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J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

Piotr MedvedevATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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(#) J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

missive rédigée par Piotr Medvedev le
  • J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs,
    Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs
    Ensevelis dans les feuillages ;
    Soit que la brume au loin s’allonge en bancs de feu ;
    Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu
    A des archipels de nuages.
    TW à venir (probablement Révolution Russe, fausse couche, mention de violence)

    Une brise glacée s’est levée sur la campagne bourguignonne lorsque Piotr apparaît devant l’imposant château de Garde. Le vent se glisse dans les quelques arbustes encore fournis, soulève les feuilles mortes qui roulent mollement en travers du chemin, fait bruisser la végétation alentours. Un frisson parcourt l’échine du loup alors qu’il relève le col de son manteau ; c’est qu’il fait froid en France l’hiver venu et son sang russe ne suffit pas à compenser l’absence de vêtements adéquats. Chauvinisme ou naïveté, semblerait-il qu’il ne s’est pas assez préparé.

    Enfonçant ses doigts gantés dans ses poches – et se résolvant à sortir ses réelles tenues de saison de ses bagages – Piotr esquisse un pas en direction du grand portail de fer forgé qui le sépare encore de la propriété de la famille d’Adhémar. Celui-ci s’ouvre par lui-même à son approche, silencieusement, sans même un grincement. Son regard accueille la vue offerte par les jardins du château ; les chemins de graviers bien alignés, les arbres méticuleusement taillés et, surtout, la splendide bâtisse de pierres blanches, dont le toit sombre se mêle déjà au ciel obscurci par le soir. Les derniers rayons de soleil en font d'ailleurs briller les tuiles noires. Un rire sardonique lui échappe.

    Piotr secoue la tête. Trop souvent, il oublie le fossé qui sépare son existence de ceux avec qui il l’a pourtant partagée des années durant. Rien ne pourrait préparer des Elric ou des Alekseï à l’appartement miteux qui a vu ses premiers pas. Aucun univers ne saurait réconcilier les vérités contradictoires qui ont bercé l’enfance de ses camarades et la sienne. La maison d’Adhémar n’est pas un endroit où on a connu la faim. Au contraire, tout ici suggère l’opulence, la richesse qui n’a pas besoin de se crier, qui se contente d’exister pour se montrer.

    Un soupir lui échappe. Le soviétique grimpe aisément les marches qui conduisent à l’entrée du château, puis toque fermement à la porte de bois. Dans quelques instants, Elric ouvrira – ou peut-être un domestique ? - et les hommes se trouveront en tête à tête pour la première fois depuis… depuis combien de temps ? Dix ans ? Cinq ? Impossible pour Piotr de s’en souvenir ; le temps l’a marqué sans vraiment s’imprimer et, à vrai dire, cela fait longtemps que l’héritier d’Adhémar n’a pas occupé ses pensées. Il y a de l’amertume, là, quelque part, une pointe de jalousie peut-être, un éloignement surtout. Difficile de rester proches quand une morsure et un continent nous séparent.

    Enfonçant ses mains dans ses poches, le loup se demande brusquement s’il n’aurait pas dû amener quelque chose. Une bouteille de vin aurait sûrement été appréciée, ou un bouquet à défaut. Sans doute son ancien ami aurait-il reçu un livre avec enthousiasme également. Une grimace tord ses lèvres alors qu’il se rassure ; il est trop tard, de toute manière, et de ses souvenirs Elric n’est pas homme à s’attacher aux fioritures. Tes souvenirs sont-ils fiables, Medvedev?

    Il n’a pas le temps de répondre à la question que la porte s’ouvre enfin. Regard de glace rencontre l'azur.

    « Elric. »

    Une main se tend par réflexe. Un sourire de convenance se hisse sur les lèvres de Piotr.

    « Je suis heureux de te voir, camarade. »

    L’accent russe pèse encore lourd sur sa prononciation. Il a appris à parler français il y a longtemps, mais le manque de pratique rend sa diction plus pataude qu’il ne l’aimerait. Pour autant, le soviétique ne laisse rien paraître, et c’est avec bonhommie qu’il désigne la propriété qui les entoure :

    « J’en avais presque oublié ta modeste demeure. »

    C’est faux. Bien sûr que c’est faux. Sans doute sont-ils tous deux au courant du pieux mensonge qui glisse de ses lèvres. Piotr n’a rien oublié, depuis l’école, rien ou presque, et ce qui l’a été le méritait certainement.

    C’est peut-être pour cela qu’il a proposé cette réunion, ce soir. Peut-être pour cela qu’il a cherché à renouer avec un homme dont il se méfie pourtant avec passion, peut-être pour cela enfin qu’il a arpenté les allées symétriques du jardin de la demeure des d’Adhémar. Le poids du passé est lourd dans l’air, lourd dans leurs crânes, lourd dans leurs mots. Il y a un tas de « et si » entre les deux anciens amis et, si Piotr se refuse à tomber deux fois dans le même piège, rien ne l’empêche d’espérer changer de jeu. Et, qui sait, cette fois-ci, d’en tirer les ficelles.

    « Je n’ai rien amené, il faudra m’excuser. Tu me connais, Elric, je manque cruellement de manières. »
    Loom of Fate | 2023



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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Au travers des pâles flocons de Novembre et se découpant contre le ciel nocturne s’élève la silhouette archaïque du château de La Garde, tout de pierres solides et d’austère dignité. Des lueurs chaudes, ambrées, rayonnent depuis les fenêtres des salles occupées comme autant de phares dans le lointain de la campagne bourguignonne, distants témoins de la vie tranquille qui prend place séant. Protégé par de puissants enchantements, cultivant une relative privauté, rien ne saurait réellement troubler cette place forte pluricentenaire et sa paisible existence berce les membres de la seconde branche des D’Adhémar vivant entre ses murs.  

    Et c’est avec ce même stoïcisme paisible que la lourde et haute double porte s’ouvre après l’annonce d’un visiteur, dévoilant Elric, baguette en main, pointée sur le battant. Celui-ci glisse doucement jusqu’à s’arrêter dans un discret grincement de gonds et les prunelles bleus d’Elric quitte le bois pour se poser avec une certaine réserve sur la silhouette de Piotr Medvedev, qu’il n’a pas revu depuis plusieurs années. Le slave avance, lui tend la main, qu’Elric observe un instant, baguette toujours levée, avant qu’elle ne rejoigne l’intérieur de sa veste et qu’il ne se saisisse de la dextre de son frère juré, serre avec fermeté mais sans agression.  

    Piotr.

    Le ton est tout aussi réservé, courtois et sans défaut, mais sans apprêts si ce n’est une patine de curiosité. Qu’est-ce qu’il fait là ? Leur dernière rencontre n’eut rien de tendre, et elle eut lieu dans un tout autre pays. Le trouver soudainement devant la porte de sa demeure familiale semble pour le moins incongru. Qu’il s’y présente la seule semaine qu’Elric y passe lui paraît en revanche suspect. Plus encore lorsque Piotr affirme être heureux de le voir. Vraiment ? Après tout ce qui nous a accablé ? Mais Elric est aussi un homme profondément touché par le caractère sacré des liens templiers et en dépit de sa prudence, ses prunelles s’adoucissent bien vite.

    Et moi je suis surpris de te voir, je croyais que tu ne souhaitais plus me croiser...

    Aucune critique dans ses mots mais bel et bien du regret. Une nostalgie de leurs jeunes années et la culpabilité persistante de n’avoir pu soutenir Piotr à la hauteur de son besoin. Et quand il s'exprime à nouveau, un frêle sourire aux lèvres, c’est en russe, conscient de l’effort de son frère pour s’exprimer. Lui n’a jamais perdu la pratique, encore moins avec son épouse et sa belle-famille. Piotr n’en dira rien, mais les lourdes syllabes et le rythme haché de ces quelques échanges suffisent pour l’oreille d’un lettré. Autant le mettre aussi à l’aise qu’il le peut car ce n’est pas même un effort que d’entonner la langue des tsars.

    < Tu as oublié bien plus que cette demeure semble-t-il, je n’en suis ni le propriétaire ni l’héritier, uniquement un invité, mais entre, je t’en prie. >

    Son statut de seigneur de La Garde, il l’a abdiqué dès son entrée dans l’ordre ou peu s’en faut. Trop de risques, alors qu’Anton est là pour assurer la continuité et la stabilité. Il n’en présente rien, préfère s’écarter de l’encadrement afin de laisser cet impromptu visiteur entrer. Impromptu, car si Piotr a proposé d’être là, Elric ne l’a pas cru. Si Piotr a offert de renouer, Elric s’est attendu à le voir se défiler, ou simplement, le déconsidérer. Quoiqu’il ait fait pour mériter son ire, il est clair que Piotr a été constant dans sa distance alors pourquoi est-ce que cela changerait ? Pourtant, Elric ravale l’envie de s’introduire sous son crâne, ne désirant pas le répugner une fois encore.

    < Chez nous, c’est l’invité qui reçoit les présents, pas l’inverse. Il est traditionnel pour nous de conserver un couvert si un pèlerin ou un égaré demande asile. Tu n’es ni l’un ni l’autre mais si tu souhaites diner en ma compagnie, tu es le bienvenu. Notre cuisinière sait accommoder presque toutes les préférences. >

    Le hall est éclairé par des flammes sans fumées qui projettent sur leurs traits des ombres dansantes, brouillent la teneur des regards. La pièce est vaste mais peu meublée, un tapis ottoman au sol, et un ensemble en fer forgé devant chaque mur, une haute armure de croisade face à la porte, flanquée de deux escaliers de pierres lisses. Elric hésite, une main adaptant la poigne qu’il maintient sur sa canne, et de l’autre, la tendant finalement vers Piotr, tout en gardant une certaine distance, simplement pour ne pas le heurter. Après tout, s’il n’a toujours aucune idée concrète du revirement de son frère à son égard, il ne peut être certain de sa réaction en l’instant.

    < Ton manteau ? Je t’assure que les cheminées fonctionnent bien, à l’intérieur. >


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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Piotr Medvedev le
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    “Piotr.”

    La prononciation impeccable tranche avec l’intonation distante. Il y a le regard, où brille une pointe de défiance, l’hésitation brève avant de ranger une baguette presque menaçante, puis la poigne impersonnelle. Rien n’a changé. Une vague d’amertume crispe le sourire du soviétique tandis qu’il serre la main de son interlocuteur. Rien n’a changé. Elric l’observe comme un étranger - pire, comme une Bête, un monstre qui aurait revêtu les traits d’un ancien ami. La faute à qui ? Monsieur le Grand Sénéchal était bien content de fréquenter la meute, le Coeur, Alekseï en dépit de ce qu’ils lui avaient fait, à l’époque. Toujours, s’il en croit les dires de son “frère” lors de leurs retrouvailles quelques jours plus tôt.

    Mais il n’est pas là pour remuer de vieilles querelles, et la courtoisie l’emporte sur la rancœur. Piotr fait semblant avec enthousiasme, courbe son visage pour le rendre plus aimable, force une certaine chaleur à pénétrer sa posture. Ce n’est pas si compliqué : à une époque, d’Adhémar était un membre juré de sa famille.

    “Et moi je suis surpris de te voir, je croyais que tu ne souhaitais plus me croiser...

    - Le temps a coulé sous les ponts, Elric. Je suis navré que nous nous soyons quittés sur une si mauvaise note et j’espère que tu accepteras mes excuses, au nom de notre fraternité. J’entends…“

    Les mots lui brûlent la gorge et sa voix hésite sur la suite de sa phrase. S’excuser n’est jamais chose simple pour qui a été élevé dans son pays, en homme qui plus est, mais le faire en sachant pertinemment qu’on n’est pas en tort est presque trop à supporter. Son orgueil est une plaie ouverte dans son œsophage. Respire.

    “J’entends que tu ne me fasses plus confiance”, conclue-t-il, espérant que son hésitation sera mise sur le compte d’un ego mal placé.

    Lui-même peine à se convaincre de continuer. Le sourire chancelle sur ses lèvres, brièvement, et il baisse les yeux en un rire malhabile. Il espère ainsi sauver les apparences : Piotr ne manque pas de sincérité, il est embarrassé; il ne cherche pas à mentir mais à dissimuler les stigmates de la période la plus sombre de sa vie. N’y pense pas.



    Lorsque la réponse à sa blague vient non pas en français, mais dans la familiarité de sa langue natale, le regard du soviétique se relève brusquement vers son homologue. Sa bouche se courbe à nouveau, et un éclat hilare remue ses épaules. Vulnérable. Il doit se montrer vulnérable.

    “Soyons honnêtes, Elric, tu dis n'être qu’un invité mais cette demeure appartient à ta famille, non ? Je suis invité. Mais ton humilité t’honore, camarade.”

    Tâchant d'alléger la conversation, c'est d'un pas jovial qu'il se glisse devant son hôte. Le hall est grand, sobrement décoré, faussement humble. Un unique tapis aux dimensions exagérées réchauffe l'atmosphère ascétique de la pièce, éclairée par des chandelles dont les flammes ensorcelées  projettent des lumières changeantes sur les murs pâles.  

    Sa contemplation lui est arrachée par la déclaration de son ancien ami. Un sourcil interloqué se lève sur le front de Piotr, qui penche la tête sur le côté. Plaît-il ?

    "Je croyais que nous avions convenu de nous rencontrer."

    Une pointe de défensive. Aurait-il mal compris ? Ne se sont-ils pas donné rendez-vous ? Une œillade nerveuse va chercher la montre qui orne son poignet. L'heure correspond, pourtant. Peut-être le jour...? C'est qu'il est certain d'avoir noté la bonne date ! S'il s'est trompé... S'il s'est trompé, cela expliquerait les réactions de son camarade. Cette sensation d'être une sorte de semi-intrus. La méfiance qui n'a jamais quitté les traits de son compagnon. Ses lèvres se plissent anxieusement alors qu'une soudaine incertitude grimpe sur ses traits. Bon sang, et lui qui espérait recoller tant bien que mal les morceaux d'une relation brisée !

    "J'espère que je n'ai pas mal interprété nos échanges, Elric. Si c'est le cas, tu m'en vois désolé. J'ai peut-être perdu plus de mon français que je ne le pensais."

    Tout honteux qu'il est, cela n'empêche pas son interlocuteur de tendre vers lui une main ouverte. En restant à bonne distance tout de même, note-t-il. Il ne faudrait pas prendre le risque de réveiller la créature que Piotr incarne aux yeux de l'Ordre. L'amertume revient, torrent corrosif qui brûle ses entrailles. Tu es un monstre. Un chien qui mord son maître. Il ne te verra jamais autrement. Il est comme les Autres.

    "Oh, oui, mon manteau."

    Le sourire est faux, l'intonation légère aussi. Le Russe s'attèle à retirer le vêtement pour mieux dissimuler la crispation de sa mâchoire. C'est pour ça, qu'il estimait que tu ne viendrais pas. C'est pour ça qu'il doute. Si c'était Alekseï, on lui aurait déroulé le tapis rouge, on aurait sorti le gibier et-

    "Loin de moi l'idée de douter de tes cheminées ! Je ne doute pas qu'on dort ici au chaud, même en hiver."

    Il te méprise, parce qu'ils te méprisent tous, et il n'est au mieux que le gentil toutou de l'Ordre, au pire celui du faux-frère qui t'a trahi. Il mange dans ses doigts sales, mais c'est toi qu'ils considèrent souillé. Ils sont tous pareils. Tous.

    "Oh, et précise à ta cuisinière de ne pas faire quelque chose de grandiloquant. Je me contenterai de ce qui était prévu, camarade."

    Piotr est une statue dont tout les traits sont minutieusement dessinés, réfléchis à l'avance et taillés par une main de maître dans l'objectif de rendre précisément le bon rendu, l'émotion juste. De l'extérieur, il n'est que candeur.

    "J'insiste, mais si tu avais prévu autre chose, je suis prêt à décaler. Je viens d'arriver, mon emploi du temps est plutôt libre. Et je suis sûr qu'Alekseï sera ravi de me tenir hors de chez lui !"

    Rire chaleureux, regard brillant. Pour peu, on le croirait presque connivent.

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Les excuses sont autant une surprise que sa présence en ces lieux, mais si elles sont inutiles, le sentiment est cependant accepté de bonne foi, Elric ayant toujours préféré, dans ses relations personnelles, offrir le bénéfice du doute et une forme de confiance superficielle plutôt que de partir du principe que tout individu se montrera malveillant. S’il en souffre parfois, il en conserve cependant l’assurance d’avoir fait le nécessaire en toute conscience. C’est d’ailleurs avec cette certitude au cœur qu’il secoue légèrement la tête.

    Elles ne sont pas nécessaires. Comme je te l’ai dit, je pensais que tu ne désirais plus croiser ma route. C’était ta décision, si tu souhaites revenir dessus, tu en as tous les droits. C’est simplement surprenant, compte tenu de ta certitude passée. Nous sommes frères jurés, ma confiance t’es acquise.Jusqu’à ce que tu me prouve en être indigne. Comme pour tout un chacun.

    Le voir sourire lui est terriblement étrange. Piotr ne lui a pas souri depuis… Longtemps, à n’en pas douter. Depuis qu’il a été mordu. Quelque chose a changé, ce jour-là. Pour son frère mais aussi pour eux tous. Est-ce qu’il lui fait réellement confiance ? S’il observe en lui, y verra-t-il la foi absolue qu’il a en Alekseï, par exemple ? Non. C’est une confiance toute relative, fragile de leurs expériences passées. Mais elle a le mérite d’exister, et elle est honnête. Tant que Piotr ne semble pas suspect, il lui fera volontiers confiance.

    Peut-être est-ce pour cela qu’il le laisse entrer sans poser plus de questions. Ou bien est-ce simplement l’éducation bien ancrée. Peut-être est-ce pour cela qu’il soupire légèrement et lui décoche un regard à la fois amusé et doucement réprobateur. Ah les bolchévik. En un sens, ils lui manquent. Leur esprit et leur philosophie s’est toujours mal adaptée au concept de l’humilité chrétienne même chez une famille aussi vastement opulente que les D’Adhémar. Alekseï seul, sans doute, connaît les détails de son éducation vaticane.

    Humilité. Droiture. Vertu. Honnêteté.

    < Je ne pensais pas que tu ferais réellement le déplacement. >

    C’est sans doute difficile à entendre pour son frère juré mais il n’a pas l’intention de lui mentir. Il n’a réellement pas cru à ce rendez-vous et a agi en conséquence. Et cette fois, il se détend pour de bon, en un sens désolé de son propre détachement, cette apathie née d’une décision qu’il a toujours pensée immuable. Il est évident que la méprise perturbe Piotr et ce qu’Elric prend pour une réaction instinctive et innocente le touche stupidement, tant elle ne ressemble à rien de ce à quoi il est préparé.

    < Non, Antonovich, je pense simplement que nous ne sommes plus aussi accordés que nous le fûmes par le passé. >

    Et il renouvelle son geste d’invitation à lui donner son manteau, récupère la pièce pour aller la ranger proprement dans le vestiaire attenant, par pas lents, s’appuyant sur sa canne. Il ne reprend la conversation qu’à son retour, une minute après. Il l’observe de son air sensiblement plus gai, secoue de nouveau la tête. Il y a quelque forme d’absurdité à tout ça et il préfère encore en rire qu’en pleurer.

    < Et toi, es-tu dérangé de sa présence ? Je t’offre volontiers un toit si tu préfères, ta compagnie n’est pas désagréable. Viens, suis-moi. >

    Il vient d’arriver, c’est vrai. Avec tranquillité, Elric se détourne pour ouvrir la marche, conduisant Piotr au travers des longs couloirs et jusqu’à la vaste pièce destinée aux repas. Ce sont deux cheminées qui marquent chaque pôle de la salle, feux ronflant dans l’âtre, réserve de bois à proximité, dans des réceptacles de fer forgé sombre. Une immense icône dans le pur style byzantin, représentant l’arbre généalogique de la famille, occupe le haut mur central, exquisément décoré tandis qu’au centre de la pièce, une longue table de bois lourd offre à plus d’une vingtaine de convives l’occasion de festoyer.

    < Je t’en prie, installes-toi. Tu veux quelque chose à boire ? >

    Lui-même ne goûte que peu à l’alcool, et s’occupe à la place de reprendre sa baguette afin de faire apparaître les plats qui patientent encore dans les cuisines. En cette période, c’est surtout de la venaison, pièces de sanglier rôti au feu de bois dans la pièce noire, sauce aux airelles, fromages, légumes croquants déglacés, et pain encore chaud. La Bourgogne est riche en produits de qualité et les domaines de la famille produisent bien assez pour la saison. Il est seulement heureux que Piotr ne se soit pas présenté un vendredi.

    < Qu’as-tu l’intention de faire, en France ? >

    La question ne manque pas d’un intérêt tout particulier, celui de savoir s’il travaille de concert avec le Coeur, mais Elric n’est pas certain que son instinct lupin rejeté lui susurre la teneur de la demande.


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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Piotr Medvedev le
  • J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs,
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    Mensonge. Une confiance toute acquise, vraiment ? Piotr est beaucoup de choses - aliéné, qu'ils disent, imprévisible, fou peut-être, mais il est loin d'être idiot et la naïveté qui l'a précipité dans les crocs du Cœur a fondu sous leur morsure. Il ne reste rien de la foi qui unissait jadis les membres de la meute. Il n'ignore rien de leur méfiance, des pensées sombres qu'ils nourrissent tous à son égard. Les regards qu'on lui adresse lorsqu'on le pense inattentif sont autant de cicatrices dont il sent perpétuellement la douleur. Il n'est pas avec Eux, pas comme Eux. Pour un membre de clan, le loup a toujours été désespérément seul.

    Mais il n'en montre rien - ne doit rien en montrer. Un sourire clément courbe ses lèvres tandis qu'il hoche la tête à la déclaration de son interlocuteur.

    "Je comprends, Elric. Je comprends."

    Aucune vérité ne sort de ses lèvres mais c'est tout comme. Il esquisse un geste du bout des doigts, comme pour poser une main sur l'épaule de son vis-à-vis, se retient tout juste, termine son mouvement dans le vague. L'hésitation n'est pas difficile à feindre. C'est dissimuler son amertume qui lui coûte, prétendre qu'il porte seul la responsabilité de leurs liens déchirés et qu'il fait amende honorable d'un crime qu'il n'estime pas avoir commis. Cette pensée-là est une anguille, sombre créature lovée dans ses entrailles, qui électrise ses tripes à chaque fois que le sujet la frôle. La douleur est toujours neuve, toujours à vif.

    " Non, Antonovich, je pense simplement que nous ne sommes plus aussi accordés que nous le fûmes par le passé."

    Peu de personnes l'appellent encore Antonovich. Peu de personnes connaissent le nom de son père. Piotr tente de ne pas laisser son sourire se déformer de colère.

    "Tu as raison. Cela fait... des années, maintenant. Nous avons beaucoup à rattraper, n'est-ce pas ?"

    Observant Elric ranger son manteau, il se prend à espérer. Espérer que ses émotions soient interprétées comme il le souhaite, que sa rage sera vue comme de la gêne, que sa rancœur se maquillera en incertitude. Espérer aussi que cette tentative impulsive et malhabile de reconstruire les ponts qui rejoignaient autrefois leurs univers sera fructueuse, en dépit de tous les éléments qui indiquent le contraire. Le sénéchal est intelligent, astucieux et, bien que sa piété lui joue parfois des tours, absolument pas naïf. Derrière ses airs de saint, il est observateur et acteur à la fois. N'hésitera pas à agir s'il estime là son devoir. Il y a sa dévotion à l'Ordre et son abnégation envers Alekseï et la meute, incompréhensible et pourtant si tangible... D'Adhémar est dangereux. Si dangereux que Piotr doit à tout pris le garder près de lui.

    "Et toi, es-tu dérangé de sa présence ? Je t’offre volontiers un toit si tu préfères, ta compagnie n’est pas désagréable. Viens, suis-moi."

    L'éclat de rire qui le traverse alors qu'il emprunte les pas de son interlocuteur est, pour une fois, spontané. L'idée le rassure.

    "Je te remercie du compliment, camarade. Je ne manquerai pas de le répéter et de le déformer auprès d'Alekseï - il le mérite."

    Le ton est léger, l'amusement à ça de la sincérité. Il se laisse un peu aller, puis hausse les épaules :

    "Plus sérieusement, je te remercie mais je vais décliner ton offre. Tu le sais, Alekseï et moi sommes deux vieux chats bougons. Nous nous chamaillons continuellement mais rien n'arrivera au delà de ça - et puis j'adore l'ennuyer, même si ma compagnie est aussi délicieuse que tu le prétends... "

    La salle du souper dans laquelle les hommes pénètrent est aussi grandiloquente que le hall d'entrée. Seul face au gargantuesque arbre généalogique des D'Adhémar, encerclé par les grosses cheminées en fer forgé, Piotr se sentirait presque petit, presque enfermé. L'aura de la vieille richesse est difficile à contrecarrer, suppose-t-il.

    Docilement, le loup s'installe au centre de la table, conscient tout de même que la position contraint son hôte à ne pas se placer à une extrémité ou une autre. C'est qu'il n'aime pas l'idée d'être face au chef ou au patriarche. Cette soirée est là pour Elric, pas pour ses sobriquets ou ses qualificatifs - même si ceux-ci sont l'exacte raison pour laquelle il vient le retrouver.

    "Avec plaisir pour une boisson. Je dois tout de même avouer que je ne m'y connais pas beaucoup en vin, alors je te laisse me surprendre... Je suis certain que tu seras de meilleur conseil que moi."

    Rester concentré sur son discours est difficile lorsque l'odeur alléchante des plats de viande vient titiller ses narines. Ses yeux traînent sur le sanglier, s'y attardent en dépit des parfums de fromage et de légumes qui pourraient l'en distraire. Le lycanthrope se lèche les babines tandis que l'humain trépigne. Un grognement sourd s'échappe de son estomac, lui arrachant un rire :

    "Navré. Tu me gâtes, camarade."

    Il tend sans sommation la main vers une grosse cuillère argentée - il n'ose imaginer le prix auquel elle se revendrait - et laisse un sourire aimable fleurir sur ses traits lorsque son interlocuteur révèle enfin son vrai visage. Enfin. Piotr était certain que l'homme finirait par l'interroger, comme Alekseï avant lui. A-t-il reçu une missive de ce dernier ? Est-il simplement curieux de sa présence ? Dans tous les cas, il se doit d'être vigilant. Le jeu d'équilibriste commence maintenant.

    "Es-tu réellement curieux, ou crains-tu mes objectifs ?" , lance-t-il, faussement taquin.

    Être sincère mais pas trop; montrer sa méfiance sans paraître trop défensif, montrer l'arbre sans dévoiler la forêt, c'est toute la subtilité dont il doit faire montre désormais. Son assiette se garnit de vivres dont la senteur le fait déglutir. Une faim vorace glisse dans son estomac. Son regard, pourtant, retrouve celui de son hôte. Que veux-t-il savoir ? Que cherche-t-il à comprendre ? Il est intelligent mais pas devin, et la réponse semble trop opaque pour pouvoir risquer une quelconque tentative.

    "Je ne sais trop quoi te répondre, à vrai dire."

    Un rire gêné, un haussement d'épaules.

    "L'URSS n'a plus grand-chose à m'offrir, je le crains. Quant à moi, je pense que je cherche un nouveau but."

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Surpris que son choix se porte sur le vin, Elric n’en consulte pas moins diligemment les bouteilles siégeant dans le cabinet à alcool, regarnit récemment, non sans ruminer les affirmations de Piotr. Lui et Alekseï, deux vieux chats bougons ? Non, ce n’est pas ce qu’il a vu de lui, ce qu’il a vu d’eux. Et la psychée humaine ne fonctionne pas ainsi, du moins est-ce là l’expérience qu’il s’en est faite. Alors qu’est-ce qui motive cette fable ? La fierté de Piotr, trop virulente pour supporter d’admettre que la présence d’Alekseï l’indispose ? Cela semble déjà beaucoup plus plausible. Une autre hypothèse eut été que Piotr s’imagine qu’il lui fait la charité. Dans un cas comme dans l’autre, le confronter sur la question peut s’avérer aussi indélicat qu’inutile. Après tout, Piotr est adulte, responsable de ses décisions.

    Après un ultime coup d'œil appréciateur, Elric sélectionne un rouge à la robe brunie, puissante et opaque, qui irait magnifiquement avec la venaison. Plutôt que de risquer la bouteille, il la transfère sur la table d’un coup de baguette, avant de clore lui-même cette distance, un claudiquement à la fois. Se saisissant d’une main la chaise qui s’oppose à celle de Piotr, Elric la tire légèrement, s’installe et dépose sa canne contre le dos de sa voisine tout en décochant une œillade vers son invité. Piotr ne l’a pas attendu pour se servir, mais en vérité, il n’a aucune raison de le faire. Ceci n’a rien d’un dîner formel, après tout. Alors il tend la main, s’empare de la bouteille et remplit deux verres avant de la reposer nettement, soupesant la question de son camarade.

    Il la goûte à la manière du vin, surpris de sa tournure. Devrais-je vraiment l’être ? Quelque chose ne colle pas, pourtant et il ne peut chasser l’impression persistante, comme une fausse note glissée dans une symphonie devenue si usuelle qu’on ne prête plus pleinement attention à chaque nuance, l’habitude la rendant opaque. Piotr lui est opaque, il doit le confesser et Elric ressent le dérangeant besoin de lâcher la bride à ses pouvoirs pour s’assurer de ce que son humeur peut receler. En lieu et place, c’est à son habitude et son expérience qu’il se remet, à ce qu’il a pu apprendre des réactions humaines au cours de sa vie. En dépit de ce que Piotr affirme, il y a un tranchant sous ses mots, une impression de prudence, de vigilance. Est-ce que je me fais des idées ?

    Elric hausse des épaules, un geste léger.

    Tu m’as dit être navré que nous nous soyons quittés sur une mauvaise note,” glissa-t-il avec neutralité, choisissant volontairement la forme la plus atonale à sa disposition, “et tu m’as assuré notre fraternité, n’est-ce pas ?

    Son regard quitta un instant le verre pour se poser sur son invité, avant qu’il ne s’intéresse à la venaison à son tour.

    Je n’ai donc aucune raison de craindre tes objectifs. S’ils doivent m’être des soucis, tu me le diras de toi-même, comme Alekseï l’a fait. C’est l’usage entre nous, non ? Je n’en doute pas, de mon côté.

    Il commença à se servir, très attentif à ce qu’il admet dans son assiette, par égard pour la taille de ses chemises plus que pour une crainte quelconque d’être empoisonné par Piotr. Les gestes, cependant, sont là pour normaliser la situation, codifier l’aisance devant cette empreinte de prudence qu’il pense avoir effleuré. Pourquoi Piotr penserait-il que ses objectifs peuvent lui être un problème quelconque  ? Je n’ai franchement pas de raison de douter de lui si ce n’est une vague tournure de phrase, c’est tout de même chiche. Et pourtant, la sensation, inconfortable, persiste sensiblement, alors même qu’il la ravale, baignée de vin de grand cépage. Il caresse l’idée de sourire, mais n’en trouve pas réellement le cœur. Pas sur l’instant. Il n’eut franchement plus manqué qu’il ne le pense en train de le menacer !

    En tout état de cause, je te souhaite bien évidemment de trouver ce qui te rendra heureux. Si je peux faire quoi que ce soit pour t’aider, n’hésites surtout pas.

    Incertain de parvenir à revivifier la conversation si elle vient à s’éteindre, il ajoute :

    J’ai cru comprendre que la situation était quelque peu tendue vis à vis des demandes d’immigration. Tu n’en a rien expérimenté ?


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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Piotr Medvedev le
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    Inutile d'être un génie pour comprendre qu'il a fait une erreur. Elric lui lance une œillade coincée entre méfiance et surprise, et Piotr retient péniblement la grimace peinée qui voudrait germer sur ses traits. Merde. N'est-il donc pas capable de mettre de côté les douleurs du passé, rien que le temps d'une soirée ? A-t-il à ce point besoin de montrer les blessures qu'il a laissées le gangréner ? Depuis quand se comporte-t-il comme un enfant pleurnichard ? Pathétique. Mettre en péril ses plans à cause d'un ego mal placé et de vieilles amertumes n'est pas digne du soldat qu'il est, ni de l'homme qu'il est devenu.

    Contrarié, le soviétique remercie son hôte et avale une lampée du vin dont il est sans doute incapable d'apprécier la valeur. Cherchant une contenance dans l'alcool, il observe son ancien ami se servir en silence. Les propos de son vis-à-vis sont une brûlure de plus sur sa plaie à vif. Fais chier. Elric se méfie. Discrètement, bien sûr, et tout en politesse, mais sa défensive a accentué le malaise qu'il avait presque réussi à dissiper quelques instants auparavant.

    Mais l'heure n'est pas au larmoiement. Il est trop tard pour ses propos, pas pour la soirée entière. A défaut de parvenir à garder la face, il espère au moins parvenir à installer une conversation plus ou moins amicale entre eux. S'il en est encore capable. Les yeux rivés sur le louvoiement du vin dans son verre, priant pour que son défilement soit vu une fois de plus comme de la honte, Piotr glisse d'une voix incertaine :

    "Je l'ai dit, effectivement, et je l'affirme. Pour l'heure, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais faire qui pourrait t'attirer des ennuis. Je crois que... "

    Raclement de gorge.

    "Je crois que j'ai trop pris l'habitude qu'on se méfie de mes moindres gestes. Désolé, Camarade. "

    Les quelques platitudes qu'ils s'échangent ensuite manquent de saveur, et il est certain que son hôte s'en rend compte. Les poids mêlés du passé et de la gêne sont une chappe de plomb sur leur conversation et Piotr se maudit une fois de plus d'avoir à ce point trébuché. Ses lèvres se pincent, sa mâchoire se crispe, et le sourire qu'il adresse à Elric lorsqu'il s'enquiert des problèmes d'immigration peine à sembler sincère.

    "La situation est tendue, mais je me suis préparé à l'avance. J'étais irréprochable pour ainsi dire, je pense que ça a aidé. "

    Voilà. Rien de plus à ajouter. Leur discussion est une allumette au milieu d'un orage, à deux doigts de s'éteindre, condamnée à s'étouffer. Il doit à tout prix trouver un moyen de la raviver. Un échec n'est tout simplement pas envisageable, pas comme ça, pas de cette manière. Et puisqu'ils partagent un passif inavouable, puisque lui-même voudrait prétendre le dépasser pour pouvoir le croiser sans se sentir entravé...

    Un soupir se glisse entre ses lèvres. Il pose sa fourchette à côté de son assiette et se ramasse dans son siège, verre à la main, regard planté dans celui de son interlocuteur :

    "Je sens un malaise et je pense que toi aussi, Camarade. Je pense que j'en suis le principal responsable, soyons honnêtes. Et par... Par franchise et pour montrer ma sincérité, je pense qu'il est essentiel que nous parlions de ce qu'il s'est passé. A l'époque. Depuis. Tu vois ce que je veux dire. "

    Sa gorge se serre à l'idée d'utiliser cette carte-là, mais il est au pied du mur. Il pensait qu'accumuler les faux-semblants suffirait, que mentir comme il le fait toujours lui permettrait de passer outre cette soirée et de ne plus s'en soucier, mais le voici qui se heurte à la réalité : avec leurs vécus respectifs, l'ignorance serait une graine de discorde prête à germer dans tous ses plans, à tout instant. S'il veut faire d'Elric un allié, il doit s'armer de quelque chose qui ne peut pas faire défaut : la vérité. La vérité vérifiable, solide... douloureuse.

    "J'aimerais te poser une question, si tu veux bien. Lorsque... Enfin, la dernière fois que nous nous sommes parlé, j'étais dans un état... instable."

    C'est faux, c'est faux, c'est faux, c'est faux, c'est f-

    "Pourrais-tu me donner ta version de nos derniers échanges ? Je ne suis pas certain d'avoir été très rationnel. Et si nous voulons nous retrouver, je pense qu'il faut... Puisque nous venons de familles agricoles, disons qu'il nous faut assainir la racine avant d'espérer qu'elle ne pousse à nouveau, hm ?"

    L'alcool qu'il déverse dans sa glotte se tarit trop vite à son goût. La brûlure est désagréable mais s'impose presque comme un soulagement face à l'inconfort qu'il s'impose. Sa main retrouve le chemin de la bouteille, et il ne demande pas l'autorisation de se servir. Si son camarade accepte de mener cette discussion, il aura peut-être même besoin de bien plus fort que du vin rouge, aussi coûteux soit-il.

    Piotr risque un regard vers Elric. Tente un sourire.

    "Si tu le souhaites, bien sûr. Sinon, nous pouvons parler météo, politique ou que sais-je."

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Une œillade accompagne les affirmations de Piotr, un léger signe de la tête se voulant anodin quand Elric n’a pas l’intention de commenter plus avant. Qu’eut-il répondu, d’ailleurs ? Que toute cette affaire invite à la méfiance ? Sans aucun doute mais ça ne permettra pas à l’atmosphère de se détendre. Or l’évidence s’installe lentement, il va falloir donner l’occasion à leur discussion de mieux tourner car elle ne le fera pas d’elle-même, pas avec leur bagage respectif et pas dans le contexte français actuel au sens plus large. Les plans plient et s’emboitent, s’empilent dans toutes les directions, comme autant de châteaux de cartes.

    Le dîner est d’autant plus calme que leur échange est atonal, et Elric, ayant pris l’habitude de surveiller les faits et gestes d’autrui en toute circonstance un tant soit peu mondaine depuis son ordination quelque vingt ans plus tôt, ne manque rien des délicats signaux que son invité ne ravale pas tout à fait. Irréprochable donc. J’imagine qu’il n’a donc pas mentionné ses vues politiques. Nouveau hochement de tête. Et maintenant ? Que peut-il bien ajouter ? Elric se creuse encore la tête lorsque Piotr reprend la parole, semblant décidé à ne pas esquiver plus longtemps la vérité de leur relation vacillante, si ce n’est non existante à ce stade.

    Se gardant bien de l’interrompre, Elric l’observe attentivement, ignorant cette fois son propre silence retentissant qui s’étire bien après que Piotr eut terminé. Lorsqu’il repose de nouveau son verre, nettement, inspirant profondément tout en ordonnant les pensées contradictoires qu’il nourrit, c’est uniquement pour porter sa mire au-delà de Piotr un bref instant, s’offrant un répit avant de devoir, inévitablement, lui répondre.

    Je ne te reproche rien, Piotr,” offre-t-il, le prénom en manière d’offrande, “à aucun moment je ne cherche, ou ait cherché, à avoir raison, ou à me dédouaner. L’émotion a cela de périlleux qu’elle est unique à chacun, accompagnée d’un système de mesure qui nous est propre.

    Il ne le sait que trop bien, un rappel plus marquant encore ces derniers jours, comme si le crescendo de rencontres et de questionnements en vient à son point d’orgue pour cette affirmation spécifique. La question, néanmoins, vaut d’être posée. Le malaise que Piotr évoque existe bel et bien mais à quoi est-ce qu’il est dû ? Précisément dû ? Avec cette interrogation fermement ancrée, il porte à nouveau son regard sur son invité, le jauge un bref instant avant de se décider à poursuivre enfin. Et sa voix est lente, posée et aussi pondérée qu’il le peut, tentant de choisir ses mots pour qu’ils représentent au mieux ses pensées.

    Tu as été transformé. Tu en as souffert. Ce que je pouvais t’offrir de soutien et d’aide, tu n’en as pas voulu. C’était ton droit et je comprends pourquoi tu te méfiais, ou peut-être te méfies-tu encore, de moi. Tu n’es ni la première personne, et tu ne seras certainement pas la dernière, à considérer que mes capacités de légilimens sont intrusives et suspectes.

    C’est en effet une réaction commune lorsqu’il évoque posséder un tel don et Camille lui-même, qui affirme l’aimer, n’en conserve pas moins de la circonspection à cet égard. Comment leur en vouloir lorsqu’il peut se glisser en eux à tout instant dès lors qu’ils lui parlent ? Il a déjà sentit la peur lorsqu’un de ses interlocuteurs comprend soudainement être épié, le dégoût ressentis...

    Tu ne désirais pas de ma présence auprès de toi, tout simplement, et je me suis efforcé dès lors à m’imposer le moins possible. C’est tout, ça arrive, nous ne serons ni les premiers ni les derniers êtres humains à nouer des liens qui n’endurent pas éternellement, la vie est ainsi faite,” et cette fois, sa voix est lasse.

    Je ne comprends pas ce que tu fais ici, Piotr et ça ne m’aide pas réellement à savoir comment t’aborder. Tu me dis être là pour renouer mais dès que je cherche à m’intéresser à toi, tu me prêtes déjà des intentions et... je... je ne sais pas sur quel pied danser, pour ainsi dire...

    Il se laisse légèrement retomber contre le dossier de sa chaise, les yeux assombris et les traits se confondant d’une expression de résignation mêlé à du détachement. Venant se passer une main sur le visage, Elric plonge un instant dans le silence, le regard s’éloignant. Plus de pensées, pendant ces quelques battements de coeur, juste une impression écrasante qu’il ne sait pas réellement identifier. Et puis un tiraillement du cœur, passager. Il me manque déjà. L’envie de serrer Camille de toutes ses forces fourmille dans ses bras. L’envie de le pardonner sans plus de manières et de se perdre quelque part avec lui, loin, très loin de tout.

    Mais c’est Piotr qui lui fait face et il mérite son attention. Alors Elric se racle la gorge, et reprend. “Je ne t’aiderais pas moins si tu as simplement besoin de mon aide pour quelque chose, Piotr. Tu restes mon frère, je t’aime et je sais que tu ne veux pas me nuire. Mais... si c’est le cas...” il déglutit un instant, cherchant sa voix, le regard fuyant, “si c’est le cas est-ce que tu veux bien ne pas jouer avec moi ? Demande-moi simplement, si c’est en ma capacité jamais je te le refuserais...

    Oui, si pour une fois ils peuvent s’éviter mutuellement cette danse épuisante, il en sera soulagé. Se raclant à nouveau la gorge, espérant en chasser la lourdeur collante qui l’occupe, il poursuit. “Et si tu veux réellement renouer, ça sera avec plaisir mais dans ce cas est-ce que tu veux bien me donner le bénéfice du doute ? Ou au moins essayer ? Ou alors dis-moi d’emblée quels sont les sujets à éviter ?

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Piotr Medvedev le
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    La mesure précautionneuse avec laquelle Elric s'exprime ne fait qu'empirer son agitation. Il est si calme, si posé, si délicat, la parfaite voix de la raison qu'on écoute parce que c'est ce qu'il est sage de faire, parce que qui serait assez idiot pour aller contre les mots minutieusement alignés d'un homme qui semble tout savoir ? Piotr. Piotr est l'idiot de la métaphore, le sauvage de l'histoire, et rien ne saurait apaiser la rancœur qui grimpe le long de son œsophage.

    La mâchoire du loup se crispe au fil des phrases. Le sénéchal se veut apaisant, main de velours contre le poil corrosif de la bête qu'il tente d'apprivoiser, mais chacune de ses paroles enflamme un peu plus le magma qui dévore ses entrailles. Ce que je pouvais t’offrir de soutien et d’aide, tu n’en as pas voulu. Ha. Bien sûr. C'est ça, la version du scénario qu'on gardera. C'est ça dont on se souviendra, à terme. La gentille meute, l'Ordre bienveillant et le grand méchant Piotr. Celui qui refuse les paumes tendues, celui qui rejette les bras ouverts, qui mord la main qui le nourrit. Il n'est rien de plus qu'un chien enragé qu'on ne peut se permettre d'euthanasier.

    Une veine enfle sur l'angle de ses maxillaires, mais le Russe parvient à garder le silence jusqu'à la fin des propos de son compagnon. Les accusations sont aussi ridicules qu'offensantes, et il en tire un rire sans joie :

    "Ma méfiance n'a jamais rien eu à voir avec tes dons, Elric. Je me moque éperdument que tu sois Légilimens et ceux qui s'éloignent de toi pour cette raison sont aussi intelligents qu'un vieux troll."

    Ce n'est pas entièrement vrai, peut-être. Lui-même est incapable de réellement se souvenir de cette période autrement qu'en explosions grotesques d'humeurs contraires, de douleur et de rage. Il n'est pas impossible qu'égaré dans les brouillards de ses tourments, son esprit lui ai soufflé qu'Elric n'était rien de plus qu'un espion à la botte du Cœur. Ce n'est toujours pas impossible, d'ailleurs. Pour autant...

    "Soyons honnêtes, Camarade, tu n'as pas besoin de quoique ce soit pour deviner les intentions de quelqu'un. Pour autant que ton talent te permet d'obtenir des certitudes, je ne pense pas en avoir eu besoin pour me méfier de tes objectifs."

    Pour une fois, Piotr est parfaitement sincère. Il n'y a aucune once de doute dans son regard, dans son attitude ou dans ses gestes ; un état qu'il regrette rapidement alors que le sujet converge de nouveau vers le passif houleux de leur relation. Une moue pincée s'empare de ses traits. Il aimerait avoir le luxe de changer d'avis, de repartir en arrière, d'oublier cette conversation et de fuir loin, très loin du regard qui a observé tout des pires moments de son existence. Il voudrait le luxe de prétendre que rien n'est arrivé, jamais, qu'il n'a pas été le dindon d'une farce indigeste et qu'il ne s'est jamais laissé emporter dans les méandres de sa haine. Mais il est trop tard pour ça : il a creusé sa tombe, il est l'heure pour lui de s'y allonger.

    Mais avant même qu'il n'ait le temps de s'engouffrer dans le silence las de son interlocuteur, celui-ci se redresse et, se râclant la gorge, s'engage dans un discours à la fois trop sincère et trop intelligent pour ne pas le prendre de cours. Paradoxalement, c'est cette honnêteté qui désarmerait presque le soviétique. Elric voudrait savoir. Comprendre. Et il a beau l'observer, rien ne montre sur ses traits une quelconque trace de mensonge, rien que de la lassitude et une forme triste de nostalgie.

    La réalité s'impose : Piotr ne s'en tirera pas sans dire la vérité, d'une façon ou d'une autre. Il lui faut être sincère, ne serait-ce qu'un peu, ne serait-ce qu'en biais. Son interlocuteur est trop intelligent et trop... abîmé, peut-être, pour ne pas se rendre compte de la supercherie s'il se contente d'enjoliver ses pensées et de les cacher sous un joli sourire.

    Sa gorge se serre. Sa main est moite lorsqu'il avale d'une traite le verre de vin qu'on lui a servi .

    "Je ne sais pas ce que j'attends de... ça. Sincèrement."

    Faux.

    "Je pense qu'une part de moi voulait prétendre que rien de tout ça n'était arrivé, jamais, que je n'avais jamais été dans..."

    Un souffle, un roulement nerveux de la pomme d'Adam, un geste maladroit de la main.

    "Dans cet état."

    Vrai.

    "Je pense aussi qu'une part de moi était curieuse, et un peu envieuse de- Enfin une part de moi regrette que les choses se soit arrêtées de cette manière."

    Vrai, peut-être ? L'esprit de Piotr est trouble sur la question. Personne ne lui manque pour ainsi dire et pourtant il ressent une forme déplacée de mélancolie lorsqu'il s'égare à évoquer les souvenirs de son adolescence, à l'époque où il était convaincu d'avoir trouvé sa place .

    "De ma faute, j'en ai conscience."

    Faux.

    Un soupir lourd dévale de sa langue. Le soviétique ferme les yeux un instant, joue avec sa fourchette dans l'assiette encore garnie. Son estomac est tordu d'angoisse et une sueur âcre dévale son échine. Ce n'est pas de la peur, pas vraiment, mais rien ne peut jamais lutter contre son besoin de fuir la réalité de son passé. Il est pourtant trop tard pour y échapper.

    Les yeux de glace rencontrent leurs homologues. Un dialogue silencieux s'ensuit avant que Piotr ne s'autorise un timide sourire.

    "Mais plus sérieusement, Elric : ça fait combien de temps que tu ne t'es pas autorisé à être autre chose que la version polie de toi-même ? Tu es très délicat, très humble... très catholique, glisse-t-il d'un ton taquin, et c'est tout à ton honneur mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que tu ne me dis pas le fond de ta pensée lorsque tu te montres aussi aimable."

    Il croise les jambes, observe son interlocuteur :

    "Je ne cherche pas à me jouer de toi, camarade. Et je ne vais pas me briser si tu rentres réellement dans le vif du sujet."

    Faux.

    Loom of Fate | 2023



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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Dès l’instant où Piotr s’exprime, Elric sait ne pas le croire, et la constatation est plus triste qu’elle n’est motrice d’une quelconque alarme. Comment le croire, cependant, quand il est aussi agité ? Pour autant, Elric attend, le laissant une fois de plus s’exprimer jusqu’au bout sans jamais l’interrompre, attentif. Il ne sait pas réellement ce qu’il recherche, en écoutant et en observant Piotr, mais le fait tout de même. Peut-être un signe ? Peut-être un élément qui put le rassurer ? Peut-être un signe que son frère juré est quelque part au-delà de cet être amer qui a pris sa place ? Piotr lui manque. Leurs permissions à trois avec Alekseï lui manquent. Elles ne reviendront jamais. Le manque est stérile.

    Les mots qui Piotr lui offrent sont autant de poids sur ses épaules pourtant, et l’impression de lourdeur, d’immobilisme, d’impuissance peut-être, lui est terriblement désagréable, lancinante et sournoise. Autre chose que ma version polie ?, pense-t-il, retraçant encore et encore les paroles de Piotr, avec l’impression qu’elles lui ôtent ce qui lui reste de force. Leur justesse est accablante, désarmante même. Mais a-t-il vraiment envie de lui répondre ? Ou de s’ouvrir en quoi que ce soit ? Pourquoi auprès de lui quand ses proches ignorent même ses états d’âme ? Le silence est une nasse, s’étirant sans jamais sembler s’étioler tandis qu’Elric reste coi.

    Il y a du détachement, pourtant, dans le regard intérieur qu’il porte face à cette si étrange question, si poignante. Et les minutes passent sans qu’il ne fasse un seul effort pour combler le vide ou se défaire de l’expression qui laisse transparaître à quel point il est troublé. Pourtant, quand il parvient enfin à s’arracher douloureusement à ses pensées et ce marasme émotionnel qui le traîne vers le fond, Elric secoue légèrement la tête.

    Je ne sais pas s’il existe même une autre version de moi, Piotr,” et sa voix lui semble étrangement détachée, “le plus souvent, je sais comment les autres pensent, comment les émotions se forment, je le sais mieux que beaucoup d’autres personnes, tu t’en doute. Je peux me projeter dans l’impact qu’auront mes mots, avec beaucoup de mes interlocuteurs. Tu fais partie du petit nombre qui me laisse impuissant.

    Il hésite, avec un léger claquement de langue, le regard toujours absent, égrène quelques secondes avant de reprendre, cherchant ses mots. “Quand tu vis les émotions des autres de cette façon, tu n’as pas envie de les provoquer. Et puis, c’est ainsi que j’ai été éduqué, alors... Je ne sais pas. Ça m’arrive, parfois, de contempler une situation en me demandant si je ne devrais pas dire, ou faire quelque chose différemment, mais... je crois que je ne suis pas sûr de comment être égoïste.

    Et puis, il ne ressent pas forcément de tristesse, à l’état des choses. Du moins aucune tristesse permanente ou régulière. Il y a toujours eu un pincement au cœur, lorsqu’il contemple Camille auprès d’un de ses amants, ou au bras de son épouse. Il y a toujours un trouble lorsqu’il entend la façon dont Zinaïda parle d’elle-même, ou lorsqu’elle réagit d’une façon si instinctive qu’elle en offre de façon évidente les biais de son éducation impériale. Il y a, toujours un peu plus, cette crainte de ce qu’il est, de ses réflexes de chevalier, de ce qu’il peut faire pour le bien de l’Ordre et ses objectifs, combien il est prêt à sacrifier en un instant.

    Un léger sourire plisse ses lèvres, sans joie et il cligne des yeux, essayant de s’ancrer dans la réalité et loin de ses pensées délétères. “Pour te répondre, et essayer de te donner ce que tu demandes, je te dirais que je n’ai pas à me plier à ce qui semble être ta perception binaire de notre situation. Pour moi, il n’est ni question de faute, ni de bien, ni de mal, juste des décisions de deux personnes qui vivent avec leurs choix. Si je t’ai froissé à l’époque, d’une façon ou d’une autre, soit, je t’ai froissé, et c’est tout. Couper les cheveux en quatre pour savoir qui a tort ou raison, quelle importance ?

    Un léger mouvement négatif de la tête. “Qu’est-ce que ça apporterait ? On ne va pas changer ce qui s’est passé. Moi ce qui m’intéresse c’est ce qui a lieu maintenant. Bien sûr, j’imagine que c’est très différent pour toi...” Impossible de le nier, et d’ailleurs Elric ne cherche pas à le faire. Il observe Piotr, souffle d’une voix adoucie. “Il y a une femme au sein de l’Ordre, ici, en France, qui travaille sur une potion permettant de dompter la Bête, tu sais ? Je ne sais pas si c’est ce que tu entendais par-là mais... si ça peut t’intéresser... je pourrais vous présenter...” il hausse des épaules, “c’est juste une idée, évidemment, mais puisque tu es en France...

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

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    Ce n'est pas que Piotr pense Elric malhonnête - pas maintenant tout du moins. Non, il voit dans son regard les stigmates de vieilles douleurs et la lassitude d'un homme plus vieux que lui. La confusion qui ferme son visage trouve ses racines dans tout autre chose en vérité : le Russe ne connaît tout bonnement pas les diktats des sentiments. Son jugement est - a toujours été - froid, distant, trop calculateur pour ses propres parents, qui l'observaient alors comme on regarde une bête inconnue et sauvage. Les émotions côtoient rarement ses décisions, à quelques exceptions près.

    Un rire lui échappe à l'idée :

    "Oh, c'est drôle Elric, je suis exactement l'opposé de toi. Les états-d 'âme, tout ça... Je ne les comprends pas bien. Je n'en ai que très rarement. Tu es aussi parmi les rares à m'évoquer ces choses-là. Mes proches me l'ont d'ailleurs toujours reproché, et maintenant ils se méfient de moi pour cette raison. Ce que je trouve à la fois amusant et triste, quand on pense que c'est l'exact inverse de ton côté."

    Deux opposés d'un spectre, deux faces d'une même pièce. Piotr adorerait pouvoir dire qu'il est rejeté parce qu'il est différent - ce qui est sans doute en partie vraie au moins - mais il a conscience que c'est tout autre chose qui se joue. Un instinct de défense, de protection, une crainte du miroir qui leur est renvoyé chez Elric, de ce que signifie être délesté de sentiments pour lui-même.

    Mais il n'a pas le temps de s'attarder sur ces pensées; son interlocuteur reprend la parole d'un ton las, comme évoquant une fatalité qui échappe au Russe. Et alors que se dessine une sincérité plus profonde qu'ils n'ont pu l'être l'un envers l'autre jusqu'alors, le soviétique se surprend à s'apaiser. Ses épaules se délassent, et c'est naturellement qu'il reprend une gorgée de son verre, croisant les jambes pour mieux prêter attention à leur échange.

    "Elric, t'a-t-on seulement déjà dit que l'altruisme n'est pas toujours bon à prendre ?"

    Il prend une lampée en hochant la tête, se redresse légèrement.

    "C'est-à-dire que donner des petits morceaux de toi aux autres par principe, c'est beau, mais ce n'est pas aussi noble que la Bible a bien voulu le vendre - sans vouloir t'offenser. Il y a un tas de moments où ce n'est pas tant un service qu'un sacrifice inutile. Comme..."

    Les doigts fermés autour de sa fourchette, il esquisse un vague geste avant de poursuivre. Le débat est purement philosophique, des réponses spontanées qu'il a tendance à perdre au fil du temps. Ce n'est pas forcément bien vu, loin des salons dédiés à la pratique.

    "Imaginons une rivière en furie, et deux enfants en train de se noyer. Dans ma métaphore, Elric, tu plonges sans réfléchir une seconde. Sauf qu'en faisant ça, tu risques fort d'être simplement emporté par le courant, sans avoir eu le temps de prévenir les secours. Et au mieux, si secours il y a, ils auront trois personnes à sauver. Dans un autre genre, on pourrait simplement argumenter qu'apprendre à accepter les conséquences de ses actes est un acte bénéfique à l'Homme. Mais c'est un autre débat, peut-être."

    Instant de silence. Satisfait de sa plaidoirie, Piotr reprend son assiette et en déguste plusieurs bouchées. Hors de question de laisser cette venaison refroidir. Il reprendra la conversation ensuite, s'il le faut. Un trop long mutisme pourrait rétablir le malaise contre lequel il tente de lutter.

    Mais il n'avait pas besoin de s'en faire ; Elric reprend sans hésiter trop longtemps, et ce qu'il dit amène un sourire à ses lèvres. Enfin. Enfin les mots échangés ne sont plus que des platitudes vides de sens. Enfin il comprend les raisons de l'attitude de son ancien ami. Enfin il voit un peu de ce que son interlocuteur a au fond des tripes !

    "Ah. Merci de ton honnêteté, camarade. Je suis content que tu essaies. Parfois j'ai l'impression que tu cherches à me donner des réponses satisfaisantes plutôt que celles que tu as réellement en tête et c'est... Dommage. Mais là, je pense même que tu as raison. Hm ? Et pour récompenser tes efforts, je vais moi-même te dire ce que je pense."

    La décision est purement impulsive, mais il n'est pas particulièrement anxieux de la réaliser. Il devrait pourtant. Il le sait. Mais pour la première fois depuis le début de cette conversation, Piotr profite simplement du plaisir de baisser sa garde. Les raisons importent peu. Est-ce qu'il comprend enfin qu'Elric n'est pas de ceux qu'il peut maintenir dans sa paume par de jolis maux et des faux-semblants ? Est-ce que le Passé, chappe de plomb sur leurs échanges jusqu'ici, s'est mué en une nostalgie qui le ramollit ? Peu importe.

    Posant ses couverts sur la table, le Russe s'empare de nouveau de son verre et y trempe ses lèvres avant de continuer :

    "Je pense qu'il est plus facile pour moi de chercher cette binarité plutôt que de m'interroger encore sur mon sens de la réalité. Tu le sais, j'ai été interné. En Russie."

    La vérité est tordue, mais bien présente. Piotr se force à prononcer sans tiquer le mot "interner", à prétendre assumer ce qu'il ne peut réellement tolérer d'évoquer. Pour autant il ne s'attardera pas sur le sujet. Il a bien plus pressant et bien plus urgent à dire.

    "Je pense aussi que je me méfie de toi car je te sais proche d'Alekseï, et que je te crains à ce titre proche du Cœur. Je pense que le Cœur est un homme vile, médiocre et faux qui utilise une manipulation crasse pour se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Il n'est pas plus communiste qu'un Romanov."

    Coup de poker. Piotr pose cartes sur table, espérant obtenir une réaction favorable à la suite. Il ne veut pas avoir à se débarrasser d'Elric - ce serait trop compliqué, trop risqué, trop... encombrant.

    "Ah, et avec plaisir, pour ton offre, glisse-t-il nonchalamment, comme si le fait d'y repenser ne tournait pas son estomac. Je ne réagis toujours pas bien aux pleines lunes."

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    Amusant et triste. Voilà un constat des plus véridiques s’il n’a rien d’optimiste. L’humain rêve et se repaît des récits d’êtres anormaux mais a besoin de la norme pour se sentir en sécurité, en confiance. Et il ne peut pas les blâmer. C’est une réaction naturelle, instinctive même. Là encore, comme un exemple à leur exposé, Elric se trouve tout à la fois peiné de ces constatations, tout en n’ayant aucun argument sincère pour les rejeter. Piotr est-il réellement son opposé pour autant ? Il en doute, sans s’aventurer à le lui signifier, parce qu’une fois encore, qui est-il réellement pour le faire ? Aujourd’hui, il doute même de pouvoir même l’appeler son ami, bien qu’il reste toujours son frère juré. On place beaucoup trop sur quelques simples mots, pas étonnant, qu’on soit ensuite perdus.

    Quelque part, il sait que l’idée eut dû le rassurer, mais il en ressent pourtant de l’inconfort, troublé par l’idée, insatisfait. Contemplant le passé depuis cet instant, il en conçoit même l’impression de n’avoir jamais auparavant eu autant besoin de nommer les choses. Vérité ou distorsion de la mémoire ? Il ne peut répondre. Cela aussi, rend sa position inconfortable. Un instant, il songe également qu’il n’eut pas dédaigné se cantonner à une logique froide, comme Piotr prétend le faire et ce bien qu’il doutât. Plonger en lui maintenant eut été facile, s’imprégner de sa psyché jusqu’à ce qu’elle noie la sienne et la supplante. Une dangereuse idée, bien entendu, de ces appels du vide auxquels on ne cédera jamais.

    Pardon ?

    Elric, si profondément plongé dans ses pensées, ne s’attendit absolument pas à la question de Piotr, l’observant un instant avec une évidente surprise, se redressant un instant sur son assise, avant de se laisser retomber, plus lentement, perturbé. Inutile hein ? Mais s’il sent la pointe d’une vague vexation l’étriller, c’est cependant peu de choses et là encore, il sait qu’il s’agit davantage d’une réaction instinctive de son ego que d’une vertueuse irritation. Encore. Cette fois, c’est lui qui a besoin de son vin, et tout en buvant Elric se dit vaguement qu’ils auront probablement besoin d’une autre bouteille avant la fin du dîner. Il secoue légèrement la tête, prêt à ne pas répondre, mais n’est-ce pas justement contre cela que Piotr tente d’argumenter ?

    Non, je comprends où tu veux en venir,” force-t-il, par bonne volonté, “c’est un bon exemple mais il est très pragmatique. Les relations humaines ressemblent plus à ces sables mouvants qu’à une rivière ou un fleuve, je pense. Une même personne peut avoir raison et tort en même temps, sans compter qu’il n’existe pas de vérité universelle, ni de système de mesure garantie pour les émotions, et...” sa voix se fige, se délite sans qu’il n’achève tout de suite sa tirade, conscient du biais, offre un sourire qui ne chasse pas l’épuisement de son regard “je recommence, tu vois ?” Sa voix est douce, cette fois, et il se passe une main sur le visage, comme pour essayer, vainement, de chasser ce qui colle à son derme comme un filme poisseux.

    Observant son assiette, il note aisément avoir désormais le ventre quelque peu noué, mais se force à manger, mourir de faim ne lui servira après tout à rien. Bien vite, néanmoins, leur échange accapare de nouveau son attention. Il l’observe, un peu chagrin du choix de termes, mais bien plus intéressé par ce qui semble se dénouer entre eux, et à choisir, il ne troquera pas ça pour de la courtoisie de façade. Elric opine, sans jamais cesser de l’observer, du moins au début. Progressivement, son regard se fait de nouveau lointain, ses doigts jouent avec le pied de son verre de vin. “Je te la présenterais,” reprend-t-il, répondre à cela étant moins complexe, “au moins pour discuter, si ce n’est quoi que ce soit d’autre, si tu veux lui apporter un œil neuf.”

    Mais atermoyer davantage eut été une insulte envers Piotr et un mensonge envers ce qu’ils viennent d’échanger. Alors, de nouveau, Elric essaie. “Je ne suis plus proche du Cœur depuis déjà quelques années, et dix-neuf-cent vingt-sept n’aura fait qu’entériner la chose.” Il hésite, mais cette fois, il sent Piotr véridique et après tout, ce qu’il s’apprête à lui dire, Elric est tout prêt à l’assumer devant n’importe qui. “Quand j’ai appris qu’il avait ordonné qu’on laissa mon épouse saine et sauve pour commencer. Mais pour être clair, je sais que c’est ma faute, j’ai été naïf, il n’a jamais dissimulé ce qu’il est à mon égard. Stupidement je pensais qu’il m’eut épargné les manigances. Ça ne m’est d’ailleurs pas venu immédiatement, il m’a fallu le reste pour en arriver à cette conclusion.

    Semblant s’animer à nouveau, dans un léger frémissement, Elric se redresse, à présent sombre et soucieux. “Je comprends ta méfiance, et si tu veux tout savoir, elle est sans doute bien placée, bien que la raison ne soit peut-être pas celle que tu penses.” Le court silence qui s’en suit semble aussi délicat qu’une fine feuille de cristal. “Est-ce que tu sais ce qu’il est venu faire en France ?


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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Piotr Medvedev le
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    Silence. Piotr pourrait tout aussi bien être Legilimens pour le regard qu'il assène à son interlocuteur. Les yeux de glace ne bougent pas, clignent à peine, révèlent peut-être pour la première fois depuis leurs retrouvailles la nature chasseresse  de leur propriétaire. Elric est scruté. Epié. Le soviétique ne loupe pas un seul de ses tics, pas une goutte de ses paroles. Son cœur bat fort, fort contre ses côtes, fort contre son crâne, et son souffle paraît presque absent tant ses poumons brûlent. Il n'y peut rien : des années maintenant qu'il lutte contre l'influence du Coeur, qu'il martèle au peu d'oreilles ouvertes que l'homme est un loup pour tous, et Elric est peut-être le premier à réagir de cette manière.

    En étant d'accord.

    Piotr s'est trompé : ce n'est pas qu'il ne respire pas, c'est qu'il respire trop. Ses épaules sont secouées par chaque inspiration comme s'il courrait. Ses narines sont dilatées par la quantité d'oxygène qu'il avale comme un assoiffé de l'eau. Une excitation palpable enfle dans ses veines et s'il pouvait il se lèverait, se lèverait et trottinerait en rond autour de la pièce dans l'espoir d'évacuer l'énergie qui fait vibrer ses entrailles.

    Lorsque finalement Elric se tait, c'est comme si les fils qui le maintenaient avait été soudainement coupés. Le Russe s'affale dans sa chaise. Balance mollement sa tête en arrière. Observe le plafond d'un œil morne. L'éclat de rire qui le traverse le prend de cours sans le surprendre vraiment, et il pose son bras sur ses yeux en se laissant aller à la sensation.

    "Enfin. Enfin quelqu'un me croit. Ha ! Je n'aurais jamais cru que tu serais le premier, Elric. Je t'ai sous-estimé."

    La pomme d'Adam roule sous la déglutition de Piotr, qui se redresse pour observer son vis-à-vis.

    "Je m'en excuse."

    Ce sont peut-être les premiers regrets qu'il exprime sincèrement depuis le début de la soirée. Il est honnête, d'ailleurs : parmi les noms qu'il espérait faire venir à la raison, son interlocuteur figurait sans doute dans les derniers de la liste. Pas parce qu'il est idiot ou naïf, mais parce que son abnégation le pousse parfois à la fidélité aveugle. Pour autant, ce serait dénigrer son ennemi que d'oublier la puissance de ses manigances et de l'influence qu'il est parvenu à avoir sur son entourage.

    "Tu n'as pas été plus candide qu'un autre, Elric. Le Coeur est doué pour ce genre de choses... C'est comme ça qu'il m'a eu. Qu'il a eu trop de gens, à vrai dire. Ne laisse pas ton humilité et ta culpabilité catholique te mettre la faute sur les épaules. Si tu ne l'as pas regardé, c'est qu'il t'a mis des œillères."

    Pouvoir se permettre une franchise aussi totale est un soulagement qu'il ne soupçonnait pas jusqu'alors. Malgré la gravité du sujet, Piotr est plus détendu à cet instant que durant tout le reste de la soirée. Son verre traîne dans ses doigts, prêt à être dégusté après de derniers mots lancés :

    "Nous interdire de tuer ton épouse ? Il va te demander quelque chose, c'est certain. Il y a une épée de Damoclès au dessus de ta tête."

    Un sourire sardonique courbe un côté de ses lèvres.

    "Mais je ne t'apprends sans doute rien."

    Le rappel de l'arrivée en France de sa Némésis lui tire une moue mécontente. Piotr croise bras et jambes, s'affale dans son siège en un soupir dépité. Ses épaules se haussent.

    "Je n'en ai aucune idée, avoue-t-il. J'aurais tendance à penser qu'il veut accroître son emprise sur l'Ordre. Se mêler de la politique française. S'assurer aussi que je ne vais pas lui mettre des bâtons dans les roues."

    Difficile de se mettre dans la peau de l'homme qu'il voudrait abattre en même temps que son instinct lui hurle d'obéir. Cette douleur-là ne s'apaisera pas. Jamais. Il doit pourtant l'oublier s'il veut avancer et se permettre d'être la main armée de la cause qu'il défend et des desseins qu'il arbore. Si Elric se range à ses côtés, de son plein gré et avec toutes les informations entre ses doigts... L'espoir est encore permis.

    "Je t'aiderai autant que je le peux si jamais, Camarade."

    La déclaration est étonnamment vraie. Son ancien ami est un atout précieux dans sa manche, et il serait bon de le préserver, coûte que coûte. Peu de cartes seront aussi décisives que la sienne après tout.

    Ressentant malgré tout le besoin d'alléger le débat, il esquisse un sourire narquois avant de reprendre une gorgée :

    "Pour le Coeur et pour ton immense problème de perception trop sage, trop lisse, trop douce. Je ferai de toi un soviétique intransigeant, Elric."

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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

    missive rédigée par Elric d'Adhémar le
  • J'aime les soirs  @Piotr Medvedev 12 Novembre 1927 • La Garde • TW aucun


    S’il y a bien une chose qu’Elric s’entête à être, sans doute parfois au détriment de son propre bien, c’est honnête. Lorsqu’il a donné l’occasion à Piotr de s’en tenir, sans faux semblants, à un échange ancré dans le besoin et les affaires, ou de tenter de renouer avec lui, il l’a fait sans arrière-pensée, sans préférer une solution ou une autre. Et quand Piotr a choisi d’essayer de lui tendre la main, Elric a décidé de ne pas essayer de lire son comportement au-delà du raisonnable. Ainsi, les nombreux signaux de l’agitation de Piotr sont lus mais mis de côté, dans l’attente de ses réponses, plutôt que de les anticiper. Il attend, le regard emplit de cette gravité que le sujet exige naturellement, quelque peu surpris de l’intensité des émotions qui fleurissent dans les gestes de Piotr.  

    Qu’est-ce qui lui est arrivé, pendant toutes ces années ? Mais la question meurt dans son esprit bien avant qu’il ne songe même à la poser. Il y a comme un parfum de désespoir dans les mots de Piotr, comme un fumet de déraison. Est-ce cela, alors, qui hante ses pensées ? Qui empoisonne sa vision des autres ? Le Coeur ? Impossible de prétendre qu’il n’y a aucune légitimité à cela.  

    Je comprends,” glisse-t-il sans se vexer un seul instant, trop conscient de ce dont le Coeur est capable.  

    Personne ne le croit, vraiment ? Elric peine à le croire, même de la part du Coeur. Mais il est certain que si quiconque a cru Piotr, cela ne s’est pas su et à juste titre. Se montrer vocal appelle les ennuis. Silencieux, non sans écouter son interlocuteur, Elric pondère la situation, toutes ces lignes d’encre qu’il n’a pas su voir, ou qu’il n’a pas voulu voir. Accepter les explications de Piotr eut sauvé son égo mais il n’en a que faire. Il a failli.

    Il opine légèrement, aux hypothèses lancées, sans pourtant leur donner corps de son coté, pas immédiatement, du moins. Il y a là énormément d’informations et de concepts aussi délicats qu’obscures, et il eut été hypocrite de prétendre qu’Elric ne navigue pas ces eaux troubles sans une saine dose de prudence comme de scepticisme, qui sert certainement le Coeur, mais que faire d’autre ? Il est loin d’être le chevalier le plus fanatique, et accuser un frère juré est un acte grave, lourd de conséquences. Pourtant, l’ultime affirmation de Piotr arrache à Elric un sourire involontaire. Son regard parcourt ses traits, essayant de savoir s’il le taquine ou non, et en arrive à la conclusion que l’offre est sincère, car Piotr semble bien plus sincère, bien plus raccord, ces dernières minutes.

    Je crains d’être peu perméable aux idées soviétiques tu sais, mais pour le reste je te remercie,” et il semble soupeser sérieusement l’offre, “peut-être serait-ce effectivement plus aisé, avec de l’aide.

    En plus de quarante ans, il est devenu évident qu’Elric ne s’en sortira pas seul quant à cette question. Alors oui, pourquoi pas ? Peut-être que Piotr saura l’aiguiller ? Qui ne tente rien n’a rien, et puis, il y a quelque chose d’agréable à cette idée, à pouvoir partager de nouveau quelque chose de positif avec son frère. Et à pondérer cette idée, Elric se rend lentement compte que Piotr lui a manqué.

    J’y reviens, mais oui, tes hypothèses ne sont pas éloignées de la vérité, je pense. Au-départ, j’ai cru qu’il s’inquiétait simplement de me voir perdre du temps à sur-protéger Zina, mais plus ça va, plus j’ai l’impression qu’il a implicitement affirmé que son statut auprès de moi ne lui offrait pas une protection inhérente aux chevaliers de l’Ordre, tout en m’obligeant à lui être redevable.” Il s’interrompit un bref instant, sourcils froncés et mine grave, puis poursuivit. “Je ne suis pas sûr de ce qu’il veut exactement, mais je peux te dire ce qu’il s’est passé récemment. Il a tordu la main aux Sénéchaux afin de faire libérer un prisonnier de Fort Invisible sous prétexte de vouloir user de lui comme d’une arme. Un Romanov. Alekseï doit être son surveillant. Je dois l’annoncer cette semaine.”

    Atermoyant brièvement, Elric en profita pour prendre quelques bouchées de son diner, ne souhaitant pas s’imbiber d’alcool sans s’offrir un contre-point, surtout pas lorsqu’ils échangent sur un tel sujet. En outre, cela donne à Piotr le temps d’encaisser les informations. De commencer à y réfléchir, au moins un peu. Lui, ça fait des jours qu’il ravale tout ça, l’urgence avec Samhain et l’Aube Sorcière ayant prévalut.

    Nous n’étions pas au courant que l’individu en question était un Romanov. Je te laisse imaginer l’image que ça nous donne, qu’une telle information nous ait échappé sur notre propre sol. Combiné avec le fait que Zina soit également un Romanov, certains n’étaient pas loin de m’accuser d’avoir volontairement omit l’information. Heureusement, c’est Coriolan qui est à la justice et j’ai pu arguer que je n’avais aucune emprise sur cet aspect des affaires françaises. Mais tout de même, avec toutes les tensions actuelles, ça ne nous aide pas.”


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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

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    Quelque chose se passe, lorsqu'Elric accepte son aide. C'est intangible et silencieux, immatériel et presque imperceptible, mais la sensation le prend au corps malgré tout. Piotr relâche un souffle qu'il ne pensait pas retenir. Ses épaules se détendent, semble-t-il définitivement, et le sourire qui courbe ses lèvres se fait spontanément moins large, plus naturel. Il laisse un rire lui échapper tandis qu'il déguste une gorgée de vin.

    "Tu es catholique : on pourrait arguer que bon nombre de tes valeurs se recoupent avec celles du marxisme, Camarade."

    Il ne commente pas son acceptation; ne pense pas en avoir besoin. Les deux compagnons se sont déjà bien assez épanchés sur leurs émotions. Assez pour la soirée, l'année, voire une vie entière à l'échelle soviétique. Non, le sujet qui curieusement les unit est bien plus préoccupant que l'aide qu'ils pourront s'apporter - cette partie-là est une évidence désormais. Le Cœur, en revanche...

    Piotr reste pendu aux lèvres de son interlocuteur tout le long de sa déclaration, notant le moindre détail, la plus petite information concernant son ennemi juré - et propriétaire de la laisse qui entrave son cou, susurre une part de lui. Les conclusions d'Elric sont édifiantes. Les actions de son homonyme aussi. Une pointe d'inquiétude germe au fond de ses tripes, dans cet endroit qu'il se refuse à observer mais qui pourtant lui fait subir ses effets. C'est que l'alpha de sa meute n'est pas un adversaire à prendre à la légère, et qu'il est difficile d'anticiper ses actions à plus d'un coup d'avance.

    De l'avance, le Coeur en a toujours bien plus que cela.

    Plantant sa fourchette dans un morceau de viande tendre, le Russe assène un regard froid à son vis-à-vis. Son visage ne dissimule plus ses calculs, et sa voix perd son côté faussement jovial lorsqu'il lui répond :

    "Je ne pense pas avoir besoin de te dire que c'est très mauvais signe, Elric.", glisse-t-il.

    La venaison déverse son jus contre sa langue, déchirée par ses canines. Il mâche, déglutit, reprend :

    "Tu as raison, pour ta femme. C'est un coup classique : il se place en sauveur tout en te coinçant factuellement dans une situation précaire. Méfie-toi. J'ignore si son objectif est que tu sois particulièrement suspect comme tu l'as été, mais en tout cas ça doit jouer en sa faveur d'une manière ou d'une autre. Il ne laisserait pas ça au hasard. Certainement pas là où ça te concerne."

    Ses pensées s'égare vers le Romanov. Le fameux.

    "Est-ce qu'Alekseï est au courant ?", s'enquit-il.

    C'est que l'analyse de la situation dépend grandement de cette information. D'un côté, s'il l'est, alors il s'agit d'une manigance classique du Coeur et le fait que le Joker ne soit pas au courant n'étonnera personne. S'il ne l'est pas, en revanche... il faudra se méfier. Se méfier d'autant plus, du moins.

    "Alekseï est le toutou obéissant du Coeur, reprend-il d'un ton factuel. S'il ne sait pas ce qu'il se passe, c'est qu'il trame quelque chose d'encore plus dangereux que ce qu'on peut imaginer. Alekseï est toujours au courant de tout, normalement. En tout cas d'une plus grande partie que moi, je présume."

    Il lève une main, interrompant d'avance ce qu'il présume être une défense de son "frère":

    "Je sais que vous êtes proches. Je pense qu'il t'apprécie sincèrement. Cela n'empêche en rien Alekseï de servir avant tout les intérêts de son alpha. Il l'a toujours fait."

    Main lasse contre son visage. Un soupir lui échappe. La situation est... complexe. Plus complexe qu'il ne l'aurait aimé. Lui qui pensait pouvoir distancier son adversaire, le voici confronté à la réalité dans son état le plus cruel : s'il est libre pour le moment d'agir comme il lui plaît, c'est que son bourreau ne l'estime ni dangereux ni préoccupant. Cette pensée ne devrait pas lui être désagréable, et pourtant...

    Désireux de se changer les idées, il se racle la gorge et reprend une gorgée de boisson. Son verre sera bientôt vide.

    "Ce type, là. Le Romanov. Tu sais de qui il s'agit ? Un type important, ou un lointain cousin ? Une idée de pourquoi il voudrait en faire une arme ? Et surtout pourquoi l'Ordre le laisse faire ? Ce n'est pas comme s'il manquait de soldats surentraînés dans ses rangs : j'en fais partie."

    Loom of Fate | 2023



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    (#) Re: J'aime les soirs || ft. Elric d'Adhémar

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