Un oiseau qu'on met en cage peut-il encore voler ? ☾ Tania
Guilhem d'ApcherATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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(#) Un oiseau qu'on met en cage peut-il encore voler ? ☾ Tania
missive rédigée par Guilhem d'Apcher leTW à maj au besoin
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Il se passe entre toi et moi
Quelque chose de tell'ment fort
Paris la belle, Paris la gitane aux faux airs de marquise… C’est ainsi qu’il la voie, Paris, l’amante des jours sombres autant que des beaux jours… Qui s’éclipsent aujourd’hui, ne font plus qu’un si bien qu’il est incapable de savoir ce qui l’attend. Mais ce n’est pas l’incertitude, qui fait peur à Apollon, ce n’est pas la destination ni même le chemin : seulement la crainte d’être tout seul quand il arrivera enfin au bout.
Ainsi n’est-il ni à l’heure, ni en avance (mais est-il en retard ? un artiste doit savoir se faire attendre, laisser monter la tension et battre les cœurs pour que l’impact soit plus grand, que le manque fasse monter la ferveur). Il a d’abord pris le temps de pousser la chansonnette le long du canal, seul artiste à s’être sortit en ce jour humide et gris, les passants trop pressés pour lui accorder plus de quelques regards. Sorciers comme moldus, les Parisiens sont si pressés ! Cela ne cessera jamais de l’amuser, même s’il l’est moins par le manque d’attention provoqué par ses morceaux en marchant, et le manque de pièces : il n’aurait pas dit non à un peu d’argent de poche pour pouvoir offrir le café sans se demander ce qu’il allait manger ce soir.
De toute manière, octobre n’était pas son mois, et il n’avait qu’une hâte, c’était qu’il se finisse pour laisser derrière tous les mauvais souvenirs.
Mais il ne peut pas procrastiner à l’infinie, il va bien falloir qu’il réponde à l’invitation inespérée qu’il avait reçu. Des mois de recherches plus ou moins suivies, de traque aux moindres rumeurs, de faveurs données et pas toujours rendues, tout ça pour un mirage, tout ça pour un rêve. Il aurait dû sauter de joie, et courir jusqu’à elle… Mais il est paralysé, un peu. Par la nervosité, comme avant un grand concert, celle qu’il étouffe par le sourire et quelques rituels bien huilés. Il avait remonté toute la France, du sud à la capitale, pour elle, alors il n’allait certainement pas se dégonfler.
«
Guilhem inspire un bon coup, et pousse la porte, sursautant légèrement au carillon aigu trop proche de ses oreilles sensibles. Il retient une grimace, parce qu’un artiste sait soigner ses entrées, et s’exclame d’un joyeux «
Le voilà qui s’incline comme les sorciers d’antan (et cette fois il ne peut retenir une grimace, ses côtes encore douloureuses et sensibles après sa dernière altercation avec les roquets du Cirque), prêt à donner un baise-main à la demoiselle, comme il le faisait quand elle était une gamine des rues sans nom, comme une princesse des bas-fonds de Paris.
«
Par la toison de la bête du Gévaudan ! Il est émotif, il est heureux et confus et perdu, parce que ce n’est pas un mirage, ses lèvres frôlent bien une main faite de chair et d’os. Il est un maelstrom d’émotions, de nostalgie et d’ivresse ! Son hirondelle est là !
(et voilà que son sourire s’agrandit encore, lumineux comme le soleil qui se lève enfin)
*privet : bonjour informel russe
*tu otdyhaet Tania za moj : tu restes Tania pour moi (russe)
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(#) Re: Un oiseau qu'on met en cage peut-il encore voler ? ☾ Tania
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Nos voix aussi
sont les mêmes *
Elle n'avait pas encore totalement quitté le Cirque, mais elle n'y habitait plus réellement ce qui rendait les moyens de la joindre relativement difficiles. Il s'agissait d'un entre-deux précaire, chargé de nouveautés et d'incertitudes. Tatiana était ainsi frileuse à l'idée de rencontrer une nouvelle personne, surtout un homme. Les rumeurs allaient bon train dans le Cirque et c'était encore pire avec les forains qui avaient maille à partir avec elle depuis quelques temps... Depuis sa rencontre avec Auguste Lestrange, pour être totalement honnête. Elle avait accepté de l'avoir pour mécène, ils avaient signé le contrat et maintenant ils finissaient d'arranger pour elle un logement loin du Cirque. Loin des chaînes de son passé.
Mais le noble n'était pas le seul homme à entrer dans sa vie tel un ouragan de changements ; Alekseï Dzerjinski la courtisait depuis maintenant une douzaine de jours, ayant reçu validation auprès de sa mère adoptive avec beaucoup d'efforts. Mirela s'était montrée étrangement récalcitrante et une partie de leur discussion était inconnue de l'oiselle. Ils l'avaient fais attendre un moment dehors, pour son plus grand déplaisir. Mais maintenant c'était officiel entre eux ; tellement même, que dans les prochaines semaines, lors de la célébration de Samhain, elle allait devoir se présenter à la haute société au bras du russe directement dans l'arrière cour du domaine d'Apcher. Il lui avait acheté une tenue pour l'occasion et elle, elle faisait ses révisions.
Deux hommes étaient donc à présent des figures proéminentes de sa jeune existence. Elle qui avait grandi sans figure paternelle, sans réellement posséder de frères ou d'amis masculins. Elle n'avait jamais réellement compté les gens du Cirque comme étant de sa famille, Mirela s'étant toujours montrée très clair à ce sujet ; un jour, à n'importe quel moment, elles quitteraient cet endroit pour de meilleures horizons. Qui aurait pu prédire qu'elle serait la première à plier bagages ?! Dans l'attente toutefois de pouvoir étendre ses ailes et quitter pour de bon la paille souillée de mauvais souvenirs qui pavait les ruelles du Cirque, Tatiana devait endurer les rumeurs et les remarques de ses pairs.
Une jeune fille non-mariée avait été vue au bras d'un noble bachelor, bien propre sur lui, mais sans promesse qu'il soit aussi honorable dans ses manières une fois dans le privé de ses salons ! Elle avait été vue aussi à celui d'un bolchévik sinistre... qui prétendait la courtiser, sûrement pour mieux la rapatrier dans l'Union et la mettre au "service" des soldats ! Il ne se passait pas une journée sans que Tatiana n'entende son nom être traîné dans la boue et des rumeurs crasses courir sans interruption dans son dos. Personne ne voulait croire qu'elle méritait ce bonheur. Qu'elle avait une once de talent et de jugeote à choisir les bonnes opportunités lorsqu'elles se présentaient à elle.
Alors quand un énième homme s'était présenté aux portes du Cirque pour la demander, l'oiselle avait sérieusement hésité à accepter cette rencontre. Elle était simplement trop épuisée et trop occupée pour s'encombrer d'une charge supplémentaire. Qui était-il ? Que lui voulait-il ? Pourquoi est-ce que tout le monde se réveillait en même temps ?! Ne pouvait-on pas la laisser respirer en paix ? Était-ce vraiment le résultat d'une seule soirée passée dans la haute noblesse de France, lors des Fééries de cet été ? Elle avait fait une belle performance, il ne servait à rien d'être humble quand on connaissait la qualité de ses services, mais les choses prenaient clairement une proportion qui dépassait toutes ses attentes. Tous ses rêves.
* * *
* *
Tatiana en avait encore le vertige rien qu'à y penser, alors qu'elle enroulait des doigts gelés autour de sa large tasse de café au lait. Ses yeux se perdaient dans le lointain, observant la rue qui flanquait la vitrine du café. Elle était quasi déserte à cause d'une bruine froide et chafouine qui tombait inlassablement sur les pavés depuis ce matin. Si l'oiselle avait choisi ce café parmi tant d'autres pour cette rencontre avec l'étranger, c'est qu'elle y était un visage familier pour tous les employés. Après tout, rien n'indiquait que son invité mystère soit raisonnable ! Et elle ne voulait pas ajouter aux rumeurs qui circulaient déjà bien suffisamment comme ça chez les circassiens.
Il semblait aussi que l'un comme l'autre, ils ne soient jamais en mesure de se rencontrer face à face dans l'enceinte du Cirque. Fatiguée de subir quelques jeux mesquins du Destin qui les faisait toujours se croiser sans jamais se voir, Tatiana avait fini par céder à la curiosité et l'avait finalement invité à prendre un verre. En plein jour et loin du Cirque. Ou plutôt, à quelques rues et toujours le long du Canal St Martin. Ici, elle se sentait en sécurité ; le barista la connaissait suffisamment bien pour l'appeler par son prénom. Il la savait engagée dans une relation sérieuse avec un soldat russe d'1m94. Il saurait qui prévenir si jamais cet étranger lui manquerait de respect.
Son attention est arrachée à sa rêverie non pas lorsque le carillon tinte, mais lorsqu'une voix théâtrale s'exclame d'une salutation aussi bigarrée que l'était le chapeau haut de forme agité en accompagnement. Pour avoir grandi dans un des nombreux monde de la scène et du paraître, Tatiana n'eut aucun mal à reconnaître un compagnon de scène. Et au delà des couleurs et du sourire placardé sur un beau visage, elle semble y retrouver des traits familiers. Pourtant incapable d'y remettre un nom ou même une situation précise, l'oiselle préféra rester assise et prudente dans le regard qu'elle lui décochait depuis sa table. D'où le connaissait-elle ? La prudence se changea en méfiance, puis en une légère panique quand elle le vit sautiller vers elle.
Sautiller. Littéralement. Effarée, Tatiana se tassa légèrement dans son siège. Était-celui l'étranger venu au Cirque !? Cherchait-il une proie facile pour avoir ses entrées dans leur troupe ? Après tout, ils avaient reçu une invitation à jouer lors d'une fête tenue par la royauté ; de quoi donner du crédit à leur nom dans des cercles aussi fermés et mal aimés qu'étaient ceux des artistes itinérants. Elle en était à regretter ses choix de vie - ou plus précisément d'avoir proposé à une telle énergumène de se rencontrer- lorsqu'elle le vit se courber et présenter sa main pour cueillir la sienne dans ce qu'elle reconnu (merci les cours d'étiquette d'Auguste) être un baise-main. Elle hésita, incertaine de la marche à suivre, mais tiqua aux sonorités russes qui chatouillèrent son oreille.
Troublée, ses mains restèrent résolument soudées à sa tasse de café. Elle observait l'homme avec une expression lisse, dépourvue de toute émotion. Un masque parfait, policé par des années d'expérience à le porter en toute occasion. Elle ne le reconnaissait pas encore. Pas totalement. Son nom de scène est mentionné, des larmes dans les yeux de l’inconnu sont refoulées alors que vient à nouveau un russe maladroit. Un écho lointain dans sa mémoire méthodiquement rongée par la malédiction de son sang noir. Tatiana plissa des yeux et, hésitante, finit par tendre sa main. Comme un petit oiseau se posant sur une branche, ses longs doigts calleux du travail manuel effleurent ceux d'un artiste soumis aux caprices d'un instrument à corde.
De sa main libre, elle approcha des cheveux sombres de l'homme pour les lui décoiffer, cherchant à rabattre les mèches sur le front et les yeux qui l'observaient toujours avec cette émotion dans le fond des prunelles humides. Elle essaya de changer ces traits qui avaient à peine pris quelques rides. Elle fronça les sourcils et referma ses mains sur les siennes pour l'attirer plus près, le forçant à s'asseoir sur la chaise voisine à la sienne.
"- Titania est mon nom de scène. Lors des Fééries, je suis venue déguisée pour ressembler justement à la reine des fées. C'est sans surprise que vous y ayez pensé en me voyant." Elle regarda leurs mains encore jointes, joua distraitement avec les doigts de l'homme, pliant et dépliant ses phalanges en gestes doux, songeurs. "Tatie est ce que les français me surnomment... Tanya est mon surnom russe, mais il n'y a qu'un seul homme qui n'arrivait pas totalement à le prononcer et qui m'appelait Tania quand j'étais petite."
Sa voix se noua, trembla même un peu à ces derniers mots murmurés à peine plus haut que son souffle. L'oiselle retira lentement ses mains et croisa les bras étroitement sur sa poitrine, comme pour s'enlacer. Comme pour se protéger. Elle avait peur d'y croire, peur d'espérer. Peur de se tromper et d'en souffrir. Elle s'appuya contre le dossier de sa chaise, cherchant un support physique à défaut d'en avoir un moral. L'homme qu'elle pense retrouver aujourd'hui avait disparu de sa vie sans prévenir, du jour au lendemain. Un rayon de soleil pour qui elle pliait des origamis d'hirondelle, car il avait toujours su être son printemps dans l'hiver de sa jeunesse isolée à Beauxbâtons. Son soutient et son réconfort.
"- Est-ce toi, bol'shoy brat** ?" Demanda-t-elle d'une voix si douce de chagrin que la douleur à l'entendre en devenait presque physique.
* Poème de Kamal Zerdoumi
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Guilhem d'ApcherATROPOS | THEN, LET IT BURN.
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(#) Re: Un oiseau qu'on met en cage peut-il encore voler ? ☾ Tania
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Chrysalide devenu papillon, il peine à reconnaître la petite fillette d’antan à laquelle se superpose la jolie jeune femme qui lui fait face. C’est aussi décontenançant que le temps que Tania, Tatiana, met pour lui tendre sa main, pour permettre à Apollon (mais pour elle, il veut bien redevenir Guilhem) de la saluer comme la petite princesse des rues de Paris.
Mais peut-être est-ce le choc, tout simplement. Après tout il n’en mènerait pas large, lui non plus, s’il n’avait pas été à l’origine des retrouvailles, s’il n’avait pas écumé les rumeurs pour remonter la piste jusqu’au Cirque. Les obstacles avaient semblé infranchissables, mais c’était le grand Apollon Bellemain et lorsqu’il ne s’enfuyait pas la queue entre les jambes il était capable de grimper toutes les montagnes (à dos de cheval quand même, il ne voudrait pas trop abîmer ses pieds).
Toujours aussi profondément ému, l’artiste, d’autant plus lorsqu’elle tend les mains vers lui avec une hésitation qu’il ne comprend pas, mais dont il se contente. Peut-être lui en veut-elle ? Il a disparu, même s’il ne le voulait pas, il a disparu et elle aussi, fratrie inespérée qui se perd de vue. Il ne veut pas qu’elle lui en veuille. Il est juste si heureux, simplement, entièrement, incroyablement heureux qu’elle soit en vie et qu’elle aille bien. Qu’elle en ait l’air, au moins…
Leurs doigts se touchent, tangibles, réels. Pas un fantôme, pas spectre de l’imaginaire foisonnant. Il sourit de plus belle, si c’est possible. Lâche même un petit rire, mi, nerveux, mi heureux lorsqu’elle se concentre sur ses cheveux, légèrement humides à cause de la bruine extérieure. Il se penche même légèrement pour lui faciliter la vie, pas gêné le moins du monde, Guilhem serait malheureux si le sens du toucher n’existait pas.
Ainsi suit-il le mouvement et s’assoit à côté d’elle, sans lâcher ses mains, au contraire il resserre doucement, affectueusement la poigne de leurs mains liées, effrayé qu’elle le relâche trop vite.
Il tique, légèrement, lorsqu’elle le vouvoie. Depuis quand le vouvoyait-elle ? Peut être à cause des nombreuses années depuis leur dernière rencontre… Le temps, il le savait, faisait des meilleurs amis des étrangers. Et pourtant, lorsqu’il avait revu Arsène à l’enterrement, il avait senti comme si seule une nuit s’était écoulée. Comme si leur amour était plus fort que la distance. Et il espérait que ce serait pareil, avec elle. Ils n’avaient aucun sang en commun mais, qu’importe. Le sang coulait et se mélangeait sans faire de différences.
Mais si elle le veut le vouvoyer, qu’elle le vouvoie. Il lui doit au moins ça. Il lui doit tellement, si seulement elle savait… Elle avait sauvé sa vie.
Le timbre de sa voix est douloureusement familier et, pourtant, différent. Plus mature. Plus adulte. Les émotions lui étreignent toujours le corps entier et, s’il la laisse à regret séparer leurs doigts sculptés par les arts et les âges, c’est pour mieux recoiffer ses cheveux malmenés par une main curieuse. C’est pour mieux glisser ce membre libéré dans la poche de son veston.
Lorsqu’elle dit à haute voix ce surnom qu’elle seule lui avait jamais donné... Par la lune. Il se prosterne presque, semble s’affaisser, un peu, beaucoup, sous le poids des regrets. Tourné vers elle, plutôt que vers la table, il a besoin de quelques instants pour trouver ses mots et calmer son cœur avant de répondre :
«
«
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Au chagrin et à la peur commença à s'infiltrer la colère. Une colère née de l'incompréhension. Pourquoi revenir maintenant ? Presque dix ans après leur séparation. Pourquoi lui redonner de l'espoir si c'était pour disparaître à nouveau ? Tatiana savait qu'elle ne supporterait pas un nouvel abandon. Pas alors qu'elle essayait de se reconstruire ! Pas alors qu'elle tentait d'échapper à des chaînes pour voler de ses propres ailes. Mais... Mais ces larmes qu'elle voyait couler aux joues dorées de cet homme, pouvait-elle réellement les ignorer ?
L'oiselle sentit sa gorge se nouer et elle ferma les yeux quelques secondes. Le temps de reprendre son souffle. D'oublier sa culpabilité. Le temps de se soustraire à la douleur de cet homme et de se concentrer sur la sienne. Enfant, elle n'avait jamais réellement eut de figure paternelle, moins encore de véritables frères pour la protéger et l'aider. Seule, elle avait dû se défendre dans un monde de masculinité au sein du Cirque, puis de cruauté infantile à Beauxbâtons. Elle avait dû se forger seule, ou presque... et dans tout ça, elle l'avait rencontré.
Un homme en piteux état. Quelqu'un qu'elle aurait dû ignorer et même éviter, mais qu'elle avait toutefois approché. Il aurait pu lui faire du mal. Il aurait pu l'enlever et souiller son innocence ou bien la vendre quelque part. A la place, ils avaient dansé, chanté et plié des origamis. Ils s'étaient donnés rendez-vous, jour après jour et semaine après semaine, jusqu'à s'apprivoiser mutuellement. Jusqu'à pouvoir se donner des surnoms et s'attendre, impatiemment l'un l'autre sur cette petite cour oubliée du reste de Paris.
"- Pourquoi m'as-tu abandonné ?"
Ce fut un murmure rauque alors qu'elle ré-ouvrait les yeux et qu'elle fixait l'homme assis à ses côtés. Un regard vrillé de douleur, mais aussi de colère. La colère pour une enfant qui avait attendu en vain son compagnon de jeu, son grand-frère de coeur. Une attente qui avait duré des heures jusqu'à ce que le froid et la faim ne la forcent à abandonner sa veille silencieuse. La police l'avait récupérée, errante et désorientée, fiévreuse. Pendant une semaine entière, elle avait été alitée dans l'infirmerie de Beauxbâtons.
"- Je t'ai attendu si longtemps... Qu'y a-t-il à célébrer ? Dis-moi... Que veux-tu célébrer après m'avoir laissée de côté toutes ces années ? Sans un mot. Sans... prévenir."
Tatiana serra les poings dans son giron, le visage blême et ses grands yeux bleus baignés de larmes qu'elle se refusait farouchement à verser pour lui. Pour l'enfant qu'elle était jadis. Ces souvenirs, elle aurait préféré ne jamais les retrouver. Elle aurait voulu que sa malédiction les lui avale tout rond et ne les lui rende jamais. Elle détourna alors la tête, incapable de le regarder une minute de plus sans perdre son calme. L'oiselle prit une profonde inspiration avant de poursuivre :
"- Qu'espérais-tu de cette rencontre ? Que tout soit oublié et que l'on retourne à ce que nous étions ? Croyais-tu vraiment que ce serait possible... ? Par Merlin, je ne connais même pas ta véritable identité."
Fouillant dans une poche, elle sortit un mouchoir et se tamponna le dessous des yeux pour ne pas ruiner son discret maquillage. Elle remarqua que le barman l'observait et poussa un petit soupir. Bon sang, Alekseï allait être mis au courant de cette histoire. Il allait être drôlement fâché qu'un homme l'ait faite pleurer... Et elle allait devoir trouver une excellente raison pour le retenir d'aller casser la jolie gueule de son "grand frère". Elle serra les dents et refoula le désir de partir immédiatement.
C'était à son tour de parler. De pouvoir enfin clore une page entière de sa vie, aussi rongée d'amnésie fut-elle.
"- Je me suis blâmée, tu sais. J'ai pensé pendant longtemps que j'avais fait ou dit quelque chose pour te fâcher. Il n'y avait aucune autre raison pour que tu partes sans rien me dire, du jour au lendemain. Et puis... j'ai réfléchi. Si tu n'étais pas fâché alors tu devais être mort, comme mes parents. Et comme j'étais la seule à rester en vie, ce devait être de ma faute... sinon je serais aussi partie avec toi, ou avec mes parents avant ça."
Sa gorge se noua, mais elle se força à continuer. Il était hors de question que cet homme pense pouvoir revenir dans sa vie comme une brise printanière. Qu'il pouvait renouer avec elle comme si de rien était. Il devait savoir ce qu'il avait causé par ses actions ! Il devait entendre les conséquences de ses choix, qu'ils furent volontaires ou pas. Et par Merlin qu'elle espérait que ce ne soit pas de son fait : que son départ de sa jeune vie n'ait pas été un choix volontaire de sa part. Parce que alors... Alors elle ne saurait pas comment réagir.
"- Et puis j'ai grandi et j'ai fini par apprendre toutes les subtilités de la psyché humaine. Et j'ai réalisé qu'en fait, tu avais juste continué ta vie sans moi. Que si tu n'étais pas mort, tu avais dû te lasser de moi. Ou que tu m'avais simplement oublié, quantité négligeable sur le bord de ta route. Alors j'ai fais pareil. J'ai continué ma propre vie et je t'ai oublié."
Elle prit une profonde inspiration et le regarda enfin de nouveau. Elle plongea son regard dans le sien, sans faux-semblants. Franche dans sa souffrance, mais aussi sa résignation. Elle avait souffert, mais elle avait survécu. Comme à chaque fois. Ses larmes, son chagrin, elle l'avait profondément enfoui et elle avait continué à avancer. Tatiana posa sa main sur la sienne, doigts délicats fermement accrochés aux siens, lui refusant de se défiler. Sa voix, posée et douce, cachait tout juste le tranchant de sa colère et de sa souffrance.
"- ... Maintenant, tu vas commander quelque chose à boire et tu vas me raconter ton histoire. Tu vas me dire ce qu'il s'est passé de ton côté. Tu vas me dire la vérité, pas parce que tu le veux mais parce que je la mérite. Je mérite de savoir pourquoi j'ai dû souffrir toutes ces années."
* Poème de Kamal Zerdoumi
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