past and future (arsène)

krr krr..kr. Et nous rappelons que le 4 octobre prochain se déroulera un rassemblement de sympathisants à l'Aube Sorcière, le courant politique lancé par Tarek Shafiq, en vue des prochaines élections. Pour fidéliser son électorat, le candidat multiplie les apparitions publiques et ce type d'événements, le prochain se tenant sur l'île de notre belle capitale dans le salon de thé "l'appel de l'ange"
- Tout à fait Henri, n'oublions pas toutefois que la ministre sortante a également des projets de.... kr... kr.. krrrr

Le son grésillant de la radio sorcière la plus populaire du moment s'élevait dans les vieux hauts parleur du bureau du Baron. Occupé à trier de la paperasse, une lettre jaunie par le temps s'échappe de ses mains au moment où cette information parvient à ses oreilles. Stoppant son geste, il écoute attentivement le journaliste. Il jette nonchalamment la lettre scellée sur le bureau avant de s'avancer vers le poste de radio et de tourner le bouton. Le silence revient dans une pièce qu'Arsène n'a pas quitté depuis maintenant trois jours.

Repoussant un peu plus chaque mois la pénible tâche de trier les affaires de Cléanthis d'Apcher pour investir ce bureau bien plus grand et mieux exposé que celui qu'il utilisait jusqu'alors, il s'était finalement décidé à pousser la grosse porte menant vers cette antre dont il n'avait que peu foulée par le passé. Cette pièce sentait encore le tabac froid et la poussière. S'il avait commencé par ouvrir en grand les fenêtres afin de faire entrer une bouffée d'air frais automnal, la bourrasque avait fait s'envoler toutes les pages volantes du bureau. Il soupira et sorti sa baguette. En un geste et un sortilège informulé, chacune des feuilles qui s'étaient laissées disperser par le vent reprirent leur place sur le bureau. Le baron s'était alors assis sur le fauteuil usé et affaissé de son père. Son cendrier était encore là, intact, empli de ses dernières cigarettes fumées et de leurs cendres.

« Père, que m'avez vous laissé comme héritage si ce n'est un tas d'ennuis ? »

Un nouveau soupir lui échappa tandis qu'il commença son inspection et son tri par le premier lourd tiroir du bureau en bois massif. Et voilà que trois jours après, sa tâche n'était pas encore terminée. Il s'étira longuement le dos. Voilà quelques temps déjà qu'il s'intéressait à l'Aube Sorcière, lui qui, depuis petit, avait été totalement apolitisé. Des avis, il en avait, en avait toujours eu et il les tenait de son père qui avant lui l'avait hérité de son grand père. Dans la famille d'Apcher, on s'insurgeait contre le secret magique, c'était un fait établi et avéré depuis plus d'un siècle et ils ne s'en cachaient pas. Pour autant, la maisonnée ne s'était jamais précisément attardé sur des considérations politiques. Fidèles à la royauté par habitude, l'espoir de les voir regagner le devant de la scène avait fait qu'ils ne s'étaient alors jamais intéressé plus que cela aux différents partis politiques. Ils n'étaient de toute façon jusqu'à présent que des idées similaires agitées sous des drapeaux différents.

Pourtant, l'Aube Sorcière avait attiré l'attention. Inspirée par les discours d'un étranger venu prêcher sa parole, elle affirmait souhaiter la fin du secret magique. Forcément, cela avait agité les foules. Enfin un représentant pour cet opinion laissée sous silence par un Ministère ferme sur la question. Jusqu'à présent, Arsène n'avait fait que suivre de loin les différentes apparitions publiques de Tarek Shafiq, analysant en détail chacun des mots prononcés par le candidat. Et pour être tout à fait honnête, il l'avait convaincu. Son vote lui était quoi qu'il en soit dirigé, mais au delà de cela, le seigneur du Gévaudan avait ce désir de se trouver plus proche de ce combat. Rencontrer les membres du parti, se faire sa propre idée et obtenir plus d'informations sur les méthodes qu'ils avaient en tête pour mener à bien cette cause commune.

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L'on y était, le 4 octobre était arrivé. Arsène avait passé sa journée à la recherche de Roksana, jonglant entre ses différentes taches. Toujours sans nouvelle d'elle depuis plusieurs mois maintenant, ses émotions allaient entre colère, tristesse et inquiétude. Elle l'avait quitté sans un mot et depuis, impossible de la localiser. Se cachait-elle de lui ? L'évitait-elle soigneusement ? A n'en point douter, et cela mettait le loup en rogne. Elle avait eu beau le menacer de le quitter à plusieurs reprises, jamais il n'aurait imaginé qu'elle le ferait réellement.

Et puisqu'il avait l'intention de se rendre à l'Appel de l'Ange en début de soirée pour rencontrer les différents adhérents de l'Aube Sorcière, il en avait profité pour fouiller la capitale, tenter de récolter des renseignements, des indices. Mais la ville était immense, et il avait eu l'impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Une aiguille particulièrement fine et désireuse de ne pas être retrouvée. C'est ayant fait chou blanc que, la queue entre les jambes, Arsène se décida à se rendre sur l'île de la Cité.

L'esplanade était pleine de moldus, touristes étrangers comme parisiens qui flânaient sur la place de Notre-Dame. Un photographe était installé bien en face et capturait de son lourd appareil deux amoureux venus poser devant la cathédrale. L'homme passa devant eux en grinçant des dents. Il traversa l'esplanade pour finalement enfin arriver au salon de thé. Il n'y avait jamais mis les pieds, mais l'espace était agréable. Simplement décoré, la pièce était de taille plus que convenable, et les tables avaient été poussées contre les murs pour que se tienne la réunion. Quelques mains serrées, le fier Baron ne se sentait toutefois que peu à son aise devant ce flot de têtes inconnues et les regards en coin de ceux qui l'avaient reconnu.

L'on lui souhaita une fois la bienvenue, un autre lui présenta des condoléances qui arrivaient un peu tard, et une dernière lui présenta rapidement un tract l'incitant à voter pour le Shafiq avant de s'éloigner vers un autre homme. L'agitation du lieu était bien loin du calme de ses grandes étendues gévaudanes. Tentant de se donner contenance, Arsène sorti une cigarette de son manteau et l'alluma rapidement. La fumée tourbillonnant dans la pièce vint se joindre à celle d'autres fumeurs présents. Il reconnu, au loin, l'invité d'honneur de la soirée et s'apprêtait à se présenter quand une voix venue d'une autre époque l'interpella.

« Arsène, quelle surprise de te voir ici. Ou devrais-je dire maintenant, Monsieur le baron d’Apcher. C’est un plaisir de te revoir depuis tout ce temps. »

L'homme se retourna sur une jeune femme qu'il n'avait pas vu depuis de très nombreuses années. Près d'une vingtaine, à dire vrai. Neith et lui avaient été à Beauxbâtons en même temps. Un an à peine les séparait, et c'était une relation bien singulière qui s'était liée avec le temps entre ces deux là. Lui, poussé par une crise d'adolescence accrue par sa nature lupine, avait l'habitude de jouer les justiciers du dimanche. Il s'en prenait aux brutes qui s'en prenaient aux filles ou aux plus faibles. Il aimait les humilier, les rabaisser, les terroriser et leur faire comprendre qu'ici, ils n'étaient rien. C'était à cette époque que son caractère d'alpha avait émergé pour s'affirmer très rapidement. Dominant, il s'était attiré bon nombre d'ennuis mais avait également cloué le bec à plus d'un imbécile. Neith dans tout ça, elle avait été l'une de ses plus ferventes délatrices.

« Neith ! Par la lune, si je m'attendais à te retrouver ici ! »

Il marqua une pause, apercevant du coin de l'oeil Tarek Shafiq. Il était idiot.

« Mais je ne suis qu'un imbécile, tu es sans doute présente pour soutenir ton père... Ou pour trouver de nouvelles victimes à me vendre. A moins que tu te sois assagie avec les années ? »

Taquin, l'homme rit de bon coeur. Il allait poser sa main sur son épaule pour lui faire une bise, quant il se souvint que la jeune femme avait par le passé beaucoup de mal avec le contact avec un homme.

« Puis-je t'embrasser ? Cela me fait plaisir de te revoir également. »

Quelques dizaines de secondes avaient suffit pour que les deux jeunes gens ne se retrouvent comme vingt ans auparavant, taquins et légers comme lors de leurs années d'étude. S'il n'avait jamais réussi à briser la carapace de la Neith adolescente - cela n'avait d'ailleurs jamais été son but, il se contentait volontiers de lui servir de bourreau -, le loup blanc était ravi de la retrouver aussi joyeuse et pétillante. Voilà une apparition aux allures d'air frais dans cette journée morose. Son approbation assurée, Arsène posa sa main chaude sur l'épaule de la jeune femme en appuyant ses deux bises, comme à l'accoutumée. L'homme était tactile, bien qu'il ne dépassait jamais la bienséance sans consentement éclairé. Sa mère s'était fermement assurée à ce qu'il ne franchisse jamais la moindre limite personnelle.

« Tu bois quelque chose ?
- Oui, volontiers. Je te remercie. »

Accompagnant Neith au buffet, il la regarda prendre une coupe de champagne et l'imita. Bien plus habitué au rhum ambré dont il faisait largement collection, il se contenterait sans rechigner de quelques bulles pour l'occasion. Finissant prestement sa cigarette avant de lever son verre vers la jeune femme, il fit tinter les coupes.

« Eh bien, à nos retrouvailles pour le moins inattendues. »

Il bu une gorgée de cet élixir que le monde entier leur envie tandis que Neith, en bonne hôtesse, lui propose de le renseigner... D'une manière ou d'une autre. Un rire bref et franc lui échappe.

« Tu n'as pas changé, Neith. Te retrouver me donne le sourire, moi qui me sentais légèrement comme un chien dans un jeu de quilles au milieu de cette agitation parisienne. Je suis heureux de pouvoir garder contenance auprès d'une vieille amie. » Un sourire mutin lui déforme les lèvres. « Pardon, jeune et belle amie. »

Il bois une gorgée de champagne en fixant de ses yeux sombres le regard de biche de la jeune femme. Se laissant aller à quelques flatteries légères, Arsène se détendit légèrement.

« Mais je ne voudrais pas te distraire dans ta mission du jour. Parlons politique puisque nous sommes tous deux là pour cela. Pour être honnête, c'est dans la presse que j'ai entendu parler de l'Aube. Vos idéaux semblent rejoindre les miens, vous prônez la fin du secret magique, c'est bien cela ? »

La question est rhétorique, bien évidemment, c'est la première chose que l'on apprend sur le parti. Mais il faut bien lancer la conversation.

« Pour être honnête avec toi, je suis apolitisé depuis l'enfance. Ma mère et moi nous intéressons plus intensément à tout cela depuis la mort de mon père - j'ai bien reçu ta missive d'ailleurs, merci infiniment -. Sa candidature aux élections prochaines de la chambre de la noblesse a été un événement largement fêté au domaine d'Apcher, et je m'intéresse à mon tour à tout cela. Je n'y connais que peu de choses, mais je serai ravie de t'écouter me parler du parti, de votre programme ainsi que de vos idéaux. »

Voilà qui devait les occuper de longues minutes. Prenant les devants, Arsène invita Neith a se diriger dans un coin un peu moins central de la pièce afin de converser de manière plus tranquille, loin des allées et venues des personnes présentes s'arrêtant au buffet pour se servir un rafraichissement ou gouter quelques macarons parisiens. Plus à son aise hors de la masse, la réputation d'ours mal léché du nouveau Baron d'Apcher venait en fait d'une sainte horreur de se retrouver enfermé dans une foule de gens, plus encore lorsque les gens en question trahissaient leurs pensées de l'Auvergnat et de sa familles par de pas-si-discrets regards en coin.

Faisant fi de ces grossières considérations, Arsène concentra son attention sur Neith, lui désignant un siège.

« Souhaites tu t'asseoir ? »

« A nos retrouvailles, effectivement. » sourit-elle, amusée.
Si elle n’a pas changé ? Elle ne saurait le dire. La jeune adolescente effrayée et en colère lui semblait bien lointaine et pourtant parfois si proche. A y réfléchir, elle avait une tendresse particulièrement pour son elle adolescente. Tant de choses s’étaient passées. Son sourire s’accentua à sa rectification autant amusante que flatteuse.
« Ravie de t’aider alors, mon cher jeune et bel ami. » répondit-elle amusée et un sourire au coin des lèvres, décidée à réutiliser ses mots entre amusement et sincérité. Arsène avait été un bel adolescent, il restait un bel homme également. Elle ne le nierait pas.
Pas intimidée et ne se défaisant pas du regard de l’homme qui boit, elle nota une légère détente dans sa façon de se comporter. Trop habituée à analyser les autres dernièrement (ou depuis toujours ?), elle en déduisit non sans plaisir qu’il semblait à l’aise. Elle aussi mais sans doute parce qu’elle était sur son terrain également. Qu’elle lui transmette un peu de cette légèreté la satisfaisait.
Un rire s’échappe néanmoins.
« Distraction et devoir ne sont pas incompatibles. » lui répondit-elle avec un clin d’œil.
Néanmoins, elle retrouva immédiatement ses habitudes, plus sérieuse mais pas moins décontractée, s’adaptant à son interlocuteur. Si elle acquiesça par principe pour la question rhétorique sur le Secret Magique, elle l’écouta attentivement sur la suite. Apolitique pour Neith signifiait surtout suivra la majorité parce que la majorité silencieuse existait. Les D’Apcher en avait fait partie et le seraient encore si Arsène n’avait décidément pas l’intention de faire autrement, différemment de son père.
Ne répondant pas immédiatement, ils s’assirent donc un peu à l’écart ce qui l’arrangeait. Attendant qu’il soit installé, elle posa sa flûte devant elle. Son regard se planta dans celui tout aussi sombre du loup et elle se lança alors :
« Effectivement, le Secret Magique est une des idées charnières du parti. Nous nous cachons des moldus, c’est un fait. Nous replions sur nous-même ce qui n’a jamais été bon pour n’importe quelle civilisation, crois-en une archéologue qui étudie des objets poussiéreux. Si les persécutions sorcières ne sont plus de mise en Europe, il est évident que les moldus commencent à prendre trop de place. La Grande Guerre nous l’a suffisamment montrée au vu des déplacements de populations des communautés magiques toutes confondues. Qu’en sera-t-il lors du prochain conflit ? Je ne le souhaite pas, bien évidemment, mais l’éventualité est là. »
C’était inévitable d’après Neith qui, si elle savait que le monde actuel profitait de l’après-guerre, ce ne serait pas comme cela éternellement. Les communautés magiques ne pouvaient s’autoriser à attendre le prochain coup de feu des moldus.
« Sans compter les attentats de 1917 qui ont été tout droits inspirés par la révolution russe et celle française moldue. Cela a beau valoir faire des siècles que la Terreur est passée chez les moldus, le parti souhaite que les nobles sorciers qui font tant pour la nation ne soient les prochains. De ce fait, il est évident que la république n’est plus une option. Elle n’a pas su protéger tous ceux que nous avons perdu lors des attentats, ni lors de la Grande Guerre. Les chiffres sont là. La France s’est appauvrie. Par ailleurs, si nous voulons faire face au moldu, il nous fout un contre-pouvoir fort. La royauté, les De Valoys, peuvent le redevenir. C’est tout l’enjeu. »
Sa voix est calme, sereine, maitrisée. Elle a tant écouté son père, son mari et même été la petite main qui écrivait ces idées qu’elle partageait. Plus que cela même, elle en avait d’autres.
« Notre intérêt n’est que de faire prospérer les communautés magiques et ne faire en sorte que notre civilisation ne s’éteigne pas. »
Neith vient reprendre son verre et boit un instant avant de reprendre :
« Nous avons parfaitement conscience de la supériorité numérique des moldus qui est également un fait. Si nous voulons faire éclater le secret magique en France, il nous faut être subtiles. » Stupide serait d’y aller frontalement. Avec les armes moldues dont Neith avait un très grand intérêt, les sorciers pouvaient risquer gros. « L’idée serait déjà de rassembler la communauté magique. Cela prend en compte également les loup-garous qui restent des sorciers, mais pas exclusivement. » Les vélanes, les sirènes, les vampires étaient aussi victimes des moldus. La communauté magique dans son ensemble était belle et grande. Les intérêts de chacun pouvaient se retrouver. « Il y a également pourquoi pas un travail de longue haleine à avoir sur les moldus. Placer des pions dans leurs gouvernements, frapper au moment opportun. Nous avons un avantage dans le fait d’être caché : les moldus ne savent pas que nous existons. Autant jouer de cette surprise. » Ne pas laisser le choix et que les moldus comprennent que ce soit trop tard. Cela Neith était convaincue qu’ils avaient une carte à jouer. « Bien évidemment, le retour des De Valoys à leurs pleins pouvoirs signifiera aussi que les maisons nobles, dont la tienne pourront se démarquer, gagner plus de choses que ce soit des terres, de la renommée, de la richesse… » Elle fit un signe de la main pour dire que la liste n’était pas exhaustive. Mais elle connaissait la situation des d’Apcher et elle savait que ce qu’elle disait pouvait être intéressant et c’était ce que les républicains ne pouvaient leur offrir et ne leurs avaient pas offert jusqu’à présent.
C’était sur ce point que le parti jouait et comptait tenir ses promesses également.
« Tout le monde peut participer à ce futur qui sera plus brillant. Si tu le souhaites, tu le peux également. »
Il y avait d’autres idées également qui touchaient d’autres personnes dans d’autres situations, mais Neith parlait à un noble. Elle adaptait son discours en conséquence.
Sans quitter du regard l’homme, elle but un peu avant de décider de s’arrêter là attendant une réaction du baron.

« Distraction et devoir ne sont pas incompatibles. »

Arsène ne manqua pas d'accorder un large sourire à Neith. Il la retrouvait comme à l'époque de Beauxbâtons, appliquée mais pour autant pas la dernière à se laisser distraire par ses considérations de l'époque. Et regarder Arsène et Arthur rendre justice à sa place entre les murs de l'école avait à n'en point douter été un divertissement plus que satisfaisant pour la jeune femme qui savait se venger des imbéciles sans avoir à se salir les mains. Le loup blanc se demandait si elle agissait toujours ainsi ou si elle s'était décidée à agir par elle même. Se salir les mains n'étant pas toujours une mauvaise chose.

Galanterie oblige, il attendit que Neith s'asseye pour l'imiter, reprenant par la même une gorgée de champagne dont les fines bulles venaient lui chatouiller la gorge. Il l'écouta raconter les avis du parti, un discours bien rôdé qui était tout à fait convaincant. Arsène partageait les opinions exposées par la jeune femme. Terré en Auvergne où ils étaient relativement tranquilles pendant la Grande Guerre, les quatre années de conflits moldus avaient tout de même eu une influence certaine sur la société sorcière dont le Siège névralgique se situait évidemment à Paris. Les sorciers  avaient été malgré eux pris dans des bombardements, une mise à sac de la capitale qui avait eu un coût financier impressionnant. Arsène n'avait aucune confiance en la race moldue, il savait d'avance que ces derniers trouveraient très rapidement une nouvelle raison de se battre. Loin de protéger le monde magique, se cacher de cette espèce inférieur ne pourrait que signer la fin de celle-ci. A ne pouvoir évoluer en pleine lumière, l'on doit subir les actes de ceux qui ne vivent pas dans l'ombre.

Et comment ne pas se souvenir des attentats de 1917, lui qui avait été présent lors des festivités et qui se souvenait encore de cette vision cauchemardesque de la famille royale décimée par des Républicains. Quelle folie les avait poussé à une telle violence, alors que depuis la Révolution Française les de Valoys n'avaient plus aucun pouvoir politique.

« Tu prêches un convaincu, Neith. »

Les idées de l'Aube étaient définitivement les mêmes que les siennes. Lui, le noble, lui le royaliste. La puissance de la noblesse avait été sous estimée, et bien que décimée par les nombreuses abdications de titre lors de la Révolution Française, certains étaient encore farouchement attachés à leurs terres, à leur titre. La Royauté était, pour les d'Apcher, la seule voie possible. Sinon quoi ? Perdre leur terre ? Perdre leur pouvoir ? L'on oubliait rapidement le poids de la noblesse dans la vie française et la conservation de bien anciennes coutumes que la République de Merlin cherchait à décimer au profit d'un modernisme à outrance qui donnait envie de gerber au Baron d'Apcher.

« Je suis agréablement surpris de constater que vous avez bien réfléchi à la manière d'arriver à vos fins. J'ai l'impression, à chaque fois que la voix de la Ministre se fait entendre à la radio, qu'elle est la solution à tous les problèmes mais se contente de vaines promesses. Avec une telle langue de bois, je ne me fais pas de soucis pour ses froides nuits d'hiver. »

Infiltrer la société moldue était une excellente idée, et surtout une technique qui avait fait ses preuves dans l'histoire. Si les d'Apcher avaient fomenté un plan plus radical, placer des pions et faire preuve de patience ne pouvait qu'être bénéfique à la cause. Au moins, il s'agissait de ne pas rester passif et ça, ça plaisait à Arsène.

« Eh bien tu me connais, la proactivité a toujours été mon moteur. Avez vous déjà débuté quelques actions spécifiques, ou attendez vous l'élection de ton Père pour agir sur la société magique ? »

Qu’elle prêche un convaincu fit plaisir à Neith. A vrai dire, elle se doutait qu’elle ferait mouche avec Arsène. Le discours était adapté mais pas moins vrai sur certains aspects. Neith avait appris que la politique, c’était beaucoup de promesses pour pas forcément les mêmes résultats à l’arrivée. Mais cela n’empêchait pas qu’elle ne mentait pas : elle était persuadée que son père pourrait tenir tout ce qu’elle énonçait à présent. De ce qu’elle dit, elle ne laisse rien paraitre de ce qu’elle pense réellement. Ici, ça n’a aucun intérêt. Elle, elle se sait plus retord sur beaucoup de sujets. La question moldue en faisait partie. Quant à la noblesse, il était évident que les Shafiq autant qu’elle-même y voyaient un intérêt également. Raviver les brasiers des Anciens Régimes était après tout leur marque, eux descendants de pharaons et pharaonnes puissantes.
Le discours passé, Neith observe le baron d’Apcher avec attention derrière sa flûte de champagne. A la manière dont il se tenait, elle devinait qu’il écoutait réellement et la suite le lui confirma. Elle ne peut s’empêcher d’avoir un sourire en coin à sa première phrase. Ne pas réfléchir aux tenants et aboutissants de ce qu’impliquait la levée du Secret Magique aurait été folie. Elle était la fille de ses parents et ses parents avaient définitivement réfléchi à tout. Même Rawiya qui, si elle laissait la lumière sur son époux, n’en était pas moins une des têtes pensantes. Son sourire en coin devint navré lorsqu’Arsène évoqua les vaines promesses du Ministère.
« Les moyens dont le Ministère dispose ne sont plus ce qu’ils étaient. » Elle ne défendait pas l’absence d’action du Ministère, mais elle se doutait que les choses n’étaient pas aussi simple et que les attentats conjugués à la Grande Guerre n’avaient certainement pas aidé également.
La question ne la surprit pas et Neith savait qu’elle ne pouvait révéler tout ce qui était en route, mais si Arsène aimait l’action, elle se disait que l’une de ces actions pouvait l’intéresser.
« Une ou deux actions, oui. Je pense que l’une d’entre elle pourrait t’intéresser si tu nous rejoins ? »
Elle réfléchit un instant sur ce qu’elle peut dévoiler ici, maintenant et surtout sans qu’Arsène n’est adhérer à quoi que ce soit. Elle décide néanmoins de ne pas en dire plus tant pour attiser sa curiosité que pour garder une certaine sécurité.
« Néanmoins, comme tu le dis si bien, mon père n’est pas élu. Notre marge de manœuvre est pour l’instant très courte. » Il n’était pas question de se mettre en péril sur le secret magique alors que Tarek n’était « que » citoyen français. Le jour où il accèdera au Ministère, ce serait une autre préoccupation. « Mais nous préparons le terrain. » Pour Neith, que Tarek gagne ou perde ces élections, cela ne faisait aucune différence : la graine était plantée. Les nobles encore affiliés à la royauté commençaient à se lever. La royauté elle-même commençait à bouger. Quant au Secret, Tarek attisait suffisamment les horreurs de la Grande Guerre qui était encore fraiche dans l’esprit des français. Si ce n’était pas Tarek qui réussissait, il y aurait bien quelqu’un d’autre après lui et elle était persuadée que les moldus n’avaient pas terminés de faire peur aux sorciers. Et la patience était une bonne vertu. Que ce soit aux prochaines élections qui venaient ou dans dix ou quinze ans, cela finirait par se produire.
Quant à la fierté des Shafiq, elle savait qu’ils avaient travaillé toutes ces années, depuis leur arrivée en France et même avant, pour qu’elle soit toujours bien présente et qu’ils s’en sortent. Elle, en tout cas, elle y travaillait dans l’ombre.
« Je ne peux néanmoins pas tout te révéler comme tu te doutes. » Déjà parce qu’elle ne savait pas tout. Ensuite parce qu’il n’était pas membre du parti. « Mais si ça t’intéresse, tu as toujours la possibilité de prendre la carte du parti. Evidemment, mon offre est sans date de fin. Prends le temps qu’il te faut pour réfléchir. » lui adressa-t-elle un sourire avant de boire un peu.
Elle ne brusquerait pas davantage. Même si elle avait la sensation qu’Arsène semblait particulièrement intéressé, elle savait parfaitement que ce genre de décision se pesait et si elle se souvenait bien du jeune homme qu’elle avait connu à Beauxbâtons, sous ses airs d’arme de la vengeance (et non de la justice) qu’il abordait, Arsène était quelqu’un d’intelligent.

Par la lune, qu'il avait bien fait de quitter les vertes étendues de son Auvergne natale pour venir se perdre dans les rues malodorantes et bondées de la capitale. Si la recherche de sa russe disparue avait été vaine, il devait bien admettre être ravi d'avoir pris la décision de se rendre à cette présentation. Le loup se sentait étouffer, mais l'homme intéressé bien qu'il ne commençait à ressentir sa Bête s'agiter au fond de lui. Les cages de briques et de béton n'étaient décidément pas pour lui plaire, et le prédateur réclamait sa forêt.

Tâchant de masquer le malaise physique qu'il commençait doucement à ressentir, il bu en une gorgée ce qu'il restait de champagne au fond de sa coupe tout en acquiesçant aux paroles de Neith. Pour sûr, les limites du système Républicain commençaient à se remarquer. Manque de fonds pour mettre en place des mesures ayant pourtant été adoptées et votées, alors que le système nobiliaire pouvait assurer une richesse précieuse à la France Sorcière, de même que le pouvoir absolu de la Monarchie qui avait largement fait ses preuves jusqu'à ce que les citoyens ne sortent les fourches et les flambeaux, imitant les moldus à l'époque de la Révolution Française. Si l'histoire était un exemple de choses à ne pas reproduire, elle n'en était pas moins un guide permettant de ne plus refaire les erreurs du passé et le Baron d'Apcher était intimement persuadé qu'aujourd'hui, en 1927, la royauté saurait bien mieux que dans le passé s'occuper du peuple et écouter leurs besoins pour ne plus jamais avoir à être remise en question.

Arsène esquissa un large sourire à Neith alors qu'il était évident qu'elle le poussa à rejoindre les rangs de l'Aube Sorcière. Cela ne l'offusqua pas, bien au contraire, il reconnaissait bien là la femme qu'il avait connu, ne perdant jamais le nord et usant de subtilité pour amener le Loup Blanc exactement à l'endroit qu'elle désirait. S'il l'avait à l'époque, laissée faire en ce qui concernait la politique et ses pions à placer, Arsène ne comptait pas laisser son impulsivité parler.

« Tu me connais, Neith, lorsque je m'engage dans quelque chose, je refuse de le faire à moitié. Et bien que je sache que nos idéaux convergent, je préfère me laisser le temps de la réflexion. Car si je rejoins l'Aube, j'ai bien l'intention de m'investir tout entier dans la politique et tout ce que cela implique. »

Il savait d'avance qu'il n'avait aucunement l'intention de se laisser vivre comme Cléanthis avait pu le faire, caché dans son domaine, s'accrochant de toutes ses forces à un passé glorieux. Lui, il regardait vers l'avenir. En ce sens, il avait déjà réussi à éponger les dettes de sa famille auprès des de Medici grâce à Auguste, et la société qu'il avait monté avec lui commençait doucement à promettre de belles choses. L'alliance d'Apcher avec les Lestrange par le mariage était une idée qui avait été évoquée, mais il restait tant de pions à placer habilement pour refaire de sa famille une lignée que l'on est forcé de respecter. Soutenir publiquement et avec ferveur Tarek Shafiq pour les prochaines élections était un pari à faire. Son instinct lui dictait de miser sur lui, et s'il ne s'était que peu trompé depuis la mort de Cléanthis, il ne perdait rien à prendre le temps de confirmer cette première impression.

« Mais je suis un homme de terrain, en cela je n'ai pas changé. Alors même si je ne prends pas ma carte aujourd'hui, promets moi de me contacter pour ces actions, si tu penses que je pourrais être utile et que cela pourrait finir de me convaincre de donner mon soutien à ton père. Loin de moi l'idée de douter de son influence, vous semblez déjà attirer énormément de monde et les regards sont braqués sur vous pour les prochaines élections. Je ne sais pas si tu es au courant que Dorimène souhaite acquérir le siège Auvergnat de la chambre de la noblesse, peut être que si nous nous débrouillons bien, nous pourrions allier nos forces à bien des égards... »

Il se garda bien de promettre quoi que ce soit à son amie, même s'il cherchait à lui faire comprendre qu'il pourrait tout à fait s'avérer être un allié. Les Shafiq étaient descendants de pharaons et reines d'Égypte antique, il ne faisait aucun doute que leurs dents rayaient le plancher. L'ambition était une chose que respectait Arsène au plus haut point. S'il avait pu faire le choix de se tourner vers le parti royaliste qui trainait la patte dans la politique, il voyait en l'Aube Sorcière un souffle jeune, frais et qui avait toutes les chances de faire mouche auprès des sorciers. Ils apportaient un discours nouveau, différent, et poussaient les citoyens à se questionner quant à des sujets volontairement muselés par la politique jusqu'à présent.

Pour l'heure, sa concentration s'amenuisait à mesure que les gens entraient dans le café, sa Bête lui hurlant de s'extirper de là. Il tenait difficilement en place sur sa chaise.

« Je ne voudrais pas t'accaparer trop longtemps, mais penses tu que nous puissions poursuivre cette conversation à l'extérieur ? Tu dois surement te souvenir que je supporte assez difficilement les espaces clos. » il marqua une pause avant de poursuivre « Mais si ta présence est indispensable auprès de ton père, je le comprendrai tout à fait. Dans ce cas, peut être pourrais-tu me rendre visite en Auvergne un de ces jours ? Je ne voudrais pas que nos chemins se séparent une fois encore, c'est si bon de te retrouver Neith. »

Il lui offrit un sourire sincère. Pour sûr, les retrouvailles avec la Shafiq étaient un véritable plaisir, et leurs liens semblaient intact malgré toutes ces années passées à vivre leur vie chacun de leur côté. Il retrouvait cette lueur espiègle et acide qui lui avait toujours plu chez la jeune égyptienne.