les oiseaux qu'on met en cage - nikita

       — Il avait souvent joué à cache-cache avec le monde. Usant de sabotages et combines pour créer de parfaites antres insondables des lieux où il avait fini par poser valises et nuits agitées. A Paris c'est la rue qui l'a d'abord avalé. Pavé glacé et rongé d'une humidité puant la merde. C'est pas les galions qui manquaient pourtant, c'est la volonté de les gâcher pour un confort dont il ne saurait accepter les bienfaits. Molosse rongé par les puces se retrouvant bien circonspect face au panier soigneusement décoré, rembourré en plumes de volailles décapitées pour son propre luxe vicié. Ca n'a pas duré longtemps, car quand c'est de l'Empire qu'il a gratté le trottoir, il a su. Enfin certain qu'entre les murs d'un tel foutoir, y aurait pas besoin de se cacher de l'univers bâtie tout autour. Fin de la fuite, porte de sortie fracassée pour enfin le laisser se déposer sur un lit sans rester figé vers l'entré, attendant qu'on vienne le déloger. Du fugitif Nikita ne portait plus les gants, dévoilant ses mains tâchées de violence. Il avait fallu beaucoup se battre pour arriver jusqu'ici. Il avait fallu beaucoup casser pour arrêter de se cacher.

D'abord il avait accroché quelques photos sur les murs. Des clichés immobiles arrachés à son passé. De ces années où son corps n'avait pas encore déclamé sa magie, de ces moments où il y croyait encore que sa vie ne serait qu'opportunités et bonheurs à perpétrer. Des images floutées par l'enthousiasme de l'instant capturé à tout jamais. Un jardin. Un chien. Une main où brille une alliance. Le ciel et ses nuages déformées par l'imagination débordante qui fut la sienne. C'est qu'il s'en souvient, un petit peu plus chaque jour loin d'eux, de qui il fut bien avant leurs foudres. De qui il aurait pu être pour Odile. -- qui tu seras jamais.

Et puis il avait choisi des rideaux et des draps qui lui plaisaient. Sur une étagère y a le début d'une collection d'alcools. Parce que quitte à y noyer ses agitations, autant le faire en sachant parfaitement quel goût a le fond de la bouteille. Commode un peu bancale d'avoir vu tant de propriétaires défiler devant ses poignets, studio assez grand pour pouvoir y déceler autre chose qu'un terrier où se renfrogner. Ma' n'avait pas menti quand elle disait qu'il serait bien traité. Il aurait dû la croire plus tôt.  Mais désormais, Nikita le sait et y croit : cet appartement est le sien, et il n'a pas à s'y cacher du monde. C'est juste une absence, une minute loin de tout. Entre les quatre murs apprivoisés, c'est le monde qui décide de se faire moins bruyant, de laisser respirer l'univers quelques instants.

— Non merci. la négative en offrande, comme une perle de confiance. Du bout des doigts l'animal en spectre d'affection récupère le bijou d'expression singulière et le fait rouler entre ses doigts griffus. Qu'il est plaisant de l'entendre, par dessus tout qu'il est bon de la savoir libre des laisses-courtisanes. Peut-être les a-t-elle laissé devant la porte, surement qu'elle les récupérera en partant. -- t'aimerais pouvoir garder cette porte fermée à tout jamais. Le temps finirait par vous oublier. Le monde aussi.  

Atmosphère dans la pièce se dépose sur leurs épaules à quelques mètres les unes des autres. Que faudrait-il pour que le silence s'éprenne d'une distance brisée ? Combien faudrait-il payer d'avancer pour l'enlacer et lui promettre que jamais plus les autres ne viendraient lui arracher les soupirs qu'elle ne voudra plus donner sans les désirer. Lui confier que ça sert à rien d'avoir mal puis de se taire. Qu'un jour tout craque sous les claques. Que ses propres mains ont les cauchemars cachés sous ses ongles, que Nikita pourrait leur briser la nuque à ces obscures instants où elle voudrait s'envoler comme la plume qu'elle dévoile enfin. Mordue par les années, déteinte sous le poids d'une affection et d'un amour caché au creux d'un reste post-mortem en totem de regret. Elle est pourtant jolie. Elle renferme pourtant l'aura d'un lien que mère et fille ne partageront jamais. -- est-ce que c'est pour ça qu'Odile a tué la votre avant même d'avoir pu la nommer ?  

Phalanges mordorées, suturées des fantômes en cicatrices refermées à défaut de se laisser crever, se déposent doucement autour de la plume pour en faire emprunt. Quelques heures seulement, puis il la lui rendrait sans accrocs, sans briser le lien tissé entre leurs deux mains désormais couvertes de poussière d'étoile. Celle qu'est tombé la nuit de son arrivée ici. Celle qui ne s'est jamais départie de ses yeux, ses cils et des fois où elle rit. Le regard de Nikita se fait caresse le long du token, presque terrifié de la briser entre ses doigts brutaux. Mais elle ne se casse pas, attrape toute la lumière de la pièce éclairée par dizaine de chandeliers déposés ici et là. Il s'y perd quelques secondes, ne dit pourtant rien. C'est à peine si ses sourcils se froncent sous toute l'émotion débordant du souvenir laissé entre les doigts d'un bébé. — Ici, on ne la verra pas, même avec les jolies tenues de l'Empire ? et tout aussi vite qu'il fut absorbé par la plume, son attention revient à Elle.

A elle qui se défait d'un rempart dont il s'interdit tout débordement. Le loup, bien tapi dans ses iris, ronge la rétine et supplie presque. Un regard, un battement de cils, ça coûte rien, elle ne le remarquerait même pas, que ça susurre et que ça grince. Mais Nikita ne regarde pas, orbes sombres cadenassées à celles d'Alice. Elle lui fait confiance, et il compte bien lui prouver qu'elle a raison de s'y laissé tomber, dans cet océan d'intimité timidement fabriqué. Pierre après plancher, regard évité après regard loupé, mot chuchoté pour éviter ceux qui ne sauraient être oubliés. Les joues de la plus jeunes se teintent, mais il offrira l'excuse d'une luminosité trompeuse pour lui éviter l'embarras. La peau se dévoile et quand elle indique l'emplacement souhaité pour l'encre-éternité, il ne peut plus y échapper. Alors Nikita se rapproche, un pas, deux pas puis un dernier. Chemin du regard qui trace un sentier étoilé le long de sa nuque, de son épaule, qui termine sa course sur la peau délicate et claire d'où ne résonne que quelques grains de beauté. -- comme s'il fallait preuve supplémentaire à son sublime.    

—  Je ne veux pas que Ma' s'en rend compte tout de suite. Elle n'aimera pas du tout. La tête approuve doucement avant que les yeux ne se fassent plus analytiques, plus sérieux (( si c'était même possible )) et examinent la zone, la peau, les débuts de courbes qui pourraient déformer l'œuvre en devenir. Dans la gorge ça grogne, ronge les verrous, s'acharne contre le métal de la muselière. chien de lune ne demande qu'à- non. — Elle ne remarquera pas. Pas tout de suite. affirmé du ton de ceux qui se divisent en trop de soi pour faire prisonnier ce qui ne doit pas se révéler, ce qui ne peut s'avouer. Ce qui ne peut pas exister. Et Nikita, il veut pas tout gâcher. Pas ça. Pas ici. Pas alors qu'il a enfin fini de se cacher puis de s'enfuir par crainte d'exister pour de vrai. Alors l'animal inspire et l'homme expire. — Ce sera plus facile pour moi si tu es allongée. confié avant de s'éloigner vers le coin de l'appartement occupé par un évier et quelques plans de travail. Attrape un verre, le remplie d'une eau claire et fraiche avant de le déposer sur la table basse proche du canapé. Il lui laisse le temps de s'installer, Nikita. Lui octroie toutes les secondes nécessaires, les essentielles avant le plongeon, avant le non-retour. Dans ses affaires il cherche aiguille et encre, ressort sa baguette de la table de nuit puis vient s'asseoir sur la table basse, genoux figés vers Alice. Il pose plume, encre, aiguille et baguette à côté du verre d'eau et cherche le regard de l'Etoile. — Prête ?


( C ) CRIATURA