Argument n°78, ou le Parti pris des choses— ft. Soraya
(#) Argument n°78, ou le Parti pris des choses— ft. Soraya
missive rédigée par Emile Teyssier leArgument n°78, ou le Parti pris des choses
@Soraya Saint-Cyr & @Emile Teyssier ; le 10 janvier 1928
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Emile pourrait en bondir - de frustration, d’excitation, un peu des deux. Voyez, s’il n’était pas en plein Paris grouillant, sûrement se serait-il laissé aller à un petit rebond sur les talons. Les rues sont pleines, seulement, et un pas de travers lui ferait percuter un passant - moldu, certainement, vu le quartier. Alors il slalome entre les gens, souliers grattant les pavés, son pas se pressant à la vue de sa destination. Entre ses doigts, la page faits divers du quotidien. Devant lui, le Louvre dans toute sa majesté. Il se hâte, esquivant ça et là les travailleurs de la fin de journée. Débat l’attend.
Comprenez, c’est que leur désaccord s’était vu interrompu, rendez-vous pressant menant Emile et sa malle à mille lieues du musée. Agacé, il avait dû saluer la Saint-Cyr et faire un tour sur lui-même en toute précipitation afin de ne perdre son client. Il se laisse facilement distraire, le Couturier, quand sa compagnie se prête aussi gaiement que lui à l’argumentation. Là où cinq minutes devaient suffire à se passer le bonjour, leurs pas s’étaient attardés à la sortie du Musée, menant leurs esprits divertis par la discussion au coeur des Tuileries et leurs espaces ouverts au public. Une pleine demie-heure s’était alors écoulée, trahis par ce sablier qui ne voulait s’arrêter de couler le temps d’une conversation. On s’imaginerait facilement que tel entretien rivalisait de fraîcheur, pour tant leur faire perdre conscience de Chronos - et d’aucun se gausserait aisément d’apprendre que leurs échanges n’étaient, en réalité, qu’un refrain entêtant rythmant, peut-être depuis leur premier salut, le contenu de leurs propos.
Chacun engoncé dans ses croyances, les certitudes ferrées aux chevilles, ils se divertissaient plutôt à souligner ce qui clochait dans les discours de l’autre qu’à réellement tenter de renverser la balance de leurs pensées. Aussi Emile cherchait-il le vif d’or à leur discussion depuis plusieurs jours, bientôt quelques semaines, laissant traîner son oreille ici, furetant son nez là, attentif à la moindre nouveauté ou information qui lui offrirait, ce coup-ci, le clou du débat. C’est à l’angle du Café Abringer, où le Couturier cherchait inspiration, que la révélation s’est faite. Une voix forte vrombissait au plein coeur de la pagaille musicale de Montmartre. Un jeune garçon, chapeau enfoncé de travers sur le crâne, sabots trop grands aux pieds, tenait à la main les dernières nouvelles, qu’il balançait volontiers à qui veut. Trois bézants échangés pour que, page douze, telle une dragée surprise au Millasson, Emile tienne entre les mains l’argument tant attendu.
Depuis, le Teyssier frétille.
Il s’est précipité, dans la discrétion nécessaire au quartier, vers les quais de Seine, bravant tête haute la masse moldue fatiguée de sa journée de labeur. Le voici, enfin, rendu à quelques pas du Louvre Sorcier. Il aura à peine traversé le pont des Arts que son regard croise celui de la Saint-Cyr clôturant sa journée. Emile trace, d’un pas trop pressé pour la noblesse qu’il va saluer, le coin de lèvres déjà relevé.
« Argument numéro soixante-dix-huit. » À peine est-il dans le périmètre de la conservatrice que les mots quittent ses lèvres, la hâte effaçant toute politesse. Il se reprend, sa main attrapant celle de la noble pour y déposer un baiser. « Bonsoir, Soraya ». Puis, sans lui laisser le temps de répondre, il se répète, Emile, l'agitation contenue depuis trop de minutes déjà : « Argument numéro soixante-dix-huit. Les moldus sont déjà friands de magie, il ne tient qu’à nous de les y initier du meilleur biais. » D’un geste, il lui tend la dépêche du jour, pliée où elle l’intéresse. Là, au troisième encadré de la page locale du quotidien parisien, les quelques quatre cents caractères imprimés ont la saveur d’une feinte de Porskoff victorieuse. Il les lui pointe de l'index, sourcil dressé en guise d’invitation à les lire.
Sous ses doigts, l’encre de la brève vient tâcher sa peau de noir. Marcelline sous surveillance ? Connue sous son nom de scène La Magicienne Cassée, Marcelline Monet, née-moldue de 23 ans, originaire de Cassis, s’est créée une réputation dans des cabarets de charlatans du Paris moldu en quelques mois à peine. La sorcière usait volontiers d’artifices réels sur ses spectateurs moldus, dupés. Arrêtée à la sortie d’un spectacle ce dimanche, Marcelline risque une amende et condamnation pour mise en péril du secret magique.
« Si on cessait de faire disparaître toute introduction à notre monde, aussi enfantine et inoffensive soit-elle, peut-être pourrions-nous mieux concevoir la réception réelle de notre magie par nos voisins mis à distance. » La frustration est remontée, et sa mâchoire s’est resserrée d’un tic agacé. « Valable, non ? ».
755 mots (c) oxymort
taking different roads ;
love will tear us apart again ᛉ