Ainsi va le monde ici-bas | Rachel & Octave

Ainsi va le monde ici-bas
Correspondance avec  @Rachel Fabre | TW : aucun pour le moment
C’est une très belle journée pour trahir ses principes. Les affaires, finalement, ce n’est jamais que ça. C’est la partie la plus laborieuse de ton travail, la plus longue et la moins engageante : celle où tu traînes à genoux devant les élites, les puissants et les importants pour mendier un peu de reconnaissance. C’est bien joli d’être un artiste visionnaire et un inventeur de génie, mais ça ne vaut pas grand-chose si ça ne se sait pas. Il fait doux cet après-midi alors que tu t’installes à ton bureau et en sors plume, encre et papier. C’est que tu as beau avoir pour les institutions bourgeoises le plus grand des mépris, tu sais le risque encouru à laisser ta place par principe. Abandonner l’opportunité de prouver à ces maîtres et leurs colliers de lois les infinies possibilités de la photographie ? Pour être oublié, remplacé, confondu ? Car ils sont déjà là les chiens, à ronger un peu de cet os qui n’était qu’à toi, et tu n’es plus le seul photographe du monde magique aujourd’hui… C’est le sens dans lequel tourne le monde, et il peut le faire avec ou malgré toi. Autant que ce soit avec. Que vaut un idéal face à la marche inexorable du temps ? À chaque nouvelle proposition adressée au Ministère ou à ses émanations, un sourire amer te vient aux lèvres. Mais enfin, ils sont conservateurs, pas idiots.

[Le papier ivoire orné d'un filigrane portant le nom Defresne offre une texture raffinée sous les doigts. La lettre découvre une écriture ronde et élégamment soignée.]

À  l’attention de Madame Rachel Fabre, Directrice du Fort Invisible,

Atelier Defresne, Paris, 12 décembre 1927

Madame la Directrice,

Permettez-moi de me présenter : Octave Defresne, maître de l’Atelier Defresne à Paris, et inventeur de l’appareil Defresne, et de la photographie magique, procédé permettant de capter de courtes images animées sur le vif.

Je me permets de vous écrire afin de vous soumettre une proposition qui, je le crois, pourrait grandement profiter à votre institution. Au cours de mes recherches sur les applications de la photographie, tant dans le monde magique que moldu – d’où cette technologie tire son origine – il m’est apparu que celle-ci pourrait offrir une utilité significative dans le cadre des diverses administrations. Ce procédé permet de capturer rapidement et à moindre coût le portrait d’un individu, avec la garantie d’une conservation durable, tout en facilitant la production de copies. J’imagine que, comme moi, vous percevez les nombreuses possibilités offertes par cela, notamment pour le suivi des individus et la simplification des échanges entre institutions.

Mon invention, la plus rapide et la plus avancée dans ce domaine, pourrait vous offrir des solutions inédites pour optimiser un tel travail. Je serais honoré de pouvoir vous en faire une démonstration et discuter plus en détail des possibilités qu’offre cette collaboration.

Auriez-vous la disponibilité pour convenir d’un rendez-vous ?

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Madame la Directrice, l’expression de mes salutations distinguées.

Octave Defresne

La lettre avait passé les contrôles d’Anatole au service courrier et l’homme était passé jusqu’au bureau d’Ambre pour y déposer le courrier. Parmi toutes les lettres qu’il y avait, ce fut Ambre qui, selon le classement effectué, lu en premier. C’était elle qui faisait le tri dans les lettres de personnes extérieures et jugeait si Rachel pouvait les lire à son tour. Lorsque Rachel eut le parchemin entre les mains, elle était assise à son bureau. Le nom Defresne lui disait vaguement quelque chose bien qu’elle ne se tienne pas suffisamment informée de ce qui se passe en France de manière générale. Son monde est sa prison après tout. Ce n’est que lorsqu’elle comprend qu’il fait référence à la photographie que son intérêt est manifeste. Bien sûr qu’elle savait ce que c’était et il était vrai qu’elle avait toujours été étonnée que les sorciers ne reprennent pas ce concept. De savoir un sorcier le faire lui fait se poser des questions sur l’individu.

Elle ne répond pas tout de suite, de toute façon trop occupée avec le reste. Mais son cerveau mouline dans son coin. L’idée est très loin d’être idiote et cela pourrait permettre d’aléger les rapports d’entrée en ne réduisant les profils physiques établis qu’à une photographie et les caractéristiques principales des détenus. Elle savait pour en avoir fait pendant qu’elle était gardienne, que les rapports d’entrée étaient longs et fastidieux. Procéduriers mais nécessaires. Pour l’heure, elle se dit que de constater la démonstration ne lui ferait pas trop de mal et ne l’engagerait à rien du tout.

Ainsi, ce n’est que le lendemain qu’elle répondit :

Ainsi va le monde ici-bas
Correspondance avec  @Rachel Fabre | TW : aucun pour le moment
Deux jours de délai seulement pour une réponse, laquelle te propose un rendez-vous sous moins d’une semaine, c’est inespéré. Tu en viendrais presque à penser qu’il va falloir revoir ton jugement sur les institutions - presque. Peut-être fait-elle figure d’exception, ou peut-être es-tu enfin tombé sur une personne sensée ? La réponse viendra bien assez tôt, mais au moins, puisqu’elle existe, il y a peut-être un peu plus d’enthousiasme que de servilité docile en toi quand tu reprends la plume à son adresse.

[Le papier ivoire orné d'un filigrane portant le nom Defresne offre une texture raffinée sous les doigts. La lettre découvre une écriture ronde et élégamment soignée.]

À  l’attention de Madame Rachel Fabre, Directrice du Fort Invisible,

Atelier Defresne, Paris, 15 décembre 1927

Madame la Directrice,

Vous me voyez honoré que vous m’accordiez une entrevue si vite. Je vous attends donc à l’Atelier Defresne, Faubourg Saint-Honoré, le 19 décembre prochain pour 9h30 si cela vous convient. Je vous ferai part de mes idée, ainsi qu’une démonstration de la rapidité et l’utilisation de l’appareil, que vous puissiez estimer son utilité.

Je reste à votre entière disposition si vous aviez des questions d'ici à cette rencontre et je vous prie d’agréer, Madame la Directrice, l’expression de mes salutations distinguées.

Octave Defresne