[Terminé] Intervention et kidnapping à la Française. Ft. Kim Jeong

Les journées se ressemblaient, s’étiraient, se mélangeaient. Jeong faisait tellement d’heures que, parfois, il ne savait plus vraiment quel jour il était. Il s’y perdait parfois même dans les heures, si ce n’était lorsqu’il avait de grosses interventions de prévues. La plupart du temps, il intervenait surtout sur des urgences, après que les autres médicomages de son service aient échoué à traiter les patients. Il était rare que l’on reste longtemps dans son unité, les plantes et les poisons se soignant relativement rapidement. C’était pas comme si on parlait d’un problème cardiaque ou d’un ensorcellement demandant un suivi régulier. Ça pouvait arriver, mais ça restait assez rare généralement.

Aujourd’hui était l’une de ces journées interminables. Pour autant, Jeong demeurait concentré et ce malgré le manque de sommeil. Il n’avait pas non plus prévu de prendre de pause, pas tout de suite. Il ne savait même pas quand il rentrerait dormir. Au-delà des patients à soigner, il y avait tout l’administratif à traiter. Rigoureux, il était efficace pour cette paperasse qui en aurait assommé plus d’un. Sa plume grattait les parchemins à une vitesse folle, et pourtant ses lettres ne se perdaient pas l’une dans l’autre, contrairement aux heures et aux journées.

La porte ouverte, il percevait, plus ou moins proche, le brouhaha de l’activité habituelle de l’hôpital. Une vraie fourmilière, comme d’habitude. Il ne prenait souvent même pas la peine de lever le nez quand il entendait des pas dans le couloir. Ceux qui voulaient lui parler frappaient généralement à sa porte pour témoigner de leur présence.

Pourtant, à cet instant, un bruit détonait légèrement, par rapport aux sons habituels. Interpelé, mais toujours concentré, il pencha la tête sur le côté, les yeux restant rivés sur ses parchemins. Un certain cliquetis le faisait s’interroger, perturbait ses habitudes bien rôdées. Haut les mains peaux de lapins, ceci est un kidnapping. Le cœur de Jeong s’arrêta une seconde, sa paupière fut prise d’un léger spasme, mais ce fut les seules traces de son trouble à la vue de l’arme faite de chair avec laquelle on le braquait. Il expira doucement, sans avoir eu l’impression d’avoir retenu son souffle, et haussa un sourcil à l’adresse de César. Il avait, heureusement, rapidement reconnu l’homme qui avait pénétré dans son bureau. Il avait passé de nombreuses années aux côtés de sa mère, puisqu’elle avait été sa mentor, son enseignante, sa directrice d’études. Il s’en était suivi de nombreux repas de famille auxquels il avait été invité. On pouvait dire qu’un certain lien s’était tissé entre les deux hommes, d’autant qu’ils avaient sensiblement le même âge.

Bonjour César. Il fronça les sourcils. Un kidnapping ? Viens-tu me dérober l’un de mes patients ? Jeong pouvait être particulièrement obtus, aveugle aux évidences, parfois. Il signa distraitement un nouveau document. D’un côté, César travaillant au Ministère, peut-être bien qu’un de ces clients aurait pu être témoin ou victime d’un empoisonnement par une créature… Qui sait ? Il pouvait se passer des choses tellement étranges parfois.

Son regard tomba sur la petite chienne qui accompagnait son ami, et s’adoucit. Je ne crois pas que tu m’aies déjà présenté ta jeune amie. Où sont donc passées tes manières ? Jeong avait un faible pour les animaux, même si lui-même ne partageait sa vie avec aucun d’entre eux. Pas même un hibou pour ses courriers. Quand il releva les yeux vers le visage de son visiteur, un léger sourire flottait sur ses lèvres. En vérité, sa venue était agréable. Peut-être travaillait-il trop en ce moment… Encore.

À peine avait-il croisé le regard de la petite chienne que celle-ci vint contourner le bureau pour lui renifler les genoux. La joie envahit son petit corps, comme en témoignait sa queue qui se mit à battre l’air frénétiquement, et son envie visible de bondir sur ses genoux. César parvint à l’attraper avant que ça ne se produise, mais un sourire plus large encore illuminait maintenant le visage du médicomage. Si toi, tu ne te souviens pas d'elle, elle se souvient bien de toi. Tu as un nez trop bon pour ton propre bien, toi. Jeong observa d’un peu plus près la petite chienne, qui se faisait gratouiller la tête par son maître un peu trop près de lui maintenant. Le Coréen n’appréciait pas forcément cette proximité, d’autant que César possédait une imposante carrure, mais il se concentra sur l’animal pour oublier son trouble.

Après, lou petiout était pas ben grande la dernière fois que tu es passé par chez nous. Elle n'avait que quels moins. Tout p'tite boule comme ça. Le médicomage partit à la recherche dans sa mémoire de la dernière fois où il avait rendu visite aux de l’Ours à leur domicile. Et, en effet, il se souvenait d’un petit chiot pas bien grand. Il eut un nouveau sourire et tendit la main pour gratouiller la chienne derrière les oreilles. Ah, mais oui, bien sûr. Lucie. Comment ai-je pu oublier. Peut-être à cause de tout son travail. Sûrement, même.

Comme en écho à ses pensées, César reprit. Et non, mon bon docteur. Je ne viens pas pour te prendre l'un de tes patients. Je viens pour toi. Jeong releva la tête vers son ami, et fronça les sourcils, toujours aussi obtu. Pour moi ? Je ne crois pas avoir souvenir d’avoir affaire avec le Ministère dernièrement, ou les créatures humanoïdes. Ou bien peut-être as-tu besoin de mon aide pour l’une de tes missions ? Le travail, toujours le travail. Il avait toujours été ainsi, même avant la guerre. Toujours à faire passer les autres avant lui-même… et depuis la guerre… autant dire que ça ne s’était pas amélioré, au contraire… Il trouvait dans son travail une distraction, un échappatoire aux tourments de ses souvenirs…

Le rire de César surprit quelque peu Jeong. Il haussa un sourcil, pour seul témoin de son étonnement. Non Jeong. Je ne suis pas venu ici de bon matin dans ma fonction de liaison aux créatures et encore moins au nom du ministère. Car vois-tu… Le médicomage patienta le temps que son ami exhume un calendrier de sous la tonne de paperasse qui encombrait son bureau. … je ne travaille pas le samedi. Enfin, à moins qu'il y ait une urgence. Une petite voix hypocrite lui chuchota un ça aurait pu être une urgence, mais il la chassa bien vite. Un vague air dépité se peignit sur le visage du Coréen. Un samedi… Bon, en soi, ça ne le choquait pas vraiment… quand on était médecin ou infirmier, on ne s’encombrait guère de ce genre de trivialités… d’autant que la plupart des urgences arrivait généralement lorsque les autres n’étaient pas occupés par leur travail.

Maman avait dit que tu serais encore ici. Elle s'inquiète pour toi. Et à voir ta tête je la comprends. Il esquissa une petite moue alors que César approchait une chaise pour s’asseoir en face de lui. Lucie ne perdit pas de temps, et Jeong tendit machinalement la main pour lui accorder une caresse. Tu sais ce que c’est… le travail. soupira-t-il en passant une main dans ses cheveux un peu trop longs. Donc comme je disais: ceci est un enlèvement. Maman m'a dit que tu n'étais pas censé travailler ce week-end et m'a demandé de venir te chercher. Vu ta tête, il vaut mieux pour toi et tes patients que tu viennes et que tu lèves un peu le pied. Tu ne penses pas ? Il fronça les sourcils. En vérité, il déléguait le planning et l’organisation des employés de son service à une jeune infirmière qui s’était révélée particulièrement douée pour ça, et se contentait de le signer, sans même regarder quels devaient être ses horaires à lui… Il n’en faisait de toute façon qu’à sa tête. Tant qu’il y avait du travail, il restait à l’hôpital, il était comme ça… et la Guerre n’avait rien arrangé.

Il poussa un autre soupir, mais l’accompagna néanmoins d’un sourire. Ai-je vraiment le choix, mon ami ? interrogea-t-il le Landais. Quel est donc ton plan pour que je puisse lever le pied ? Jeong s’en inquiétait quelque peu, mais avec une certaine curiosité. C’était toujours une aventure de retrouver les de l’Ours… Il était certain que ça allait le changer du bureau et de l’hôpital. Prendre l’air lui ferait du bien. Dois-je prévoir une autre tenue ? Après tout, le médicomage connaissait l’attrait de son ami pour les balades en pleine nature… et on ne pouvait pas vraiment dire que ses souliers se prêtent à la chose…

Pas la moindre, mounome. Jeong eut un sourire qui, bien qu’un peu las, était reconnaissant et soulagé. Surtout si tu ne veux pas que je me transforme pour te traîner d'ici. Le médicomage eut un petit rire. Heureusement que le personnel de l’hôpital avait un tant soit peu l’habitude de César. À moins que tu veuilles affronter les rues bondées de Paris pour te retrouver une paire de godillots, va falloir qu'on passe te trouver quelque chose de plus adéquat. Ceci étant, je ne suis pas pleinement un tyran. Je te propose un menu de divertissements en plein air, de quoi t'aérer de cette odeur d'éther stagnante. Jeong haussa les épaules. Je dois avoir une paire de bottes qui traîne chez moi… Après tout, il s’équipait toujours pour les repas de famille chez les de l’Ours. Il était assez rare qu’ils ne fassent que manger, même si c’était toujours copieux… Ca aurait été dommage de ne pas profiter de la nature au passage. Un simple accio serait suffisant, ou bien un peu de poudre de cheminette pour faire un crochet par chez lui avant de rejoindre la destination prévue par le Landais.

Celui-là lui présenta donc les options qui se présentaient à lui. La mer, la forêt ou la montagne. Les trois propositions semblaient alléchantes et prometteuses pour le ressourcer pleinement. Elles ne paraissaient pas particulièrement reposantes, mais le simple fait de quitter la capitale et de retrouver la nature, les plantes, lui ferait le plus grand bien. Alors, qu’est-ce qui te tente ? Jeong réfléchit quelques instants. La balade en bord de mer serait le plus reposant… mais ça lui disait bien d’aller à la cueillette des champignons. Pour lui qui était un grand amateur de plantes et de potions, il serait comme un enfant moldu la veille de Noël.

Va pour les Landes et leurs champignons. choisit-il enfin. Il allait effectivement devoir changer de souliers. Les actuels n’étaient clairement pas faits pour une virée en forêt. Passons-nous par chez moi avant de nous y rendre ? Je pourrais troquer ma tenue pour une qui sera plus pratique. Jeong était fatigué, mais il était aussi presque impatient de cette virée, au final. Sa carcasse élancée avait besoin de quitter un peu son siège pour aller arpenter la nature, comme avant. Combien de fois était-il allé en forêt à la recherche de plantes pour les antidotes, sous la supervision de la mère de César ?

Jeong était connu pour être têtu et buté, mais il savait aussi choisir ses batailles. Et peu nombreux étaient ceux qui pouvaient se targuer d’en gagner une face à un de l’Ours tout aussi déterminé. Très bon choix. Le temps ce week-end devrait nous être clément en plus. Juste assez frais pour réveiller et juste assez de soleil pour le confort. Tu vas voir. Le médicomage hocha la tête. La météo ne l’inquiétait guère. S’il semblait en effet un brin superficiel à penser à sa tenue pour se rendre en forêt, Jeong était pourtant un habitué des sorties sous la pluie et dans la boue… Il était spécialisé en plantes magiques, après tout… et la plupart d’entre elles ne poussaient pas dans de jolis vergers ou les jardins de Versailles. Et puis… la Guerre ne l’avait pas épargné sur ce sujet non plus.

Il se leva à la suite de César et de la petite Lucie. Ouaip, on transplane chez toi pour attraper tes affaires. Une fois mieux équiper, direction le quartier de L'Ours. On partira de là. Et tu vas voir, je te réserve quelques surprises. Troquant sa cape de médicomage pour sa cape de transport, il hocha de nouveau la tête, avare de mots. Il n’avait jamais été un grand bavard, choisissant ses mots aussi bien que ses batailles et ses antidotes. Il ajusta le revers de sa cape et, d’un mouvement de baguette, arrangea les parchemins sur son bureau. La magie rédigea également une note qui partit s’épingler sur la porte de son office, qui se fermerait pour une fois. Absent pour le week-end stipulait-elle. Oh, bien sûr, le planning officiel indiquait qu’il ne devait pas être présent, mais tout le monde savait que le Dr. Kim n’en faisait qu’à sa tête, alors il préférait prévenir ses collègues. D’un tour de poignet, il envoya d’autres morceaux de parchemins aux médicomages et infirmiers avec lesquels il travaillait le plus régulièrement, afin que ceux-ci ne perdent pas de temps à venir jusqu’à son bureau si l’occasion se présentait. Bien, tout est en ordre. Nous pouvons y aller. Un nouveau hochement de tête pour signaler à son ami qu’il était prêt, et Jeong transplana jusque chez lui.

Une fois sur place, il ne prit pas la peine de s’assurer que César l’avait bien suivi… Son ami connaissait le chemin. A la place, il se hâta de se débarrasser de ses souliers et traversa son appartement en chaussettes, sans prendre le temps d’enfiler ses chaussons d’intérieur, pour rejoindre son dressing, où il sélectionna rapidement une tenue plus appropriée. S’il n’avait plus l’habitude de se vêtir ainsi, tout était tellement bien organisé chez lui qu’il savait où tout se trouvait. Il se changea et revint vers l’entrée avec une paire de chaussures plus adaptée à la marche en forêt à la main. Je suis prêt. déclara-t-il en enfilant ses bottines fourrées. Il fit ensuite signe à César d’ouvrir la voie cette fois, bien qu’il connaisse tout aussi bien le trajet jusqu’à la propriété des de l’Ours.