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Mère maquerelle de l'Empire des Sens, italienne au sang chaud et à l'accent méditeranéen prononcé, veuve noire, habile manipulatrice.
Candidate à la chambre de la noblesse, magistrat supérieur à la cour de Justice Magique, membre de la FESP, lycanthrope non recensé.
Duchesse de Bretagne, grande prêtresse du culte celte, très présente en politique, considérée comme femme la plus puissante de France.
Vétéran de la Grande Guerre, lycanthrope alimentant un folklore comme de la Bête des Tranchées, mécène pour les orphelins de guerre.
Héritier des Romanov en sursis, habile manipulateur ayant permis aux Romanov de s'implanter en France grâce aux Lestrange.
Victime collatérale de la guerre Lestrange/de Medici, voleuse de haute volée et espionne utilisant des niffleurs pour ses larcins.
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Entre connaissance et ignorance
Auguste LestrangeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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Cela fait quelques mois, si ce n'est un an complet, qu'il n'a participé à l'une de ces rencontres intellectuelles. Il fau bien dire que 1927 semble lui avoir filé entre les doigts sans qu'il ne la voie. Trop à faire et pas assez d'heures dans chaque journée, sans même compter les évènements imprévus qui ont pavés la route. Aucune surprise, alors, lorsque l'honorable maître de débats lui fait comprendre qu'il est plus que temps de se remettre en selle et de participer. Les places ne sont pas illimitées au sein de l'institution et la sienne a été conservée avant tout par égard pour son investissement passé - et sans doute pour son nom et la fierté de son père même si Auguste n'a guère envie d'y penser. Ce fut également sans surprise, en toute connaissance de cause, qu'Auguste assura être présent pour la rencontre suivante, quelle que soit la gymnastique qu'il doive effectuer pour ce faire.
Et il faut bien avouer que les lieux lui ont manqués, quoi qu'il n'en eût rien noté jusqu'à se présenter devant les portes du bâtiment de débats, au cœur de la chaîne des Pyrénées. Pénétrant dans le vestibule sans demander son reste, poursuivit par des tourbillons de neige et de bise si glaciale qu'elle en fendrait des pierres, il lui faut quelques instants pour parvenir à retirer son lourd manteau et son chapeau, qu'il confie à l'un des employés - humain, l'établissement n'employant pas les elfes de maison. La chaleur de la pièce, servie par pas moins de six cheminées, vient piquer sa peau transie tandis qu'il quitte les dernières pièces de sa mise d'extérieur et rejoint les rangs des autres étudiants de la promotion que le maître de débats a demandé pour l'occasion.
Certains sont d'excellentes connaissances, fréquentant les mêmes cercles que les Lestrange, tandis que les autres sont un mélange hétéroclite des classes travailleuses. St-Félix n'est pas réservé à la noblesse mais au talent, un changement d'ambition fort bienvenu aux yeux d'Auguste, et un excellent moyen pour être mit en contact avec des individus dotés d'un potentiel non négligeable qu'ils ne croiseraient pas en temps normaux. Bien entendu, à chaque nouvelle promotion, il existe toujours au moins un fils ou fille de grande lignée pour tenter de remettre en cause cette stratégie pourtant payante et il est toujours agréablement instructif de voir l'individu devoir défendre ses idées face au maître de débats, quand il ne décide pas d'en faire un exercice rhétorique bien entendu.
"Tu vas être ravis," offre l'un des scions de la lignée des Beaumanoir en guise de salutation, s'attirant de la part d'Auguste une œillade curieuse, "Nestor aussi est venu."
S'il tente seulement de dissimuler sa réjouissance, tel un chat gourmand à qui l'on eut donné la crème, il échoue. Auguste, pour sa part, ravale une grimace, ne désirant nullement offrir satisfaction. Son regard s'attarde un instant sur l'une des hautes fenêtres enchantées au-delà de laquelle le blizzard éructe, puis retombe sur les silhouettes en tenues de rigueur qui vont et viennent par petits groupes dans le vaste hall en attendant que débute la séance. S'il eut aimé affirmer le contraire, c'est bel et bien Nestor qu'il cherche, ne sachant guère s'il s'agit d'une pure coïncidence ou si le maître de débat sera suffisamment mesquin pour vouloir lui faire payer la légèreté avec laquelle il a traité sa place au sein de l'académie de St-Félix. Toujours partagé lorsque Nestor apparaît enfin, Auguste n'a pourtant pas l'intention d'offrir le flanc à une quelconque farce à ses dépends, aussi allonge-t-il le pas pour le rejoindre.
"Un plaisir de te revoir," glisse-t-il avec naturel en lui tendant la main. "Comment te portes-tu ?"
Némésis Le BihanATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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Now I'm pretty sure at 26 that it isn't gonna be some little fix
Samhain n'est pas encore passée, mais dans les hauteurs pyrénéennes, l'hiver s'est déjà installé. De l'autre côté des verreries aux formes arrondies et aux couleurs vives, les flocons tombent presque à l'horizontale, poussés par un vent violent. Nestor est bien content d'être arrivé par la cheminée, car il faudrait le payer très cher pour mettre un pied dehors. Et tant pis pour la cendre qui est restée s'attarder sur ses épaules, ou qu'il a dû chasser de la fine moustache que la magie lui a permis d'arborer pour l'occasion. Au demeurant, sa tenue n'est pas des plus ajustées ou bien repassées. Mais il a sacrifié à l'élégance exigée dans les lieux - le maître de débat ne saurait souffrir un écart à ce point de vue-là. Dans les hauteurs de la pièce, entre les poutres métalliques qui structurent le plafond, plusieurs bustes ornés de fleurs délicatement sculptées les regardent sévèrement. Nestor se rappelle avoir été interpelé par la dureté de leur expression, lors de ses premières visites, tant elle tranche avec la décadence de couleurs et de formes du reste de la pièce. Il n'est pas expert ni même friand d'architecture, mais doit reconnaître que les Halls savent attirer l’œil et se démarquent par leur seule prestance.
La salle de débats bruisse aujourd'hui de nombreuses discussions, et il règne une certaine tension, que les rires bas et les politesses ne parviennent à camoufler. Nestor apprécie tout particulièrement cette électricité qu'on ressent dans l'air. C'est la même qu'il appréhende à l'Antre des Naufragés avant que ne commencent les combats. Sauf qu'entre ces murs, le verbe remplace les poings, et la seule magie autorisée est celle de l'intellect. Autre différence, se montrer sous son jour féminin revient à tendre un piège facile, dans le club clandestin. A Saint Félix, au contraire, il a craint que ce ne soit présenter un flanc trop facilement attaquable - d'où son choix de se montrer sous une apparence plus masculine. Il a depuis compris, et très vite, que leur encadrant n'aurait toléré d'arguments aussi faibles, mais l'habitude s'était déjà ancrée. Il ne la regrette pas.
C'est donc avec une assurance tranquille qu'il se déplace parmi les autres étudiants, ignorant certaines œillades ; en adressant, aussi, en particulier à ces bien-nés qui ne doivent leur place qu'à leur patronyme. Il préfère ne se mêler qu'à ceux qui viennent d'un milieu social proche du sien, réservant aux autres les joies de la joute verbale. Un travers fréquemment pointé par le maître de débats. Mais Nestor n'est pas ici pour plaire, seulement pour se faire entendre. Là où d'autres tentent de convaincre, il vient plutôt pour affûter ses arguments, et trouver les meilleurs moyens d'écraser ceux des autres. S'il écoute, ce n'est pas vraiment pour s'instruire, encore moins pour se laisser persuader, mais plutôt pour chercher les failles de réflexion dans lesquelles s'engouffrer. Un autre travers que le maître de débat lui a souvent reproché.
Alors qu'il échange quelques mots avec une camarade, une voix familière fait courir dans sa nuque un petit frisson désagréable, semblable à ce que provoque le timbre de Guilhem, quoique bien moins pire. Son regard est sombre quand il se retourne et jauge Auguste Lestrange. Voilà bien longtemps qu'il n'était paru dans les Halls. Mais aussi irrégulière que soit sa présence, nom et héritage lui assurent presque à coup sûr de ne jamais se trouver devant porte close. De quoi suffire à agacer Nestor, qui croit plus au mérite qu'aux patronymes ronflants - surtout quand ces derniers sont synonymes de largesses financières excusant tous les écarts. La main tendue est serrée avec fermeté, et une certaine sécheresse - la même qui transparaît dans sa voix quand il répond. « Comme un charme. Les mois passés ont l'air d'avoir été tout aussi cléments avec toi. » Il ne prend pas la peine de mimer un sourire - il laisse l'hypocrisie aux vicomtes ou à leurs héritiers. « Que nous vaut le plaisir de te voir daigner nous rejoindre ? Un brutal accès d'ennui, peut-être ? » Tout de même, une petite moue railleuse s'est frayé un chemin jusqu'à ses lèvres. Il paraît que les débats n'ont pas encore commencé - mais par un temps pareil, ils peuvent bien se permettre un petit échauffement, non ?
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Il n’escompte aucune aménité, fort heureusement, et ne peut que s’en féliciter lorsque Nestor se tourne vers lui, le regard sombre comme de coutume. Certaines choses ne semblent pas destiner à changer mais Auguste ne peut prétendre qu’en un sens ce n’est pas un soulagement, après le chaos de ces derniers mois. Nestor et lui ne se sont jamais réellement entendu, et la chose ne semble guère prête à évoluer. Les raisons exactes diffèrent sans doute vastement de l’un à l’autre des concernés et ce courtoisement encouragé par leur entourage qui se veulent aréopages entre les murs de St-Félix, mais le résultat n’en est pas moins prégnant.
Mais à l’aune de la sécheresse que Nestor lui dédie, Auguste ressent cette fois bien moins de gêne que de divertissement, luttant un instant avec l’envie de le taquiner et concédant à demi, après quelques battements de cœur, en s’autorisant à glisser : “Tu es trop bon, le compliment me va droit au cœur. Et je te le retourne volontiers.” Il a, certainement, une mine épouvantable, surtout en plein hiver, les traits caractéristiques de la famille n’aidant en rien, et l’occasion fait le larron. Qu’il soit le seul à s’en divertir n’a aucune espèce d’importance. Aux yeux de Nestor, il ne peut que proférer les blasphèmes du malin après tout.
L’intérêt est cependant de savoir à quel cercle de l’enfer chrétien celui que les autres héritiers lui ont élevé en rival vouera ses paroles en l’instant. Non qu’il eût réellement tort, d’ailleurs, mais l’hypocrisie vaut mieux la saillie qu’on lui a dédiée, et qui ne tarde pas à être suivie de nouveaux privilèges. “Pas le moins du monde,” rétorque-t-il sans attendre, “Si je me suis ennuyé de quoi que ce soit, ce sont certainement de tes bons mots. Mon entourage n’a guère ta verve ou ton enthousiasme. Mais il se trouve que notre auguste maître de débat m’a sommé de me souvenir du serment de l’institution ou de prendre la porte.”
Le ton est léger, conversationnel et il en eut presque ourlé un sourire s’il avait été un tant soit peu plus expansif. En lieu et place, cependant, ses yeux pétillent quand il saisit au vol et d’un coup d’œil la moue de son vis à vis, expression goupil qui ne peut que lui être seyante. “Je suis surpris que mon retour soit un plaisir, cependant. Manques-tu tant de dévoués adversaires au nombre de nos camardes que je vienne un tant soit peu gagner tes faveurs ? Un peu plus et je penserais même t’avoir manqué, tu es trop généreux.” Il lui offre un léger mouvement de sourcils, invitation silencieuse à ferrailler, qui s’étiole vite quand un raclement de gorge, près d’eux, vient troubler l’atmosphère.
“Je vois que vos retrouvailles sont chaleureuses messieurs,” énonce le maître de débat, que nul ne peut réellement cataloguer entre le pince sans rire et le naturel de ses étrilles, “vous n’aurez donc aucune querelle à vous faire face pour le second sujet de cette cession n’est-ce pas ?” Il regarda tour à tour Nestor et Auguste. Celui-ci, moins surpris par la décision que par l’approche, se demanda distraitement qui, de l’œuf ou de la poule, arriva en premier dans leur cas précis. Est-ce qu’il a attendu de les voir se jauger, ou bien a-t-il toujours eut la notion de le jeter en pâture à Nestor. Quoique. Jeter en pâture n’est sans doute pas le terme approprié. En réalité, Auguste commence même à apprécier l’idée.
“Mais nous en seront ravis. N’est-ce pas ?” ajoute-t-il pour confirmer l’approbation de Nestor.
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Le compliment, qui n'en était pas un, retourne à l'envoyeur, lequel fronce légèrement les sourcils, pas certain d'y détecter le sarcasme. Auguste n'a pas plus mauvaise mine que lui, qui s'attache plus à se donner des traits masculins qu'à leur offrir rondeur et santé. Son mode de vie nomade et agité se devine donc plus facilement que sa réelle identité, par les cernes, par les traits tirés typiques de nuits courtes et de transplanages intempestifs. Serait-ce donc un léger rougissement qui le trahit, sur ses joues trop pâles de rouquin ? Lui demanderait-on, Nestor blâmerait le froid. Sans doute un vitrage aura-t-il laissé filtrer un de ces courants d'air qui font voler les flocons, dehors - la magie, après tout, n'est pas plus infaillible que lui. « Tu es trop aimable » se contente-t-il donc de grincer, déjà insatisfait.
La discussion, heureusement ne tarde pas à rebondir. Il ignore la remarque sur ses bons mots, fausse politesse caractéristique des Halls, où il est de bon ton de prêter à son adversaire une éloquence qu'il ne possède pas toujours - car quel intérêt d'abattre son adversaire si on ne lui reconnaît nul talent ? Les justifications d'Auguste, en revanche, lui tirent un haussement de sourcil où se lit le mépris. Bien sûr, le précieux héritier a eu droit à une sommation, même après avoir ouvertement ignoré de nombreuses cessions de débats. Nestor voit peut-être le mal partout, mais le double standard de la société sorcière n'a pas besoin d'être inventé - il transpire dans chaque aspect de leur quotidien. Et dans l'assurance tranquille qu'affiche son interlocuteur, tout particulièrement. « Quelle surprise en ce cas que tu aies jugé cette institution assez importante pour ne pas risquer d'en être chassé. A ton assiduité, d'aucun aurait pu juger que verve et enthousiasme avaient fini par te lasser. Je suis sûr que tu ne manques pas d'occupation bien plus ... enrichissantes. »
Auguste Lestrange condense bien des principes qui l'insupportent dans la société sorcière, bien des traditions informulées qu'il voudrait voir mordre la poussière. Et Nestor est trop aveuglé par ses propres idées préconçues pour réaliser que les autres étudiants, nobles ou non, lui ont servi le futur vicomte sur un plateau d'argent, tel un festin pour un affamé. S'assurant au passage de rester hors de son champ de tir - ou du moins, de ne risquer que quelques balles perdues. Le discours qui suit lui aurait tiré un éclat de rire mesquin - mais il n'est pas à l'Antre, où ce genre de manifestation est bien accueillie. Il se contente donc d'un large sourire moqueur. Lui prêter ces beaux sentiments, c'est tendre le bâton pour se faire battre. « Tout ces compliments que tu t'adresses à toi-même ! Je comprends mieux que les cessions de débat soient moins intéressantes face à ton miroir qu'au sein de ces Halles. » Tout à son débat improvisé, l'orateur n'a même pas remarqué que les conversations des autres étudiants se tarissaient peu à peu, que les petits groupes convergeaient lentement vers eux. « Au moins, nul besoin de galant pour t'envoyer des fleurs - tu t'en charges seul. » Et la remarque s'accompagne vers un ostensible coup d’œil vers l'annulaire dépourvu de bague. Oh bien sûr, Nestor n'a pas contracté d'engagement non plus - Merlin l'en préserve. Mais c'est bien moins surprenant de sa part que de celle d'un sang bleu, prétendant au titre d'héritier en outre.
Léger raclement de gorge, et le feu brûlant dans les prunelles de Nestor décline lorsqu'il réalise que leur professeur s'est approché en catimini - ou peut-être n'était-il pas si discret, mais le breton était trop concentré sur leur joute d'échauffement pour prendre garde. Aussitôt, il se raidit, adopte une façade stoïque, respectueuse. Peu nombreux sont les sorciers à pouvoir se vanter de produire cet effet sur lui. « Absolument » s'empresse-t-il de confirmer, juste après Auguste - il manque presque de lui couper la parole, à vrai dire. Il ne faudrait pas que le maître de débats change d'idée et décide de leur faire faire équipe, ce qui serait, à n'en point douter, bien plus douloureux que les bons mots d'Auguste Lestrange puissent jamais espérer l'être. Nestor se redresse, mains croisées dans le dos, menton légèrement redressé. Léger coup d’œil torve en direction de son adversaire ainsi désigné, avant de reprendre une expression impassible. « Et sur quel sujet souhaiteriez-vous nous voir débattre, monsieur ? » Car nul doute que les fiançailles et autres frivolités seront jugées indignes de leur temps par leur professeur, si tant est que ce dernier soit arrivé assez tôt pour saisir leurs derniers traits d'esprit. Mais l'homme est si fin, si observateur, que Nestor n'en serait nullement surpris.
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Ah, la richesse. Nestor lui eut annoncé qu’il se fait bolchévik qu’Auguste n’en eut été surpris. La richesse a toujours été source de ressentiment. Ceux qui en possèdent sont l’envie des démunis, tandis que tant de nouveaux riches ne parviennent nullement à faire prospérer leurs gains, amplifiant les croyances des vieilles familles en leur incapacité notoire. Et ce qui, à force de labeur et de détermination parviennent à s’élever son, en fin de compte, tout aussi mal perçus lorsqu’ils ne retombent pas dans la précarité. Une question éternelle alors, semble-t-il, et qui fait flamboyer Nestor toujours plus vivement nul doute.
“Je n’en doute pas. ‘Rien ne nous trompe autant que notre jugement’, c’est là la formule consacrée ce me semble ?”
L’expression qu’il offre eut pu passer pour un sourire, s’il n’y avait eu l’attente dans ses prunelles.
“Quelle chance qu’à St-Félix, on nous forme à la prudence face à ces écueils de la pensée, n’est-ce pas ?”
Il noue sagement les mains dans le dos.
“Il se trouve que je porte l’institution en haute estime, en dépit de mes regrettables absences.”
Si la richesse n’est guère la raison de ses absences, quelle serait l’expression de Nestor à savoir qu’il a bel et bien eut plus que son content d’ouvrage professionnel, et de retombées économiques amplement dues, au cours des mois précédent ? A n’en point douter, elle eut été mémorable ! Mais le mentionner serait tirer la queue du chat non ? De toute façon, ils ne manquent pas d’eau pour faire tourner le moulin tandis que de plus en plus de regards se tournent dans leur direction, comme Auguste s’y attend. Il y a fort à parier que leurs retrouvailles chaleureuses constituent un divertissement tout à fait prenant en attendant les débats.
Un frémissement anime d’ailleurs ses épaules à la verve de son camarde.
“Nenni, très cher, n’est-ce pas de tes propres mots que tu affirmes que ma venue t’es plaisante ? Et je ne saurais douter de ton aptitude à choisir justement tes mots, ce serait bien méprisant de ma part.…”
Le coup d’œil, cependant, vers sa main dépourvue d’alliance le prend de court, retenant toute nouvelle répartie, juste à temps pour l’arrivée du maître de débat. Auguste n’en décoche pas moins une œillade curieuse à Nestor. Voilà qui est neuf. Et troublant. Quand, exactement, a-t-il compris l’orientation de ses intérêts exactement ? Ce n’est guère une bonne nouvelle. A moins bien entendu qu’il ne s’agisse d’une simple erreur de langage ? Peut-être fait-il référence à son manque d’engagement maritale, mais alors, pourquoi ? Après tout cela eut dû lui convenir qu’il déroge un peu aux strictes normes de la noblesse non ?
Ce n’est pas le moment d’en discuter, cependant, pas face au maître de débat. Celui-ci affiche, comme à son habitude, une sévérité de circonstance, mais Auguste en sait trop sur l’usage de l’apparence pour ne pas douter de ses humeurs personnelles, derrière le masque. Lui non plus n’ignore pas la cordiale mésentente entre Nestor et lui. Qui, d’ailleurs, l’ignore ici ? Même des académiciens plus âgés lui mentionnent leur rivalité à l’occasion, et elle semble devenue intrinsèque à leurs visites. Mais Auguste n’a guère le temps de se perdre en conjecture, quant à la question de Nestor, le maître de débat répond sans hésitation :
“L’usage des mariages de convenance dans les mœurs françaises.”
Si Auguste eut besoin de quelque autre preuve que tout ceci est un coup monté, il le reçu avec l’intitulé. Mains toujours dans le dos, il inspira discrètement puis fit un léger salut, tandis que l’homme se détourne pour s’éloigner, suivit des deux étudiants qui débutent la cession de débat. Son regard revint naturellement vers Nestor, non sans se poser un bref instant vers les jeunes nobles qui forment sa compagnie habituelle.
“Je te retrouve donc sur le podium dans une heure. Comme toujours, c’est un plaisir de me confronter à toi.”
Et il s’éloigna, ayant fort à faire pour trouver son propre argumentaire au vu de ses sentiments vastement ambivalents sur le sujet lancé. Les mariages de convenances, allons bon ! Et à tous les coups Nestor se déclarerait contre plutôt que pour, lui laissant par défaut l’autre position. Mais il n’était pas spécialement pour ! Certes, le maître de débat affirmera sans doute que l’exercice est d’autant plus utile, mais par merlin, ça lui fait une belle jambe !
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Rien ne nous trompe autant que notre jugement. N'est-ce pas une locution que Nestor a souvent entendu dans la bouche du maître de débats lui-même ? Si, bien sûr. En particulier à son encontre. Aussitôt, une moue offensée se dessine sur ses traits, son regard fusille celui du narquois interlocuteur. Un autre de ses défauts est qu'on lit bien trop facilement ses expressions faciales, ce qui offre à l'adversaire de précieux indices sur les points qui font mal. Et ses traits masculins n'y changent rien ... Une chance qu'à l'Antre, Némésis pratique le duel plutôt que le poker. Petit effort, et les lèvres abandonnent leur pli boudeur, les rides disparaissent d'entre les sourcils, tandis que le visage reprend un calme olympien, tel un impassible miroir d'eau. Pas question de se laisser moucher. « Mais tout à fait. Et si la formation est proportionnelle à l'assiduité, ce qui, admettons-le, ferait sens, alors sans doute ai-je quelques longueurs d'avance sur le sujet. Mais ne t'inquiète pas, je sais m'adapter à tout niveau. » Et il ponctue sa tirade d'un sourire faussement modeste, chargé d'une bienveillance toute feinte.
Tout à son rôle, il se retrouve à acquiescer distraitement de la tête en prêtant l'oreille aux excuses bien faites de l'héritier. Ah, l'estime des nobles, presque aussi monnayable que leurs bézants. Une chance que les deux aillent souvent de concert. « Et l'institution t'en est certainement très reconnaissante, quoique ton estime n'est sans doute pas la seule chose de valeur que les Lestrange puissent lui offrir. » Auguste ne reconnaîtra jamais avoir acheté sa place en leurs rangs, mais il n'est pas désagréable de rappeler aux autres étudiants cet état de fait. S'il devait être honnête avec lui-même - ce qui n'arrive pas souvent - le flamboyant breton devrait même admettre y trouver un plaisir mesquin. Il est trop facile de se prétendre homme d'affaires au succès bien mérité, acquis à la sueur du front et au talent dans les négociations, quand l'argent ayant permis de se lancer provient des caisses familiales. Il faut dire que quand Nestor a quelqu'un dans le nez - et Merlin sait que les prétendants ne manquent pas - il se renseigne sur leur compte avec un entêtement farouche. Si d'aucuns y verraient une obsession mal placée, lui préfère y attribuer de la stratégie. Leur enseignant lui-même ne répète-t-il pas qu'il faut connaître son adversaire ?
La dernière remarque du Lestrange lui tire un soupir agacé. « Si c'est le mépris que tu souhaites éviter, je te serai gré d'éviter de me prêter des intentions ou propos que je n'ai pas tenus » grommelle Nestor. Mais si sa colère transparaît une fois de plus sous ses mots, il lit dans les traits d'Auguste une certaine surprise, peut-être même un trouble. Intéressant. Voilà qui parvient presque à éteindre son courroux. Sa harangue lancée au petit bonheur la chance a-t-elle tapé juste ? L'absence d'alliance est flagrante - personne ne peut l'ignorer, et elle fournit là une ouverture facile. Impossible que le voir s'y engouffrer le déconcerte. Est-ce alors la mention d'un galant, au masculin, qui l'a ébranlé ? Pas le temps de pousser cet avantage malheureusement, car le maître de débats est venu leur proposer le sujet de leur prochaine dispute. Et certainement son oreille a-t-elle traîné, car, à la grande surprise de Nestor, le mariage paraît rester sur le tapis. Le rouquin ne parvient pas à cacher sa satisfaction, ne perd même pas de temps à y voir une faveur de leur enseignant - pas plus qu'à répondre aux politesses d'Auguste par autre chose qu'un hochement du chef vaguement poli. Deux autres étudiants se lancent dans les hostilités, sous l’œil attentif du reste de l'assemblée. Presque toute l'assemblée, car lui n'y prête qu'une oreille distraite, tout à sa réflexion sur leur débat à venir. Aurait-il su plus tôt qu'il aurait été se renseigner auprès de quelques connaissances présentes sur les derniers projets de mariage des Lestrange - mais aurait-il appris quelque chose dont sa lecture assidue des journaux ne l'aurait déjà instruit ? Peu probable.
Le moment de rejoindre l'estrade arrive à la fois trop vite et pas assez. Il n'est même pas sûr de savoir quelle position Auguste préférerait défendre - et l'aurait-il su, il se serait bien sûr dépêché de lui damer le pion. Tant pis, il ira à l'instinct. Il attend donc qu'un coup d’œil du maître de débats lui offre la primeur du choix avant de se prononcer. « Je me déclarerai en défaveur. » Regard acéré pour son adversaire, tentative de détecter un cillement, un agacement de sa part. Mais il ne lui laisse guère le temps de rebondir, préfère enchaîner. « Au-delà de l'aspect émotionnel, qui devrait en théorie faire partie intégrante du mariage, mais qui est bien souvent omis face aux considérations stratégiques des mariages de convenance - et sur lequel je reviendrai plus tard - je tiens à ouvrir mon argumentaire sur la manière dont ces arrangements perpétuent l'inégalité sociétale. » Profonde inspiration pour ponctuer cette longue tirade, avant qu'il ne développe. « Les nobles se maintiennent entre eux, le pur ne se mêle qu'au pur. La bourgeoisie elle-même est souvent exclue de ces accords, à moins d'avoir des dots conséquentes à proposer, ce qui assure au passage une concentration des richesses. Titres et terres restent entre les mêmes mains, d'une génération à une autre. Et le plafond de verre ne fait même pas mine d'afficher une rayure. » Il se tait enfin, laisse au Lestrange l'opportunité de rebondir et rétorquer. Droit comme un i.
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L’éclat contrarié qui froisse le minois de Nestor eut au moins pour effet d’amuser Auguste un bref instant, bien qu’il ne se gardât savamment d’en rien montrer, ne désirant nullement transformer la joute en querelle plus sérieuse. En revanche, il se fend d’une expression d’intérêt tout à fait courtois à sa répartie, opinant même du chef avant de glisser, non sans ce qu’il souhaite être une assurance tranquille :
“Je ne peux qu’acquiescer quant à ton avance, et je ne doute point que tu ne fus pas de ceux qui se perdent en hypothèses sur mes motivations. Tu as, j'en suis certain, bien plus productif à faire que cet exercice douteux. Mais ne t’en fait pas, je ne requière pas que tu t’abaisse à mon niveau, au contraire je suis on ne peut plus curieux de tes progrès.”
Et en cela, il n’a pas même besoin de courber la vérité. Auguste n’a jamais souhaité qu’on lui facilitât la tâche, lors des pratiques intellectuelles, pas plus qu’à bord lorsqu’il s’engagea dans la marine. De longue date l’a-t-on convaincu que l’apprentissage requiert de se confronter à meilleur que soit et Nestor a en effet passé l’année à pratiquer lorsque lui ne le pût.
“Non en effet. L’estime sans la présence et la régularité ne sont rien. Ne te trouble pas à ce sujet, j’ai bel et bien l’intention de me faire plus assidu et je le prouverais au fil du temps. Il faut bien reconnaître ton amour et ton désir de protection de cette auguste institution.”
Ce n’est sans doute pas ce que Nestor sous-entend, mais Auguste n’a nullement l’intention de prêter le flanc à la question monétaire qu’il considère comme profondément biaisée, et gauche. Très gauche. Il préfère autant dévier l’attention sur d’autres sujets, qui ne risquent point d’être aussi chagrin pour l’assemblée. Et fort heureusement, Nestor semble coopérer avidement, lui tirant un rapide arc du coin des lèvres.
Auguste haussa un sourcil et pencha la tête, semblant aussi attentif que circonspect.
“Mais Nestor, c’est toi qui as choisi de parler de plaisir, et non moi. L’exactitude des mots est certainement un domaine où cette fructueuse année de débat t’aura sans doute donné un avantage sur moi, n’est-ce pas ? Je ne fais qu’accueillir tes paroles avec le respect qu’elles méritent. Si cela te déplaît, puis-je te suggérer davantage de retenue sur les termes employés ?”
Peut-être qu’il l’aiguillonne un peu trop, si cela a au moins le mérite de happer l’attention de l’assemblée. Peut-être ne doit-il qu’à lui-même d’être mit en position de faiblesse par le maître de chair pour son arrogance. Et si c’est le cas, soit. Le vin est tiré, autant le boire. Et s’il tente de suivre le premier débat, les mots s’estompent et se confondent. Ses pensées sont omniprésentes.
Comment Nestor sait-il, pour ses tendances ? Que l’autre soit aussi hargneux qu’un fox-terrier ne le surprend pas, ni qu’il s’amuse à fouiner, mais pour découvrir ses aventures, il eut été forcé de s’introduire au sein de la résidence des Romanov ou de celle des D’Apcher, deux compagnies que Nestor a certainement en horreur. Qui alors ? Pas Camille tout de même ?! Il ne lui ferait pas ça...
“Auguste ? C’est votre tour.”
Se redressant légèrement, Auguste se prend un instant à paniquer, n’ayant rien préparé de concret, trop occupé à se questionner sur le sous-entendu au sujet de sa vie privée. Hors de question de le montrer cependant, alors il offre un remerciement de la tête, puis se dirige à son tour vers le podium qu’il doit partager avec Nestor. Là-haut, il offre une image de courtoisie policée, mains dans le dos, attentif au maître...
Sans surprise, Nestor choisit le premier et avec encore moins de surprise, choisit de se prononcer en défaveur, lui coupant l’herbe sous le pied. Tant pis. C’est un exercice qui lui fera sans doute le plus grand bien. Et cette fois, il se doit d’être attentif ! Aucune chance qu’il se laisse humilier devant tout un public en baillant aux corneilles, le maître de chair ne le laissera pas survivre à l’affront !
Il hoche plusieurs fois la tête, installé dans son fauteuil, et quand le premier silence se fait, c’est d’une voix parfaitement contenue qu’il interroge :
“Si tu le permets, Nestor, je souhaiterais que tu clarifie les embranchements de ta pensée afin que je puisse te répondre. Tu souhaites que ton argument principal se porte sur l’aspect économique puis sur l’aspect sociétal, des mariages arrangés, et faire d’un argument secondaire l’aspect émotionnel et humain, est-ce bien cela ?”
Offrant un silence, et un regard au maître de chair, il ajoute ensuite :
“Si ma compréhension de ton argumentaire est correcte, alors je me déclare neutre. Ma position sera la suivante : le mariage arrangé est un outil économique et comme tout outil, il doit être utilisé avec parcimonie et raison. Il a des atouts et des restrictions mais reste avant tout un moyen pour un terme, qui doit être détaché selon moi d’un usage dans un milieu précis, ici la noblesse.”
D’une main, il vint inviter son adversaire :
“As-tu besoin d’une clarification avant que je ne m’oriente sur tes arguments ?”
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Un léger soupir s'échappe des lèvres de Nestor, seule réponse au ton doucereux et aux sous-entendus passifs agressifs, qui n'attendent de toute manière guère de réponse - cette défense est plus adressée au reste de l'assistance. Mais n'est-ce pas le cas pour tout leur débat ? Chacun essaie de ranger leurs camarades de son côté, de se faire passer pour plus aimable, plus poli et plus appréciable qu'ils ne le sont réellement. En cela, les Halles sont réellement une magnifique représentation, en miniature, de la scène politique française. C'est donc avec un hochement approbateur que le breton accueille le semblant de compliment à propos de son attachement à l'institution. La sincérité en est douteuse, mais la mettre en doute lui ferait plus perdre de points qu'en gagner. A la dernière réflexion d'Auguste, toutefois, il ne peut s'empêcher de réagir, et à voix haute cette fois. Mais avant, il émet un nouveau soupir, accompagné d'un sourire faussement compatissant. Comme s'il était désolé et non furieux de voir sa courtoisie être transformée en une expression spontanée de sentiments qui ne l'ont, au demeurant, jamais effleurés. « C'est mon tour d'être surpris, en ce cas. Les formules de politesse ne sont normalement pas l'apanage de Saint-Félix. Et il ne semble pas t'avoir habitué à autre chose, de ma part. » Quand bien même les fameuses politesses arrachent parfois la bouche.
La premier débat lui offre au moins le temps de calmer ses esprits et modérer ses ardeurs. C'est donc d'une humeur un peu plus égale qu'il s'installe face au Lestrange, débite ses arguments et l'écoute les répéter soigneusement. A nouveau, il émet un sourire trop chargé d'indulgence pour ne pas être feint. « Mes excuses si mon ouverture comportait trop d'informations. Je souhaitais seulement te permettre de te préparer au mieux au débat à venir. Je me permettrai donc de te reprendre sur un point : l'argument émotionnel et humain n'est nullement secondaire ; je compte l'aborder, et voulais m'assurer que tu en étais bien conscient, même s'il ne sera pas évoqué en premier. » Qu'on ne fasse pas de lui une créature politique insensible, seulement intéressée par l'économie et la lutte des classes. Les mariages malheureux font des enfants malheureux, et ces enfants malheureux deviennent des adultes, qui forgent le futur et mènent les générations suivantes sur les mêmes chemins douteux que leurs aînés. Regard brillant et attentif, il prête l'oreille à la position et aux arguments énoncés par Auguste, se rit sous cape de leur facilité. L'héritier donne presque le bâton pour se faire battre. Mais ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Nestor tente de juguler son assurance, même si cette dernière doit se lire sans mal dans son attitude.
Ses lèvres s'ornent d'un sourire gracieux quand il répond à l'invitation de l'héritier Lestrange. « Tout est limpide, je te remercie. Mais ne brûlons pas les étapes. Permets-moi de développer ma pensée ; à en juger par tes dernières questions, cela ne sera pas superflu. » Il garde un ton aussi neutre que possible dans sa dernière remarque ; leur professeur pourrait lui reprocher d'étriller Auguste avec des piques gratuites, et il s'en voudrait de se faire reprendre si tôt dans le débat. « Je te rejoins dans la qualification du mariage arrangé comme un outil ; ce qui m'inquiète est justement l'usage qui en est fait, au détriment des couches les moins aisées de la société. Qui se fait juge de la parcimonie de son usage, sinon ceux qui s'en servent le plus généreusement ? » Il laisse un petit silence succéder à sa tirade, afin que l'assistance puisse apprécier la justesse de ses arguments, mais ne tarde pas à enchaîner - il n'en a pas fini avec Auguste avant de lui permettre de lui répondre. « J'en profite aussi me demander ce qui te permet de détacher ainsi cette pratique de la noblesse, quand elle est la première à en faire usage. Peux-tu m'éclairer à ce sujet ? » Certes, les clarifications ne sont vite transformées en une riposte face aux arguments avancés par son adversaire. Mais n'est-ce pas lui rendre service que de lui fournir des remarques sur lesquelles rebondir, des critiques lui permettant d'étoffer son prologue bancal ? Nestor s'en convainc , prêt à se défendre si le maître de débat lui fait une réflexion à ce sujet.
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Défait de toute expression superflue, Auguste écoute avec une attention qui n’a rien de feint et une politesse fermement ancrée. Lorsque Nestor en vient à clore ses explications supplémentaires, il se contente d’ajouter :
“S’il n’est pas évoqué en premier, Nestor, c’est bien qu’il est en second... donc secondaire. S’il n’est pas secondaire, pourquoi ne pas l’étayer en premier ? Nous ne sommes pas pressés, prend le temps de soupeser tes idées.”
Le choix du terme est, après tout, parlant. Le choix de la priorité également. Une surprise, provenant de Nestor, doit-il même admettre car il lui a toujours fait l’effet d’un homme se préoccupant justement de l’individu derrière les idées plutôt que des simples idées. Il lui sera en outre passablement désagréable de revoir cette perception, qui participe grandement de ce qu’il a de respect pour son rival.
Auguste décide, en outre, d’appliquer son propre conseil, prenant le temps de juxtaposer ses idées et intentions avant de les énoncer.
“La raison pour laquelle je détache cette pratique de la noblesse, c’est qu’elle est loin d’être la seule classe sociale qui en use. Tu trouveras des mariages arrangés dans toutes les couches de la population, aussi bien chez la classe ouvrière que bourgeoise. Chez les uns, c’est un moyen d’accéder à une meilleure condition, chez d’autres, à maintenir un niveau de vie. L’intention demeure, quelle que soit l’exemple de population prit.”
Offrant un instant pour que Nestor engrange l’information, Auguste en profita pour étudier ce qu’il a l’intention de dire ensuite, avant de le mettre à exécution.
“L’hypothèse que je peux te soumettre, c’est que le raccourci cognitif qui souligne l’usage de cet outil par la noblesse et donne l’illusion qu’elle en est la plus grande utilisatrice, provient de la prépondérance des figures nobles dans les médias consommés par la population.”
Et il est bien placé pour le savoir, étant le fils du propriétaire du plus gros journal français ! La noblesse est souvent en première page.
“Je suis tout à fait conscient que l’on ne trouve guère de mariages bourgeois ou ouvriers en première page du Cri de la Gargouille ou de ses concurrents. Peut-être dans le Troll déhaîné ? Mais je ne peux l’affirmer avec certitude. Ce biais et cette mise en exergue de la noblesse peut aisément fausser la perception extérieure portée sur l’ensemble de la population française.”
Nouveau silence, puis sur une hésitation, un geste de la main, ouvert, envers Nestor.
“Souhaites-tu rebondir sur ceci, avant que je ne réponde à tes autres arguments ? Nous pouvons ainsi procéder par étapes et structurer davantage le propos. Ce segment peut uniquement porter sur l’argument de l’identité des utilisateurs, par exemple. Ainsi tes arguments et les miens ne se perdront pas.”
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Les débats avec Auguste lui ont peut-être manqué - peut-être - mais la condescendance qu'il affiche, certainement pas. Nestor doit rassembler toutes les miettes de sa volonté pour s'empêcher de soupirer bruyamment et de lever les yeux au ciel. Sa bouche s'ouvre pour riposter, pour l'assurer qu'une argumentation se structure en plusieurs piliers et non en marches d'escaliers, mais il s'interrompt avant de se lancer dans une démonstration enflammée. En pinaillant de la sorte, Auguste cherche à le déstabiliser, et il faut bien admettre que ça fonctionne. Il se contraint donc au silence, jugeant que leur maître et leurs camarades sauront reconnaître la faiblesse de l'argument. Ce qui lui laisse tout de même un petit goût amer sur le palais. Il autorise donc son adversaire à déballer la suite de son argumentation, ses sourcils froncés et sa moue plissée trahissant tout le bien qu'il en pense. Mais quand Auguste prétend que le mariage arrangé se pratique partout, c'est un sourire en biais qu'il oppose, et il ne peut s'empêcher de le railler. « Oh, toutes mes excuses, je n'avais pas réalisé que tu étais si proche du petit peuple et si au fait de ses pratiques. » Regard de travers du maître de débat, faisant office d'avertissement.
Le Lestrange n'a pas tout à fait tort, bien sûr. Quel père n'a pas voulu marier sa fille au plus offrant ? Nul besoin d'avoir les poches pleines de bézants pour cela. Mais les enjeux diffèrent et, par conséquent, la coutume ne s'en fait que plus familière lorsque les familles ont beaucoup à offrir. Quant au biais offert par les médias, Nestor lui-même doit admettre que l'argument est habile. Et difficile à contrer. Il n'en reste pas moins un artifice de la pensée, une esquive fallacieuse ; il le garde dans un coin de son esprit, mais préfère ne pas rebondir dessus tout de suite, car son adversaire est fort bien placé pour s'exprimer sur le sujet des médias ... « Ne t'en fais donc pas pour la structuration de notre débat. Je suis sûr qu'avec un petit effort, tu parviendras à t'y retrouver dans nos idées. » Et il accompagne sa répartie d'un petit geste de la main, chassant ses inquiétudes aussi physiquement que figurativement. Auguste n'est pas le seul à pouvoir se montrer condescendant, n'est-ce pas ? Petite inspiration, avant qu'il n'enchaîne. « Et si les amateurs de cette pratique peuvent se trouver dans toutes les couches de la société, comme tu l'affirmes, tu me permettras tout de même de douter que ce soit dans les mêmes proportions. Ne dit-on pas que le privilège des moins aisés est de se marier par amour ? Cependant, en l'absence de chiffres objectifs, nous nous perdrons en conjectures stériles. Pourquoi ne pas, alors, s'intéresser à l'efficacité de cet outil ? » propose Nestor, une étincelle au coin de l’œil suggérant qu'il sait exactement ce qu'il va opposer par la suite.
« Car pour qu'il permette aux classes ouvrières d'accéder à une meilleure condition, pour reprendre tes mots, faudrait-il encore que les classes supérieures soient prêtes à les accueillir dans leur famille. Mais peut-être ne suis-je pas au fait des dernières nouvelles ? Les Lestrange auraient-il prévu de revoir leurs exigences à la baisse ? De permettre à un sang moins pur que le leur, ou à une bourse moins remplie, d'accéder à leurs privilèges ? Auquel cas, tu devrais le faire savoir, et je suis sûr que ton annulaire ne resterait pas sans alliance bien plus longtemps. Qui sait, tu pourrais même quitter Saint-Félix aujourd'hui la bague au doigt ! » s'enflamme-t-il, son regard venant chercher celui de l'héritier pour s'y ficher, pour y lire les réactions que son discours pourra provoquer. « Attention, Nestor. Le débat n'a pas pour portée de devenir personnel » intervient leur professeur d'un ton sévère. Nestor sursauterait presque, si concentré sur sa tirade qu'il en avait quasiment oublié où ils se trouvaient, et avec qui. Il offre une inclinaison de tête aussi conciliante que possible, tâchant de camoufler déception et surprise - il pensait que le choix du sujet lui laisserait plus de marge pour aller titiller Auguste sur ce genre de sujet sensible. Mais il est vrai qu'il n'a exactement été subtile. Aussi se défend-il aussitôt, de son ton le plus respectueux. « Loin de moi cette idée. Je souhaitais simplement que mon adversaire nous fasse profiter de son expérience - il est après tout des premiers concernés. Et je ne souhaiterais pas m'avancer sur les habitudes d'une classe sociale à laquelle je n'appartiens pas » ajoute-t-il avec une mauvaise foi magistrale, mais incapable de retenir cette petite pique.
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La mire est fixe, focalisée sur l’adversaire de débat, sur ses expressions. Lui-même en offre peu, d’une part par éducation, de l’autre parce qu’il n’a pas l’intention de faciliter les choses à Nestor. Son brave camarade n’a certainement pas manqué de lui faire apprendre cette leçon dès leurs premières passes verbales, quand sa fougue et sa flamboyance – et sa naïveté consommée - étaient encore autant d’arguments charmants pour le jeune homme de noble naissance qu’il est et qui ne manqua pas d’y laisser quelques plumes. Aujourd’hui, il se garde donc, retient toute parole précipitée, bien trop conscient que cette faiblesse de Nestor lui vaudra des points en moins en fin de compte, là où son apparente composition et sa retenue le préservent.
Jamais il ne l’interrompra. Contrairement à l’avis du maître de débats sur la question, cet aspect stratégique reproché au demeurant à Nestor semble pour Auguste particulièrement pertinent. C’est en écoutant, et en écoutant attentivement, jusqu’aux détails et au choix de mots, que l’on peut monter un argumentaire pour défaire son adversaire. Mais son adversaire en deviendra certainement livide de savoir qu’ils sont en accord sur quelque sujet que ce soit. Et Auguste ne peut que se féliciter de n’avoir pas foncé dans la première avenue offerte par Nestor, observant l’intervention du maître de débat... et offrant à celui-ci, ainsi qu’à Nestor, un sourire serein, régalien, ainsi qu’un geste d’apaisement.
“Je vous en prie, Maître, si vous me le permettez ? Un argument personnel peut être utilisé en exemple s’il est sollicité de façon pertinente ? Et Nestor le sollicite de façon pertinente. Je me ferais un plaisir d’y répondre, cela ne me gêne en rien.” Son regard s’abaisse légèrement, d’une humilité patinée de timidité. “Bien que je sois quelque peu gêné de constater que mon célibat prolongé puisse être si intéressant pour mon camarade...” Certes, c’est un coup bas, mais certainement pas un coup de Trafalgar. A peine une taquinerie choisie pour Nestor, qui, en outre, semble bel et bien s’intéresser de près à son statut nuptial. S’il ajoute cette information à l’allégation précédente de son adversaire et Auguste commence à se demander s’il n’a pas compris les émois qui furent un jour les siens.
Mais trêve de mièvreries.
“Bien,” il relève les yeux, semble se rembrunir, “l’exemple de la famille Lestrange, est, je pense, tout à fait pertinent. Mes ancêtres sont des soldats, vois-tu. Ils n’appartenaient pas à la noblesse, ni à la bourgeoisie. Ils se sont élevés par leurs accomplissements, et par leur attachement à la notion d’héritage, la capacité à travailler pour la consolidation du nom et pas de l’individu. Une aspiration comme celle de bien d’autres familles, d’offrir à leurs enfants une meilleure vie que la leur. Leur permettre de vivre loin du besoin et des dangers inhérents aux mœurs humaines.” Et qui, dans cette assemblée, eut pu dire qu’il ne comprend pas cela ? Il rompt d’ailleurs avec sa fixité pour offrir un regard à l’auditoire avant de revenir à Nestor.
“Notre titre de noblesse a été l’accomplissement de Monsieur mon Père. Il s’agit de son œuvre personnelle au profit de la famille. Qu’il a légué à ses enfants, et donc à moi. Qui suis-je pour cracher sur l’œuvre de toute une vie ? J’ai bénéficié de tout ce qu’il a pu m’offrir de sécurité, d’opportunités, les résultats de ses efforts. Cracher sur tout cela eut été ingrat de ma part.” Un silence. Auguste observe Nestor, expectatif. La suite lui brûle les lèvres mais pour une fois, il ne sera pas contre l’idée de changer quelque peu son honnêteté pour se servir. “En tout état de cause, il me semble que les Lestrange sont donc la preuve qu’une famille de roturiers peut s’élever. J’escompte même demander la main de la princesse De Valoys d’ici Imbolc.”
Et Auguste sait qu’en affirmant cela, il offre une belle pièce de viande aux ragots de leurs camarades, en particulier les jeunes nobles, conscient qu’ils sont nombreux à rester prudent après les Fééries Estivales et la danse officiel entre lui et Séléné. Maintenant, ils peuvent calculer avec des certitudes. Mais il n’en a pas terminé et l’indique d’un geste. “Ce qui m’amène à un autre aspect de ce débat. Selon tes mots, l’adage populaire veut que l’amour soit le privilège des moins aisés. Mais ne sont-ce pas les moins aisés qui subissent les plus fortes contraintes économiques, et qui ont donc plus d’intérêts à bien marier leurs fils et leurs filles ? Que j’épouse, admettons, Séléné de Valoys, ou Ella d’Adhémar, qu’est-ce que cela change sur le seul aspect économique de cette union ?”
En vérité, Crepus eut dit que cela change tout, mais Auguste ne veut rien en savoir. “En revanche, pour la seule fille d’un boucher, épouser un chiffonnier ne lui offrira que misère, tandis qu’épouser un autre fils de boucher permettra de consolider leurs acquis et de gommer une partie de la concurrence pour rassembler les profits. Pour elle, la différence change tout, et peut même signifier un décès prématuré. Et c’est ainsi que je touche du doigt le cœur de ce que je souhaite être mon argumentaire. Comme je l’ai dis, je pense que le mariage arrangé doit être un outil utilisé avec raison et parcimonie selon la pertinence des cas et les enjeux associés. Je n’ai pas pour but de prouver que la noblesse en use plus, ou moins, que le reste de la population, je ne pense pas que cet argument soit pertinent. Ce que je souhaite, c’est d’argumenter quelles peuvent être les critères validant ou infirmant l’usage du mariage arrangé et leur tenue face à la morale et à l’éthique.”
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Le célibat est accepté comme un argument recevable par Auguste lui-même ce qui surprend son adversaire, l'espace de quelques secondes. Du moins, jusqu'à ce qu'il l'entende ériger cette pique comme une source de gêne. Ah, bien sûr. Voilà qui fait de lui un soupirant éconduit, la meilleure façon de le décrédibiliser. Nestor, bien décidé à ne se laisser piéger aussi bêtement, soupire et prend un air faussement désolé, celui qu'on adresse à un enfant trop candide ou à un camarade que l'on imagine légèrement retardé. « Je crains que ce célibat n'intéresse toute la France sorcière - peut-être faudrait-il ouvrir plus souvent les pages que les bézants des Lestrange financent. » S'il faut se montrer mesquin, il peut tout à fait se prêter à ce jeu - Guilhem pourrait en témoigner, leur dernière rencontre ne fut pas des plus ... tendres. Mais inutile de rajouter du fioul à sa colère, et le breton chasse bien vite de son esprit l'image de son ancien compagnon musicien. Il ne peut d'ailleurs camoufler la légère moue moqueuse venue flotter sur ses lèvres, mais croise tout de même les doigts et les pose sur ses cuisses en prêtant l'oreille aux arguments qu'Auguste a décidé de lui opposer.
L'exemple des Lestrange, comme le premier concernait le relevait lui-même, était effectivement très pertinent. Mais surtout très fallacieux. Il est des familles pouvant crier à la méritocratie, aux bienfaits de la République pour faire croître leur fortune ou monter dans la hiérarchie sociale ; les Lestrange n'en font définitivement pas partie. Mais leur main mise sur les médias leur assure de soigner leur image, de balayer sous le tapis les éléments les plus gênants de leur histoire. Même en ayant creusé cette piste autant que la prudence le permettait - et peut-être un peu au-delà - Nestor a bien conscience qu'il n'a sans doute qu'effleuré les sombres secrets de leur ascension au pouvoir. Et surtout, il a bien conscience que rien de ce qu'il pourra avancer ne convaincra les étudiants rassemblés à leurs pieds. Car il lui a fallu du temps pour l'accepter, mais un débat ne se gagne pas de la même manière qu'un duel ou un combat à mains nues. Personne à la fin ne viendra lever le bras du sorcier victorieux, face à une foule en délire. Non, chacun avance ses arguments, tente de défaire ceux de l'adversaire, puis le maître interrompt l'échange avant qu'il ne devienne stérile. Et lentement, très lentement, Nestor comprend qu'il ne s'agit pas tant de réduire l'autre au silence, car le cœur du débat ne se niche pas dans l'échange entre deux personnes, mais plutôt dans les convictions qu'il pourra faire naître dans son public.
Il ne fera pas changer d'avis Auguste Lestrange - et à bien y réfléchir, le voudrait-il seulement ? En revanche, il peut instiller le doute dans l'esprit de leurs camarades, y fissurer l'image trop parfaite, et surtout y semer les graines d'idées qui lui sont chères, bien plus chères qu'une quelconque victoire. Et il est parfois difficile de s'en rappeler, face à l'insupportable héritier de Lautrec, quand flambe la colère, quand l'envie de lui faire mordre la poussière prend le dessus. Mais les leçons auxquelles il se prête, et qu'Auguste a si peu fréquenté, ont tout de même porté leurs fruits. Alors Nestor prend une lente inspiration, efface son agacement en même temps que son sourire sarcastique. Ce n'est qu'un spectacle comme un autre. Et il y a un public à convaincre. Surtout maintenant que de futures fiançailles avec Séléné de Valoys viennent d'être annoncées, comme on présente un scoop à une presse en folie. Les murmures se pressent ; il faut un regard sévère du maître de débat pour faire taire les vagues que cette petite bombe a fait naître. Bien joué, Auguste. Bien joué. Nestor incline un rien la tête, reconnaîtrait presque l'habileté de son adversaire. Et comme ce dernier paraît ne pas vouloir s'arrêter en bon chemin, il le laisse continuer. Pas un aveu de faiblesse, plutôt une stratégie : mieux vaut attendre qu'il fasse une erreur sur laquelle il pourra rebondir. « L'économie n'est pas tout, lorsque le trône de France est en jeu » fait-il ainsi remarquer d'un ton léger, sans toutefois pousser son point plus loin. Parfois, pointer les petites hypocrisies suffit.
« Encore une fois, à tes arguments de raison et parcimonie, je te demande qui est supposé s'en faire juge. Que la fille de boucher choisisse son mari, très bien, les conséquences y seront essentiellement personnelles. Mais cet outil, dans les mains de personnes infiniment plus riches et puissantes, peut se révéler comme ayant bien plus d'impact, n'est-ce pas ? » Nestor hausse les sourcils, mais sa question toute rhétorique n'attend pas réellement de réponse, si bien qu'il enchaîne aussitôt. « Je souhaiterais revenir sur le titre que tu évoquais tout à l'heure, et surtout sur son héritage. Vois-tu, dans ce cas, c'est mon propre exemple qui est pertinent. Mon nom n'est peut-être familier pour personne, et pourtant je descends d'une famille très aisée. Mais quand mes aînés ont jugé que leurs opinions divergeaient de celles défendues par le reste de la famille, ils n'ont pas hésité en s'en séparer, quitte à renoncer à la fortune à laquelle ils auraient pu prétendre. De l'ingratitude, alors ? » Il laisse planer un léger silence, défie Auguste du regard, lui défend de seulement songer à insulter ses parents ou grand-parents. « J'y vois plutôt la force de leurs convictions. Car il faut de la force, pour maintenir son cap quand vos proches cherchent à vous en dévier, quand on vous menace d'une modestie à laquelle votre naissance ne vous destinait pas. A celui qui pense faire preuve de gratitude en acceptant les dons que sa naissance lui accorde sans les questionner, je lui opposerai qu'il fait plutôt preuve de lâcheté. »
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Ravalant aisément sa circonspection, il offre à la place ce léger sourire humble et plein de bonhomie qui sait si efficace et qui ne manque jamais d’adoucir ses rencontres, glisse d’une voix qui se veut d’un amusement bon enfant : “Toute la France ? Oh non, Nestor, tu me prête là trop d’intérêt, j’ai bon espoir que la majorité de notre lectorat lise plutôt les gros titres ou les pages sur la culture et la politique, et pas les encarts sur les mondains célibataires.” L’évidence de l’air moqueur de Nestor va desservir son adversaire, car si le débat ne doit avoir de biais que celui de leurs philosophies, il est aisé pour un auditeur de s’accrocher à l’expressivité et les évidences physiques des participants. Hors la sympathie est une arme puissante dans l’esprit humain.
Il ne réagit pas à ses mimiques, garde uniquement le cap, souhaitant avant tout conserver l’esprit de droiture et d’échange intellectuel du débat en dépit des corrections qu’il apporte à l’incessant bruit de fond que produit inutilement Nestor. C’est là ce qui le dérange surtout, eu égard à son adversaire, cette incapacité de Nestor à comprendre qu’un débat intellectuel n’est ni personnel ni un duel magique mais un échange destiné à enrichir l’esprit humain, à créer des idées et à faire avancer des dialogues grâce au conflux d’expériences diverses. Sa hargne et son mépris outrancier le desserve beaucoup, aux yeux d’Auguste, même si Nestor ne l’entendra certainement jamais. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il le presse de nouveau au point suivant : “Peux-tu développer je te prie ? L’économie n’est pas tout dans quoi, et comment le relies-tu au trône ?”
Son regard resta posé sur Nestor, lui offrant d’une invitation la possibilité de transformer une énième pique en une idée d’intérêt, mais à la place, celui-ci préfère poursuivre.
“Je pense, Nestor, qu’il serait bon que tu te souviennes de la définition de ce qu’est la lâcheté, pour commencer. Sous quel aspect penses-tu qu’il s’agisse de lâcheté ? Un manque de bravoure devant le danger ? On peut l’imaginer, si tes aînés ne disposaient d’aucune façon de gagner correctement leur vie, effectivement. Est-ce le cas ? Ou bien est-ce de passivité excessive dont tu m’accuses par proxy ? D’un manque d’énergie morale ? Il faudra alors que tu m’expliques en quoi soutenir ma famille et participer de sa prospérité, en faisant des concessions quant à mes propres idées ou mes décisions est un manque d’énergie morale. Penses-tu peut-être qu’accepter d’écouter la sagesse d’autrui soit un manque d’énergie morale ? Qu’un seul individu, ou admettons, un groupe d’individus comme tes aînés, possèdent plus de sagesse et plus d’expérience et de compréhension sociale que les autres ? Mais cela poserait alors la question de l’hubris, du sentiment de pertinence et d’importance de l’individu face au groupe et également du respect et du développement intellectuel. Ou bien penses-tu qu’il s’agisse d’un manque de courage qui conduise à de l’impunité ? Dans ce cas, je te prie de m’expliquer de quelle impunité tu parles. Nous sommes, tous, sujets à la justice du Ministère. A moins évidemment que tu ne remettes également le Ministère en doute ? Sur quelle base en ce cas ? Celle de tes aînés ? La tienne ? Quelles sont tes qualifications pour cela, puisque tu sembles vouloir avancer l’argument du qui et dans quelle dimension ?”
Il croisa les jambes, eut un petit geste des mains, et poursuivit.
“Ou bien parles-tu de mes manières ? Mais je ne pense pas, je doute que mes manières soient un problème, ou je ne serais pas ici aujourd’hui ni à aucun autre moment par le passé. Je t’en prie, Nestor, éclaires-nous…
- Monsieur Lestrange…
- Éclaire-nous. Dis-nous en quoi tu te fais juge de ce qui est lâche ou non, quelles sont tes qualifications, tes expériences personnelles, tes formations, qu’est-ce que tu as pu vivre ou entendre, et d’ailleurs, je t’en prie, fais-nous part des valeurs que tes aînés souhaitaient défendre en abandonnant leur famille derrière eux. Donnes-nous des détails précis, des arguments, des faits qui permettent de juger réellement de ce que tu avances. Mes arguments sont développés, je m’explique et j’accepte volontiers tes critiques afin d’étendre ma pensée et de la rendre plus claire pour l’auditoire mais tu ne devrais pas me laisser prendre toute la place, je t’en prie, développe, ce sont des pistes fascinantes dont tu nous prives. Quelle à été l’issue de votre séparation avec le reste de votre famille ? Qu’est-ce que ça a changé ? Qu’est-ce qui valait de laisser derrière son sang et son passé, ainsi que les personnes avec qui, peut-être, ils ont grandi et souffert et cru. Montres-nous concrètement ce que cela apporte que ce soit pour vous ou pour la société, ou votre famille.”
Il eut un geste pour l’auditoire, puis glissa simplement.
“Personnellement, pour l’heure, je ne peux que te dire qu’abandonner leur héritage était un minimum de correction éthique. Prétendre au labeur d’autrui en crachant sur leurs convictions ou en ne donnant pas au moins autant à son niveau, voilà ce que moi j’appelle de la lâcheté. Tu es contre ce point de vue également ?”
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Now I'm pretty sure at 26 that it isn't gonna be some little fix
La mauvaise foi d'Auguste l'agresse, comme toujours. S'il avait oublié ses griefs envers le futur vicomte - pardon, le futur prince consort - ses dernières répliques auraient suffi à les lui rappeler. Mais Nestor a la mémoire longue, quand c'est de rancune qu'il s'agit. Et le jeu du débat ne vient pas apaiser la situation, bien au contraire. Les demandes d'éclaircissement, pourtant arme rodée que lui-même utilise avec plaisir, lui paraissent se transformer en honteuses hypocrisies quand c'est de la bouche d'Auguste qu'elles sortent. Il prend donc le temps de répondre, de la manière la plus concise possible, avant d'enchaîner sur son argumentaire. « L'économie n'est pas tout quand porter une couronne offre un pouvoir et une influence que nul argent ne saurait acheter » soupire-t-il avec l'assurance de celui qui énonce un fait connu de tous.
De toute évidence, la lâcheté était un point sensible, une faille dans l'armure. Car l'évoquer a ouvert les vannes, déclenché une logorrhée comme rarement Auguste leur avait fait l'honneur. Il faut à Nestor toute sa concentration pour étouffer le petit sourire victorieux qui tente désespérément de se frayer un chemin jusqu'à ses lèvres, tout en continuant à prêter une oreille attentive au discours de son adversaire. Car sous les questions qui s'enchaînent sans attendre de réponse, sous le vernis des bons mots et de la recherche futile d'une définition, il devine une fragilité - ou du moins, une susceptibilité, que son accusation est venue frapper en plein cœur. Mais Auguste est soit trop habile, soit trop enflammé, car il parle avec une telle verve qu'il est impossible de retenir toutes les informations sous lesquelles il le noie. Et sous lesquelles, au passage, il noie leur public. A chaque incohérence que Nestor voudrait pointer, une nouvelle question vient s'ajouter, essaye de lui faire perdre le fil, l'entraîne sur un chemin de pensée avant de le faire obliquer violemment vers un autre. Le maître de débat lui-même tente d'intervenir, en vain.
Nestor, toutefois, parvient à rester de marbre. Il laisse les provocations glisser sur lui, une étincelle mauvaise brillant dans son regard, seul indice que les mots d'Auguste trouvent dans un esprit un terreau fertile sur lequel venir planter leur poison. Mais cela lui demande tant d'effort qu'il n'arrive pas réellement à déterrer dans l'argumentation du Lestrange ce qui l'a tant irrité en entendant parler de lâcheté. Peut-être une fois plus calme, moins sous le feu du débat et des projecteurs, cela lui apparaîtra-t-il comme une évidence. Sauf que ce sera alors trop tard. Ces considérations s'effacent, cependant, tout comme le calme dont Nestor faisait preuve, aux derniers mots d'Auguste. « De correction éthique ? » s'étrangle-t-il. « Quelle belle manière de sauter aux conclusions, avec le peu d'informations dont tu disposes ! Je t'en livrerais bien davantage, puisque tu sembles si affamé d'histoire familiale, mais la manière dont tu juges avant même de savoir ne m'en donne aucune envie, vois-tu. Tes propres privilèges semblent te noyer sous leurs biais, et sans doute seras-tu incapable d'étendre ta pensée tant que tu ne pourras t'en défaire. Tu parlais d'un manque d'énergie morale ? Je pense que c'est exactement de cela qu'il s'agit. Qu'il est facile de se vautrer dans son confort et d'appeler cela un service rendu à sa famille. Qu'il est facile de se cacher derrière les excuses que les autres nous offrent, et d'appeler leurs exigences de la sagesse. N'es-tu pas ici pour développer ton esprit critique ? Peut-être devrais-tu commencer par te tourner vers le nom qui t'a valu ta place dans nos rangs, et te demander si les sacrifices consentis pour en arriver là en valaient bien la peine. »
« Messieurs ! » La voix du maître de débats tonne, rappelant brutalement Nestor à la réalité. « Ce débat s'est par trop éloigné de son sujet originel. Il est temps de passer à autre chose. » Et d'un regard sévère, accompagné d'un geste impérieux de la main, il les invite à quitter leur place pour la céder aux prochains orateurs. La démarche de Nestor est raide quand il rejoint l'auditoire, le regard fixe, parfait témoin de la rancune qui s'engraine. Il lui est difficile de se concentrer sur le reste de la séance, quoique ce ne soient pas les efforts en ce sens qui manquent. Mais son esprit revient perpétuellement tourner en boucle sur les attaques d'Auguste, et c'est sans surprise que, les débats terminés, il ne puisse s'empêcher de revenir à la charge auprès de l'héritier. Sa petite silhouette rousse se faufile entre les étudiants, laissant leurs discussions flotter par-delà son sillage, sans ignorer pour autant que les regards portés sur lui sont au mieux prudents ou circonspects, au pire hostiles. Si un vainqueur devait être désigné à l'issue de cette séance, Nestor n'aurait sans doute aucune chance. Mais ce n'est pas ce genre de duel. Il se plante devant Auguste, incapable de le laisser partir en silence. « Les débats face à ton miroir n'ont de toute évidence pas eu les mêmes bienfaits qu'une présence assidue parmi nous. Cela dit, prétendre que j'attendrai ta prochaine visite avec impatience ou curiosité serait hypocrite de ma part, et nous ne voulons surtout pas nous montrer hypocrites, n'est-ce pas ? Au demeurant, j'imagine que tes fiançailles risquent de faire de toi un homme plus occupé que jamais. »
i'll mourn for a kid
but won't cry for a king ☽ Find your grandparents or someone of age, pay some respect for the path that they paved. To life they were dedicated, and that should be celebrated.
Auguste LestrangeCLOTHO | THIS IS OUR WORLD NOW !
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Succès
Il l’observe fixement, sans aucune intention de répondre à un tel argument. En France aujourd’hui, la famille De Valoys fait probablement partie des plus impuissantes et des plus frustrées, mais qu’est-ce que Nestor peut en savoir, après tout ? Enfoncer des portes ouvertes n’a pas l’ombre d’un intérêt. Et de toute façon, cette question est bien vite remisée. Auguste assène, Auguste enchaîne, et lorsqu’il en a terminé, il se fige, un frisson imperceptible le long de l’échine, une légère sueur froide entre les omoplates, la respiration qui se veut calme mais les ailes du nez frémissantes. Il sait qu’il a sans doute poussé trop durement, qu’il eut dû aérer son discours, donner de la latitude à Nestor de répondre, d’ajouter utilement, plutôt que de marteler ainsi.
Les choses sont faites, tant pis. Cela fait deux fois qu’on le traite de lâche et à chaque fois l’auteur de l’insulte est criminellement illégitime à donner des leçons de morale. Crepus lui eut très certainement conseillé d’en rire, et il eut raison. Se conduire autrement donne trop d’importance à son critique. Une erreur de débutant, qui le frustre vertement. Et cette constatation chasse toute forme d’irritation ou d’ennui, à l’égard de Nestor qui, après tout, n’est qu’égal à lui-même, dans ses qualités comme dans ses défauts. Non, vraiment. Portant à nouveau son regard sur lui, alors que Nestor répond - aboie – Auguste ne ressent plus ce qui l’a piqué dans les propos de son adversaire de débat. Oui, il le pense lâche, et alors ? De sa part, ça n’a aucune valeur et il ne peut lui demander d’exister selon ses critères personnels.
Tout ça lui donne envie de fumer. Il ne peut cependant pas le faire tant qu’ils sont sur le podium, alors il prend son mal en patience, attend. Nestor ne semble plus savoir où il va, dans ses arguments, dévoluant en ce qui est clairement, ouvertement, une affaire personnelle. Ils sont tous deux remerciés par le maître de débat, se lèvent. Auguste remercie l’homme, puis Nestor, avant de descendre les marches. Installé avec ses pairs, il échange brièvement, à voix basse, puis au début du débat suivant, s’octroie sa cigarette en récompense. La nicotine achève de calmer son esprit, et il parvient tout de même à prendre quelques notes des débats suivants, pose quelques questions lors des échanges une fois les débats achevés. Lorsque la séance prend fin, il accepte une invitation à diner de la part d’un cousin des Le Noir, puis distance le groupe.
L’approche de Nestor le prend par surprise, tandis qu’il récupère son manteau dans l’intention de quitter les lieux. Légèrement interdit, il abaisse la main prête à se saisir du vêtement, cigarette fumante toujours coincée entre ses lèvres, et l’écoute sans réagir. Une fois encore, on les observe, on s’attroupe même, et Auguste s’offre quelques instants de silence, tirant simplement sur sa cigarette. Certains membres de l’auditoire se lassent avant lui, mais pas tous. Finalement, il vient écraser son mégot dans le compartiment de sa blague prévu à cet effet, et sort une nouvelle cigarette, bien vite allumée, à la moldue, avant qu’il ne range l’objet dans une poche et ne décoche un regard tiède à la furie revenue à la charge, l’interrogeant d’une voix où la circonspection est évidente, et qui ne sous-entend rien de plus que sa curiosité perturbée.
“Sérieusement, Nestor, tu peux m’expliquer pourquoi tu en reviens perpétuellement à ma vie conjugale aujourd’hui ?”
Et il attend, avec un léger geste des épaules. A force, il va finir par réellement croire qu'il y a quelque chose, et il ne sait pas comment il doit réagir à cette idée.