L'avenir se construit au quotidien | PV Arsène

Il parait qu'un malheur n'arrive jamais seul. Que dans son sillage, la fatalité s'abat sur le pauvre monde amenant avec elle un flot intarissable de désastres tel le rocher qui dévale la montagne enneigée pour se transformer en avalanche. La mort du Baron d'Apcher n'avait été que le début. Le début des emmerdes, pour ainsi dire.

Fier et orgueilleux, il avait pourtant été prévenu, le fils héritier. Jeunesse bercée d'illusions, responsabilités lointaines qu'il voyait comme l'horizon qui ne cesse de reculer qu'importe le nombre de pas que l'on fait vers elle. Le fort loup noir du Gévaudan avait encore de belles années devant lui, et Arsène en était sûr, il avait encore de longues décennies d'insouciance à vivre. Chef de la meute, il n'avait pas hâte de devenir le chef de famille. Cléanthis s'en chargeait très bien. Il s'était bien sûr assuré de léguer par avance à son fils aîné quelques ficelles de son rôle de Baron du Gévaudan. Noblesse française à l'allure de fardeau, bien des entrevues étaient de véritables corvées alors que le loup blanc ne rêvait que de nature et de conquête. Le boulot de gouverneur d'une région, très peu pour lui.

A bien y réfléchir, c'était avant tout les responsabilités qui lui faisaient peur. Bercé depuis l'enfance par le sens de l'honneur dispensé par sa mère ne parlant que de faire de lui un homme à la hauteur de ses devoirs futurs, elle s'était appliquée à lui transmettre des valeurs chères à son coeur. Elle avait embrassé de tout son être la cause des seigneurs du Gévaudan, son fils aîné se devrait de se montrer à la hauteur de son futur titre. Et cela, il l'avait bien intégré, à n'en point douter, jusqu'à sa rencontre avec Roksana. La passion qu'il éprouvait pour elle depuis maintenant une dizaine d'années ne faisait que repousser de toutes ses forces le moment où le titre de Baron lui reviendrait. Car à ce moment là, il savait que les responsabilités allaient s'abattre sur lui.

Il n'aurait cependant jamais imaginé à quel point la mort de son père ferait de ses préoccupations maritales la dernière de ses inquiétudes. Installé dans le lourd fauteuil en cuir de son bureau, le parchemin froissé qu'il tenait lui brûlait les doigts tandis que les circonstances de la mort du Baron se faisaient plus claires. Les sourcils froncés, il maudissait l'imbécilité dont son père avait fait preuve, lui qui avait toujours vu Cléanthis comme un homme sage. Inconscience, stupidité, quelle connerie ! Quelques mots griffonnés pour expliquer qu'une dette n'avait pas été réglée, signés Machiavelli.

Ces italiens, Arsène en avait entendu parler, parfois, mais jamais en bon termes. Habitudes plus que discutables, et réseau inquiétant, quelle folie avait pu conduire le loup noir du Gévaudan à négocier avec eux ? Les coffres de la demeure d'Apcher avaient beau être vides cela ne justifiait pas de s'exposer à des représailles d'une famille dont on ne sait quasiment rien. Arsène pousse un profond soupir avant de jeter le parchemin au feu. Oui... Les responsabilités l'avaient rattrapé à la vitesse de l'oiseau tonnerre, et dorénavant, c'était à lui de réparer les pots cassés. Cette situation avait au moins le mérite de repousser un peu plus les questionnements maritaux, il y avait plus important à s'occuper en priorité. Car à cette heure, il se le jurait : il sortirait sa famille de la ruine et des emmerdes, il en faisait le serment. A présent, on craindrait les d'Apcher et on les respecterait, comme dans leurs plus belles années.

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La nuit avait été rude pour le nouveau Baron. Perdu dans ses pensées, il avait fini par s'assoupir sur son fauteuil et c'est le soleil transperçant les vitres ternies par le temps de son bureau qui l'avait éveillé. Il sorti sa montre à gousset de sa poche pour constater qu'il était déjà bien tard. Il frotta son visage de ses grandes mains, tentant d'effacer les traces d'une nuit peu reposante avant de se lever. Ses vêtements froissés, il soupira avant d'ôter son veston. C'est à cet instant que l'on frappa à la porte du bureau.

« Oui ? »

La porte s'entrouvrit sur la domestique.

« Maître d'Apcher, Monsieur Lestrange est arrivé, désirez vous que je le fasse monter ? »

Arsène leva un sourcil, avec ses récentes découvertes il avait complètement oublié que quelques semaines auparavant, son ami Auguste lui avait promis qu'il viendrait le visiter juste avant la fin du mois de mars. Voilà au moins un événement qui rendrait sa journée plus belle.

« Oui, faites le monter tout de suite. »

Tandis que la porte se refermait derrière la domestique, Arsène frottait frénétiquement sa chemise en soie noire afin de faire disparaître ces stupides plis. Même si le Lestrange était un ami depuis plusieurs années maintenant, il tenait à se montrer toujours impeccable. Il se recoiffa d'un geste de la main avant de préparer par avance deux verres d'un vieux rhum épicé.

Dans l'entourage du loup blanc, peu de personnes pouvaient se venter en être proches. Avec les membres de sa meute, il avait toujours la position de chef, l'alpha auquel on doit obéir et que l'on n'ose contredire sous peine de connaître sa fureur. Sa mère ne voyait en lui qu'un fils à élever convenablement, quant à ses deux frères vivants, l'un lui était asservi tandis que l'autre refusait obstinément de se soumettre. Arran lui avait même fait l'affront de quitter leur Occitanie natale pour ouvrir un stupide bar à Paris. Non... Pour sûr, même si Arsène pouvait faire obéir toute une meute à son bon vouloir, on ne pouvait pas dire qu'il était bien entouré. Mais il y avait Auguste.

Une rencontre quelques années auparavant, peinant aujourd'hui à se souvenir précisément des circonstances menant à un tel rapprochement et à cette confiance mutuelle accordée qui avait pourtant mené à une amitié. Une vraie. Il était l'une des seules personnes qu'il ne voulait pas décevoir, derrière son masque d'homme fier et sûr de lui. Ils avaient appris à s'apprivoiser et à s'apprécier, eux dont les familles étaient depuis bien des années alliées.

L'on frappa une seconde fois, et la porte s'ouvrit sur le second fils du Vicomte de Lautrec. Ce dernier lui offre sa main gantée en guise de salutation, et Arsène s'empresse de lui serrer.

« Merci de m'accueillir, Baron. Comment la transition se passe-t-elle ?
- Bonjour Auguste, quel plaisir de t'accueillir. Pour ne pas te mentir, je ne m'attendais pas avoir tant de choses à gérer aussi vite. Mais ne parlons pas de cela pour le moment. Quelles nouvelles m'apporte tu de notre bon Languedoc ? Les affaires se portent bien ? »

Il lui fait signe de la main de prendre place sur le siège trônant devant son bureau, tandis qu'il reprend quant à lui sa place précédemment quittée. Il lui tend un des verres remplis quelques instants plus tôt.

« J'ai ouïe dire que la qualité de tes navires fait des émules, félicitations tu as su t'émanciper de l'avenir tracé par ta famille. J'admire ton courage et ton ambition. »

Éclat de voix chaleureux et sourire sincère, Arsène ne pu retenir un soupir de contentement. Au milieu de toutes ses inquiétudes et choses à gérer, à n'en point douter la visite du Lestrange était une véritable bouffée d'air frais dans des poumons suffocants. Son amitié et ses sincères paroles flatteuses ne manquaient jamais d'adoucir les pensées d'Arsène, le détendre sans jamais pour autant le rendre mollasson. Comme si l'un savait tirer l'autre vers le haut de la meilleure des manières. Ici, point d'ultimatum, point de menaces, point de sermon. Il n'était question entre eux que de sincérité et d'ambition. Ils se retrouvaient dans cette quête inlassable de reconnaissance, de grandeur et de profit personnel, laissant de côté le spectre omniprésent d'un père aux desseins différents.

“Je préfère pratiquer la littérature politisée en dilettante, même si je peux t'assurer que Crepus a lourdement insisté pour essayer de me remettre le journal. Rester derrière un bureau à longueur de journée, très peu pour moi. Ce fut néanmoins la partie la plus simple de l’affaire. Tant que les résultats sont là et que l’entreprise est florissante, monétairement parlant, il ne vient pas discuter mes décisions…. Pour le reste…”

Un sourire en coin s'échappe des lippes du Baron. Ambition familiale à léguer, voilà une chose que Cléanthis n'avait jamais su construire, en dehors d'une haine d'un autre temps envers les acteurs de leur déchéance 150 ans plus tôt. Mais de filiale familiale florissante, les d'Apcher n'étaient point dotés. Terrible constat amer aux allures de véritable honte pour le désormais chef de famille aux ambitions aussi florissantes que la Bête en son temps. Mais si du secret magique il souhaitait délester le monde, la réussite plus personnelle d'une lignée à perpétuer lui tenait tout autant à coeur, si ce n'était plus encore. Assez de se laisser vivre, assez de se terrer entre les murs de pierre d'une demeure en décrépitude.

« Je ne doute aucunement que le vieux Crépus aura su se montrer souple devant le succès somme toute certain de tes entreprises personnelles. »

Arsène prend un instant pour prendre une gorgée de feu de son rhum préféré tout en continuant d'écouter avec une sincère attention son invité.

“On me pousse encore et toujours à des épousailles avec l’héritière Valefor. Et hélas, je n’ai pas encore de prospect alternatif à proposer. Ni l’assurance d’être écouté. C’est son obsession, quant bien même ferais-je un désastreux roi consort… Donne moi une chasse montée tout les jours, mais ces éternelles entrevenues policées ? Jamais.Tu as été une de mes inspirations, sais-tu ? C’est aussi ton œuvre. Tout ce que j’ai déjà pu accomplir. Toi, Neith et Alaric.”

Riches fiançailles en cours de négociation, si les deux hommes étaient nés dans deux familles liées par la noblesse et par des alliances nouées au fil des années, l'on devait bien admettre que la gestion des enfants et de la descendance était bien différente chez les Lestrange. Loin de ne savoir se remettre en question, Arsène devait bien reconnaître que son obstination à refuser un mariage du temps où son père était encore en vie avait peut être été une erreur. Il devait toutefois admettre que jamais Cléanthis n'avait semblé plus impliqué que cela à lui trouver une femme digne de son nom et permettant aux d'Apcher de nouer des alliances maritales solides. Il devrait s'en occuper seul, c'était son devoir désormais.

« J'envie de manière très soutenue tes exploits, Auguste et peine à imaginer avoir pu en être acteur de quelconque manière. J'ignore ce qui a manqué à feu mon Père pour se sortir finalement les mains des poches et faire de sa famille un exemple de réussite, mais celui qui récolte les pots cassés désormais, c'est bien moi. Tu as su te détourner des choix de ton père pour ton avenir et créer quelque chose de tes propres mains. Ton expertise est d'or, mon ami, et je te souhaite de poursuivre sur cette lancée. Permets moi de te dire qu'au moins, Crépus semble enclin à marier son fils aîné à un grand nom français. Ici aucun mariage n'a jamais été célébré du vivant de mon père, en dehors de ma chère Aminthe. »

Sincérité et honnêteté aucunement mesurée, Arsène avait le coeur si lourd que se confier à cet ami si cher à son coeur lui enlevait un poids. Il lui était difficile de s'arrêter maintenant qu'il était lancé.

« Je vais devoir prendre les choses en main, Auguste. Je déteste l'idée de devoir briser le coeur de Roksana, mais je ne peux rester aussi passif que le fut mon Père. Je rechigne à prospecter de potentielles épousailles depuis bien trop longtemps. Quelle plaie de ne pouvoir simplement lier ma vie à celle qui la partage depuis dix ans désormais... »

Nul secret n'étaient tenus l'un envers l'autre. Arsène avait pleinement confiance en Auguste, tant et si bien qu'il avait il y a bien longtemps déjà confié sa condition à son ami. D'abord pour le protéger, il lui aurait été trop pénible de risquer le blesser si une de ses visites nocturnes avaient pu avoir lieu en soir de pleine lune, mais également pour montrer à quel point sa confiance envers Auguste était grande. Il lui avait donc raconté toute l'histoire de sa famille, de même que sa rencontre avec Roksana ainsi que l'instant où il avait fait d'elle l'une des leurs. Et avec cet acte, la tragédie que sa belle ne puisse jamais faire une épouse convenable maintenant qu'elle était incapable d'enfanter la moindre descendance.

Point de jalousie ne venait troubler cette amitié si solide, par la lune, jamais Arsène n'aurait eu de telle pensée envers le Lestrange, mais une certaine envie pulsait pourtant entre les tempes du loup blanc. Et comme si l'homme avait lu entre les lignes brumeuses de son sombre esprit, Auguste reprit.

“Et c’est d’ailleurs à ce sujet que je souhaiterais t’entretenir. J’ai une proposition à te faire.”

Pendu à ses lèvres, l'intérêt d'Arsène était plus que piqué à ces mots.

« Ne me fais pas languir, cher ami, explique moi comment pourrais-je t'être utile. Si cela permet d'approfondir les alliances entre Lestrange et d'Apcher, je suis ton obligé. Tu le sais bien. »

Légèrement enivré par les effluves sucrées de son breuvage, Arsène fini d'une gorgée le liquide ambré qui dansait dans son verre. Se confier ainsi à l'homme lui donnait envie de contenance. Son verre vide, sa gourmandise n'était pas tout à fait étanchée. Il se resservit, et en enfant bien élevé, compléta le verre de son ami avant de reboucher la bouteille.

« Si je peux faire quoi que ce soit pour toi. »

“Je ne doute pas pouvoir me tourner vers toi, si le besoin s’en fait sentir. Tu serais sans doute même l’un des premiers vers qui je me tournerais, si ce n’est le premier.”

Voilà une affirmation qui emplissait le coeur du Baron d'une chaleur familière et réconfortante. D'autant que ces mots, il aurait tout aussi bien pu les prononcer lui même à l'intention d'Auguste. Si Arthur avait la place de meilleur ami depuis une vingtaine d'années maintenant dans la vie d'Arsène, il devait toutefois admettre que sa proximité avec le Lestrange était unique, bien éloignée de la relation qu'il pouvait avoir avec le Breton. Des caractères similaires, des visions identiques de leur lignée et de leurs souhaits pour faire mieux que leur père, ou tout du moins différemment. Un sens de la famille aiguisé, et une fidélité à toute épreuve l'un envers l'autre. S'il n'était pas certain du choix que ferait Arthur s'il devait soutenir Arsène au péril de sa relation avec la Duchesse de Rohan, le baron savait pertinemment qu'Auguste, lui, saurait ménager la chèvre et le chou pour ne jamais avoir à tourner le dos à Arsène. Il trouverait par d'habiles pirouettes un moyen de préserver à la fois sa famille et son amitié. Il en était persuadé.

Non pas que cela fusse nécessaire, fort heureusement les relations entre Vicomte de Lautrec et Baron du Gévaudan se portaient ma foi parfaitement bien. C'était à prévoir en laissant les deux amis le soin d'entretenir cette alliance fructueuse. Et maintenant que Cléanthis n'était plus là, Arsène pourrait prendre en main l'avenir de sa lignée en prenant toutes les décisions lui même. Il n'avait aucun doute sur sa capacité à gérer cette nouvelle position, pas avec un ami tel qu'Auguste de son côté. Sans oublier les conseils toujours avisés de sa mère, figure de proue de la région avec sa candidature au siège Auvergnat de la chambre de la noblesse.

Mais l'heure n'était point aux élucubrations hypothétiques, car ainsi qu'il le découvrit, Auguste était venu à lui avec une idée en tête. Une idée folle comme tout droit tombée du ciel. Faisant de la place pour la carte en papier jauni que son ami étalait sur le bureau, Arsène approcha la lampe de bureau afin de visualiser parfaitement les marges et traits esquissés par la main du Lestrange qu'il écoutait avec grande attention. Les explications et informations qu'il lui offrait étaient tout bonnement inespérées. Évidemment, en bon auvergnat il ne connaissait que peu de choses à la navigation maritime, il laissait volontiers à son ami le bon soin de juger les difficultés nautiques survenues dans l'après guerre. Le Lestrange aurait aussi bien pu lui annoncer qu'une licorne des mers semait la terreur dans ses flottes qu'il ne l'aurait pas moins cru pour autant. En revanche, il s'y connaissait en sécurité. Il grinçait des dents à se souvenir de la discrimination qu'il avait subit lorsqu'il avait souhaité s'engager dans la sécurité territoriale.

On l'avait renvoyé au pays, la queue entre les jambes, à cause de sa condition de lycan soit disant "trop difficilement gérable en assurances". On ne l'avait pourtant pas rechigné lorsque la princesse héritière eut besoin de protection suite aux attentats de 1917. Depuis, Arsène avait perdu toute sympathie pour les institutions officielles. Elles pouvaient bien brûler, aucune supplique ne le pourrait jamais le contraindre à tendre la main à ceux qui l'avaient déjà mordue. Et voilà désormais que son ami tournait le dos aux idioties ministérielles en lui proposant de devenir le patron d'une société de sécurité en partenariat avec la flotte d'Auguste. C'était trop beau pour être vrai, une opportunité inespérée pour le jeune Baron tant et si bien qu'il dû se pincer pour ne pas se croire en plein rêve.

Lorsque le Lestrange eut terminé son laïus, Arsène se redressa et s'avança vers lui.

« Mon ami, ta confiance en moi m'émeut. » Il le prit brièvement dans ses bras, reconnaissant de l'immense opportunité qu'il venait de lui proposer. Si leurs affaires venaient à marcher, cela serait le point de départ de la sortie de ruine de la famille d'Apcher, et peut être d'un empire de sécurité nautique que même le Ministère viendrait à jalouser. « Tu peux évidemment compter sur moi, toujours ! Cette entreprise promet de belles choses et je sais d'ors et déjà qui dans mon entourage pourrait être à même de rejoindre cette jeune société et former des hommes et des femmes à ce dont tes navires auraient besoin. »

Il pensait à Naoki, l'un des delta de sa meute. Un homme sage en qui il avait confiance, qui lui était parfaitement loyal et dont la condition de lycanthrope n'avait jamais rendu plus féroce ou avide de sang qu'il ne l'était avant sa morsure. C'était un Vallet qui attendait patiemment que son Seigneur lui trouve une occupation qui pourrait aider les d'Apcher. Il ne faisait aucun doute que cette petite entreprise l'intéresserait, et qu'il saurait recruter des hommes à former.

« As-tu des exigences en ce qui concerne la nature de ces mercenaires ? »

Il ne douta point que son ami comprendrait le sens de cette question à peine voilée, lui qui connaissait sa condition de loup blanc. Mais par la lune, lycanthropes ou simples mercenaires sorciers, il comptait bien accepter sans retenue la proposition du Lestrange. Car même si les finances étaient faibles, il était prêt à investir jusqu'à son dernier bézant pour cette entreprise. Il avait pleinement confiance en une association avec Auguste qui ne le laisserait jamais sur la paille, même si tout cela devait se solder en échec. Il leva son verre.

« Trinquons-nous à cette entente ? Bien que cela nous annonce de longues heures de discussions, je te suis sans la moindre hésitation, mon ami. »

Coeurs battant à tout rompre et respirations saccadées par l'excitation de s'unir dans une entreprise commune, approfondir une amitié et la sceller par un entreprenariat en symbiose. Jamais encore Arsène n'avait connu pareille plénitude et, déjà, son esprit tournait à mille à l'heure, anticipant tout ce qui viendrait ensuite. Difficile de savoir s'il ne s'agissait que de ses propres réactions ou si la Bête captait celles de son ami, se mêlant à celles du loup blanc pour en renforcer les sentiments. S'il avait été plus tard qu'à cette heure, nul doute que le baron n'aurait su trouver le sommeil après cette conversation.

Le rythme des battements de son coeur mêlé aux effluves de rhum qui se dégageaient dans ses nasaux et au fond de sa gorge commençait doucement à enivrer un Arsène peu habitué à perdre ainsi le contrôle de ses émotions - hors pleine lune, évidemment - aussi il se saisi de son étui à cigarettes en argent. Fumer lui ferait reprendre une respiration plus profonde, et peut être ainsi parviendrait-il à se calmer. Il tendit l'étui ouvert à son ami après avoir posé une des cigarettes entre ses lèvres, lui proposant silencieusement de l'accompagner.

« Je pense à Naoki. Outre ses innombrables talents, c'est surtout un homme droit et fidèle qui n'attend que de se rendre utile. Je te le présenterai de manière formelle, je pense que tu l'aimeras, on peut se fier à lui. Il manie bien les cordes, vous pourrez échanger sur vos fournisseurs et parler noeuds pour faire connaissance. »

Un léger rictus déforma un bref instant les lèvres d'Arsène. Il se garda bien de dire à son ami les véritables talents de cordiste de Naoki et de son art japonais, craignant qu'Auguste ne comprenne pas et ne vienne juger ses déviances, lui son ami le plus proche. Bien que, la Bête ressentant le rythme cardiaque du Lestrange à l'unisson du lupin, le prédateur s'étonna à imaginer les poignets de son ami habillement noués et sa peau délicate de noble emprunte des stigmates de la jute sur l'épiderme. Un frisson de domination vint chatouiller l'échine d'Arsène. Couchée, la Bête ! L'heure n'est point aux divagations lascives.

Les considérations sur la nature des hommes chargés de la sécurité des bateaux Lestrange permirent à Arsène de se reconcentrer sur la conversation. La question se posait, évidemment. L'avantage des lycanthropes était indéniable en ce qui concernait la capacité de défendre un navire, sans oublier l'obéissance vouée à l'alpha de la meute d'Apcher. Mais d'un autre côté, de jeunes loups ne feraient aucunement l'affaire, cela risquerait de mettre à mal les efforts communs des deux amis. Les pleines lunes seraient un handicap, Arsène préférait ne prendre aucun risque. De classiques employés formés par Naoki ferait largement l'affaire.

« A bien y réfléchir, nous serions plus avisés de ne point infecter ces mercenaires; du moins dans un premier temps. Trop de variables à prendre en compte, commençons par de simples sorciers, nous auront toujours la possibilité d'en rediscuter une fois que notre affaire sera bien lancée si nos mercenaires éprouvent des difficultés qui pourraient être réglées par la morsure. » Arsène tira sur sa cigarette, faisant danser la fumée dans la pièce. « Sans compter le taux de mortalité de la morsure... »

Il ne savait que trop bien que sur un nombre donné de mordus, peu d'entre eux survivraient à la fièvre et à la mutation. Non, pour sûr, Arsène préférait ne pas s'encombrer de ces considérations pour le moment. Par ailleurs, cela risquait également de le mettre en délicatesse avec les autorités, autant de permis demandés pour des employés du Baron d'Apcher, seul un idiot ou un simple d'esprit ne s'en inquièterait pas.

“Et crois-moi, ta confiance me touche tout autant. Je n’ai pas l’intention de te faire défaut, mon ami. Nous sortirons de cette collaboration les poches pleines, et ancrés dans le paysage économique français de telle façon qu’il sera impossible de nous déloger… ou de nous ignorer.”
« Buvons à cela également, mon ami ! A la France après notre association. Puisse t-elle reconnaître que Lestrange et d'Apcher sont familles à ne jamais sous estimer. »

Arsène leva à nouveau son verre avant de le vider d'une gorgée. Il se tâta à se resservir, mais préféra s'abstenir. La boisson l'enivrait déjà bien assez après cette nuit de veille et le peu d'heures de sommeil qu'il avait pu comptabiliser. Un peu plus, et il risquait de se perdre à des gestes bien moins professionnel avec son ami - avait-il toujours été si beau et si irrésistiblement désirable, ou est ce que la Bête était en manque de chair à se délecter, de peau à marquer et de corps à posséder ? Il posa son verre vide sur le bureau. Ses yeux, encore plus sombres qu'à l'accoutumé, vinrent se fixer dans ceux d'Auguste alors que ce dernier lui demandait s'il souhaitait continuer sur leur lancée ou le laisser sans aller. Par la lune, s'en aller ? Certainement pas. Mais la Bête s'était éveillée, et la concentration du baron se faisait moindre. Il préféra faire une contre-proposition.

« A dire vrai, j'allais te proposer autre chose... Les effluves de ce divin nectar me montent doucement à la tête que je préfère avoir bien froide pour que tu me présentes plus en détail tes besoins. Que dirais tu de prendre l'air, de sortir de ces murs et de nous en aller chevaucher ensemble dans les terres du domaine ? »

Bête éveillée, instincts primaires en demande, l'air frais calmerait à n'en point douter les pulsions déplacées qui s'étaient peu à peu insinuées à mesure que les verres se vidaient et qui, désormais, étaient telles qu'il n'eut pas fallu plus d'un geste du Lestrange pour que leur entretien prenne une toute autre tournure.

La curiosité d'Auguste au sujet de Naoki fit tiquer le jeune baron. S'il s'était attendu avoir des questions à son sujet quant à ses compétences de meneur d'hommes et formateur à la sécurité navale, il n'avait pas envisagé que ce fut sur son usage des cordages que le Lestrange s'arrêta. L'ivresse du rhum embrouillant sa capacité d'analyse, Arsène se perdit un instant à imaginer que son ami savait exactement de quoi il parlait mais souhaitait lui faire avouer à voix haute, mais le lycanthrope se ravisa. Non, cela n'avait aucun sens. Aussi se hâta t-il à répondre de manière plutôt vague.

« Un art japonais ancestral, il t'en parlera sans nul doute bien mieux que moi, je ne saurai lui voler des explications qui pourraient aider à briser la glace de votre première rencontre. »

Ainsi n'aurait-il pas besoin d'avouer directement à son ami certains détails quant aux pratiques auxquelles il aimait s'adonner. Peut être par pudeur, bien que cela ne lui ressembla pas, mais en vérité c'était la crainte qui tiraillait Arsène. La crainte de trop en dire, de laisser l'alcool annihiler sa raison et se confier sur des pratiques si particulières qui pourraient inciter Auguste à voir en Arsène un homme abjecte aux pratiques immondes. Plus que tout, le loup blanc d'Apcher souhaitait préserver ce lien si particulier qui s'était noué entre eux deux depuis deux années maintenant et qui, à cet instant, avait l'air de s'être encore plus approfondi.

Un sourire lumineux et sincère se fixe sur les lippes du baron lorsqu'Auguste accepte son offre. Bien sûr, il n'avait pas douté une seule seconde que l'idée de chevaucher ensemble à travers les étendues du domaine enchante le Lestrange, lui qui ne perdait jamais une occasion d'être au grand air. Il était d'ailleurs toujours présent à l'automne lors des nuits de Samhain.

“... Donne moi simplement l’occasion de changer de mise avant, ceci étant.”

Arsène prit un instant pour détailler la tenue de son ami, toujours si proprement vêtu d'un costume impeccablement tiré à quatre épingles contrairement à Arsène qui préférait des tenues plus confortables bien que moins actuelles. Pantalons en toile noire, bottes montantes et chemises à jabot lors d'événements où une tenue correcte était exigée, il troquait cette dernière pour des chemises en soie ou en coton lorsqu'il n'était pas forcé de faire un effort. Il les portait parfois - comme c'était le cas actuellement - avec un veston sans manche par dessus, brodé des armoiries de la famille.

« Bien entendu, tu es chez toi Auguste, Lilas t'indiquera une chambre pour te mettre plus à l'aise. Rejoins moi dans le petit salon du bas quand tu auras terminé. »

Il laissa Auguste sortir, refermant la porte derrière lui, avant de prendre un instant. Prenant place pendant quelques secondes dans son fauteuil, Arsène passa ses mains sur son visage. Beaucoup de choses avaient été initiées avec Auguste et cela semblait presque irréel. Pourtant, la carte était bien devant ses yeux, pleine de toutes les annotations griffées avec soin dans les marges. Il tenait là l'opportunité tant attendue de faire enfin briller le nom d'Apcher et, par la Lune, il comptait bien la saisir à pleine poigne.

Il se releva finalement et rangea la bouteille de rhum à sa place dans la bibliothèque avant de sortir à son tour du bureau et de descendre en direction du petit salon indiqué par Auguste. Ce dernier ne tarda pas à le rejoindre dans une tenue bien plus appropriée à la chevauchée - lui même avait ôté son veston avant de quitter le bureau. Les deux compères se dirigèrent ensemble vers les écuries, Auguste emboitant le pas du loup blanc.

Arrivant dans la stalle, Arsène se dirigea immédiatement vers le box de son étalon noir tandis qu'il laissait le soin à son ami de choisir la monture qui lui convenait le mieux. Preuve s'il en est de la confiance aveugle qu'éprouvait l'homme pour le Lestrange, lui qui était si attaché à ses bêtes et qui ne laissait jamais la moindre personne monter certains de ses chevaux. Harnachés et prêts à être montés, les chevaux furent dirigés par leurs cavaliers jusque dans la cour où ils se mirent en selle.

“Voulez-vous me faire les honneurs, Baron ?”
« Je vous en prie, futur vicomte. »

Souffla t-il en étouffant un rire. Ils s'élancèrent alors tous deux vers la campagne auvergnate. Depuis la mort de son père, Arsène n'avait pas pris le temps de remonter à cheval et, par la Lune, ça lui avait manqué ! L'on pouvait dire ce que l'on voulait sur les d'Apcher, considérer qu'ils n'avançaient pas avec leur temps, qu'ils étaient restés bloqués à l'époque de leur splendeur ou que sais-je, mais le baron était convaincu qu'il n'y avait plus agréable sensation que de chevaucher au milieu de la nature. Il était certes pratiques de transplaner pour se rendre d'un lieu à un autre, mais cette pratique avait totalement annihilé le plaisir du voyage.

« Prends garde à ne pas tomber, mon ami, tâchons de nous montrer raisonnable après ces verres d'alcool. »

A dire vrai, il parlait plus pour lui que pour son ami, même si l'air frais de la fin de mars n'avait pas manqué de revigorer le lycanthrope.

« Où souhaites-tu que nous allions ? Nous pouvons nous contenter des étendues du domaine, ou bien visiter les salles de la Bête. Ou encore nous perdre dans la forêt de Mercoire et profiter du sous-bois. Je te laisse le choix. »

Enthousiasme à tout rompre, la chevauchée sur les terres du domaine fait un bien fou au Baron enivré. Et quel bonheur supplémentaire de partager cet instant avec Auguste, cet ami si précieux. Bien que les deux hommes eussent déjà l'occasion de galoper ensemble en Gévaudan lors des traditionnelles festivités de Samhain à l'automne, cette sortie là revêt pourtant une allure bien différente. Il n'y a plus qu'eux, ces deux hommes liés par une amitié si profonde et un respect mutuel infini. Plus qu'eux dans ces terres vides de toute présence humaine à des kilomètres. C'est instinctivement que le Baron s'était alors dirigé vers la forêt de Mercoire, avant de proposer à Auguste de choisir leur destination. Comme si, inconsciemment, il souhaitait ouvrir tout son univers à son plus précieux ami.

Fidèle à lui même et à sa bonne éducation, la remarque du Lestrange ne manqua pas d'arracher un sourire sincère et attendrit au loup blanc. Par la lune, cet homme était si respectueux. Si parfait. Comment diable ne pas lui ouvrir toutes les portes, même les plus secrètes, intimes et cachées ?

« Tu n'as pas besoin d'être infecté pour que je te considère membre de ma meute, Auguste. Mes terres sont aussi les tiennes aussi longtemps que tu me feras le bonheur de me considérer ainsi comme ton ami et allié. Mercoire est à toi autant qu'elle m'appartient. »

Paroles plus que sincères, langue déliée par un état second procuré par l'alcool mais qu'il pense profondément.

“Prend la tête !”

Inutile de le répéter, Arsène flatte d'un coup de talon le flanc de son étalon qui s'élance alors en direction de la forêt sans se douter qu'Auguste ne le talonne de près. Sentant son regard sur son dos, le rythme cardiaque du baron ne cesse de s'accélérer, bousculé par une chevauchée salvatrice et la compagnie du Lestrange.

Les deux cavaliers passent les premiers arbres de Mercoire, et alors c'est l'ombre du sous bois qui vient envelopper un peu plus cet instant. C'est comme s'ils étaient seuls au monde, un instant hors du temps bercé par les bruits du vent dans les feuillages des chênes centenaires et de l'aura mystique s'échappant de la forêt. Un lieu où le Baron se sent chez lui bien plus encore qu'entre les pierres de son domaine, et où ses instincts lupins cherchent toujours à prendre le dessus. Et dans cette nature qu'il foule chaque mois de ses imposantes pattes blanches, il se plaît à laisser la Bête prendre le dessus. Au diable la noblesse, au diable les manières car sur le territoire de la meute, il est avant tout l'alpha des lycans du Gévaudan. Ici, il a le droit de réclamer ce qu'il désire. Ici, la société française et ses devoirs peut bien aller se faire foutre.

“Certains théoriciens pensent qu’il existe des lieux où la magie est plus proche de ce qu’elle était dans l’antiquité, avant toutes les manipulations que les sorciers ont pu en faire ou l’évolution due à la civilisation. Penses-tu que Mercoire puisse être un de ces lieux ?”

Arsène ralenti sa monture afin de permettre à Auguste de venir à sa hauteur.

« Cela ne fait aucun doute, si tu veux mon avis. Mercoire a ce quelque chose impalpable difficile à décrire. Je ne doute pas que mes ancêtres ont choisi ses abords pour une raison précise. J'ignore si c'est ma nature profonde qu'elle appelle, mais je me sens toujours bien différent entre ces arbres, je suis heureux de pouvoir te faire découvrir cet endroit hors du temps. »

Marchant côte à côte au milieu de cette végétation luxuriante, le loup blanc hume à plein poumon chaque senteur de ces bois. Il ferme les yeux un instant, profitant de chaque parfum de fleur sauvage appelant le printemps, de l'humus en décomposition après les épisodes de giboulées des derniers jours, et des nombreux animaux qui peuplent ce territoire vierge de toute présence humaine. Et puis finalement, c'est un autre parfum qui vient chatouiller les sens aiguisés du loup blanc; une brise légère venant porter l'odeur masculine d'Auguste jusqu'à son nez, il inspire plus profondément encore alors que ses instincts les plus primaux s'éveillent soudainement.

Ses pupilles se dilatent, son regard s'assombri et un profond désir s'empare de l'homme. Un désir de domination, un désir de conquête, un désir de mordre. Ses yeux se rouvrent et ses prunelles viennent capturer la silhouette d'Auguste. Un feu sombre brûle dans son regard, trahissant à n'en point douter que le prédateur est réveillé.

« Que dirais tu de poursuivre à pied ? Il y a une étendue d'eau bien cachée entre ces arbres un peu plus loin, là bas, nous pourrions nous y attarder. Le cadre est magnifique. »

Arsène s'esclaffe avec bon coeur aux mots de son ami. Non pas pour se moquer, cela ne lui viendrait même pas à l'idée, mais pour apporter un peu de légèreté dans l'atmosphère chargée de mysticisme des lieux. Car après tout, pour n'importe qui d'autre que les loups garous, Mercoire n'était qu'une forêt.

« Ah, tu sais, même si ces bois sont chargés de mystère et emplis des horreurs qu'ils ont pu voir au point de s'en poser des question quant à leur dimension mystique, Mercoire reste une forêt pleine d'arbres centenaires et d'une végétation luxuriante. L'air y est surement le plus pur de l'Auvergne, hume à plein poumon cet oxygène mon ami. Ces arbres nous l'offrent avec plaisir et ne réclament rien d'autre que notre respiration en retour. »

Rien de plus vivifiant que les sous bois de Mercoire. De par sa nature lupine de naissance, Arsène n'avait jamais été parfaitement à l'aise en ville, et il ne comprenait toujours pas aujourd'hui comment l'on pouvait volontairement s'entasser ainsi plutôt que de vivre au grand air, au milieu de la nature et de la liberté qu'elle offrait à ses enfants. Loin de l'agitation parisienne, le bonheur de vivre au gré des sons et des senteurs délicieuses des étendues sauvages. Et Mercoire était à n'en point douter le temple le plus sacré de la région pour les d'Apcher, au point de n'y accepter l'hospitalité que pour les membres les plus proches de la meute, puisqu'elle en était son territoire. Des hectares de forêt, chênes, frênes et châtaigners à perte de vue, et pas un humain à des dizaines de kilomètres à la ronde. La liberté totale de se mouvoir sous forme lupine sans se faire remarquer de ces fouineurs du ministère, le lieu parfait pour tous les lycanthropes du Gévaudan.

Quel bonheur d'accueillir enfin Auguste dans ce temple inviolé. La Bête était chez elle, il le savait mais avait pourtant accepté de la suivre. Quelques hésitations palpables depuis que l'aura du prédateur s'était étendue, pourtant jamais son ami n'hésitait à lui tourner le dos. Ses instincts hurlant de fuir, mais une confiance aveugle en le d'Apcher. Folie ou fidélité absolue, comment ne pas désirer plus que tout ne pas décevoir cet être extraordinaire ?

Descendant de sa monture en même temps que son ami, il passa devant lui pour ouvrir la marche. Tentative loupée de faire taire la Bête qui hurlait de sortir depuis que l'odeur enivrante de sa peau avait happée ses naseaux. Mais Arsène la contrôlait, Arsène la connaissait. Sous les effets de l'alcool, il était bien plus difficile de retenir ses instincts primaires, mais la volonté absolue de ne jamais mettre Auguste dans une situation qu'il n'aurait pas désirée était bien plus forte. Auprès de n'importe qui d'autre, ainsi terrés au fin fond des sous bois de Mercoire, il se serait allé à écouter ses pulsions, terrorisant probablement au passage le pauvre diable qui se serait trouvé là, mordant avidement sa chaire pour faire de lui la moitié de l'un d'eux, et ainsi la Bête se serait apaisée, satisfaite d'avoir transmis sa malédiction, bien que partiellement.

Mais Auguste ? Jamais. Hors de question d'imposer la malédiction de n'être que la moitié d'un lycanthrope, le pire de l'espèce, sans jouir du meilleur. Quand bien même ses instincts lui hurlaient de mordre cette peau blanche, plutôt mourir, à moins qu'il ne lui réclame lui même. Désir qu'il n'avait encore jamais exprimé depuis ces deux années d'amitié.

Arrivés au bord du lac, Arsène se concentra sur la vue toujours aussi splendide de cette étendue cachée au coeur de la forêt que bien peu de gens connaissaient. Les loups foulaient de leurs pattes les abords de cette eau d'une pureté inégalée, mais oubliaient bien vite son existence au lever du soleil, lorsque la Bête redevenait l'homme. Seuls les frères d'Apcher avaient connaissance de l'endroit, eux qui depuis leur plus jeune âge s'échappaient au nez et à la barbe de leurs parents pour se perdre dans les bois.

Imitant Auguste, le Baron attacha les rênes de son étalon à un arbre, alors que son ami commençait déjà à se dévêtir.

“Tu viens ?”
« Évidemment ! »

Il n'allait pas se contenter de l'observer, quand bien même le spectacle fut des plus plaisants, ce lac était un véritable paradis dans lequel il adorait se baigner.

« J'espère que tu n'es pas frilleux, à cette période de l'année l'eau n'est pas bien chaude. »

Arsène esquissa un sourire en coin, amusé à l'idée de voir ce fils de noble se baigner nu dans la forêt en plein mois de Mars. Par la lune, ces deux là s'étaient décidément bien trouvés. Le Baron s'affaira à se déshabiller à son tour, sans quitter Auguste du regard, profitant sans rougir de la vue de son corps parfaitement taillé. Avait-il déjà éprouvé tant d'intérêt pour un corps d'homme ? Il le regarda entrer dans l'eau cristalline de l'étang et vit sa peau s'éveiller sous l'eau froide. Arsène soupira. Non, jamais. Peut être était-ce dû à cette façon qu'il avait de retenir la Bête en sa présence ? Un autre soupir. Non, c'était lui, simplement.

Il termina de se déshabiller avant de plonger à son tour dans le lac. La fraicheur était agréable et permettait d'atténuer quelque peu les effets du rhum mais voir ainsi le corps mouillé d'Auguste ne faisait qu'attiser un peu plus ses instincts de prédateur. Par la lune, décidément, la Bête ne lui laisserait aucun répit aujourd'hui.

« Alors Auguste, que penses tu de mon petit coin de paradis ? L'eau est fraîche mais quelle tranquilité, n'est ce pas ? »