I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
Giacomo de Medici
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(#) I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
missive rédigée par Galahad Anderson le5 mai 1927 – ft @Emile Teyssier
We're all wrapped up in greed
Le soleil tombe sur les calanques, baignant les flots d'une lueur rougeâtre, tandis que s'allument autour des échoppes du marché flottant de charmantes petites loupiottes colorées qui éviteront aux sorciers affairés de tomber à l'eau. Car il y a du monde pour se presser sur les plateformes clapotant paresseusement sur les flots, et ce malgré l'heure tardive. Les jours se rallongent, le printemps réchauffe de son soleil le Sud de la France - en témoignent les tenues plus légères, évocatrices d'un été qui semble déjà pointer le bout de son nez. On partage des douceurs achetées à un étal avant d'aller marchander à un autre, on flâne en profitant des derniers rayons du soleil mourant, on reste en plein milieu du chemin pour échanger les dernières nouvelles avec des accointances croisées par hasard. Les discussions enthousiastes se mêlent en un bourdonnement entraînant, créant presque une discrète musique, un air entraînant, fêtard. Mais s'il en est un qui n'a pas réellement l'esprit à la fête, c'est bien Galahad - l'a-t-il jamais, cela dit ? Traînant son air maussade, presque une tête au-dessus du reste de la foule, il parcourt les passerelles en posant un regard sombre sur chaque passant, cerbère à la chaîne lâche, mais ne s'éloignant jamais trop de son repère. En l'occurrence, le prêteur sur gages servant de couverture aux Savelli en ces lieux, et où doit se rendre sa cible du soir.
Après plus d'un an à les servir, Galahad a su se faire apprécier de ses nouveaux maîtres par bien des aspects. Ne pas poser de question. Faire le nécessaire, sans superflu, sans ciller non plus. Jouer tantôt le chien de garde, tantôt le molosse d'attaque. Le rôle qu'il devra endosser ce soir ne dépend pas vraiment de lui. Plutôt du curieux qui met trop son nez dans leurs affaires, qui pose trop de questions dans la cité phocéenne, comme décidé à en retourner les murs. Pour quoi faire ? Il n'en sait rien. Et il s'en fiche. Seul compte ce qu'il sera nécessaire de faire pour décourager l'intrus, censé se pointer d'un instant à l'autre à proximité de l'antre des Savelli. Les badauds se pressant à ses côtés, flot dense et continu, ne l'inquiètent en rien. L'expérience lui a appris qu'il est bien plus facile de faire disparaître quelqu'un au milieu d'une foule. Mais Galahad a trop fréquenté la violence pour l'apprécier, et espère sincèrement qu'il ne devra pas en arriver là. A raison : sa carrure suffit généralement à décourager les curieux, et une ou deux remarques empruntes de menace calment les plus insistants. La plupart du temps. Dans le cas contraire ... avec l'obscurité, une tête de moins dans la foule ne fera pas hausser un seul sourcil, et la moindre venelle, la moindre plateforme, peut se transformer en coupe-gorge.
Il patrouille depuis assez longtemps désormais pour s'être habitué au léger balancement sous ses pieds, écho de la faible houle agitant la Méditerranée ce soir. Les lumières du marché éclairent les visages de nuances de bleu, d'orange et de violet. Il parvient cependant à reconnaître les traits attendus, prend un instant pour les observer avant de se manifester. L'homme est petit, brun, plutôt quelconque somme toute, le genre qu'on classifierait en citoyen lambda sans se poser plus de question. Mais Galahad n'est pas là pour se poser en juge - et, avec un peu de chance, n'aura pas non plus à jouer au bourreau. Il joue un peu des épaules, se fraye un passage jusqu'à se retrouver dans le dos de sa cible. « Emile Teyssier ? » Ce n'est pas réellement une question - et il ne compte aucunement se présenter en retour. Il se fera colosse anonyme, oubliable, car quel intérêt y a-t-il à retenir l'apparence du mur auquel on se heurte ? Il attend que le sorcier se retourne, pour mieux le contempler de toute sa hauteur, bras croisés et visage impassible à l'appui. « Vous vouliez vous adresser à mes employeurs. Je serai votre contact. » On lui a promis un rendez-vous pour répondre à ses questions, meilleur moyen de faire sortir la souris de son trou, de la pousser au grand jour, où il sera plus facile de la faire fuir pour de bon.
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(#) Re: I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
missive rédigée par Emile Teyssier leI don't mean to get dark, but I guess that's just life
@Galahad Anderson & @Emile Teyssier
le 5 mai 1927
cw : /
◊ ◊ ◊
Émile avait, au fil des années, appris à connaître le marché flottant. Il lui semble parfois, qu'au plus profond de ses rêves, quand les bras tendres de Morphée se déforment pour venir l'étouffer, pensées tordant milles horreurs, il aperçoit ses allées et ses caisses, les flottes qui se bataillent son attention. Marseille vivante, ses matelots, ses capitaines et ses filles de joie secouant ses cauchemars. L'image, pourtant, devrait être celle de doux rêves. Promesses de voyages et de richesses, d'aventures et rencontres soudaines, de pièces échangées contre une choppe d'hydromel frais ; le Couturier, lui, n'y voyait que son épouvantard rebondir d'échoppes en échoppes. Leurs portes, toujours désespérément closes.
Ce soir, seulement, les choses pouvaient en être autrement. Il est vrai qu'Emile se murmure les mêmes mots, inlassablement, depuis vingt ans qu'il bat le pavé du marché phocéen, mais il y a, dans l'air, peut-être, dans le salin de la mer qui vient titiller ses narines, une sorte de réconfort, de gage de réussite. C'est qu'il a lutté, le Carcassonnais, pour calmer les assauts de la mer marseillaise et des centaines de secrets qui se dissimulent dans ses remous. Longtemps, les passerelles et étals du marché s'étaient amusés à le faire tourner en rond, fausses informations traînant d'oreille en oreille jusqu'à retomber dans celle, trop naïve, du Teyssier. Il était jeune, si jeune, la vingtaine à peine, quand il a tempêté pour la première fois en plein marché illuminé, cœur encore trop vif des ignominies familiales. Son désespoir se conjuguait alors aux danses festives d'un été au bord de mer, ses larmes risibles face aux gorgées déployées des badauds. Il n'était plus si niais, Emile. Son esprit, endurci d'années à se construire, seul, loin de l'héritage familial, à grimper dans les rangs et se faire des amis aux airs qui font taire les nigauds. Son cœur, d'artichaut peut-être, mais suffisamment noirci par ses cauchemars qu'on ne saurait plus le tordre par plaisir. Il saura, ce soir, s'affirmer pour qu'enfin, son coup de pied fasse tomber la porte barrée de Marseille.
Avant d’en arriver là, toutefois, il lui fallait trouver son contact. Facile à dire, quand la seule directive qu’on avait bien voulu lui donner était un maigre : « on vous trouvera ». Merci, gentilshommes, voilà un couturier bien avancé. L’endroit est dense, Emile autant happé par la foule que secoué par la houle méditerranéenne. On tente de le héler, tisserand comme poissonnier agitant leurs stocks de la journée. Il faut tout écouler, avant que la nuit n’engloutisse les bourses, déliées plus facilement pour des bouteilles de pastis, invention de la décennie affolant les ivrognes. Le couturier s’en détourne, là où il s’abandonnerait d’ordinaire volontiers à tâter ça et là la marchandise, l’esprit trop occupé à se faire trouver. Sûrement, sont-ils assez renseignés pour que - Là, son nom, grondé dans son dos. Emile redresse l’échine, lisse son expression et arbore un sourire contrôlé.
« Lui-même », accorde-t-il à l’homme qui l’a interpelé. « À qui ai-je l’honneur ? ». La voix reste calme, alors que ses yeux dévalent la montagne qui se dresse devant lui. S’il lui fallait la grimper, pour que Marseille s’ouvre à lui, Emile allait devoir s’armer de patience et courage. Il n’y avait, après tout, pas un semblant de volonté d’amitiés chez le colosse aux bras croisés. Il semble presque se faire plus grand, comme pour intimider le couturier. Il s’autorise un rictus plus narquois, cette fois, que son sourire contrôlé ; est-ce là l’accueil qu’on lui propose ? C’était, ma foi, mieux que les coups dans les jambes et les menaces susurrées au fil de ses enquêtes dans la cité phocéenne. Le contact de ses employeurs, donc, se tenait devant lui. Etait-ce ainsi qu’il devait s’adresser au colosse ? Les Savelli se trouvaient-ils si supérieurs à tous, sur ce marché flottant, qu’ils arrachaient à leurs hommes de main toute identité ? Emile lui tend la main, insiste : « Et donc, à qui ai-je l’honneur ? ». Il soupire, surjouant sa déconvenue. « Au vu des sujets qui seront abordés, sûrement sera-t-il plus aisé de nous présenter convenablement. Comptez-vous nous mener quelque part, d’ailleurs, ou dois-je crier à la volée les affaires pour lesquelles vos… employés sont de mes préoccupations ? »
Tête légèrement penchée, Emile lève les yeux vers l’homme de main des Savelli. « Après tout, vous connaissez certainement le meilleur endroit où tenir une discussion digne de ce nom, Monsieur… ? » Et, toujours, cet air confiant. Qu’on ne dise pas que le Teyssier, droit sur cette passerelle branlante, était à l’image de celui d’il y a vingt ans, balbutiant rien qu’à entendre le nom des Savelli.
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(#) Re: I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
missive rédigée par Galahad Anderson le5 mai 1927 – ft @Emile Teyssier
We're all wrapped up in greed
La tâche s'annonce ardue. Voilà ce que promet le sourire absolument pas inquiet, répondant au grondement qu'il a émis en guise de bienvenue. Si le type face à lui a ressenti le moindre émoi, alors il sait très bien le cacher. Mais Galahad en doute d'autant plus que l'expression a même le toupet de se faire narquoise. Le défie-t-il de sévir ici, au milieu de la foule ? Cela ne lui poserait aucun problème. La plupart des sorciers marseillais savent très bien quand tourner leur attention ailleurs - quant aux autres, quelques bézants peuvent les en convaincre. Or quelque chose lui souffle que ce petit gars-là n'est pas de ceux dont on achètera le silence. Ou la tranquillité. Galahad en soupirerait presque déjà. Il n'a aucune envie de se tourner vers la violence - mais aura-t-il le choix ? Son identité est exigée, mais la demande ne reçoit qu'un silence buté. Pas de découragement en vue, cela dit. Une main se tend vers lui, se voit accueillie par un regard glacial et des bras restant obstinément croisés. Il assez côtoyé de petites frappes se croyant trop malines pour savoir quand se coucher, si bien que cette petite mascarade l'ennuie tout au plus. Le Teyssier doit le sentir, car la stratégie ne tarde pas à changer. Les paroles se font plus habiles, sifflent à son oreille des doutes qu'il avait jusque là refusé d'avoir. Aux mots crier à la volée, les épaules de Galahad se crispent légèrement, tandis que ses yeux s'en vont voler sur les visages qui les entourent, sur les regards qui évitent de croiser le sien, mais qui se détournent un poil trop tard. Et s'il avait raison ? Si des oreilles indiscrètes traînaient, prêtes à répandre des rumeurs, à répéter des informations sensibles ? En bon chien de garde, il ne sait même pas sur quoi portent les questions d’Émile - seulement qu'il doit les faire taire.
« Monsieur Anderson » finit-il par céder, agacement tout juste perceptible derrière le masque d'acier. Et presque malgré lui, il garde un œil attentif sur les traits du Teyssier, épie sa réaction, cherche à savoir si son nom sonne familier. Ses parents, et leurs exactions, avaient fait les joies de la presse à l'époque de leur attentat au secret. Mais la République s'est bien chargée d'étouffer cette malheureuse affaire, et il est rare que son patronyme y soit désormais attaché. Sauf qu'il a depuis eu ses propres faits d'armes, et son identité a eu l'occasion de refaire le tour des journaux ... Bah, qu'importe que l'autre le sache ancien condamné - ça ne donnera que plus de poids à ses menaces. « Nul besoin de crier. Mais soit. Venez avec moi. » Et sans prévenir davantage, il saisit la veste de l'homme juste à côté du col pour le forcer à pivoter, le dirigeant vers l'échoppe des Savelli et lui emboîtant le pas dans la foulée. Le geste est brutal, tandis que le regard, lui, s'est fait acéré. Galahad guette le moindre mouvement, le tressaillement réflexe qui trahirait l'envie de saisir sa baguette pour se défendre, ou du moins qui indiquerait où le précieux instrument est caché. La sienne est sagement rangée dans un holster, contre sa poitrine - à côté d'une autre arme nettement moins conventionnelle parmi les sorciers, mais beaucoup plus fiable entre ses doigts. « Pas de sort malheureux » gronde-t-il à mi-voix, avant que, d'une impulsion, il ne pousse l'homme devant lui. Sa main ne quitte pas l'épaule du Teyssier, poigne de fer le guidant sans douceur dans la foule.
Ils n'ont pas besoin d'aller très loin ; entre les lampions colorés apparaît bientôt leur destination. La planque des Savelli ne se cache pas dans l'ombre, mais prend au contraire l'apparence d'un honnête prêteur sur gages - autant que l'on puisse être honnête dans cette profession. L'échoppe, posée sur pilotis, s'ouvre sur les passerelles du marché, presque accueillante sous la lueur du crépuscule, mais pas très fréquentée malgré tout. Une seule âme s'y trouve, lorsqu'il y pénètrent. Un jeune sorcier à peine plus âgé qu'un adolescent, qui leur adresse un grand regard interrogateur, interrompu dans le comptage de bézants auquel il était soigneusement occupé. Bloqué en plein geste, il garde dans une main une petite pile de pièces, dans l'autre le tube de métal qui s'apprêtait à les recevoir. Un signe de tête de Galahad, et tout ce précieux chargement retrouve la table dans un bruyant cliquetis, tandis que le gamin quitte les lieux avec une précipitation mal camouflée. « Voilà » commente sobrement le molosse, avant de tirer deux chaises abandonnées dans un coin, s'asseyant lourdement sur l'une d'elle et offrant la seconde à son invité de fortune. « Je vous écoute. » Plus précisément, il le laissera vider son sac avant de lui expliquer à sa manière que ses recherches s'arrêtent là. Simple. En théorie. Mais ce type a l'air trop confiant. Sans doute aurait-il mieux fait de lui coller une beigne à l'arrière du crâne avant de le balancer à l'eau. Quoique, il aurait été capable d'aller flotter jusqu'au rivage pour y créer de nouveaux problèmes ...
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(#) Re: I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
missive rédigée par Emile Teyssier leI don't mean to get dark, but I guess that's just life
@Galahad Anderson & @Emile Teyssier
le 5 mai 1927
cw : mention de trafic d'enfants
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Anderson. An-der-son. Voilà le nom du colosse face à lui, bras croisés, regard toujours aussi antipathique. Il n’en fera pas son ami, Emile ne peut pas se leurrer davantage. Dommage, c’eut été un bon allié - à défaut d’être agréable. Anderson, donc, au visage de fer. Semble-t-il agacé ? Le couturier doit l’avouer, il n’arrive pas à lire les traits de son hôte de la soirée ; il lui semble pourtant facile de parier sur cette émotion, s’il devait choisir parmi toutes. Son insistance, il en est certain, ne doit pas être au goût d’un homme habitué à gronder pour se faire comprendre, si encore il cherchait à communiquer. Le vigile devait davantage manier la baguette que sa langue pour se trouver ainsi, posture figée, face au Teyssier. Son nom, bien que donné sèchement, reste une première réussite pour l’occitan - le vent aurait-il tourné en sa faveur, tel qu’il le pressentait, alors ? Marseille, as-tu entendu la force de ses supplications ? Sans doute aurait-il été un peu plus aidé si le nom s’était accompagné d’une révélation. L’homme qui lui fait face reste, pourtant, un inconnu. Anderson. An-der-son. Pas français, c’est là le seul pont brinquebalant que son esprit parvient à créer. Tant bien même cet élément se révélait véridique, il était d’une inutilité effarante dans sa grande enquête.
Toute pensée est interrompue nette par les prochains mots de l’homme de main - c’était cela, n’est-ce pas, que son métier ? Quel autre homme se tenait ainsi, grognait ainsi, toisait ainsi, sinon ce type de brigands améliorés ? - qui attrape d’un même temps sa veste pour le retourner sans plus de procédure. Une grimace offusquée vient déformer les lèvres d’Emile, qui ne peut s’empêcher de gronder. « Par Morgane, aucun sort, sinon celui pour défroisser ma veste, vu la poigne avec laquelle vous déformez mes tissus. Ce serait trop vous demander, un peu de délicatesse ? ». Il semblerait, oui. La main vient pousser le Teyssier vers l’avant, crispée sur son épaule pour le guider entre les lampions. Emile lève les yeux au ciel, heureux toutefois d’être dos tourné et de pouvoir cacher, autant qu’il le peut, le soudain tremblement de ses mains. Serait-il assis que sa jambe s’agiterait, débordant de tics nerveux. En l’état, il ne peut que se laisser guider, corps tendu par l’inconfort, coeur retrouvant difficilement le rythme de la houle. Sa grimace revient, première invitée de la soirée, semble-t-il, lorsque Monsieur Anderson le pousse dans une échoppe.
Il y a, devant eux, un pauvre gamin les mains pleines de bézants, les yeux perdus d’un homme interrompu dans une tâche bien fastidieuse. Emile sourit, à son habitude, et tenterait même une poignée de main si le colosse n’avait pas la main mise sur son épaule, l’ancrant drastiquement vers le bas. Au vu de l’air catastrophé du jeune garçon, non pas par le fracas qu’il provoque, mais par l’arrivée d’Anderson, ses politesses auraient bien vite été oubliées. Son hôte le relâche, vient tirer deux chaises et se laisse tomber sur l’une d’elle. Un mot, sinon trois autres, pour lancer la discussion. Succinct. Le Teyssier prend quelques instants pour se recentrer, passant distraitement la main sur ses épaules pour tasser son vêtement et effacer là les quelques plis ingrats qui s’y sont formés. « Nous avons effrayé le jeune homme », commence-t-il alors, l’air de rien. « Vous lui passerez mes excuses, ainsi qu’à son supérieur, pour avoir ainsi retardé son ouvrage. » Il fait un pas, puis deux, alors, pour venir s’asseoir aussi confortablement que possible sur l’assise qui lui est offerte. Jambes croisées, il toise le colosse, réfléchit à la marche à suivre. Il ne sait comment aborder le sujet, quelle information présenter en premier lieu, pour convaincre un homme tel qu’Anderson. N’est-ce pas là une intention pieuse, en réalité ? Quelles pistes pourraient bien lui révéler un pantin des Savelli ? Ce n’est pas de fausses promesses, dont il a besoin. Peu lui importe, qu’on lui tende l’oreille. Emile veut des réponses, du concret - qu’Anderson lui écrive, à l’encre verte, noire ou violette s’il le faut, les liens qu’il doit suivre, les courants qu’il doit remonter, pour que se révèle à lui le secret de Sophie.
« Que savez-vous, monsieur Anderson, des secrets phocéens ? Il y a de ceux qui se partagent volontiers, certes en cachette, susurrés après quelques tournées de pastis, et d’autres encore qui prennent plaisir à se perdre, grain de sable parmi un millier, pour qu’on ne les découvre jamais. Ils se confondent à des phrases de tous les jours, forts d’un code bien habile qui ne révèle rien de ses travers, et s’échangent au marché sans inquiéter les badauds. Le secret que je cherche à extraire du sable, monsieur Anderson, est de ceux qui sont enfouis au plus profond de la mer, par nécessité. Pensez à ces coffres de pirate, lestés au fin fond de la Méditerranée, prière de ne pas y toucher. » Son regard, qui s’est perdu quelques instants, vient se braquer à nouveau sur l’homme de main des Savelli. « Si je me tourne vers vos employeurs, comprenez, c’est parce qu’aucun pas, aucune phrase, aucun secret de la ville ne leur échappe. Ils sont traqués, pesés, échangés, aussi soigneusement que le faisait notre jeune paniqué avant notre arrivée. Par vous, par cet échange, je veux provoquer en Marseille ce même émoi pour, qu’enfin, des réponses me soient données. »
Il détend ses jambes alors qu’il balaie d’une main tout son argumentaire. « Je vous perds, ou vous lasse, sûrement, avec tout ce phrasé. Si votre travers est peut être d’être succinct, vous comprendrez que je m’oublie facilement dans les mots. Faisons plus simple, monsieur Anderson. Vos employeurs savent quelque chose qui m’est précieux, je n’ai aucun doute là-dessus. Voilà vingt ans que j’en ai la certitude. Peu m’importe qui est à l’origine de ce que je recherche, que ce soit eux, des rivaux, une toute autre mafia, peu m’importe l’illégalité ou non de l’affaire. Je ne cherche pas les coupables, ni les responsables - j’ai déjà des parents à blâmer. Je tiens simplement à retrouver la trace de quelqu’un. » Emile se penche alors vers le colosse, sondant son visage comme s’il pouvait y lire la promesse d’une réponse. D’un souffle, il interroge : « Alors, plutôt que des secrets phocéens, monsieur Anderson, que savez-vous de la vente d’enfants cracmols ? ».
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(#) Re: I don't mean to get dark, but I guess that's just life | ft Emile
missive rédigée par Galahad Anderson le5 mai 1927 – ft @Emile Teyssier
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Qu'il est précieux, cet Émile Teyssier, à s'agacer d'un vêtement chiffonné, à s'inquiéter de la précipitation avec laquelle le gamin a quitté la pièce. Pardonne-le, il ne veut pas être témoin de la suite. « Ce n'est pas pour lui que vous devriez vous inquiéter » lâche Galahad avec une lassitude non feinte, depuis la chaise sur laquelle il s'est avachi sans grande élégance. De toute façon, sa mise n'aurait pas tenu la comparaison avec celle, trop soignée, de son interlocuteur. Qu'est-ce qu'un type comme ça vient faire dans le giron des Savelli, au juste ? Que peut-il espérer y gagner ? Ce n'est pas ton problème. Son seul problème, c'est de le faire taire. Car il cause le Teyssier, il cause ça c'est une certitude. Il le noie sous les mots, sous les métaphores qu'il n'est pas assez fin pour saisir. Qu'il n'essaie même pas de démêler. « En admettant que mes employeurs aient quelque information que ce soit. Ce qui est déjà une conjecture audacieuse » coupe-t-il tout de même, froidement. Il n'est pas très bon menteur, Galahad. Ce n'est pas la conviction qui l'étouffe ; seul le devoir le pousse à faire cette précision. Cette loyauté sans faille, celle qui lui fera disparaître autant de corps que nécessaire, tout en lui assurant de pouvoir se cacher derrière la satisfaction du devoir accompli pour arracher à la nuit quelques heures de sommeil agité. Alors il s'en tiendra aux versions officielles, clamant que les Savelli ne sont qu'une famille parmi tant d'autres, riches peut-être, mais aux pratiques aussi indiscutables que les autres. Mafia ? Ce n'est pas un mot qu'il est bon de prononcer, surtout pas entre leurs murs, surtout pas quand on n'est pas des leurs. Et malgré ses promesses de simplicité, Teyssier continue de parler, encore et encore. Ce n'est que lorsqu'il se penche vers lui, voix plus basse, que la raison de leur entrevue apparaît enfin.
Du trafic d'enfants. C'est donc de cela qu'il s'agit. Galahad a soudain l'impression d'avoir avalé une brique. Une brique glaciale, qui lui broie les tripes. Les Savelli trempent-ils réellement là-dedans ? Il n'en sait rien et, à vrai dire, il ne veut surtout pas savoir. Si détourner le regard était un sport, nul doute qu'il en serait champion. Ça ne change rien à son travail. Faire taire ce type, d'une manière ou d'une autre. Ce type qui l'observe avec une attention dévorante, prêt à se repaître du moindre espoir qu'il pourrait lui offrir. Proche, trop proche. La pièce paraît soudain osciller autour de lui ; la lumière devient dansante, changeante, comme s'ils étaient sous l'eau et que la mer était agitée de remous derrière les fenêtres. Galahad cille et se crispe. Les prémices d'une vision ? Impossible, lui murmure la morpheus. Mais l'angoisse ne reflue pas pour autant. Cherchant à se donner une contenance autant qu'à faire disparaître ces lueurs qu'il est le seul à voir, il attrape une des pièces restées traîner sur la table. La fait danser entre ses doigts, examinant chaque gravure, étudiant la manière dont elle renvoie la chiche lumière de la pièce. Que sait-il ? Rien du tout, mais ça ne règle pas le problème. Ce foutu Teyssier ne peut pas se balader dans Marseille en posant une question aussi délicate à la cantonade. La pièce dorée chatoie entre son majeur et son pouce, court le long de son annulaire.
« Les secrets phocéens ont un coût, et leur prix ne s'exprime pas en bézants mais plutôt en vies. » Vies prises, vies écourtées, vies offertes. Il est bien placé pour le savoir, lui a qui a monnayé son existence contre sa libération. « Êtes vous prêt à avancer ce genre de prix, monsieur Teyssier ? Personnellement, je ne pense pas que vous en ayez envie. » Son poing se referme sur la pièce, coupant brutalement court à sa danse dans la lumière vacillante. « Ou que vous en soyez capable. » Sourire en biais, presque moqueur. Émile Teyssier, qui lisse ses vêtements froissés, qui veut présenter ses excuses au premier gamin venu, a mis les pieds dans un nid de vipères dont il ne devine pas encore l'étendue. Son inconscience pourrait être amusante, si Galahad avait ce genre d'humour. Il se contente d'en soupirer. « Permettez-moi d'être clair. Concis. Ces coffres de pirate dont vous parliez, ce ne sont pas toujours des pièces qui les maintiennent sous l'eau. Parfois, ce sont des corps. De cracmols, peut-être. » A nouveau ce poids sur l'estomac, cette fois accompagné d'une légère nausée. Ce sont d'enfants qu'ils parlent. D'enfants vendus par leur famille, envoyés Merlin sait où. Bordel. Mais le moment est mal choisi pour avoir une crise de conscience, pas vrai ? Galahad tente de puiser dans l'expression condescendante de son interlocuteur la force de poursuivre. Avec un succès tout relatif. « De curieux qui ont posé trop de questions, sans aucun doute. Alors même si vos intentions vous paraissent louables, comprenez que jouer le chevalier blanc ne vous apportera pas la satisfaction que vous espérez. »
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