☾ Arsène & Guilhem d'Apcher ☽ réparer ce qui fut brisé

Arsène,

La vie est une louve enragée, aux tendresses passagères et aux crocs impitoyables.
Je peux la voir, parfois, dans mes rêves. Tantôt elle me nargue, tantôt elle m’encourage. Tantôt elle m’embrasse, tantôt elle m’attaque. Elle est comme nos mères, fortes et mystérieuses, et tellement au-dessus de nous Arsène…

Ma mère me manque. La tienne aussi. Tu me manque. Et ton père, évidemment, ton père… J’aurais aimé qu’il soit le mien. Cela aurait tout changé, même si tu m’avais aussi mordu dans cette vie-là.
La louve est cruelle. Tu es cruel.
Ils ne sont pas les seuls qui me manquent.

Le manque est comme un moldu, qu’on voudrait faire taire, et dévorer pour qu’il disparaisse de l’existence. Pour qu’il ne reste rien que des os ensanglantés, et une douce chaleur sous notre chair. Tu dois savoir, mieux que moi, ce qu’on ressent, n’est-ce pas Arsène ? Je ne saurais jamais ce qu'on ressent quand on est toi, quand on est complet.

J’ignore pourquoi cette nuit, la lune brille autant. Elle brille toujours, tout naturellement, quand bien même elle est invisible. J’ai beau ne pas être lycan, j’entends son appel, je ressens sa puissance… mais je ne puis y répondre. Peut-être est-ce une illusion, peut-être est-ce dans ma tête. Elle est si belle, la lune.

Suis-je fou, Arsène ? Je crois que je le suis. Qu’à force d’être tiraillé entre les loups et les hommes, mon esprit s’effiloche et mes chansons perdent tout leur sens. Je ne suis plus rien qu’un instrument poli et brillant qu’il faut constamment accorder pour qu’il continue à être fonctionnel.
Je sais que je suis le plus beau de tous les instruments, évidemment. Mais aussi le plus cassé.

Je crois qu’il y a de la beauté dans les brisures. Qui serais je, si je ne t’avais pas connu, si je ne t’avais pas perdu ? Si je ne les avais pas tous perdus.
J'aurais aimé que tu assiste à un de mes concerts. Si tu me voyais, Arsène ! Je suis un soleil, je suis une étoile naine prête à imploser. Il n'y a rien de plus beau, sauf peut-être, la forêt du Gévaudan une nuit de pleine lune. Quoique, l'océan affolé et influencé par la peine lune est de toute beauté aussi.  

Tu ne recevras jamais cette lettre. Parce que je suis fait de tout ce qui te fait honte. Je suis fait de souvenirs, des nôtres, de nos rêves et de nos échecs. Je suis fait d'échecs et de gloire.
Je crois que tu me manques Arsène. Je crois que je t’aime autant que je te déteste.
Je crois que je suis heureux autant que je ne le suis pas.

Tu ne recevras jamais cette lettre, comme tu n’as jamais reçu toutes les autres.

Et c’est pour le mieux mon frère.

Je suis le briseur de promesses. Une de plus, une de moins, ça ne compte plus.

Ω