Le fond de l'air sera rouge (Auguste)

Quelques jours de permission à terre, juste de quoi souffler pour les hommes pendant que la Grue charge la marchandise à bord. Tianjin n’est pas un port courut mais la vie locale y est suffisamment active pour qu’on ne pose pas trop de questions sur leurs affaires, et c’est tout ce qu’on peut demander dans leur cas. De toute façon, les affrontements entre cliques et avec les japonais génèrent suffisamment de prisonniers et de fuyards pour que la présence d’autant d’être humains agglutinés ne gêne personne si cela vient même à se voir. Et puis, le capitaine a fait détaler les européens qui font partie de l’équipage, comme lui malgré son statut d’officier. Moins encore de chance d’attirer l’attention, quand les faces blanches ne sont pas là pour jurer dans le décor.

Il compte en profiter, ça va sans dire ! Même si l’océan l’enivre, pouvoir remettre les pieds sur terre de temps en temps ne fait de mal à personne. Et puis, il y a tant de plaisir auxquels se livrer, dans une ville ! Le premier jour, il l’a passé à s’empiffrer, gourmand impénitent dès qu’il s’agit de la nourriture locale. Avec deux de ses marins, ils ont trouvé une auberge populaire, fuyant allégrement les nids de bourgeoisie pour s’éviter tous ces longs regards en coin et ces ragots creux de bout de comptoire qui font le pain béni des nantis. Alcool de riz, cuisant leurs sens et victuailles à n’en plus finir, entre canard laqué et bao fourrés au haricot rouge, sans parler de la soupe de poisson et de laitue. Heureusement, l’activité ne manquera pas à bord pour se remettre de ce coma !

L’un de ses compères quitte la lice le lendemain, en partance pour le quartier aux lampions rouges et Auguste songe brièvement à faire de même sans parvenir à se décider. Si la vie en Chine lui plaît, ses appétits ne se satisfont pas aisément de la chair locale. Fort heureusement, il y a bien d’autres activités dans lesquelles se perdre, entre jeux d’argents, affaires locales et discussions. C’est au détour de l’une d’elle qu’il apprend le vol et l’idée met quelques heures à faire son chemin, lentement, dans ses pensées. Des pétards. Des feux d’artifice. Joie et amusement, pour le plus grand nombre et pourquoi pas après tout ? Il se voit déjà les tirer depuis les toits de la cité interdite en bon hérétique qu’il est. Une vision qui semble également séduire son camarade, Lars.

Et ça aurait pu être pire ! La poudre noire, ça a d’autres usages, mais le capitaine s’engraisse déjà bien assez depuis quelques voyages sans qu’il lui offre ce genre de luxe simplement pour se faire bien voir. Il n’en a d’ailleurs pas besoin, son rôle, il le remplit correctement et personne n’a jamais rien eu à lui reprocher de plus que quelques choix personnels de pur style. Lars est d’accord, lui emboîte le pas. Les voilà dans le Beijing sorcier à courir après des petites frappes, piste remontée à grand coup de magie et d’intimidation avec la boutique Wei comme point de départ. Il n’existe pas trente fabricants de feux d’artifice après tout, même ici. Tout le reste, c’est un jeu de piste et bien sûr, connaître où les voleurs peuvent se terrer en attendant de savoir quoi faire de la marchandise.

La planque qu’ils trouvent est vide, les prétendants artificiers ont pris la poudre d'escampette. Un tour des environs leur fait savoir qu’ils ne sont pas discrets. Eux ? Le terme étranger ne s’applique pas qu’à eux et Beijing est la capitale de la Chine après tout, mais quand même ! Persévérance quand tu nous tiens et voilà qu’ils poursuivent, se séparent pour couvrir deux pistes différentes. Auguste retrouve les caisses avant Lars, mais il n’est pas seul. Il y a quelqu’un d’autre ici. Les faces blanches se voient comme le nez au milieu de la figure ici. Il ne se souvient pas de l’avoir croisé. Un cossu alors ? Peut-être. Sans l’entendre causer, il sera de toute façon difficile de le placer mais puisqu’il ne s’est pas encore signalé, autant prendre les devants.

Discrètement, le voilà qui s’approche, et au profit d’un d’un détour, attrape l’inconnu d’une poigne ferme, l’entraînant avec lui dans une ruelle. Poigne ferme sur sa main droite en espérant qu’il ne soit pas gaucher de quoi l’empêcher de sortir sa baguette. Pas un instant il ne pense à une méprise alors qu’il lui dédie son plus beau sourire.

“Dites-moi l’ami, vous êtes de ceux qui aiment les feux d’artifice, par hasard ?”

L’accent abâtardi mélange le sud de la France avec les sonorités de la Crimée. Les yeux sont pétillants, vifs et alertes, pleins de vie et l’expression joueuse et conspiratrice, un brin charmeuse. Pour Auguste, tout cela est un jeu mais un jeu d’autant plus intéressant que dans le mouvement, il a entre-aperçu un pétard bien plus gros que les autres et à la forme de dragon.

De quoi attiser son envie de jouer. Joie dansant sur les lippes, il a un haussement d’épaules léger, permissif.

“Par pure curiosité bien entendu, mais si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à me confier l’adresse de votre auberge, que j’y vienne vous payer un verre.”

Insolence impénitente, qui dissimule sa prédation. Il ne sait encore s’il a l’intention de lui proposer une collaboration pour récupérer les pétards ou s’il préfère l’assommer et le laisser là le temps de son forfait. Mais autant lui laisser l’occasion de s’exprimer avant ça. Il n’est pas à une surprise près aujourd’hui après tout !

Codage par Libella sur Graphiorum