Fragments du passé | FB

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Bal intimiste sur les bords de seine, réception chaleureuse dans l’atmosphère printanière, douce nuit tiède et enjouée au son d’un orchestre de qualité. Aucune pompe royale, lorsque la famille d’Adhémar festoie, mais la galerie des glaces, fidèle reproduction de celle de l’exposition universelle, montée de toute pièce pour l’occasion sur la suggestion de la famille Delacour n’en est pas moins grandiose et enchantée, savamment protégée des moldus par de puissants enchantements, tout temporaire qu’ils soient. Miroirs et vitraux ensorcelés, lueurs pâles enfermées dans des diamants étincelants lévitant au-dessus d’une piste de bal en mosaïque byzantine bleu et dorée, balcon sur la seine, pour admirer les lueurs féérique de la capitale tandis que de délicats esprits de l’eau s’ébattent sur la surface enténébrée, couleurs éclaboussées comme un rêve passager.

Le faste n’est pas son quotidien, quels que soient les montants que les siens peuvent dépenser s’il leur en prend l’envie et ces festivités ont un but bien arrêté. L’affaire est déjà entendue, négociations effectuées en toute privauté entre Sergueï Romanov et lui-même, avec l’appui de sa parenté. Le contrat est établi, mais cet instant ? Ce moment singulier ? Une tentative, peut-être maladroite, de sa part pour enrobée, pour offrir à sa promise autre chose que l’image navrante d’être une bête vendue sur le marché. Cette liesse, cette féérie, c’est avant tout pour eux, pour se rencontrer, pour se parler ? C’est en tout cas ce dont il s’est persuadé. L’affaire est entendue, certes, mais il ne souhaite pas pour autant la forcer s’il peut l’éviter. Il souhaite… Que souhaite-il, à dire vrai ? Encore à se racheter ?

Discussion de rigueur, courtoisement policée, non dénuée d’un fragment d’intérêt pour autant, lorsqu’enfin arrivent les Romanov. Mouvement qui attire son regard dans l’instant, il retarde pourtant son approche de quelques instants, avant de s’excuser auprès de son vis à vis pour approcher de leurs invités. Salutations sans excès, d’abord au patriarche, aux héritiers, puis enfin, vient le moment qu’il ne cesse de ressasser.

Non qu’elle lui soit désagréable, la pensée est sienne, tout autant que l’idée, et il ne s’imposerait ceci sans y être préparé, et sa vision, sur le moment, n’est pas plus infâme, quoi qu’il attende de voir ce que dissimule le drapé, l’essence de sa psychée. Elric tient cependant à partir du bon pied, dans cette union sacrée qui durera, plût au ciel durerait jusqu’au décès de l’un, de l’autre, ou des deux engagés.

Devant elle, il se sent tout d’abord gauche, s’inquiète un instant d’être trop décalé, trop vieux et ne cesse de se fustiger. On lui a cependant appris à s’armer de détermination dans les épreuves de sa vie, et celle-ci n’est pas différente. Inspiration chassant la tension, sourire pour désavouer l’appréhension, le voilà qui ploie et lui fait un baise-main, aussi galant qui soit. Décidé à lui laisser toute latitude d’exister en dépit de la présence parentale qui la flanque, poussé par l’envie de la connaître plus que de la dévoilée, Elric résiste à l’appel de la légilimancie. En lieu et place, il se redresse, l’observe dans les limites d’une courtoisie évidente. La liesse progresse, tout autour d’eux, valses et musiques ondoyant dans l’air parfumé, tout de rires ponctués.

“Elric d’Adhémar, Mademoiselle.” Choix d’une appellation à la française, culture qu’elle va épouser. “Enchanté.” Il l’est, réellement.

Guère le temps d’échanger, sur l’instant, mais cela change rapidement. Après tout, ils sont tous au courant. Son père et Sergueï Romanov s’éloigner pour discuter, et Elric espère secrètement que Florentin saura tenir l’homme à distance, suffisamment éloigné pour qu’il ne puisse observer. Seul en compagnie de Zinaïda, Elric se tourne vers elle à nouveau et indique la vaste salle aux miroirs poudrés.

“Je ne sais si la danse est une activité qui vous plaît, mais si ce n’est pas le cas… Le balcon est tout indiqué. Il ne sera envahi qu’au moment des feux d’artifices. Pas avant quelques temps encore, je gage…”

Il est difficile de jauger ce qui a pu être dit à la jeune femme. Sait-elle même pour le but de cette soirée ? Ridicule, il eut du s’en informer avant ! Mais ce n’est définitivement plus le moment.

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris

Elle se regarde dans la glace. Elle est parfaite. Elle avait toujours su se rendre parfaite, c’était bien là l'une des qualités qu'on avait su lui inculquer. Sa silhouette fine était mise en valeur par la robe de soie précieuse - Sergueï n'avait pas rechigné à la dépense, il n'aurait plus manqué que sa fille apparaisse comme une pouilleuse le jour de ses fiançailles, n'est-ce pas ? On l'avait coiffée avec goût, et son cou était orné de pierreries discrètes. Le maquillage était raffiné, loin d'être ostentatoire. Il conservait la fraîcheur de sa jeunesse, l'un de ses arguments de vente sans doute. L'on aurait pas voulu la faire paraître plus âgée que ses vingt deux ans avec trop de rouge aux lèvres ou trop de fards aux yeux. Et puis, Zinaïda était belle. Sans doute le troisième argument qui faisait d'elle un parti acceptable. Le premier était sans doute son sang noble et son éducation princière. Encore que,suivant les époux, tout n'avait pas la même importance. Mais la fleur du froid doutait fort qu'on l'ait choisi pour ses capacités excellentes à l'école, sa propension à parler trois langues à la perfection ou son sens de l'humour piquant. Non. La parfaite fiancée était jeune, belle, noble, riche et en bonne santé. Cela faisait trois sur cinq, ce qui n'était pas un score mirobolant, aussi Sergueï Romanov s'évertue à mettre en avant les atouts de sa fille.

Le bleu mettait son regard en valeur. Pour ça non plus, Zinaïda n'avait pas eu son mot à dire. Un infime soupir, alors qu'elle s'observe sous toutes les coutures, regarde la jolie petite poupée obéissante qu'elle est. L'idée la traverse d'appeler le héron et de fuir. Mais pour ou? Pour quoi? En elle, bien ancrée, il y a la certitude du devoir familial, servir les Romanov avec les capacités que Dieu lui a données : sa matrice, sa beauté, sa malléabilité. De toute manière, l'on toque à la porte. Yulian entre, murmure un compliment à sa petite sœur en venant embrasser son front. " Je suis désolé" qu'il chuchote, et elle l'ignore. Ce n'est pas à lui qu'elle en veut, il est le cadet et n'a pas eu son mot à dire lui non plus. Non, les excuses, elle voudrait les entendre de la bouche de leur père ou de Nikolaï. Yulian ajuste une fleur dans sa chevelure. Clochette de muscaris bleus et lierre ornent sa blondeur. Je fais le serment de n'aimer que vous jusqu’à la fin de mes jours. Même les fleurs parlent à sa place ce soir. "Allons. C'est l'heure." C'est elle qui a rompu le silence. Qu'on en finisse. Elle quitte cette chambre libre et la retrouverait enchaînée à un homme dont elle ne connaît rien encore.

En la voyant, son père a un regard satisfait du cadeau qu'il fait à cet Elric d'Adhémar dont seul le nom lui dit quelque chose. Elle refuse de regarder Nikolaï dans les yeux et dans la voiture à chevaux qui les amène sur les bords de Seine, le silence est pesant. Enfin l'on arrive. Comme le veut l'usage, elle descend en dernier, sa main dans celle de son père. On les annonce. Les regards se tournent vers eux. Zinaïda sourit avec une douceur virginale, composé ce masque que l'on attend d'elle. Mais elle observe tout, tout le monde. La réception en dit long. Féerie printanière intimiste. Décoration distinguée mais sans faste clinquant. Faste cependant, montrant l'argent, mais le bon goût de ne pas l'exposer à outrance. Probablement une manière de ne pas vexer les Romanov et leur pauvreté crasse, songe-t-elle. Quelle tristesse que le seul trésor de la famille impériale soit cette unique fille bradée au plus offrant. Tant pis pour eux. Qu'ils perdent leur seul joyau, c'est tout ce qu'ils méritent.

Zina poursuit son observation minutieuse. La beauté est offerte partout où les sens sont posés. Dans les harmonies de couleurs, dans la légèreté des notes de musique, dans l'odeur parfaite des végétaux et du fleuve tout proche. Sans doute cela cache-t-il un fiancé disgracieux : rien n'est si parfait si l'on n'a rien besoin de compenser, elle en était la preuve ce soir. Alors quoi? Son futur époux était-il boiteux ou chauve, nain, difforme, poilu comme une bête ou affublé d'un bec de lièvre? Les paris étaient lancés. De toute façon, cela ne changerait rien : elle l'épouserait.

La promise relève quelques murmures à son passage, et sourit intérieurement, un rien perfide. Kolya doit déjà bouillir, captant toutes ces pensées qui ne lui appartiennent pas. Voilà ce que l'on gagne à trahir sa sœur. Et bientôt, un mouvement. Un homme s'approche. Le fiancé, lui glisse Yulian à l'oreille. Information bienvenue pour la fleur du froid qui le détaille avec discrétion. Il est beau, voilà son premier constat. Bien plus âgé qu'elle, mais loin de la soixantaine qu'elle lui imaginait déjà. Non, une petite quarantaine d'années peut-être. Elles lui vont bien. Il a un port de tête altier qui ne lui déplaît pas. Mais hélas, s'il a son apparence pour lui alors il sera cruel : parce qu'ainsi va le monde n'est-ce pas? Elle aurait presque préféré un homme laid. Non, c'est faux. Si elle doit passer le restant de sa vie à partager son lit, sans doute est-ce mieux qu'il soit agréable physiquement. Au moins, elle n'ajoutera pas à la rancœur et l'amertume, le dégoût de son apparence. Il saisit sa main et le baisemain est parfait : il n'a pas touché sa peau de ses lèvres et c'est un point qu'elle lui accordé : trop d'hommes manquaient d'éducation et elle n'aurait eu aucun moyen d'essuyer discrètement sa peau souillée de salive dans la situation actuelle. "Son altesse sérénissime, la princesse Zinaïda Sergueïevna Romanova." la présente Yulian, comme il est de coutume. Encore que non, s'ils avaient un nom et une fortune, c'est un serviteur qui s'acquitterait de cette tâche. Imposer à son cadet le rôle d'un domestique, juste pour le plaisir d'entendre les titres de sa fille ronfler à ses oreilles, voilà l'orgueil paternel. Profitez donc, père, de l'illusion de notre gloire. Vous perdez aujourd'hui votre fille. Et toi, Nikolaï, ne t'approche pas de mes pensées.

Son sourire est doux et allié d'une révérence parfaite. Des mois de coups de règles sur les épaules, le dos, les fesses, les mollets pour arriver à ce résultat. L'on n’apprenait pourtant pas aux hommes à s'incliner. "Enchantée de même, Monsieur d'Adhémar." Son français est parfait et absolument dénué d'accent. Elle n'en dira pas plus : son père fera la discussion pour elle ce soir. Visiblement il estime que la marier n'était pas suffisant et qu'il lui fallait encore la déposséder de sa parole. Comme si l'humiliation n'était pas assez grande.

Mais il y a une ouverture. Son futur beau-père entraîne son géniteur. Ses frères doivent inviter des héritières plus ou moins obscures à danser. Ils sont seuls et Zina hésite sur la conduite à suivre. "J'aime danser, avec un bon cavalier. Mais je suppose que vous et moi aurons un moment dédié pour ça dans le fil de la soirée. Probablement après votre demande publique et le feu d'artifice. Ne leur gâchons pas ce plaisir. " Son sourire se fait narquois, l'espace d'une seconde. Elle montre le balcon d'un geste de la main, aussi gracile que gracieux et l'accompagne vers l'endroit. La vue est magnifique et, ainsi qu'Elric l'a supposé, l'endroit est calme. Les bonnes mœurs voudrait qu'elle ne soit pas seule avec lui. Elle n'en a cure. C'est sans doute la seule occasion qu'elle aura de lui parler avant de lier son destin à lui. Et un instant, elle ne sait quoi dire tant elle a de questions. Les rires leur parviennent encore. Elle n'a pas le cœur à rire. Ses yeux cherchent ceux d'Elric, sans détour, lorsqu'elle parle de nouveau. "L'on m'a dit que c'est vous qui avez demandé ma main." L'information ne venait pas de son père, évidemment : elle n'avait pas besoin de savoir ce genre de choses. "C'est pour le moins inhabituel." On ne se liait pas volontairement à une famille désargentée et maudite, pas dans leur monde. "Est-ce vrai?" Si oui, il avait donc un but inavoué. Si non... et bien, il n'était probablement qu'un mufle et elle pourrait vivre avec ça.

Codage par Libella sur Graphiorum

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

C’est une colombe qui se présente devant lui, l’allure parfaite, le geste sûr et la parole impeccable et pourtant, Elric se prend à craindre pour sa santé. Elle est si pâle ! Il n’en dit rien, évidence même, car il ne souhaite pas la vexer, remise son souci dans un coin de psychée, en espérant ne pas l’oublier. Elle est si pâle qu’il eut été sans doute plus indiqué de lui faire porter une étole, au moins, quant bien même sa robe met en valeur une silhouette si aérienne qu’elle eut convenu à une vélane. Sans doute fait-elle l’envie de la bonne société, mais Elric ne peut s’empêcher de penser que ses épaules mériteraient plus de chaleur et certainement plus de couverture ! Elle chasse néanmoins ses pensées lorsqu’elle répond à son invitation, confirmant alors qu’elle était tout à fait au courant des objectifs de cette célébration.

“C’est notre soirée, aussi traditionnel que ce soit” Sourire chaleureux, voix assurée “Si vous voulez danser maintenant, personne ne vous fera le moindre commentaire.”

Il baisse légèrement la tête, son regard s’égarant un instant sur leur entourage immédiat. Il n’était sans doute pas le cavalier le plus à l’aise, évidemment, mais avec la potion qu’il a utilisée plus tôt et de solides cours dans sa jeunesse, Elric est certain d’être à tout le moins capable de ne pas la décevoir. Au moins pour cela. Une chose est certaine, il n'assistera sans doute pas au feu d’artifice, pour conserver encore un peu sa propre dignité. En attendant, il lui offre son bras, la conduisant galamment jusque sur le balcon où, grâce au ciel, ils jouissent alors de la tranquillité qu’Elric a deviné pouvoir y trouver. La musique leur parvient avec distance, toujours agréable, mais les rires sont estompés, le bourdonnement de conversations s’étiolant agréablement.

Elric recule d’un pas, proche de la balustrade, observe la jeune femme, yeux dans les yeux, avec franchise. Il apprécie qu’elle ne l’esquive pas, qu’elle s’adjuge l’observer sans détour.

“Oui. C’est la vérité.”

Elle a raison : c’est inhabituel. Ce n’est pas à première vue un mariage des plus substantiels. Les Romanov y gagnent davantage que les Adhémar, le montant de la dot est conséquent, sans même parler du manque de poids des slaves au sein de la haute société française. Cet échange, il l’a par ailleur déjà eu, avec son père et sa mère, tous deux soucieux de ce choix singulier d’épouse. Les Romanov ne se privent pas de montrer leurs sentiments anti-secrets, sans même parler de la malédiction. En dépit de l’abandon de sa revendication au titre de seigneur de La Garde, Elric demeure un homme bien placé, d’excellente lignée quoique sang-mêlé… Mais à ses yeux, tout cela n’a que peu d’importance quand il s’agit de sa vie privée.

Mais elle ? Qu’en pense-t-elle ? Cette recherche de fiançailles a duré plusieurs mois, depuis les propositions les plus évidentes des alliés de longue date des Romanov jusqu’au reste de la noblesse française. Comment vit-elle sa condition actuelle ? Autrefois, dans cette vie abandonnée en Russie, elle eut été un joyau chèrement arraché, princesse impériale couverte de lauriers, de liesses, drapée d’un manteau cousu de diamants. Les négociations eurent été longues et âpres, si elle n’a alors pas déjà un fiancé attribué dès la naissance pour des épousailles stratégiques, vision sur des années, des décennies de royauté. Ceci n’est certainement pas le faste de la cour impériale russe, cela ne le sera jamais et il n’a peut-être pas  les titres ronflants qu’eurent alors exigés ses parents… Mais cette vie, elle est révolue.

“Attendiez-vous quelqu’un, Mademoiselle ?”

Stupidement, peut-être, le voilà qui doute. Un autre homme a-t-il sa préférence ? A-t-il gâché sa chance ? C’eut été regrettable. Il a craint de la voir mariée à un mufle sans jamais s’imaginer qu’un autre eut pu lui offrir plus qu’il n’avait. Pécher par orgueil ne lui est pas familier et il ravale son embarras à une telle réalisation si tardivement. Quel idiot fait-il ! Voilà encore quelque chose qu’il eut dû contempler avant !

“Quelqu’un qui vous eut agréé davantage ?”

Mais n’est-elle pas si bien élevée, oiselle entraînée à plaire, à sourire, à parader, une princesse bien sûr, avec tout ce que cela implique. Elle ne le lui avouera pas, il en est certain.Et pourtant, il souhaite réellement savoir. Elle sera sa femme, sa compagne, jusqu’à ce que la mort les sépare alors… Il veut lui montrer qu’elle a le droit d’être elle-même, qu’il est son allié. Pas de semblances, entre eux, uniquement la vérité.

“Vous ne me vexerai pas, si c’est le cas. J’ai tenté de me renseigner quant au reste de vos prétendants mais cela n’a rien d’une science parfaite. Et je sais que je ne suis sans doute pas ce que votre père eut espéré.”

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris

Notre soirée. La votre et celle de mon père, mon cher Monsieur d’Adhémar, je n’ai pas demandé à être là. Evidemment, la remarque piquante ne dépasse pas la barrière bien ajustée de ses lèvres. Il ne faudrait pas que l’on risque un incident diplomatique, n’est-ce pas? Et pourtant, ça ne seraient pas les piques qui manqueraient. Mais la voix de son futur époux est chaleureuse. Un piège auquel Zinaïda se jure de ne pas se faire prendre. Si cet homme voulait l’épouser, c’était impossible que ce soit parce qu’il était tombé amoureux en un regard, ce genre de chose n’arrivait que dans les contes qu’on lui lisait enfant, et elle n’était ni une princesse en détresse, ni une dinde écervelée. Les contes et la vie ne se ressemblent pas.

Il ne lui reproche pas ce regard qu’elle ose lui porter : un regard franc et incisif, un regard qui cherchait le sien et ne le fuyait pas. D’autres hommes auraient pu lui faire remarquer, au moins, lui commander de baisser les yeux, même. Lui rappeler sa place. Lui, non. Par calcul, ou par bêtise? L’idée ne lui vient même pas que cela puisse être par bonté d’âme, ou simplement parce qu’il n’a pas envie que sa fiancée le craigne. Après tout, lorsque l’on a du pouvoir à disposition, la logique veut qu’on le prenne. C’était ce que faisaient les gens, n’est-ce pas, tous? Écraser qui il fallait pour être sûr de garder la tête hors de l’eau, de pouvoir continuer a respirer, rien qu’un peu. A l’image, finalement, des condamnés d’Héliogabalus, étouffés sous les pétales de roses de par son bon plaisir. Le tableau, vu au mur d’un salon quelconque, l’avait bien plus marqué que les personnes qui l’avaient invitées ce jour-là. Elle s’tait demandé alors, s’ils n’étaient que les sujets d’un empereur fantasque, qui les condamnerait sans sourciller, pour son amusement. Et si tel était le cas… qui jouait le rôle de l’Empereur. Dieu lui-même? Le Diable? La Noblesse, la Royauté? Quelque chose de plus allégorique, encore?

La voix de l’homme la tire de ses pensées macabres, et Zinaïda hausse un sourcil curieux. Ainsi, il avoue. Reste à savoir, désormais. Pourquoi elle, pourquoi eux, qu'avait-elle à leur apporter à lui ou sa famille? La réponse la plus évidente était sans doute un besoin d’héritier. C’était souvent pour cela qu’on épouse une jeune femme. Une jolie femme. Mais ils étaient maudits, et les bénéfices de sa génétique étaient détruit par cet embarassant détail. Probablement pas les enfants. Qui voudrait des rejetons au sang noir, condamné à se faire exploser la cervelle sur un coup de folie, ou bien à mourir jeune, leur corps trop faible pour résister aux maladies? Non. Monsieur d’Adhémar, vous avez un secret, et je vais le trouver. Il la surprend cependant une seconde fois par la question qui lui pose. Est-il en train de s’assurer, à rebours, qu’il ne marche pas sur les platebandes d’un autre? Ou bien qu’il n’aurait pas de concurrence?

Zina incline légèrement son visage de poupée et le regarde entre ses cils. “Cela changerait-il quoi que ce soit?” Un sourire amusé. Elle étudie sa réaction. Aura-t-il le regard satisfait et bouffi d’orgueil, ou l’intelligence de simuler la gêne en feignant de constater que la femme qu’il a achetée avait le coeur pris? La russe laisse planer le silence quelques secondes de plus, un rien. Son éducation voudrait qu’elle pirouette d’un compliment, et assure à l’homme qu'il était et serait toujours le seul, le tout en délicatesse. Mais quand bien même l’a-t-il obtenue parce qu’il avait la chance ou la malchance d’être un homme de bonne lignée, de bonne fortune, bref, un bon parti… La jeune femme n’avait aucunement l’intention de lui faciliter la vie. En public, soit, elle serait l’épouse rêvée, douce, gracile, souriante et silencieuse, c’était ce qu’on lui avait appris à être, le seul futur auquel elle pouvait prétendre. Mais en privé? Il se fourrait le doigt dans l’œil bien plus loin que le coude s’il pensait qu’elle serait facile à dompter... “N’ayez crainte. Vous ne me volez à personne. Je n’ai pas eu la bêtise de laisser mon coeur à quelqu’un, tout en sachant que mon époux serait choisi pour moi. Si vous n’avez pas l’intention de me sacrifier sur un autel païen en offrande à un dieu impie, et j’entends cela au sens strict… je saurais m’accommoder de la vie que vous m’offrirez.”

Un rien d’amertume. Un peu plus qu’elle ne l’aurait voulu. Elle ment pourtant. Ce qui l’aurait agréé davantage, ce serait la liberté de choisir à qui se marier. Mais c’était incompatible avec le fait de naître Romanov. Après tout, son cousin Nicolas avait bien été un des rares à pouvoir prétendre à un mariage d’amour. Le fait qu’il soit né homme aidait, sans doute. Non pas que ça lui ait servi finalement… Quant à la suite… “Mon père aurait espéré Alcryst de Valefor ou Auguste Lestrange. Mais le premier a eu le bon sens de se fiancer tant qu’il était encore temps, et le second n’a même pas considéré la chose, à ce que j’ai compris.” Ses yeux se font malicieux alors que d’une voix légère, elle continue de parler d’elle comme de la marchandise qu’elle est. “Si toutefois il a eu la proposition et qu’elle n’a pas été d’office rejetée par son père. Ils sont bien au-delà de notre ligue, pour être honnête. J’étais même étonnée que mon père s’humilie en essayant.” Un rire désabusé. Détestable. Elle-même se déteste en cet instant, de porter le masque sclérosé des jeux de la noblesse.

Un silence cependant alors que la réalisation fait son chemin dans son esprit. “Attendez… vous dites vous être renseigné?” Elle fronce légèrement les sourcils. Cet homme était bien plus imprévisible qu’elle n’aurait pu le prévoir. Était-il… honnête? Impossible. Elle rejette l’idée. Personne n’était honnête dans leur monde. “Vous me demandiez sincèrement si j’aurais préféré épouser un autre que vous?” Elle ne peut s’empêcher de poser la question. Simplement pour voir sa réaction, persuadée qu’elle est qu’il ne peut vouloir son bien.

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Sourire renouvelé. Le voilà sur un terrain plus familier, celui d’une discussion honnête, ou du moins l’espère-t-il. Faire voix de ses pensées est excellemment sain, une pratique à encourager et s’il peut alors lui prouver être une oreille alliée, alors peut-être pourra-t-il déjà s’estimer satisfait. Et la question mérite en effet d’être posée, accompagnée de son lot de sous-entendus. Pourquoi le lui a-t-il demandé ? Pour se rassurer oui, c’est une évidence. Pas seulement, cependant. Ce qu’il cherche, ce sont des informations pour mieux gérer ses décisions vis à vis de celle qu’il compte aujourd’hui épouser. Il veut savoir, oui, pour la comprendre, et pour la traiter avec justesse et respect.

Alors il répond avec simplicité, sans forme spécifique, sans rodomontade, sincère. “Je ne sais pas, cela dépend sans doute de la réponse.” Des hypothèses, il peut en faire, mais à quoi cela peut-il servir sans vérité ? S’emplir l’esprit de chimères, certainement, et rien d’autre. Et il a bien assez fauté ainsi par le passé. Courir après les ‘peut-être’ et les ‘et si’ n’entraîne que l’indécision et le trouble, et on en vient parfois à blesser ceux qu’on cherche à protéger. S’il peut y échapper, alors il le fera certainement. “Si vous consentez à me la donner.” Elle n’y est pas tenue, évidemment, mais autant débuter en bonne intelligence, non ?

Silence d’un instant qu’elle semble pondérer avant de lui répondre, et dans les prunelles bleues d’Elric se lisent soulagement comme trouble lassé. C’est un tel orage qu’elle a mit en bouteille ! Son tonnerre renvoie l’écho de toute une vie. Je n’ai pas eu la bêtise de laisser mon coeur à quelqu’un, tout en sachant que mon époux serait choisi pour moi. Cœur qui se serre. Loin d’être ignorant quant à la condition féminine, il eut espéré qu’elle eut tout de même son mot à dire, au moins pour pointer dans une direction ou une autre. Ses pensées rejoignent l’image de sa sœur, Ella et Elric sait, au fond de lui, qu’elle aura un choix. Les femmes supportent déjà bien assez sans qu’on les lient encore davantage…

C’est pourtant à autre chose, qu’il répond, incapable de s’en empêcher. “Je ne peux changer la façon dont Monsieur votre père mène sa maisonnée” Un soupire, arraché malgré lui, ailes du nez frémissantes alors qu’il coule un tiède regard en coin vers Sergueï Romanov, l’observe un bref instant avant de pincer les lèvres et de reporter son attention sur la jeune femme à ses côtés. “En revanche, sachez qu’au sein de la mienne, votre vie sera la vôtre. Nous avons certes des obligations mutuelles mais plus que vous offrir une vie…” Sa voix s’étiole un instant, tandis qu’il pèse les mots à utiliser, les goûte avant de les dévoiler “... J’aimerais que nous la bâtissions ensemble.”

Est-ce si ingénue de sa part ? L’idée même qu’il offre la vie le gêne. Fut un temps, il eut affirmé que Dieu seul peut offrir la vie, aujourd’hui, il se contente de conserver son humilité. “Ce sont des vœux mutuels, que nous devons prononcer, à mes yeux, ce n’est pas juste une expression.” Il n’est certainement pas Alcryst de Valefor, qu’Elric, dans sa condition de secrétaire royal, sait être de santé fragile, accablé d’un mal dont il ne connaît pas les détails. Il n’est pas non plus Auguste Lestrange, dont il n’entend rien si ce n’est la froideur distante, homme de façade dont personne ne semble connaître l’essence, creux, peut-être. C’est en tout cas l’effet qu’il lui fait, de la distance qu’ils possèdent.

Aucun des deux ne lui semble un terreau fertile pour Zinaïda, mais cela ne signifie en rien que lui l’est bel et bien. “Cela semble à tout le moins un jeu humiliant pour plus que votre père, encore que jeu ne soit pas le bon mot.” Il ne le trouve pas, cependant, le bon mot justement. “Ça n'a pas dû être simple pour vous non plus. Auriez-vous aimé être au bras de l’un d’eux ? Ils sont plus jeunes que moi, c’est certain.” Bien que la jeunesse ne fasse pas tout, mais il comprend parfaitement, il est vieux, moins virile, moins vaillant certainement, salit par la vie comme ces jeunes gens ne le sont pas encore, et il est toujours plus aisé d’accepter la crasse que l’on voit se former plus que celle, étrangère, que l’on doit acceptée.

Il ne sourit pas moins en la voyant interloquée, opine simplement du chef sans commenter. Il s’est renseigné oui, c’était là le moins qu’il puisse faire. La suite lui rend une expression plus sérieuse, ne souhaitant pas qu’elle pense qu’il se moque d’elle. “Oui. J’ai conscience de mes défauts. Et j’ai conscience de votre situation, même si je ne prétendrais pas savoir ce que vous ressentez. Je sais qu’on a choisi pour vous, que ce soit votre père en vous cherchant un époux ou moi en ayant décidé de le démarcher. Le moins que je puisse faire c’est d’être honnête avec vous. Non ?” Elle semble surprise, et le voilà qui doute. N’est-ce réellement pas ce que l’on put attendre de lui ?

C’est lui, cette fois, qui l’observe avec surprise et curiosité. Soucieux, même. Et il se fend d’une ébauche d’explication. “Je ne souhaitais pas intervenir si un autre vous courtisait déjà, c’eut été malvenu.”

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris

Son sourire se fait un rien plus narquois. Je ne peux changer la façon dont Monsieur votre père mène sa maisonnée. Comme s’il allait vous laisser même essayer. Comme s’il pouvait être raisonné, cet homme froid et calculateur. Elle l’a aimé pourtant, ce père. Autrefois. Quand elle n’était encore qu’une petite fille à qui on n’avait pas ouvert les yeux sur sa valeur. Quand elle vivait encore en Russie, et que Sergueï n’avait pas tout perdu. Qu’il ne cherchait pas à remonter l’échelle sociale barreau après barreau, quitte à l’utiliser. Elle l’a aimé, et ça rendait le changement plus difficile encore.

Le futur époux jette un regard vers son beau-père en devenir et elle remarque les ailes du nez frissonnantes, regard sans vraie chaleur, lèvres pincées. Mépris? Indifférence? Jugement? Quelque chose dans ce goût-là, lui semble-t-il. Un bon point pour Monsieur d’Adhémar. Après tout, ne dit-on pas que les ennemis de nos ennemis sont nos amis? De là à parler d’ennemis, il y avait un pas énorme, mais l’expression faciale lui offrait un terrain fertile avec lequel elle pourrait travailler. A défaut d’être l’amour d’une vie, peut-être pourrait-il être l’instrument de la vengeance qu’elle allait mettre au point. Comme si elle allait laisser cette trahison familiale impunie. Un instrument à utiliser… ou un allié, peut-être? Si elle parvenait, enfin, à comprendre les motivations de ce drôle d’homme.

Bâtir une vie ensemble? Et puis quoi? Lui accorder un pouvoir dans la gestion de son domaine, lui accorder des amants? On marchait sur la tête. Et elle était censée croire ça? Invraisemblable. On ne traitait pas son épouse comme une égale dans leur monde. C’était, de toute évidence, une erreur tactique, mais une erreur commune à beaucoup de maris, qui se privaient d'une alliée redoutable, pour peu que l'épouse n'ait pas passé son existence à paresser. Et cet homme devrait être plus intelligent que la norme? Après tout… pourquoi pas. Elle a un rire amusé. A peine un rire, à vrai dire. Un gloussement discret et délicat. Ne lui avait-on pas appris qu’une princesse ne riait jamais à gorge déployée, ne montrait jamais ses dents? “Vous parlez de construire une vie ensemble juste après avoir évoqué votre maisonnée. Cela semble presque démagogue, Monsieur d’Adhémar. Mais vous n’avez pas besoin de me convaincre, puisque je serais à vous quoiqu’il arrive. Auprès de vous, disons, pour ne pas jouer les trouble-fêtes : cette vision du mariage est un conte agréable et y croire quelque temps serait une parenthèse bienvenue.”. Une jolie manière de dire qu'elle n'était pas dupe.

Ses yeux dérivent un instant vers la fête en contrebas, on l’on s’amusait en leur honneur mais ou ils n’étaient pas. “Disons que je vous laisse le bénéfice du doute pour le moment. J’imagine que je découvrirais vite si vous étiez sincère.” Elle revient à Elric, le laisse finir sa phrase. “Vous êtes décidément un drôle d’oiseau, Monsieur. Et je m’y connais en ornithologie.” Elle le jauge encore un peu, la tête inclinée sur le côté. Les arguments qu’il avance lui semblent presque déplacés. La jeunesse? Qui se préoccupait de la jeunesse? “Plus jeunes, oui. Mais je me moque de votre âge. Vous êtes loin d’être décati, Monsieur.” Et plutôt séduisant avec ça, mais c’était un détail qu’elle ne partagerait pas avec lui, ça lui donnerait trop de pouvoir. “Alcryst ou Auguste auraient été des partis… différents. Meilleurs, je l’ignore. Mais c’est vous que je vais épouser, alors nul besoin de penser à ce qui aurait pu être. Autant se contenter de ce qui sera.” Zina était une pragmatique, au fond. En tout cas, cette histoire de mariage avait fait ressortir cet aspect de sa personnalité. Aurait-elle aimé pouvoir épouser la personne qui lui ferait perdre la tête, qui ferait battre son cœur plus fort d’un simple regard? Bien sûr, comme la plupart des gens. Elle avait eu une chance à l’amour, l’avait connu, l’avait apprécié. Mais elle avait toujours su que ça serait provisoire. Qu’elle n’était pas née dans une famille où l’on se mariait par amour, mais par profit uniquement. Ce qu’elle désirait, elle, était accessoire.

Quant à l’humiliation… Monsieur d’Adhémar appuyait gentiment là ou ça faisait mal. Se sentir comme une bête de concours d’une foire paysanne n’avait rien d’agréable. Surtout quand les juges estimaient que l’on avait pas de quoi figurer sur le podium. Mais cela passerait. Quantité de femmes étaient dans son cas chaque année, et aucune d’elle n’en était morte. Ce n’était probablement pas aussi vrai en ce qui concernaient leur mari, mais Zinaïda savait apprécier une femme qui savait se débrouiller. Et son époux ne ferait pas exception s’il se piquait de violences ou de mauvais traitements. Il avait l’air charmant et bien sous tout rapport pour le moment, mais qui sait ce qu’il était capable de cacher.

La princesse de plus rien a un sourire impersonnel. De ceux qu’elle faisait quand elle n’était pas certaine de savoir quoi dire ensuite, bien propres, bien jolis, qui ne voulaient rien dire et auxquels on ne pouvait rien reprocher. Une technique comme une autre pour gagner quelques secondes. Mais elle ne sait pas sur quel pied danser. “Je ne sais pas ce que l’on pourrait attendre de vous. ” s’entends-elle dire à voix basse. “Je ne suis pas à votre place. Et je ne suis pas certaine qu’elle est plus enviable que la mienne.” Il épousait une Romanov, après tout. Une femme maudite, sans sou, sans statut. Un instant, le masque de ses certitudes, ou plutôt celui des faux-semblants qu’elle se plaît à maintenir, s’effrite. Cela ne dure pas. Elle ne peut pas permettre que cela dure. “Les hommes ne se pressent pas à mon balcon, soyez sans crainte. Aucun duel à prévoir pour gagner ma main, aucun amant à surprendre entre mes draps.” Un air malicieux. Avec le temps, c’était plus simple de ne pas montrer son vrai visage, d’endosser ce rôle qui était comme une seconde nature. “Après tout, je suis loin d’être le meilleur parti sur le marché cette année.” Elle l’observe. Voudrait lui crier Pourquoi? Pourquoi moi? Pour quoi faire? “Ne vous laissez pas abuser par les belles paroles de mon père. Il vous reste encore une heure, peu ou prou, pour revenir sur votre décision. Il se vexera, mais n’a pas les moyens de bouder longtemps.” Un rire, cristallin, qu’elle cache derrière sa main. “Il est encore temps de faire marche arrière et de vous préserver.” Et de la laisser tranquille par la même occasion. Ne resterait qu'à décourager les prochains prétendants, et il n'y aurait pas foule, et avec un peu de chance, elle pourrait être une vieille fille libre de son destin d'ici cinq ou six ans, quand elle atteindrait la date de péremption inévitable d'une jeune fille à marier.

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Elric n’a beau avoir aucune idée de la façon dont Sergeï Romanov gère sa lignée, il estime tout de même qu’être aussi alarmé des paroles de sa promise n’est en rien une bonne nouvelle. L’envie d’assurer à Zinaïda qu’elle n’est pas un objet et qu’il n’aura jamais l’idée de la traiter comme telle brûle ses lèvres comme son esprit, mais il y a quelque chose dans son discours qui l’incite à davantage de mesure. J’imagine que je découvrirais vite si vous étiez sincère. Oui, c’est là l’évidence même, au sortir du monde qu’elle lui ébauche par ses mots, Zinaïda n’y croira pas, quelque soit la bonne foi qu’il mettrait à haranguer. Elle a besoin de concret et il ne tremble nullement à l’idée de lui en donner. Alors il opine, lui offre sa mire en toute sincérité.

“Sans doute, mais je conçois néanmoins que vous cherchiez de concrètes assurances plutôt que de belles paroles, tout échassier que je puisse être.” Traits délicatement froissés d’un amusement innocent, il ajouta sur le ton de la taquinerie. “A moins que vous ne me compariez davantage à un kiwi ? Je suis curieux.”

Il est aisé, parfois, de vouloir affirmer, prêcher, tempêter une idée jusqu’à ce qu’elle s’ancre ou éparpille autrui, et il est parfois difficile de se retenir, d’accepter d’apprendre le rythme de l’autre pour l’adopter. Ce sont ses premiers pas sur la cadence de celle qui partagera désormais sa vie, et s’ils sont hésitants, ils sont aussi une occasion qu’il se permet de retenir, de savourer. Au moins un avantage dont il peut se réclamer, sans doute, face aux jeunes gens qu’on lui eut destinés. Elric a eu le temps d’établir de solides racines, même ballottées par la tempête de ses spectres militaires, choisir de suivre le pas de quelqu’un d’autre ne vient en rien menacé ce qu’il est. Au contraire. Peut-être en sortira-t-il grandi d’une façon qu’il n’eut pas imaginé avant de la rencontrer.

“Et j’espère de tout coeur pouvoir vous offrir au moins partiellement ce que vous pourriez désirer.”

Son attention vogue vers le flot brillant des danseurs, tout vêtu d’or, de pierreries, de tissus précieux et lumineux. Un contraste si virulent en exergue de leur échange.

“J’ai choisi de demander votre main” affirma-t-il enfin, toujours tourné vers la piste de danse intérieure, les yeux suivants la silhouette rayonnante de sa sœur. “Et pour être tout à fait franc avec vous, il me ne me resterait dans tous les cas pas même une heure, quoi que je ne sois pas le genre d’homme à revenir sur une parole donnée.”

Silence assourdissant des échos d’une telle assertion, explications à foisons, qu’il eut pu donner, et pourtant, Elric se contente de se tourner une fois de plus vers elle, de lui confirmer son attention. Il est homme de foi, malgré le renoncement au décorum chrétien, éduqué avec des valeurs d’intégrité, de droiture, de devoir et de sacrifice. Reprendre une parole donnée lui inconcevable. Ridicule même. Mais le spectre des paroles de Zinaïda rôde toujours. Après tout, je suis loin d’être le meilleur parti sur le marché cette année. Comme un poisson à la criée du soir, qu’on vend au rabais. S’il avait été sanguin, il eut payé le triple de la dot demandée, simplement pour écraser symboliquement la différence d’intérêt entre les Romanov et lui.

En lieu et place, il s’en tient au plan qu’il a fomenté.

“Ma famille attend de moi des héritiers, et de me conduire selon nos valeurs. Ma religion attend de moi que j’honore mon dieu et ses saints, ma famille ainsi que sa parole. Mon employeur attend de moi que je remplisse mes obligations. La société attend de moi que je rentre dans le moule et ne tient qu’à mon image extérieure, en détournant le nez de ce que je pourrais faire en privé. Et bientôt, vous aurez sans nul doute certaines attentes également. A commencer par prouver mes paroles, je n’en doute pas. Et ce en toute légitimité. Puis, à moins d’une faute de l’un d’entre nous, vous vous graverez dans chaque aspect que je viens de citer…”

Au bonheur d’une danse qui s’achève, Ella lui fait un signe de la main, auquel il répond d’un hochement de tête, avant de dédier à Zinaïda un sourire mutin.

“J’ai une confession à vous faire, Mademoiselle.” Dernier regard alentour pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne furète, puis il reprend. “Je n’ai pas l’intention de faire ma demande officielle devant nos invités si je peux l’éviter.”

Sourire dansant à ses lèvres, Elric observe le mur d’eau s’élever autour de la piste de danse. Des esprits des eaux minuscules, et des fées de gel, dansent à sa surface, créant des formes fantasques sous les exclamations ravies des invités sur lesquels pleut soudainement une ondée d’or et de pierres à la pureté immaculée. Les rires et les vivats sont cependant lointains, tandis qu’il extrait de sa poche une petite boîte couverte de velours surpiqué. Il atermoie pourtant, cherche son regard, avec une certaine timidité et glisse :  

“Feriez-vous cette incartade avec moi ?”

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris

“Plutôt un merle blanc.” L’oiseau rare, la perle introuvable. Celui que l'on cherche, qui nous obsède, et qui n'est finalement qu'un leurre ou une mythe. Car c'est ainsi que Zinaïda craint son fiancé. Une façade agréable et des dessous tordus. Peut-être est-ce du pessimiste : ce pauvre Monsieur d'Adhémar n'a rien fait pour éveiller ses doutes. Sans doute est-ce précisément pour cela qu'elle n'y croit pas. La princesse russe a appris à la dure que lorsque quelque chose est trop beau pour être vrai… ça l'est souvent véritablement. Et l'idée d'un époux qui la respecte et veuille l'associer à sa vie est définitivement une belle image : ce qui, logiquement, en fait une chimère. Ainsi allait le monde.

Zina rit doucement lorsqu'il déclare espérer lui offrir ce qu'elle désire. Encore faudrait-il que je sache ce que je veux, mon cher et tendre. Personne ne lui as jamais demandé. C'est une question vertigineuse qui en devient effrayante. Après tout, n'entends-on pas ces histoires d'oiseau de compagnie dont on ouvre la cage, et qui craignent trop la liberté pour en franchir les barreaux? La jeune femme est comme l'un d'eux. Prête à se jeter contre les barreaux de sa cage pour réclamer sa liberté, dépérissant de son enfermement… mais figée de peur lorsqu'une porte s'ouvre. Tu es pitoyable, ma fille.

Pour ne pas hurler de frustration, Zinaïda reporte à son tour son attention en contrebas. Et quand Elric répète qu'il est homme de parole et la tiendra... son coeur se serre un peu. Ce soir, elle serait fiancée pour de bon. Dans moins d'une heure même? Étonnant. Il lui semblait qu'une dame d'un certain âge lui avait demandé de se trouver sur le balcon à vingt et une heure, parce que le feu d'artifice était prévu quinze minutes précises après et qu'il faudrait que tout soit réglé à ce moment-là. Elle avait retenu un ricanement. Pardon, Messieurs-Dames, d'être un tel désagrément pour vous. Après tout vous ne décidez que de mon avenir, je serais bien ingrate de demander à avoir mon mot à dire sur ma mise en bière.

Elric ne précise pas sa pensée pourtant, laissant Zinaïda chercher discrètement une horloge tandis qu'il égrène ses nombreuses responsabilités au regard de son pays, sa foi, sa famille. Elle. Fugacement, la russe se demande s'il attends d'elle qu'elle fasse de même. Honorer mon père et les miens, garder le silence même lorsqu'on m'écrase au sol d'une botte sur la nuque, faire des enfants, être belle et me taire. Oh, et choyer mon époux dans une servitude aveugle. N'est-ce pas quelque chose comme ça?

Elle n'a cependant pas le temps de réagir que l'homme continue. Une confession? Quoi, il était impuissant en plus? Mon dieu, rien ne lui serait donc épargné? Pourtant, les mots qui s'échappent des lèvres de Monsieur d'Adhémar n'ont aucun rapport avec ses prouesses lors des choses du sexe - Dieu merci. Et Zinaïda lève un sourcil véritablement surpris. C'est un choix qu'il lui offre : celui de se fiancer un peu selon leurs termes, de reprendre en main leurs vies au moins sur ce point. De choisir où et quand, au lieu de laisser même cela à une matrone munie d'un bloc note et d'un sens de l'organisation presque militaire.

Il semble presque intimidé devant elle, l'écrin de la bague à la main, lui proposant de commencer leur chemin commun par une désobéissance. Minime, certainement, mais qui suffirait sans doute à contrarier son père. Est-ce un piège? Un test? Devrait-elle refuser au risque de se faire huer s'il n'y avait qu'une bonne réponse? Est-ce Sergueï lui même qui a pensé à ça, pour vérifier que sa fille unique lui restait dévouée, se tiendrait toujours à carreaux, même promise aux sauveurs de la famille impériale ? Elle hésite. Tu vois le mal partout, lui chuchote son innocence. On m'a élevé ainsi, retorque-t-elle mentalement. Dans l'idée que l'homme chercherait toujours à nuire à son prochain et que la prudence était la seule ligne de conduite possible.

En bas, les spectateurs s'ébaubissent devant un spectacle aquatique qui ne durera pas. Face à elle, Elric attends sa réponse. Et Zinaïda hésite, parce que sa prudence lui crie de ne pas lui faire confiance, qu’il ne l’a pas méritée plus qu’il n’a mérité sa crainte, et que l’expérience de la vie lui a montré que les gens voulaient souvent plus de mal que de bien. Pourtant…

Elle le regarde une seconde, et finit par hocher doucement la tête. Parce que ça lui offre un semblant de contrôle sur la situation. Parce qu’elle se sent moins démunie. Parce que c’est un dernier pied de nez à son père et son frère, qui sans doute désapprouveront, mais que pourraient-ils faire un final? Ses yeux brillent d’intérêt, d’une malice sous-jacente. Il semble évident que la situation lui plaît, et que la proposition a attisé sa curiosité sur l’homme. C’est sans doute un début de preuve de ses intentions. “Eh bien, Monsieur d’Adhémar. Reprenons notre vie en main. Demandez-moi donc en mariage ici et maintenant.” Et sur ses lèvres, il y a sans doute le premier sourire véritablement sincère. Le premier sourire véritablement elle. Un peu malicieux, un peu ironique. Authentique.

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Est-ce qu’elle le croirait, s’il avoue craindre sa réponse ? Elle, petit bout de femme si délicate d’apparence quoi que ses mots puissent suggérer de la force de son caractère jusque là muselé ? C’est pourtant vrai. Là où tant de jeunes gens emploient leurs primes années à se trouver de convenables épousailles, à faire leurs armes dans l’univer mondain comme financier, lui s’est dédié entièrement à sa vocation et aujourd’hui, sur le point de convoler, sa future épouse lui rappelle, involontairement, combien il est démunie de cette expérience qu’ont tant d’autres hommes pourtant plus jeunes. Ce rameau d’olivier qu’il imagine, est-ce qu’elle le verra ainsi également ou bien va-t-elle se vexer ? Il ne connaît ses pensées et se refuse à les espionner.

Seule arme convenable en cet instant, c’est de patience qu’il se drape, jouant distraitement avec le fermoir de l’écrin sans jamais l’ouvrir, pour ne pas risquer de faire naître chez elle la moindre pression. Une part de son esprit reste néanmoins rivée à la salle de bal et au temps qui continue de s’y égrener, car il sait n’avoir pas l’éternité pour leur offrir cette incartade qu’il a évoquée. Bien qu’il eut quémandé leur venue sur le balcon, Elric n’est pas dupe, même ainsi, on les observe certainement. Si ce n’est la famille de sa fiancée, au moins certains de leurs invités, friands des dernières nouvelles mondaines et quoi de plus étourdissant que leur union prochaine en cette période ? Les mariages sont sans aucun doute le pain béni des soirées, surtout lorsque les premiers intéressés ne rentrent pas parfaitement dans les moules.

Aussi est-il certain qu’ils seront repérés, s’il ne range pas l’écrin promptement. Il attend l’ultime instant, cependant, tenant autant que possible à lui laisser le choix, la décision finale. Il l’observe en silence, sans se défaire de son sourire, sans se défaire de son attente. En vérité, peut-être a-t-il lui-même mésestimé sa propre anxiété, ou la valeur qu’il a attribué à cette idée, car dès l’instant où Zinaïda hoche la tête, le voilà rayonnant, le regard illuminé et pétillant. Il est heureux, oui, ravi qu’elle accepte. Quelque part, son cœur gonfle d’allégresse. Non, il ne s’est certainement pas attendu à en être aussi impacté et pourtant c’est le cas. C’est leur nuit, leur moment et il désire tant pouvoir le lui prouver, pouvoir la combler et lui offrir un peu de cette liberté dont elle semble manquer.

Que l’offre plaise à Zinaïda est un premier pas, mais qu’il savoure comme une pleine victoire, sans même parler de l’éclat qu’il confère à sa future fiancée. Elle a de beaux yeux, c’est certains, mais la vie qui semble soudainement lui être insufflée les rends proprement fascinants. Pas autant, cependant, que le sourire dont elle l’honore en l’instant et qui serre doucement son cœur d’un sentiment lancinant. Il sait alors que cet instant, fragile d’une ébauche de complicité tandis qu’elle s’ouvre quelque peu sous ses yeux, cet instant fera très certainement partie de sa collection, souvenirs immortalisés dans des perles plutôt qu’une pensine. Que cette mémoire ne se perde ni par le temps, ni l’inimitié, ni aucun sortilège. Mais il ne peut s’y perdre maintenant, réservant cela à un avenir encore non tracé.

Pour l’heure, ayant reçu sa volonté, il escompte l’honorer du mieux qu’il le peut. C’est ainsi qu’au grand final de la féérie aquatique, Elric pose un genoux au sol, sans même épargner une pensée pour sa jambe blessée. Un merle blanc, a-t-elle dit, et il ne sait s’il a quoi que ce soit d’exceptionnel, car cela n’a jamais été son objectif. Et en ce jour, funambule sans conscience des codes de ce monde étrange qu’il n’a jamais fait qu’effleurer, il marche pourtant en portant doutes et craintes comme toutes ses aspirations tant espérées.

“Mademoiselle Zinaïda Romanova” fit-il, très fier que ses entraînements pour prononcer correctement son nom puissent porter leurs fruits. Yeux dans les yeux, Elric élève l’écrin tandis que les esprits de l’eau tissent autour d’eux un voile au givre délicat, comme un voile masquant leurs silhouettes aux regards des invités. “Nous ne nous connaissons pas encore réellement, mais si vous m’y autorisez, je souhaiterais avoir le bonheur et la chance de me tenir désormais à vos côtés, saisir l’opportunité de construire auprès de vous une vie et une famille, un havre de paix partagée qui nous offrira ce que nous décidons d’y insuffler, et si je suis un homme chanceux, et si mes actes vous agréent, j’espère pouvoir peindre chaque pièce de la mémoire d’au moins un sourire comme celui dont vous venez de me gracier.”

Il inspira profondément, autant pour juguler ses émotions que par pondération pour un discours qu’il tient à évoquer avec le cœur plus qu’avec toutes les répétitions du monde. D’un geste qu’il empreint de lenteur, Elric ouvre enfin l’écrin, qui ne contient à première vue qu’un simple anneau aussi pâle que le vélin de la peau de sa fiancée. “Je serais honoré si vous acceptez de m’épouser, Mademoiselle.” De l’anneau, il ne dit rien, ne souhaitant pas gâcher ni la surprise, ni sa réponse avec cette considération matérielle. L’enchantement ne se déploiera qu’à l’instant où il la glissera à son doigt, une œuvre rendue possible par la famille Chaumet, qui offrira à ce délicat bijoux l’apparence de ce qui plaira réellement à sa fiancée.

Sur cette demande cérémonieusement, mais pas moins sincèrement, formulée, Elric se tait, sans quitter sa position, mais non sans chercher son regard, souhaitant s’y plonger. anxiété et fébrilité s’affrontent en lui, tandis qu’il offre sa personne avec une timide sensation d’allégresse, telle qu’il l’a ressenti du temps où Dieu était son autel sacré.

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Elric d'Adhémar

Il y a un instant étrange, une seconde qui s'étire où il semblerait que tout puisse basculer dans un sens comme dans l'autre. Un moment fondateur dans leur histoire. Un choix.

Et puis Zinaïda cède à son orgueil ou à son envie de liberté, et quelque chose prend forme. Dans le regard de son promis, peut-être, qui jusque là lui avait semblé pondéré, le calme a toute épreuve, loin des émotions. Et pourtant, elle voit désormais le regard pétillant, illuminé par ce qui ressemble à de la… joie? Il est heureux de pouvoir m’épouser? Incrédule, la russe doit pourtant se rendre à l’évidence : même le meilleur acteur ne pourrait simuler le bonheur entier qui se lit en cette seconde dans les yeux d’Elric d’Adhémar. Parce qu’il semble en cet instant un enfant ravi, purement, simplement. Et, une seconde fugace, le doute revient. Parce que ça ne peut pas être elle qui le rend tant heureux. Ça ne peut pas être le fait qu’elle accepte cette demande un peu trichée, un peu impulsive, un peu. Alors quoi?

Mais déjà l’homme met un genou à terre, et la princesse de rien espère qu’il n’a pas vu la peur dans ses yeux. S’il souhaite effectivement la manipuler, elle ne veut pas lui montrer que ça marche, ne pas lui montrer l’ascendant qu’il a sur elle par ce mystère qu’elle n’arrive pas à résoudre. Alors elle préfère se concentrer sur lui, sur le voile de givre si fin que les esprits des eaux tissent, comme un cocon, un écrin rien que pour eux. Elle sourit, un peu amusée de la fierté qu’elle voit dans son regard quand il prononce les syllabes russes. Ce ne sont pourtant pas les noms les plus compliqués. C’était… un peu mignon. Cet effort qu’il faisait, qu’il avait voulu faire pour elle. Cela soulevait autant de questions, mais en cet instant, elle se force à endormir sa méfiance. A écouter ce qu’il a à dire. Et au-delà de l’armure qu’elle s’est forgée, de la méfiance, de l’incompréhension… de la peur pour son nouveau statut, il y a une petite étincelle. Un petit quelque chose qui ressemble à de l’espoir et à de la reconnaissance pour les mots que cet homme qui la rencontre aujourd’hui pour la première fois lui adresse. Parce que les mots sont beaux. Semblent sincères. Et elle veut y croire, Zinaïda. Croire au mariage, à la vie à deux, au bonheur conjugal, à la tranquilité d’un foyer ou résonnent des rires, ou les murs seraient témoins de l’amour entre les époux. Elle veut y croire. Elle sait pourtant qu’elle n’en a pas le droit. L’atterrissage de ce joli rêve serait trop dur. Elle a déjà dû quitter la femme qu’elle aimait pour obéir à son père, et elle ne veut pas avoir de nouveau le coeur brisé.

On lui a fait apprendre un joli discours à prononcer lorsqu’elle accepterait la demande en mariage. Des mots mis bout à bout, creux et impersonnels, mais qui offriraient ce que les spectateurs voudraient entendre. Une jolie déclaration, une jeune fille polie et consciente de sa place. Qu’ils aillent se faire voir. Elle regarde la bague, intriguée par l’anneau simple qui s’offre à ses yeux. Les d’Adhémar avaient suffisamment d’argent pour offrir des diamants, et cette bague semblait ciselée en métal uniquement. Un bijou de famille? Il ne lui ferait pas l’affront d’une bague de fiançailles à quelques bezants après l’extravagance de cette soirée de fiançaille. Ou alors, le calcul serait maladroit, et ce serait étrange de la part des banquiers suisses. Elle incline doucement le visage, dans une posture qui met en valeur sa complexion délicate et sa gracilité. Et les mots qui sortent de sa bouche, elle les découvre presque en même temps que lui. “Monsieur… J’ai parfois rêvé des mots que vous prononcez ce soir, même si je n’imaginais pas alors qu’ils me soient offerts par un inconnu. Notre monde veut que les femmes trop souvent se contente d’acquiescer. Vous m’offrez pourtant l’égalité, et la promesse d’une vie douce dont l’idée me plaît. Je savais que ce jour était le dernier de ma vie de jeune fille. Mais vous m’avez surprise en m’offrant cette demande selon nos termes. En reprenant un peu de la liberté dont nous étions privés. “ Son sourire s’efface un peu pour plus de sérieux. “L’on m’a demandé de vous répondre ce soir que je serais une épouse à la hauteur de vos attentes.” La jeune femme marque une pause, hésitant une seconde. Prends un risque. “Je préfère cependant vous offrir moins de belles paroles et plus de sincérité : je m’appliquerais à être une épouse à la hauteur de l’homme que vous êtes.” S’il tenait ses engagements, s’il mettait en applications ces vœux de fiançailles, alors elle ferait en sorte de tenir les siens. Et sans doute qu’ils formeraient un couple harmonieux. Mais la phrase sous-entends aussi l’inverse : qu’il soit un homme détestable, et il comprendrait que les roussalki des rivières de Russie n’ont rien à envier aux harpies de l’Antiquité. Elle n’était pas femme fragile à se laisser marcher dessus sans mot dire. “J’accepte de vous épouser, et de construire cette union à vos côtés.”

Avec délicatesse, elle tends sa main pâle, le laisse lui passer la bague au doigt. Et quand l’anneau simple se transforme sous ses yeux en une magnifique bague d’or rose enchâssant un saphir dans un délicat motif de feuille, elle ne peut masquer ni sa surprise, ni le plaisir que le bijou et l ‘enchantement lui provoquent. Elle regarde son fiancé, sourire amusé aux lèvres. “Votre prévenance frôle la perfection, Elric.” Le prénom prononcé pour la première fois par les lèvres discrètement maquillées. Elle le peut, maintenant qu’ils sont officiellement fiancés. “J’ai presque peur que vous ne soyiez trop beau pour être vrai.” Elle ne lui retire pas sa main et un instant, le regarde en silence, le jauge. S’amuse discrètement. “Et maintenant que nous voilà promis l’un à l’autre… Dois-je m’attendre aux remontrances de Madame et Monsieur vos parents quant à notre incartade?”

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Sincérité plus que tendresse et droiture plus que soumission, Elric ne peut qu’en sourire davantage, touché par sa prévenance. Une telle promesse est honnête, et pour lui qui ne nourrit nulle fausseté envers sa promise, ne représente qu’une occasion de prouver sa bonne foi envers celle qui sera sa compagne pour la vie, et la mère de ses enfants. “Et vous faites aujourd’hui de moi le plus heureux des hommes.” achève-t-il en réponse à sa promesse avant d’extirper précautionneusement la bague de son écrin, et la glisser à son doigt. Sous ses yeux, l’enchantement présent au cœur de l’objet éclot enfin, transformant le métal pour prendre l’apparence d’une bague de fiancaille correspondant à Zinaïda, plutôt qu’à l’idée qu’il s’en fait.

Son regard s’attarde sur le lustre de l’or rose, l’éclat du saphir qui complimente si bien ses yeux, son motif naturel. C’est une belle apparence, et quand bien même ne lui est-elle pas destinée, il sait l’apprécier, s’estime satisfait. Un bref instant d’attention, avant qu’Elric ne relève les yeux pour s’assurer qu’elle en est, elle aussi, heureuse. Et son plaisir éclipse tout l’intérêt qu’il porte à l’objet lui-même. Ses mains s’attardent légèrement sur les siennes, plus fraîches et délicates, alors qu’il esquisse un léger rire et secoue la tête. “Oh je crains d’avoir bel et bien mes fautes et mes défauts” Peut-être pas sur les mêmes sujets. L’excès, l’adultère et la violence sont de graves péchés contre lesquels il a été prévenu et éduqué. Mais il a ses défauts, et ne cherche pas la perfection. “J’espère seulement qu’ils ne seront pas insurmontables.”

De belle humeur, il se laisse détailler, lui renvoie une mire complice. L’évocation de ses parents le pousse à jeter un coup d'œil vers la salle de bal, uniquement pour que son regard trouve le voile de givre conçu pour eux par les esprits, le surprenant un instant, ayant oublié son existence en très peu de temps. Et bien voilà déjà la preuve qu’il n’est pas parfait, ou en tout cas, que sa mémoire ne l’est pas plus que le commun des mortels. Revenant à Zinaïda, il se fend d’un léger mouvement du chef et lui confie, d’un ton connivent : “Je doute que Père et Mère aient quoique ce soit à vous reprocher. J’ai ouvertement exprimé mon désir de vous offrir autant de choix que possible ce soir, et ils m’ont approuvé.” Il couvre sa main avec l’une des siennes, frôlant sa peau sans toutefois se faire trop présent. “Ils ont grande hâte de vous rencontrer.”

Le coin de ses lèvres trembla discrètement, avant de se crocheter en une expression mutine. “Ma soeur également, d’ailleurs. Si je n’avais été votre destiné elle ne m’aurait sans doute pas même laissé la préséance de votre rencontre.” Se rembrunissant ainsi, il ajouta rapidement : “Mais ne vous en faites pas, elle n’a pas plus d’intentions malveillantes envers vous que je n’en ai. Je crois qu’elle est juste très heureuse d’avoir une autre présence féminine dans notre branche de la famille.” Un silence, pondéré avant qu’il n’ajoute, d’une voix redevenue tranquille. “Mais vous, Zinaïda, que désirez-vous ? L’air n’est pas trop frais pour vous ?” Sa robe a beau être magnifique elle est aussi légère de tissu et surtout, la découvre énormément, et si près de l’eau, il ne désire pas qu’elle prenne froid.

D’une main, il vient écarter le rideau de givre, le dissipant aisément, comme autant de lambeaux de brume bien vite délités. Son geste, cependant, frôle et caresse l’une des corolles qui ornent sa chevelure exquisément coiffée, et soudainement s’élève le son dont elles sont enchantées. Je fais le serment de n'aimer que vous jusqu’à la fin de mes jours. Elric se fige un instant, mais son visage se froisse bientôt d’une expression mi-amusée mi-désolée, tandis qu’il achève de dégager leurs alentours du voile neigeux et ne laisse retomber sa main. Il se doute naturellement qu’il s’agit-là d’un ornement préparé par la famille de sa fiancée, dans l’intention sans doute de le flatter et de sécuriser plus encore leurs prochaines épousailles. Un peu orgueilleux de sa part, mais qu’en penser d’autre ? Cela faisait partie du décor.

“Des muscaris bleus pour la symbolique de l’engagement.” Son sourire revint, plus timide. “Ils mettent vos boucles en valeurs, mais je dois avouer que je vous verrais davantage avec des spirées  Et vous ? Est-ce qu’elles vous plaisent ?” Oui, les spirées lui vont sans aucun doute à merveille. Elles et leur message de volonté et de ténacité. Il n’imagine pas même ce que cela peut lui inspirer, que d’être réduite à moins que ces fleurs, et préférez autant connaître ses préférences. Mais avant qu’elle ne lui réponde, il ajouta, avec un petit geste de la main pour ses ornements. “Voulez-vous défaire l'enchantement ?” Allons, les Romanov n’enferment pas leurs filles chez elles sans apprentissage magique, n’est-ce pas ? Au vu de ce qu’elle lui a d’ors et déjà montré, si ces fleurs parlent encore c’est que Zinaïda n’a pas eu le temps de le faire auparavant, non ?

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Elric d'Adhémar

Le plus heureux des hommes. Zinaïda a du mal à l'imaginer, à l'accepter peut-être. Le plus heureux des hommes serait celui qui fait sa demande à la personne qu'il aime et qui se voit récompensé d'un oui. Mais ils ne se connaissaient pas. Ils ne s'étaient jamais adressé la parole auparavant, ne fréquentant pas les mêmes cercles. La petite voix insidieuse revient, se demande pourquoi, ce que cela cache. Se servait-il d'elle pour atteindre son père ou masquer un secret, était-ce pour cela qu'il était heureux? Cela ne pouvait pas être juste grâce à elle. Elle n'était rien. Ni amie ni connaissance, ni même bon parti. Elle était belle, c'était tout, ne mettant pas en avant sa culture et son intelligence circonstanciée. Personne ne savait qu'elle lisait le grec et le latin, qu'elle pouvait citer des philosophe et discourir sur des peintres. C'était son secret, celui de la connaissance quand on avait voulu l'en priver. Elle était juste belle et jeune. Était-ce la raison du bonheur de son fiancé? Voulait-il simplement une poulinière pour engendrer un héritier, parlait-il juste de ses atouts naturels?

Quelle enfance cynique pour être incapable de croire en la bonne foi, aux miracles, à la bonté. Dans leur monde, elle était plus habituée aux mensonges et aux masques, et pratiquait les deux avec un talent venu avec les années d'apprentissage. On avait veillé à détruire scrupuleusement la moindre parcelle de naïveté en elle. Et désormais, elle était incapable de croire.

Son rire pourtant est léger. Etait-ce celui d'un homme de bonne foi ou d'un excellent Joueur? Malgré elle, les mains sur les siennes font battre son cœur. De l'espoir de... quelque chose. Juste quelque chose de différent. Il parle et la princesse russe se force à se concentrer, à garder levées quelques défenses sans rien en laisser paraître. "L'on s'ennuierait si le monde et les hommes étaient parfaits, non?" Elle ne l'était certainement pas, même si son père s'était sans doute gardée d'en faire la réclame. Elle se savait prompte à se laisser aller à ses émotions, un peu vaniteuse, dramatique, égocentrique sans doute et rancunière, fausse, d'une certaine manière et Ô Dieu qu'elle ressentait si fort ! "Je gage que nous saurons composer avec. Sauf si vous dédaignez votre hygiène." Ajoute-t-elle, semi sérieuse. "Si vous êtes de ces nobles poudrés qui ne voient leur baignoire qu'une fois par semaine, je reprends mon acceptation."

Un léger sourire lorsqu'il parle de sa famille. "Laissez venir le temps. L'on a toujours quelque chose à reprocher à l'épouse de son fils." Elle rit, tout doucement. Un rire qui sonne peut-être rien qu'un tout petit peu faux. "Votre famille semble bien différente de la mienne." Rien qu'une pincée de regrets dans sa voix. Les Romanov n'avaient peut-être pas le loisir d'être heureux, de penser à autre chose que l'argent ou le statut. Pourtant, il lui semble se souvenir d'une époque lointaine où elle était heureuse, et où il lui semblait que le reste de sa famille l'était aussi. Est-ce la Révolution qui a tout changé? Concentre-toi. "Une sœur, donc... Le reste de votre fratrie ce comporte donc que des garçons ?" Zinaïda interroge, troublée d'être prise en faute à ne pas se souvenir de l'arbre généalogique des d'Adhémar. Erreur de débutante. Elle n'ose demander un prénom, un âge. Ce serait parfaitement inconvenant.

Un sourire de nouveau quand Elric s'inquiète du froid. "Rassurez-vous. Le froid me plait et l'on m'a souvent dit qu'il m'allait au teint." Avec les visages de poupée, le bout du nez et les joues légèrement rouges avaient un certain charme. "J'irais chercher une étole plus tard. Je crains d'avoir oublié la mienne, dans la voiture sans doute." Inspirant, elle s'apprête à observer de nouveau les invités en femme fiancée désormais, mais le geste de l'homme active un enchantement qui la surprends et la fait rougir, autant de honte que de colère.

Le fourbe, le faquin! Qui avait eu cette idée de renard pouilleux ? Sergeï ? Son père n'aurait pas pensé à ça si? Elle pince les lèvres et baisse les yeux, mortifiée. "Je vous présente mes excuses. C'est de très mauvais goût." Elle qui pensait que le seul langage des muscaris était celui des fleurs, voilà qu'on les as doté d'une vraie voix! C'est humiliant au possible. "J'ignorais que les fleurs étaient enchantées. Je..." Elle aurait voulu dire que jamais elle n'aurait accepté, mais aurait-elle eu le choix? Son mot à dire? Sans doute les aurait-elle arrachée une fois seule pour se contenter d'uniquement de sa chevelure blonde.

Mais la voilà qui hausse un sourcil étonné en voyant son promis parler de spirées. Il n'y avait sans doute que peu d'hommes capables de nommer des fleurs, et surtout au-delà d'une dizaine des plus connues… S'était-il renseigné, savait-il qu'elle aimait la botanique? Elle hoche doucement la tête à son invitation à défaire l'enchantement. "S'il vous plaît. Je me sentirais plus à mon aise sans… Quelle idée tordue." Elle secoue doucement la tête, les yeux baissés, les joues toujours rouges. Inspire profondément. Et alors qu'Elric s'applique à désenchanter les muscaris, Zinaïda reprends. "Pour répondre a votre précédente question… Les spirées ont un beau message mais manquent un peu de… poésie ? Au jardin, ma préférence va aux camélias. Les rose pâles surtout." Elle en avait un plant dans le jardin d'hiver de l'hôtel Romanov. E, elle de demande qui en prendra soin quand elle serait partie. "Mais au fond... La bruyère, sans doute, est la plante qui me correspond le mieux." Elle laisse son regard errer en contrebas. La bruyère voulait dire "solitude" et c'était ainsi qu'elle s'était souvent sentie : seule. Mais qu'importe. Ils n'étaient pas si fréquents les individus capables de se souvenir de la signification des fleurs. Surtout pas d'une plante aussi sauvage que la bruyère.

Elle agite sa main pour chasser le sujet, pour ne pas s'appesantir dessus et risquer qu'il la questionne. "Et vous? Qu'aimez-vous faire lors de votre temps libre? Je vous connais après tout si peu... Accepteriez-vous de me parler un peu de vous?”

13 Avril 1923 • Bord de seine, Paris • @Zinaïda D'Adhémar

Une attention amusée épouse un instant ses traits. Une perfection ennuyante ? Voilà qui ferait certainement bondir plus d’un prélat, mais en y réfléchissant, Zinaïda n’a pas tort. Les qualités sont exaltées mais elles sont moins intéressantes si elles ne proviennent d’aucun défaut, chez l’Homme. Dieu seul peut se couronner de perfection et en être pleinement célébré, encore que s’il a bel et bien conçu les Hommes à son image, alors cette perfection est sans doute une invention des croyants pour justifier plus aisément leur foi. “Sans aucun doute.” ne peut-il que concéder d’une voix chaleureuse. Une chaleur qui se meut en un rire léger. “Non, ne vous en faites pas. Je gage que quiconque aurait plus de mal à me tirer de ma baignoire qu’à m’y envoyer.” Et pas seulement parce qu’il tient à sa discipline mais il ne désire pas aborder cet aspect de son bagage immédiatement.

Parler de sa famille est encore bien plus aisé. Pour lui, à tout le moins. Celle de sa future épouse, elle, est des plus… colorée. “Je gage, en effet.” Elric ne doute pas un instant que s’habituer à sa belle-famille sera aussi étrange pour lui que pour elle. Quelles valeurs ont-ils même en commun ? On eut pu penser à la famille, à la foi peut-être ? Mais l’interprétation en est bien différente. Est-ce que les siens auraient mieux fait, s’ils partageaient les circonstances ? Elric ne peut l’affirmer et ne cherche pas à le faire. Il ne sait pas. “Un frère. Nous sommes une petite fratrie, mais une grande famille.” explique-t-il. “J’ai de nombreux cousins et cousines. Ma sœur se prénomme Ella. C’est elle, là-bas.” Il offre un geste dans la direction de sa benjamine. Celle-ci semble fort affairée avec un jeune homme qu’Elric croit reconnaître comme un héritier De Fronsac, radieuse.

La brise fraîche provenant de la Seine ne manque pas d’inquiéter Elric, qui opine cependant aux affirmations de Zinaïda, ne désirant pas l'étouffer d’attentions, surtout lorsqu’elle semble vouloir gérer les choses à son rythme. En revanche, lorsqu’il est question de désenchanter cette couronne chantante de très mauvais goût, l’ancien brise-sort ne se fait pas prier le moins du monde. “Je me doute bien que vous ne saviez pas.” affirme-t-il, s’espérant rassurant. “De ce qu’Ella m’en a dit, c’est la dernière mode cette année après l’apparition des filles D’Alefsen avec des robes chantantes à l’ouverture de Mai à Vaux-le-Vicomte. C’est…” Il haussa un peu des sourcils et soupira. “C’est un goût à acquérir, je n’en doute pas.” Pas plus qu’il ne doute qu’il semble bel et bien vouloir le tourner courtoisement, sans partager l’engouement que l’on voue à cette idée.

Son regard s’abaisse vers elle avec un certain pétillement, lorsqu’elle affirme préférer les camélias aux spirées, mais tourne à l’intérêt réel quand elle mentionne la bruyère. Un instant silencieux, à pondérer, il ne lui répond pas immédiatement, pas même lorsqu’elle l’invite à s’exprimer de nouveau. Achevant le travail de désenchantement, Elric range ensuite sa baguette, puis l’observe en venant s’appuyer contre la balustrade pour pouvoir soulager discrètement sa jambe autant que pour éviter de rester stupidement planter sur place. “En France, la bruyère est un symbole de magie blanche. Les celtes en usaient pour des rituels de magie positive et bénéfique, et pour apaiser les esprits. En Grèce c’est un symbole de chance. Mais quelque chose me dit que ce n’est pas la symbolique à laquelle vous l’associez.” Bien que certaines croyances soient partagées au travers de l’Europe, toutes ne le sont pas.

Il sourit, incapable de se retenir, lui décoche un regard presque timide, et piqueté de bonne humeur. D’une main, il lisse son col haut, puis décide finalement de poursuivre. “Malheureusement, je crois que c’est le moment où je deviens réellement barbant… Je travaille comme secrétaire princier à Vaux-Le-Vicomte, je ne sais si on vous l’a même dit. Mais c’est une reconversion. Je passe beaucoup de mon temps libre à officier à Notre-Dame comme prêtre ordonné, ce qui fut une partie de mon ancien office, avant la guerre. Et puis… Voyons, je travaille également avec plusieurs médicomages et spécialistes de la légilimancie, nous avons pour projet de mettre au point un traitement pour les vétérans de guerre. Quelque chose pour apaiser autant que possible les contre-coups liés aux combats.” Sans doute rien qu’une jeune femme de pedigree comme elle n’aura entendu, sans doute, une fois sauvée des bolchéviks.

“J’aime énormément la lecture, l’étude de l’histoire et des cultures étrangères et leur synergies au cours des siècles. Apprendre les influences et évolutions sociales de chaque époque est fascinant.” Elric se tut un bref instant, interdit, avant de glisser : “Ai-je besoin d’affirmer ne pas avoir grand chose d’un mondain ? Mais et vous ? De toute évidence, pour appréciez la botanique, est-ce un choix ou bien vous a t-on imposé cet apprentissage ?”