Madame Lestrange… quelle surprise ! »
Si l’emploi de son ancien patronyme déclenche quelque chose chez elle, une sorte de mélancolie mélangée à de la tristesse, Neith n’en laisse rien paraitre et vient délicatement prendre la main qu’il lui offre pour monter sur la passerelle.
« Allons, tu sais bien que ce soir, comme tous les autres, c’est uniquement Neith. Merci, et bonne soirée à toi. » répond-t-elle avec un sourire aussi complice qu’amusé.
Elle sait qu’elle reviendra sans doute plus tard lui offrir de l’eau avec les fumeurs qui composent son entourage ici. Elle déteste la cigarette et surveillait étroitement Alaric parce qu’elle détestait l’odeur sur lui, mais elle avait toujours une pensée, un mot pour le videur présent.
Alors qu’elle rentre enfin dans la péniche, elle se demande un instant si ici, tout a changé en presque trois ans. Une part d’elle en a terriblement envie de se dire que rien ne lui rappellera son mari. L’autre aimerait que rien n’ait changé pour rester un peu plus dans cette nostalgie. Au petit vestibule, elle est immédiatement reconnue et laisse sa veste sans rien payer de la consigne. Enfin, elle arrive dans la salle. C’est d’abord les odeurs qui lui parviennent. Celles de l’alcool qui flotte, de la fumée de cigarettes, de la transpiration des danseurs. Puis, c’est le bruit, les rires, les discussions, mais surtout la musique qui est déjà entraînante. Elle reconnait quelques visages et se demande si Astérie, la pianiste est ici. Mais surtout, c’est Emile qu’elle cherche. Se dirigeant néanmoins un instant vers le bar, elle se rappelle avoir également pris des pauses entre deux pas de danse ici, à écouter les drames et les histoires, à imaginer celles du comptoir d’en face également en prenant les paris avec Alaric ou avec Emile ou quelques autres danseurs et danseuses qu’elle appréciait. Sans doute qu’on lui ferait définitivement rattraper les ragots qu’elle avait manqué.
C’est pourtant lorsque le barman la voit qu’il s’exclame avec chaleur :
« ¡Faraóna! ¿Cómo estás? Pharaonne ! Comment vas-tu ? »
« Muy bien, querido. Estoy muy feliz por haber vuelto. ¿Has visto a Emile? Très bien, mon cher. Je suis très contente d’être de retour. As-tu vu Emile ? » répondit-elle dans un espagnol parfait et sans hésitation aucune.
« En la pista de baile... ¡Ah, aquí! Sur la piste de danse… Ah ici ! »
Neith se tourne vers l’endroit indiqué par le barman d’origine argentine et elle le voit alors. Un sourire amusé se dessine sur les lèvres de l’égyptienne. S’il y avait bien une personne qui lui avait manqué, c’était bien lui. Avec Emile, elle s’était autorisée autant de technique que d’inventivité à l’en faire suer. S’il y avait également bien un endroit où Neith pouvait frimer, c’était bien la piste de danse.
« Gracias, querido. Merci, mon cher. »
Et déjà, même si elle entend par le barman qu’elle aura sa boisson habituelle toute à l’heure, elle se dirige droit sur Emile. C’est à cet instant également qu’elle remarque l’autre homme vers lequel Emile semblait également aller. Lui, elle ne le connaissait pas. Une danse à trois ? C’était une façon comme une façon de refaire honneur au Chansonia et surtout à Emile. Cela ne serait pas la première fois non plus qu’elle vogue entre deux danseurs sur une même chanson. Neith aimait ce genre de défi.
En voyant l’air d’Emile, elle éclate de rire en même temps que lui et lui prit sa main, puis, tendit la main à l’autre homme comme une invitation.
« Messieurs. Me feriez-vous l’honneur pour mon retour de m’accorder tous les deux cette danse ? » Pourquoi choisir ?
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le 2 novembre 1927
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Elle s'avance vers lui, fière et magnifique ; déjà, elle hypnotise Émile. Sa robe flatte sa silhouette, sequins captivant ça et là les prunelles du couturier, qui ne se lasse de la dévorer du regard. Sa coiffe est discrète, son maquillage sublimant uniquement sa beauté naturelle ; il faut qu'il lui dise, qu'il la fasse rougir d'oser se présenter si charmante devant lui, après tant d'années. Peut-il, toutefois, ou la bienséance doit-elle lui tenir la langue, maintenant que c'est une femme veuve qui le met dans de tels états, et qu'Alaric n'est plus là pour rire de les voir se tourner autour et s'échanger taquineries dignes du plus enfantin des flirts. Il n'a pas le temps de plus y penser, tête tournant de l'alcool consommé, rationalité tapée d'un Oubliettes, car déjà la voilà, à deux pas, son rire se conjugant au sien.
Sa main vient attraper la sienne, qu'il tend sans même y penser vers sa Danseuse, cœur tout en émoi d'enfin la retrouver. Celui qu'il s'apprêtait à rejoindre est déjà tout oublié ; il n'y a que la Shafiq pour le faire danser, ce soir. Elle le prend au dépourvu, alors, car de sa deuxième main, la veuve fabuleuse invite l'Oublié. Sa bouche s'entrouvre, rendu bête de se voir invité à partager un plaisir tout juste retrouvé. Il gronde, alors, le Teyssier ; il gronde de rire, torse bombé, corps chancelant presque vers la belle. « À peine revenue parmi les nôtres que tu prends déjà plaisir à me torturer, vile Aphrodite », susurre-t-il. Ne sait-elle pas, qu'Emile a toujours l'enfant Teyssier au fond du cœur, et que sa jalousie n'a d'égale que sa possessivité ? Les retrouvailles partagées seraient aigre, au fond de son gosier, s'il n'avait pas les trois quarts de sa peine déjà gommés à la voir ainsi radieuse, jouissant d'un retour sur la piste. Sa main ne quitte pas celle de la danseuse, douce caresse du pouce se faisant distraitement sur sa peau, quand il se tourne vers l'Oublié. Il le titille, langue mutine : « Ne sais-tu pas ta chance, joli cœur ; c'est une des fées du Chansonia qui te fait l'honneur de l'endiabler, ce soir, Neith la fabuleuse ».
L'homme a les yeux luisants, de hâte ou d'hydromel, Morgane seule le sait, et son air fait rire, encore, Emile. L'humeur lui est facile, maintenant, tout ennui envolé. L'inconnu attrape leurs mains, à tous les deux. Sa voix pétille, aussi fraîche qu'un suçacide, quand il s'exclame : « Allons danser, alors, qu'on ne dise pas qu'Henri et... » ; un temps mort, un regard pour le Teyssier, qui baise sa main d'un mouvement vif : « Emile » ; des yeux levés au ciel, que trahissent des lèvres frémissantes, et l'Ami poursuit : « qu'Henri et Emile aient gâché votre retour, Neith la fabuleuse ». Son cœur palpite, son corps pourtant encore loin de l'adrénaline que lui procure toujours un instant sur la scène, attisé déjà par ce trio qui se cherche. La frustration le gagne presque : il faut qu'ils soient, vite, à s'abandonner à la musique, plutôt qu'à dialoguer.
Le sang chaud, il glisse ses doigts entre ceux de Neith, cherche à la tirer vers lui, main toujours fermement scellée sur celle d'Henri. « Tiendras-tu le rythme, ambitieuse que tu es ? ». Sa réponse tombe alors qu'Henri les guide sans attendre, pas pressant, les invite à se faufiler entre les danseurs déjà à l'œuvre, s'arrête là où ils auront tout à loisir de se mouvoir aux rythmes de leurs sourires. « Tu mènes la danse, joli cœur ? », lance Émile. Henri tape du pied, cinq, six, sept et huit ; le voilà parti, genoux fléchés, torse en avant, bras valsant en arrière. Il se fait taquin, délaissant Émile sur les premiers mouvements pour s'accorder un pas de danse avec Neith. Le couturier les couve du regard, cœur docile pour une fois, trop occupé à vrombir d'être sur la piste. Piano et trompette donnent le tempo, viennent porter le corps du Teyssier. Son regard croise celui de Neith, exalté, répondant à la symphonie déchaînée que leurs mouvements s'amusent à écrire. Ils vont vite, toujours plus vite, une énergie mordante agitant jusqu'à leurs orteils ; et Emile rit.
C'est contagieux, il ne peut le retenir, quand il voit la jouissance sur les traits d'Henri. Kick, step, kick, step, les pas s'enchaînent et s'interdisent toute lassitude. Il espère qu'elle y prend plaisir, au moins autant que lui, que son corps reprend en mémoires ses habitudes passées, et renoue avec son aisance à innover. Il veut qu'elle ressorte de piste assoiffée, éreintée, le corps assommé mais heureux. « Ça t'avait manqué, pas vrai ? ». Il a le souffle court, tandis qu'ils tournent autour de Neith, pièce maîtresse de leur Charleston, claquement de mains venant marquer le tempo. Ses doigts le démangent, voulant goûter sa peau contre la sienne, s'ennuyant du seul souvenir des danses à deux. C'est qu'il ne peut résister plus longtemps, Emile, et vient saisir sa main, la laisse glisser dans son dos pour la mener contre lui et la faire tourner, une fois, deux fois, baby steps guidant leurs jambes. Sur un clin d'œil, il la relâche en rythme, qu'elle finisse dans les bras d'Henri. Et Emile suit, jamais loin derrière, improvisant sans gêne ni honte, trop heureux de voir qu'ils savent tous deux mêler leurs pas aux siens. Ah, Morgane, voilà des lustres que le Chansonia n'avait pas été aussi doux.
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(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Neith Shafiq leQu’il est bon de le retrouver son rire répondant au sien. Si elle le voit déjà flatter sa silhouette d’un regard appréciateur, elle sait qu’il n’a que les aiguilles dans l’œil. Elle sait qu’il y a une bonne dose de charme dans ce regard, ce charme avec lequel elle s’amusait autant qu’il s’amusait. Flirter n’a jamais fait de mal et avec Emile, c’était toujours leur façon de communiquer. Il faut dire que danser a toujours été intime pour Neith, d’autant plus avec la même personne sur plusieurs danses lorsqu’il s’agissait des hommes. Hormis son père, son frère et son époux, rares étaient exceptions qui avaient cet honneur. Emile en faisait partie. À force de danser, ils se connaissaient suffisamment pour savoir se parler sans parole. Le corps ne mentait jamais et encore moins en danse.
Et elle sait à la façon dont sa main semble surprise qu’il ne s’attendait pas à demander deux danses en même temps. Dans le fond, elle le sait : Emile est un être facilement jaloux. Si elle sait en jouer par taquinerie, elle ne le fait pas par malice en cet instant : de l’égoïsme sans doute et de l’égo surtout. Elle a des choses à se prouver et Emile ne peut les satisfaire en l’instant. Se rappeler qu’elle peut le faire. Rappeler au tout Chansonia qui elle était, là, sur cette piste de danse. Ce rappel ne se faisait cependant pas sans froisser un Emile déjà torse bombé, l’appelant Aphrodite pour la flatter autant que parce que c’était finalement vrai. Un gloussement amusé s’échappe des lèvres de Neith.
« Mon cher, tu m’auras toute la nuit si tu le souhaites. » lui fit-elle un clin d’œil, consciente du double sens de cette phrase et se sentant heureuse de retrouver cette dynamique. Et devant ses compliments pour titiller l’autre, Neith fit un geste de la main comme si elle ne pouvait accepter le compliment, avant de répondre théâtrale : « C’est vrai, ça, que je suis une fée et fabuleuse... » Elle rit mi-sérieuse, mi-taquine.
Et puis, il est temps d’arrêter de rire, car la danse est toujours sérieuse et Neith ne compte pas laisser passer sa chance. Henri donc, récupère sa main et elle laisse son autre à Emile qu’elle serre avec une douceur tout affectueuse. Déjà son corps se fait tirer vers son partenaire préféré et un large sourire se dessine sur son visage à sa presque provocation sur son rythme. Les yeux brillants de malice, elle répondit :
« Toujours, mon Emile. »
Déjà, elle suit Henri et Emile et sent l’excitation courir dans ses veines. Déjà, sa démarche se modifie pour prendre un air plus sensuel et félin plus naturel que ce qu’elle fait en dehors de la piste de danse. S’il y a bien un endroit hormis l’intime où elle peut montrer tout l’étendue de sa féminité, c’était bien lorsqu’elle dansait. Extatique, l’égyptienne observe un instant Henri qui donne le rythme et échanger avec Emile. C’est suffisant pour que Neith note deux choses : d’abord que la technique d’Emile avait évoluée en son absence, puis, qu’Henri avait encore besoin d’entraînement mais s’en sortait plutôt bien. Neith ne discriminait jamais sur une piste de danse. Cela lui était arrivée de danser avec des débutants complets et de les aider à progresser des heures durant avec patience et bienveillance. Mais elle appréciait aussi les très bons danseurs et danseuses et apprenait tout autant de ces derniers qu’eux d’elle. Ainsi, danser avec quelqu’un de nouveau comme Henri n’était qu’une question d’attention et lorsque son tour vint, Neith se montra très sage pour le tester et s’habituer à son rythme. Mais peu à peu, c’est elle qui donne un rythme plus rapide pour pousser un peu le Henri. Et puis Emile, et puis Henri, et ainsi de suite. Le corps reprend ses habitudes et sa mémoire est éternelle. Neith sourit satisfaite et ferme un court instant les yeux pour se rappeler les sensations et les accueillir avec autant de féliciter. L’énergie qui vibre entre eux trois la fait rire d’un rire haut et franc, rejoint celui d’Emile qu’elle couve d’un regard aussi fiévreux que reconnaissant. Le souffle court, le cœur qui tambourine, Neith se sent vivante. Le monde autour d’elle n’existe plus. Il n’y a que ses deux danseurs, son corps, la musique et les prochains mouvements à anticiper.
« Tu n’as pas idée ! » répond-t-elle tournant sur elle-même avec ses pas aussi maitrisés que sensuels. Elle se laisse guider jusqu’à Emile, passant derrière lui pour revenir dans ses bras et lui sourit aux anges, lumineuse si cela était possible avant de finir dans les bras d’Henri pour danser encore un peu avec lui.
La musique termine sa dernière lancée et Neith danse jusqu’au bout avec l’un puis l’autre et lorsqu’enfin le morceau s’arrête et que les applaudissements résonnent, elle s’arrête essoufflée mais définitivement heureuse. Les signaux de son corps sont tous verts. Elle se sent aussi légère que l’air. En riant, elle vient prendre un instant les mains d’Henri qui a le regard pétillant :
« Mon cher Henri, merci pour cette danse. J’espère que nous aurons l’occasion de nous recroiser. »
Lui vient porter ses deux mains à ses lèvres et lui adresse une œillade aussi extatique que reconnaissante :
« Neith, la fabuleuse, ce fut un plaisir. »
Elle relâche sa main et le voit se tourner vers Emile pour le saluer. N’interrompant pas l’égance, Neith attend simplement qu’Henri s’éloigne pour s’approcher d’Emile. Elle ne donne pas réellement de signe mais déjà ses bras se referment autour de son cou et elle le prend dans ses bras.
« Qu’est-ce que tu m’as manqué ! » s’exclame-t-elle, presque enfantine. Prenant son visage dans ses mains délicates, l’égyptienne observe son ami le regard pétillant. « Promis, je ne te fais plus d’infidélités. On danse ensemble autant de fois que tu veux et… je veux tout savoir de ce que j’ai manqué ! » Rattraper le temps perdu de cet hiver où elle s’était repliée sur elle-même. Ce soir, c’est le début du printemps pour elle et elle ne pouvait pas rêver mieux que de le passer avec Emile.
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Il a le corps qui vibre encore, tant de l'effort que de la joie indicible qui pulse dans ses veines. Son sourire est ridicule, tant il est grand, alors que Neith glisse d'entre ses doigts pour offrir un final endiablé à leur danseur d'un instant. C'est sous les applaudissements qu'ils s'arrêtent, Emile déjà transi. Il observe, silencieux, curieux, nostalgique, presque, de la danse sociale de sa jolie, les remerciements et adieux sincères qu'elle adresse à Henri. Ses lèvres s'étirent, comprend là qu'il la retrouve, enfin, pour lui entier, lui tout seul. Le petit monstre trop facilement possessif qui viendrait lui faire racler la gorge, s'il était plus loup qu'homme, peut aller gentiment s'allonger dans un coin de ses pensées. Le jeune homme se tourne vers lui, regard toujours aussi pétillant qu'aux premiers pas de danse. Emile fait un pas pour se rapprocher, laisse ses lèvres frôler sa joue, taquiner le coin de sa bouche, flirtant toujours avec les limites de l'indécence. « Fais-moi signe une prochaine fois, joli cœur. » Déjà, il l'abandonne pour retrouver le regard de Neith et lui offrir le sien, taquin. « Ce soir, je suis tout à cette fée fabuleuse ». Le rire d'Henri lui répond, un « Je n'y manquerai pas » susurré avant de les délaisser.
Il n'y a pas de temps mort. Il y en a rarement, quand une femme telle que Neith se tient devant vous. Déjà, elle est à deux pas, bras autour de son cou. Leur étreinte est trop brève pour compenser les mois d'absence ; Emile profite de chaque seconde où son corps, vivant, heureux, revenu parmi les leurs, est blotti contre le sien. Son exclamation de joie ne fait que rebondir contre celle du couturier, qui ne peut faire semblant d'être blasé. Soyons honnête : il n'y est pas arrivé une seule seconde, depuis qu'il a vu ses talons claquer la piste du Chansonia. Il la laisse prendre ses joues entre ses mains, s'amuse déjà de combien son sourire fait remonter ses pommettes. Emile savoure sa délicatesse, et la facilité des gestes, que leur éloignement n'aura su empêcher. Ils se tournent autour, se répondent, se frôlent comme ils l'ont toujours fait ; il règne, entre les deux danseurs, cette confiance sereine d'un couple qui se sait bon vivant, se sait amoureux des danses et des corps qui se cherchent, sans pour autant désirer un abandon plus intime dans une chorégraphie plus sensuelle. Elle le rassure, toutefois, lui promet toute dévotion. « Si tu savais combien j'ai attendu ces mots », soupire Emile, joueur, singeant un air des plus dramatiques. Il se penche légèrement vers Neith, mains venant encercler, tout aussi délicatement qu'elle, les poignets de la danseuse. « Je ne sais pas comment je vais pouvoir rattraper tous les potins que tu as raté en une seule soirée », poursuit-il, murmurant ces mots entre eux comme on glisse une grande confidence. « Il va falloir me promettre de revenir, vite, si tu veux être à jour. »
Sous les airs amusés et les murmures rieurs, se cache la peur, timide peut-être mais présente assurément, de ne plus la voir swinger à ses côtés. S'il s'est habitué à faire sans elle, il ne pourra supporter de revenir valser entre les corps du Chansonia si elle venait à ne plus y mettre les pieds, encore. C'est, qu'à peine sa Danseuse retrouvée, il s'était déjà habitué à l'avoir près de lui, tout à lui. Ses doigts, tendres mais crispés, sur les poignets de sa jolie semblent souligner ses pensées. Un sourire, un autre, pour alléger l'instant, tandis qu'il tire ses bras vers le bas et dépose un baiser sur son front. Là, il murmure quelques mots, sincérité frôlant sa peau. « C'en est ridicule, comme tu m'as manqué. »
Ses lèvres se détachent d'un bruit sourd qui le fait rire alors qu'il la tire vers le bar. « Allons, j'ai bien trop d'histoires à te raconter, laisse-moi t'en glisser quelques unes le temps de savourer un des cocktails d'Agusto. » Leurs verres sont déjà prêts, le barman délaissant la liqueur facile dont s'abreuve Émile quand l'ennui le prend pour lui offrir une préparation plus piquante. Il tapote le siège dos au comptoir, veut être debout, au plus près de Neith pour lire chacune de ses expressions et rire de ses réactions. « Par quoi veux-tu commencer, la crise de jalousie d'André, deux jours après ses fiançailles avec Agusto, ou… » Il fait semblant de réfléchir, les meilleurs ragots du Chansonia déjà trop au devant de son esprit pour avoir à replonger bien loin. « Ou l'histoire de cette jeune danseuse, si peu douée, et vraiment, ma douce, nous en avons vu passer, des incapables, qu'Adrien a été obligé d'intervenir. » Emile hausse un sourcil, main venant frôler le bras de sa Danseuse pour saisir son verre, quand il ajoute : « J'ai aussi celle de ce danseur délaissé, trop souvent boudeur au comptoir, devenu si sélectif dans le choix de ses danseurs qu'il prend l'allure d'un sang-bleu coincé, mais j'en suis, étrangement, moins friand. » Fausse petite moue vient clore son exposé, vite gommé d'un rire gamin.
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Anya d'Apcher
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(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Neith Shafiq leElle observe avec amusement Emile faire. Il est si drôle de le voir flirter, lui qui n’a jamais été aussi naturel que sur une piste de danse. Il faut dire que Neith ne le côtoie pas en dehors du Chansonia et cela lui va. Il y a des personnes qu’elle aime bien garder à un endroit parce que ce qu’ils ont est beaucoup trop pur pour laisser l’extérieur venir ternir leur relation d’une quelconque façon. D’une certaine façon, Emile a le privilège de voir le seul visage où elle est totalement elle-même. Loin des mondanités où elle joue un rôle. Loin du travail où, si elle est un peu elle-même, elle ne parle que chiffres et art. Lui peut constater qu’elle n’est qu’une femme comme une autre qui rit, qui danse et qui vit. Elle, elle peut constater qu’il est un homme comme les autres qui rit, qui danse et qui vit. Elle aime cette légèreté qu’ils ont et qui lui a tant manqué. La légèreté qui manque beaucoup en ce moment au caractère si officiel que la politique de son père lui fait perdre.
La légèreté de l’étreinte est aussi douce que rassurante. Il n’a même pas changé de parfum et d’odeur. Ses vêtements pour danser sont toujours de qualité. Comment, d’ailleurs, ne le seraient-ils pas alors qu’il est couturier ? Tout revient naturellement comme s’ils s’étaient quittés hier. Et dans cet échange, Neith ne peut s’empêcher de se sentir un peu émue qu’elle cache derrière un grand sourire. Sourire qui se transforme en un rire comme elle en offre peu et qu’elle en a peu eu sur ces trois dernières années : un éclat de joie comme le tonnerre. Ce qu’il veut qu’elle promette lui rappelle l’innocence de Ruben qui, lui aussi, a été traumatisé de ne plus la voir danser. Un sourire d’une tendresse toute émue qu’elle ne cache plus se dessine sur ses lèvres et droit dans les yeux, avec le sérieux d’un Serment, elle répond :
« Je te le promets de revenir danser aussi vite que je le peux. Je ne partirais plus comme cela. »
Elle sent la crispation, légère, mais si éloquente sur ses poignets et voilà qu’ils se sourient pour alléger la promesse pleine de gravité. Elle ne veut pas penser à la mort qui lui a tant retiré. Mais il parvient à la faire rougir à répéter qu’elle lui a tant manqué. Pourtant, voilà déjà qu’il la tire vers le bar et qu’elle le suit avec bonne humeur.
« Ça aussi, cela m’a manqué. ¡Muchas gracias, Agusto! Merci Agusto ! » s’exclame-t-elle à l’intention du barman qui lui fit un clin d’œil. Elle savait qu’il lui avait fait son habituel martini de début de soirée.
Avec la souplesse d’un chat, Neith s’asseoit sur le tabouret et vient se saisir de son verre tout en écoutant Emile sans le quitter du regard. Heureusement d’ailleurs qu’elle ne buvait pas immédiatement car en apprenant qu’Agusto et André avaient été fiancés, elle s’exclama :
« Attends, quoi ? Comment ça vous avez été fiancés ? »
« ¡Ah, Faraóna! Ah Pharaonne !Je laisse Emile raconter. Il le fait mieux que moi. » intervint ce dernier en essuyant un des verres.
Mais Emile continua et cette fois-ci, Neith rit un peu, peinée pour la fameuse danseuse nulle mais commentant : « Au moins, elle ne peut que s’améliorer …. » Et elle trinqua avec Emile après l’avoir senti frôler son bras. Son rire trouve écho à celui, chenapant d’Emile et après avoir prit une gorgée de son verre, elle commenta à son tour : « Il faudra que tu me montres qui s’est que je puisse lui montrer que les classes n’ont pas lieu sur une piste de danse… » Un sourire de requin, celui qu’elle offrait quand elle comptait faire une bêtise ou simplement montrait son côté peste, s’inscrivit sur ses lèvres.
Reposant son verre, Neith vient délicatement prendre la main d’Emile et en caresser le dos, ne pouvant s’empêcher de se montrer tactile avec ce dernier. La danse avait de cela de faire qu’elle rechignait moins aux contacts masculins et elle avait confiance en lui.
« Allez, commence pas Agusto. Tu en as dit trop ou pas assez. »
Elle savait qu’Agusto allait sûrement intervenir entre deux clients à servir, mais elle n’avait d’yeux que pour Emile qui faisait autant son spectacle ici que sur la piste de danse.
(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Emile Teyssier lecheek to cheek
@Neith Shafiq & @Emile Teyssier
le 2 novembre 1927
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Sa réponse lui tombe au creux de l'oreille, comme un serment de l'amitié. Neith dansera. Il lui faudra extraire cette promesse de ses pensées et lui offrir un cadre précieux, une fiole bien plus tendre, bien plus solide que le verre fragile de son esprit. Sûrement trouvera-t-il un récipient aux airs du Chansonia, respirant l'Art Nouveau et suintant de chaque couche de matériaux l'amour et la joie. C'était là l'envie véritable qui l'agitait, alors qu'il se raccroche à ses mots comme un pianiste aux touches de son instrument, et un sorcier à sa baguette. Il ne s'attarde pas plus sur leurs émois, conscient qu'ils se sont autorisés là une transparence et vulnérabilité propres seulement aux quelques premiers temps d'une réunion heureuse. Bien vite, il faudra remplacer les larmes par la gnôle, remplir le gosier de ce que l'émotion aura déshydraté. Il s'y précipite, alors, gestes retrouvant allégresse, mains furtives entre celles de la danseuse, qu'Agusto attend avec presque autant d'emphase que lui. Leurs boissons sont prêtes, martini côtoyant whisky sec. Il s'aventurerait volontiers à mélanges plus originaux, mais quelques verres se mêlent déjà à ses globules, et l'enfant Teyssier veut valdinguer toute la nuit durant.
Le Carcassonais fait durer son verre, trempe à peine les lèvres avant de reprendre la parole, récit endiablé prêt à glisser entre les tympans de la curieuse. Un éclat de rire vient ponctuer l'exclamation de Neith à l'annonce de fiançailles, Emile observant joyeusement le barman lui laisser tous les honneurs de raconter l'affaire. Il en recadrerait presque les épaules, tel un paon bien heureux, mais il faut lui donner toutes les pistes de potins. Rien, bien sûr, ne surpassera cet épisode - et s'il la connaissait un peu, Neith sans peine viendra le titiller à nouveau pour avoir le fin mot de l'histoire. Elle s'est faite gentille, en attendant, pleine de commisération pour la danseuse affolante de son manque de talent. Emile n'a pas le temps de s'effrayer de son potentiel ragots ramolli, qu'elle reprend parole et glisse, sur un petit air de peste parfaite, ses envies de conseil sec. Le couturier en a les yeux qui pétillent, son rire gamin faisant écho à ses paroles enfantines.
Quelques gorgées de whisky viennent effacer les médisances alors qu'il attend, aussi patiemment qu'un Teyssier désoeuvré ne le puisse, le choix de potin de la soirée. Comme pour calmer ses trépidations, Neith vient saisir sa main, doigts fins caressant les siens. Ses prunelles retombent sur ce spectacle intime, qu'il prend le temps d'apprécier - rares sont les contacts, sur cette piste, où la tendresse est facile, et ne cherche pas à s'enflammer de passion. Les mains, qui prennent bien vite le chemin des hanches, pour serrer contre soi les corps, sont cette fois-ci toutes dociles et curieuses des caresses apportées. Emile s'y abandonne volontiers, resserrant tout juste les doigts contre les siens, qu'elle le sache tout à son aise.
« Agusto, alors ! Sache, d'ailleurs, que nos deux idiots sont toujours fiancés - n'est-ce pas, Agusto, qu'André est toujours tien ? » L'expert au comptoir roule des yeux mais ne peut cacher son sourire. « Ha, tu vois ! C'est que l'affaire commence bien. Imagine, janvier 1927 : il fait gris, dehors, Paris pleure comme elle sait trop bien le faire. Les rires sont tristes, et même au Chansonia, les danses sont au ralenti. Il n'y a rien, pour dynamiser les cœurs. Et là ! » Emile s'exclame, pointant du doigt Agusto qui éclate de rire. « Cet homme amoureux arrive, bras dessous bras dessous avec André. André ! Voilà qu'ils nous avaient caché leur passion, révélée seulement par cet anneau qu'il a passé la soirée à nous secouer sous le nez. »
Emile soupire, faussement exagéré, et ajoute : « Tombés dans le lit l'un de l'autre, ils se refusaient à se dire amoureux jusqu'à ce qu'André, dévoré par la jalousie, ne se mette à genou, comme cela, bras tendu vers son Agusto ». Joueur, alors que sa main est toujours entre celles de Neith, le Couturier se laisse tomber à ses pieds pour singer, comme transi d'amour : « O meu amor, casa-me ! ». Il reste là quelques secondes, rire secouant son corps, avant de souffler : « Demandé en portugais, et pourtant Agusto n'a pas su refuser. » Derrière le bar, ce dernier profite de resservir une tournée pour ajouter : « J'étais au lit, la tête des mauvais jours, et il voulait quand même de moi dans sa vie, Faraona, comment lui refuser ? ».
Il hausse les épaules, le Teyssier, en se redressant enfin : « C'est ainsi qu'on a célébré, avec la joie des gens qui sont au désespoir de fêter la vie, les noces de ces deux imbéciles heureux… ». La phrase lui coule entre les lèvres avec emphase, alors qu'il mouline de la main à la manière d'un grand prince. Ses lèvres frémissent de rire de ses façons, mais il reprend vite, mimant la sévérité : « Et voilà que, deux jours après, André constate de lui-même que toutes les alliances du monde autour de son doigt ne suffiraient pas à rendre Agusto moins attirant. La crise, par Hécate, la crise ! qu’il nous a fait ! ». Agusto lâche un gros soupir : « Faraona, j'ai cru devoir quitter Paris tant j'avais honte ! ». Ça glousse, autour d’eux, et Emile s’autorise un regard satisfait. C’est que leur histoire a attiré quelques regards curieux, et comme l’Affaire d’Agusto avait alimenté les messes basses du Chansonia pendant plusieurs semaines, on se précipitait volontiers pour entendre comment s’était déroulé l’incident.
Le couturier, malgré ce public attentif, reste tout concentré sur sa douce égyptienne, regard rivé vers le sien. « Il a fallu qu’on sépare les deux hommes, André lui a sauté dessus à vue. Penses-tu ! André, baraqué comme il est, face à un modeste danseur d’un soir, il n’en aurait fait qu’une bouchée. Et Agusto, ah Agusto, jamais je ne l’ai vu aussi heureux. » Il se penche vers la danseuse, après un regard en coin pour le barman, et murmure tout bas : « Promesse d’Emile, il y a un jaloux qui s’est fait gâter ce soir-là. » Puis, l’air de rien, il ajoute : « Enfin, voilà ce que tu as raté, un fol amoureux prêt à rosser les ahuris transis devant son fiancé, et un fiancé trop heureux de se savoir aimé de partout. Au milieu de tout ça, ma bonne poire, hilare ». Il lève son verre, en simulacre de trinquée, et déglutit d’une gorgée le fond de whisky. Puis, taquin : « Des questions, Faraóna ? ».
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Anya d'Apcher
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(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Neith Shafiq leLa vie a continué, fut la première pensée qui lui vint en se rendant compte de tout ce qui s’était passé pendant sa longue absence. Pendant qu’elle pleurait les larmes du deuil, d’autres se fiançaient et continuaient à danser. Neith n’en éprouvait aucune jalousie. Au contraire. La compersion toujours là où on ne l’attend pas, elle est heureuse que les autres continuaient à vivre sans elle qui s’était arrêtée un temps. Elle a tant à rattraper et pourtant aussi envie de participer maintenant.
Mais c’est surtout le paon que devient Emile qui lui donne toute la satisfaction du monde. Il lui a définitivement manqué. Elle ne peut s’empêcher de matérialiser cette constatation par ce contact léger, sa main dans la sienne. Il n’y a rien de sexuel ni de tendancieux. Neith a juste envie de contact. Elle en manque beaucoup depuis quelques années maintenant et avec Emile, c’était facile. Elle ne danserait pas pratiquement exclusivement avec lui si cela n’avait pas été le cas. Ici aussi, elle sait que personne ne la jugera. Il y avait tellement de choses qui se passaient sur les pistes de danse que ce n’était pas deux danseurs habitués qui le faisaient qui allaient choquer.
Enfin, Emile se lance et Neith vient poser sa tête sur sa main tout en le regardant lui accordant toute son attention et sa lumière. Il est le spectacle et elle est bon public sans rien forcer. Janvier 1927, elle, elle savait très bien où elle était : fêter la troisième année de son veuvage avec une bouteille à déblatérer au tableau de son époux qu’il lui manquait. La scène lui semble triste et pitoyable. Mais elle ne veut pas penser à tout cela.
Janvier 1927, donc, deux hommes se fiancent donc. Elle imagine les deux hommes et rit de tendresse. Elle savait que quelque chose couvait depuis un moment. Il fallait de toute façon être aveugle pour ne pas le voir. Mais les hommes et leurs fiertés… Emile, lui, semble bien la malmener dans son récit. Neith éclate de rire en voyant Emile faire et lui laisse sa main. Elle veut mimer la surprise et la joie mais son rire est plus fort emporté par celui d’Emile, mort de rire lui aussi.
À l’intervention d’Agusto, Neith répond :
« Moi aussi, j’aurai dis oui. André est un homme définitivement bon à marier. »
Son rire reprend. Elle ne se moque pas mais la situation la fait rire. Emile redevient Emile et cesse son imitation très réussie mais continue son récit. Elle imagine très bien la fête et elle regrette de ne pas y avoir été. Elle aimait les mariages pourtant. Il y avait tellement de drames, de joies, de rires et de larmes pendant les mariages ! Tout un monde chaotique à exploiter.
Neith rit à cœur déployé de la suite. Elle imagina aisément la scène avec le pauvre danseur qui n’avait rien demandé à personne et redouble de rire à en avoir mal aux côtes. La larme joyeuse à l’œil, elle se sent vilaine de rire du malheur des autres. Mais c’était définitivement cathartique. Il lui faut un moment pour se calmer sans repartir en fou rire mais quand cela est fait, elle applaudit comme le bon public qu’elle est. Certains autour la suivent.
« C’est comme si j’y étais. Je n’ai aucune question. » Elle rit avant de relacher la main de ce dernier et se tourner vers un Agusto mort de rire lui aussi. Elle se penche sur le bar et vient entourer brièvement ses bras autour de l’homme avant de lui murmurer : « Toutes mes félicitations, mon cher. » Elle se promit de leur offrir un cadeau la prochaine fois qu’elle reviendrait.
Se détachant du barman qui devait retourner à ses obligations, elle récupéra son verre et trinqua avec le couturier. Un sourire en coin aux lèvres, l’égyptienne reprit :
« Et nos camarades habituels ? Je crois avoir aperçu Coco toute à l’heure. Mais je ne suis pas sûre, ta présence m’a aussitôt happée. Il y a aussi des nouveaux qui sont devenus des habitués ? »
Il y avait du monde qui passait par ici. Certains étaient indéboulonnables, comme Emile. D’autres allaient et venaient. Certains venaient un soir et disparaissaient découragés ou simplement remplis d’intensions mystérieuses. Elle aimait retrouver les autres, ceux qui restaient parce qu’ils étaient nombreux et tous différents.
« Tu as appris de nouvelles danses ? Figure-toi que je me suis entrainée au tango récemment. » Elle rit, mutine en sachant à qui elle faisait référence. « Rassure-toi, malgré mon absence, je n’ai pas cessé d’entretenir mes pas. » Tout du moins, elle l’espérait qu’il l’eût remarqué dans la danse de toute à l’heure.
(#) Re: cheek to cheek — ft. Neith Shafiq
missive rédigée par Emile Teyssier lecheek to cheek
@Neith Shafiq & @Emile Teyssier
le 2 novembre 1927
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Elle rit, corps plié en deux, coin des yeux plissés de bonheur, et Emile s’embrase d’extase. Elle rit, sa jolie danseuse ; le son lui est doux, dans les tympans, semblable à un liquide doré, ambroisie au fond du gosier. Il y a de ça un soupçon d’utopie, à la savoir heureuse, après tant d’années loin du monde. Qui sait l’état dans lequel elle se trouvait, engoncée dans son deuil ? Emile a tant cherché à l’imaginer, incapable pourtant de la projeter hors du Chansonia, hors de sa glorieuse silhouette dansante, mais il lui a toutefois fallu le faire, à force d’années éloigné d’elle, sa main déshabituée du poids qu’elle avait sur sa taille. Il l’a rêvée, assis là, comme elle, accoudé au comptoir, il l’a rêvée loin d’eux, loin de leur joie communicative, il l’a rêvée en larmes, peut-être, en angoisse, sûrement, piquée de douleurs, certainement.
Aurait-il aimé la bercer, tisser ses cheveux puis effacer chaque sanglot ? L’idée est saugrenue, presque, tant Neith et Emile n’ont été qu’un duo sur la piste, un duo parfois dans un coin, bras s’attardant trop dans ceux de l’autre, mains aventurières sous l’oeil rieur d’un époux trop au courant des libertés mutuelles ; leur alchimie, toutefois, n’a jamais franchi le pas de l’établissement, est trop embaumée des vapes du Chansonia pour avoir quelconque substance, une fois sortie de là. Il n’est jamais allé toquer, alors, jamais allé voir, s’il avait sa place, hors d’ici, près d’elle, autre part. Il s’est contenté de la rêver, ça et là, sur la piste, au comptoir, contre elle comme dans les bras des autres, agitant sa grâce aux rythmes des trompettes comme d’autres subjuguent par leurs voix.
Il en avait oublié, à force, la place réelle que prend Neith, dans toute sa forme, toute son emphase, toute sa beauté, au sein du Chansonia. On l’écoute, certes, le Teyssier, on le mire faire son spectacle, on rit à ses côtés ; combien de regards, toutefois, ne se sont pas perdus, au moins une fois, sur les traits animés de la Pharaone, sur son rire qui agite tout son corps et provoque, en chacun, le même émoi ? Emile le sait, son sourire est tendre, trop niais, alors que sa folie narrative s’interrompt et qu’il n’a plus de mots, plus d’histoire, seulement le coeur qui bat, un peu trop effréné par la joie qui l’étreint. On l’applaudit, et sa main vient quitter la sienne, pour aller féliciter Agusto. Le Teyssier détourne les yeux, en profite, qu’il se ressaisisse. C’est l’âge, c’est cela, il ne peut en être autrement, pourquoi sinon son coeur s’attendrirait tant, en si peu de temps ? Il adresse quelques mots, à cet autre visiteur d’un soir, là, à sa droite, qui vante ses talents d’acteur ; un sourire poli par là, un rire communicatif par ci, et déjà il revient à sa Danseuse. Elle l’obnubile, ce soir, il ne peut faire semblant.
Son attention est sienne ; ils trinquent. Des questions, elle en a, loin des frasques d’Agusto. Des questions qui, là encore, rappellent au couturier comme elle a été loin, Neith, comme la vie a continué, sans se soucier de qui s’arrêtait pour lui prêter quelques attentions. Il porte son verre à ses lèvres, les trempent dans sa liqueur du soir, son poison éternel, prend le temps de réfléchir. Il faut donc la mettre au courant de tout, des petites choses, plus présentes, finalement, que les grands instants. « Coco, oui, bien sûr, aussi indéboulonnable que moi ! Quoique, tu t’en doutes, même ma présence s’est faite disparate, sur les dernières années. Il y a d’autres lieux, d’autres gens à divertir, je ne peux donner de ma personne tous les soirs, toutes les semaines, au même endroit, » vient-il moquer, petit clin d’oeil facétieux vite lâché. Il reprend, enfin, un peu plus sérieux : « Mais, oui, évidemment, tu croiseras de nombreuses têtes familières. Il y a Coco, et Ernst, et Mirabelle, même Lady V, tu te souviens forcément de Lady V !, ils sont là, ils sont tous là, peut-être pas ce soir, bella, mais tu les croiseras. À découvrir, malheur ! Qui de plus intéressant à faire danser que notre bande originelle ? Je suis un nostalgique, tu le sais bien, amoureux du cercle d’or. Mais, soit, si tu le peux, découvre les mouvements d’Oscar, là, le grand métisse, à l’angle, près de l’estrade, regarde, il parle à Ella, jolie chanteuse, douce amoureuse. Ah, mais connais-tu Ella ? Misère, je ne sais si elle chantait déjà ici, à l’époque. »
Songeur, il s’oublie quelques instants dans les souvenirs de la jolie voix qui berce le Chansonia, plusieurs soirs par semaines, avant de revenir à lui, à eux, aux danses qui les lient. Sa question le fait rire, tout doux : « Cesse-t-on jamais d’apprendre à danser ? Des variantes du charleston, surtout, un peu de samba. J’ai, surtout, appris à changer de lead — Lady V se fait un bonheur de me guider, au moins une fois par mois. » Son regard recouvre l’égyptienne, appréciatif. « Pas le tango, par contre. Pas encore. il faudra que tu me montres ça ; si tu le danses aussi bien que tu ne l’as fait tout à l’heure, je serai un homme chanceux ». Il jette un regard à la piste de danse, à l’air qui s’apprête à reprendre, et repose son verre pour lui tendre sa main. « Ce ne sera pas encore du tango, mais te sens-tu de retourner montrer à tous nos amis combien nous brillons, à deux au Chansonia ? ».
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