Women win wars

Dorimène lui avait dit qu’elle ne pourrait pas être là. Anya savait bien que sa belle-sœur lui faisait confiance pour mener à bien l’entretien avec la future baronne d’Apcher. Aucunement surprise de la nouvelle qui de toute évidence était déjà préparée depuis qu’elles avaient été mises au courant des vœux d’Arsène sur le choix de sa future femme, Anya était donc présente au domaine des d’Apcher. Dans son éternelle robe noire des deuils successifs, la bulgare n’attend pas de manière passive. Devant elle se trouve de nombreux fils de broderie et de tissage. Les couleurs sont comme un arc-en-ciel. Elle observe de ses yeux bleu acier le dégradé. A chaque nouveau membre de la famille, Anya le rajoute dans l’immense tapisserie des d’Apcher qu’elle a mis en ordre. Qu’ils soient morts ou vivants, voire même reniés, leur nom et leur visage son inscrits dans la tapisserie pour la prospérité. Elle avait passé des heures qui pouvaient se compter en semaine pour la restaurer, puis y mettre chacun de ses enfants, chacun des enfants de Dorimène, ses petits enfants. Il en serait de même pour les enfants d’Arsène et de Maeve, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’Anya ne puisse plus le faire. Une autre femme d’Apcher reprendra la tradition. Elle y veillerait.
Ainsi, lorsque le domestique parvint jusqu’à elle dans la salle relativement sombre, Anya ne relève pas la tête et le congédie d’un mouvement de la main. Un dernier regard sur ce qu’elle a préparé et Anya s’en détourne, sa robe suivant son mouvement. Sur les dalles, son pas claque de ses talons et la bulgare se dirige droite comme un piquet vers l’endroit où Maeve attend. Le domestique lui ouvre la porte avant qu’elle ne demande quoi que ce soit.
L’air frais de fin octobre la saisit sans qu’elle ne semble y être sensible. Déjà, son regard d’acier se pose sur celui si homologue de la future duchesse de Bretagne. Anya pense beaucoup de bien des Le Noir malgré la différence de religion qui les sépare. Il fut un temps où les Karkaroff étaient aussi païens que le sont les Le Noir. Il faut dire aussi que les Le Noir sont les sœurs de la Reine et Anya respecte la royauté. En ce sens, elle estime qu’Arsène a fait une très bonne alliance.
« Mademoiselle Le Noir, bienvenue au domaine. »
Son ton n’est pas froid, pas chaleureux non plus. La jeune Maeve a encore tout à prouver, Anya, elle n’a plus à le faire. Pour autant, Anya s’est déjà renseignée sur elle et elle se doute qu’elles auront quelques atomes crochus. La nouvelle génération, néanmoins, la laisse toujours un peu perplexe dans ce monde en total mutation alors qu’elle-même est figée dans le temps, celui des traditions qui se doivent de rester.
« J’espère que vous avez fait bon voyage. Je suis seule à vous accueillir aujourd’hui. Dorimène est attendue ailleurs, mais je ne doute pas que vous aurez tout l’occasion de la voir bien assez tôt. »
Concrètement, Anya n’avait pas grand-chose à dire sur la décision d’Arsène. Bien sûr qu’elle avait approuvé et émis son avis à Dorimène, mais elle n’était pas sa mère et elle ne pouvait qu’être là pour conseiller. Elle ne doutait pas que Dorimène voudrait de toute façon s’entretenir avec Maeve seule à seule et que son avis à elle, Anya, serait aussi important comme il l’était entre elles depuis toujours.
Se décalant, elle fit un signe de la main à Maeve pour qu’elle la suive à l’intérieur.
« Suivez-moi. »
Elle se détourne pour rentrer de nouveau à l’intérieur. Anya connait les lieux à tel point qu’elle pourrait les suivre les yeux fermés. Il y avait encore beaucoup à restaurer ici, même si avec le nouvel investissement d’Arsène, certains endroits l’avaient été. Anya y veillait en tant que dame des lieux. Elle guida Maeve vers la salle qu’elle avait précédemment quitté non sans laisser le temps à cette dernière de laisser sa cape au domestique.
« Souhaitez vous vous désaltérer ? » demanda Anya avant de lui désigner un des fauteuils, prenant place elle-même en face d’elle à côté de la table où elle avait disposé ses fils. Son regard froid se pose un instant sur le serviteur qui ne saurait tarder de répondre aux besoins de Maeve. Dans les combles de la pièce, un croissement se fait entendre. Ginka, son corbeau, observe la scène de son regard intelligent.

De son œil expert, ou plutôt de celle qui a l’habitude d’évaluer en un regard les femmes de la noblesse, Anya en déduisit que Maeve est non seulement jolie mais aussi de solide constitution. Le sourire qu’elle affichait n’était pas moqueur mais respectueux. Anya n’en pensa pas grand-chose. On lui adressait souvent des sourires respectueux qui cachaient bien des choses après tout. Et ce n’était pas à elle de prouver quoi que ce soit entre Maeve et elle. Quoiqu’il en soit, la politesse de Maeve était un bon point. Anya ne se répandra pas en courbette devant la future duchesse de Bretagne. Elle a beau n’être que femme dans une baronnie, donc de moindre importance dans l’échelle de la noblesse, ici, elle est sur son territoire et bientôt celui de Maeve. Ici, elles seraient égales. Il en était allé de même pour sa belle-fille et femme d’Alcidor, Clarisse. Même si Anya n’était jamais douce avec cette dernière, elle l’avait toujours traitée comme son égale sachant parfaitement ce que cela faisait d’avoir été à sa place.

Fort heureusement pour Maeve, la future duchesse de Bretagne aurait sans doute un mariage plus heureux qu’Anya et Clarisse.

Acquiesçant simplement lorsque Maeve refusa à boire, Anya prit place en face d’elle simplement. Peu de choses arrivaient à surprendre Anya. Le fait que Maeve parle une langue qu’elle ne connaissait pas en soit, n’était pas surprenant. Ce qui l’était était que Ginka semblait réagir et qu’Anya comprenait avant que Maeve ne revienne à elle qu’elle était capable de lui parler.

Fixant Maeve, Anya resta interdite avant de couler un regard glacé sur Ginka. Leur histoire était aussi ancienne que l’histoire de Ginka qui n’avait pas toujours porté ce nom l’était également. Ginka n’était pas tombée dans les filets d’Anya par plaisir. En fait, quand Anya l’avait capturée, c’était bien pour faire une expérience avec elle. Au cours de sa captivité, Anya ne l’avait pas spécialement maltraitée si on exceptait les transformations qu’elle infligeait à la Ginka humaine. Ginka avait fini par se persuader qu’elle n’avait rien à perdre : son existence était aussi courte que sa transformation finale inévitable. Elles étaient devenues amies de leur amitié bizarre et sans doute toxique.

Mais Ginka avait toujours été fidèle lorsqu’elle était définitivement tombée sous sa forme de corbeau. Leur relation était aussi proche qu’elle était sûre. Anya ne doutait pas que Ginka était aussi surprise qu’elle. La corbeau femelle n’ayant pas pour l’habitude que quiconque hormis Anya ne lui parle se mit alors à imiter comme ce qu’Anya lui avait appris :

« Oui, oui, oui oui ! »

Reposant son regard sur Maeve, la dame de fer finit par répondre :

« Oui, Ginka est ma plus vieille amie ici. Vous la trouverez souvent dans mon sillage ou me devançant. »

La bulgare reposa une dernière fois son regard sur le corbeau qui s’envola pour se poser sur son épaule. Elle sentait que Ginka était intriguée par Maeve et Anya se surprit à avoir des questions sur les capacités de Maeve, fortement utiles au demeurant.

Mais son attention fut finalement attirée par la dernière question de Maeve et Anya se tourna vers sa plus grande fierté.

« Oui. Je l’ai restaurée à mon arrivée ici. Chaque enfant qui naît y est inscrit. Chaque épousailles également. »

Elle marqua un silence solennel. Cette œuvre, elle en était fière et dans son orgueil, Anya savait que c’était un chef d’œuvre également.

« Vous y serez ajoutée. »

Se retournant vers Maeve, elle fit léviter les fils de couleur blanc. Son œil détailla la peau laiteuse, si blanche, si délicate de Maeve avant de commencer à trier ses fils, éliminant rapidement et avec expertise les teintes qui ne lui convenaient pas. Se faisant, elle demanda :

« Êtes-vous aussi douée aux travaux d’aiguilles que de parler aux animaux ? »