[RP TERMINE] Sur les traces de Melville

15 Octobre 1927 • La Manche

Tout l’art est de savoir combler la vacuité des besoins consommateurs tout en s’offrant une niche de pouvoir à faire lentement fructifier. Avoir l’opportunité de s’exercer au succès tout en comblant les lancinantes nostalgies de son cœur semble donc la parfaite concession : pragmatique et pourtant affective. En un mot comme en cent, une chance dont il compte profiter autant qu’il le peut et un jour ? Un jour, ses navires sorciers occuperaient tous les ports Français. Une belle idée et peut-être Archimède a-t-il raison, en fin de compte, tout un chacun désire laisser quelque chose, à son départ, une pierre à l’édifice.

C’est toutefois la préoccupation pécuniaire qui lui fit répondre positivement à la demande du département de contrôle et de régulation des créatures magiques. L’affaire doit s’avérer rentable, et travailler avec le ministère peut lui ouvrir des contrats d'exclusivité qui assureront un fond de commerce à son enseigne. Sur le papier, cela semble relativement aisé, mener l’unité détachée par le ministère en haute mer, à l’emplacement indiqué par divers moldus ayant prétendu rencontrer un monstre marin de grande taille à la description fantasque et incohérente mais dont l’existence semble avoir été confirmée. Par chance, il dispose en effet d’un baleinier, navire le plus indiqué pour une telle épopée.

Tiède matinée de Juin aux parfums iodés, cinq heures du matin tout juste sonnées et le voilà sur le quai, à attendre que les officiels se présentent pour embarquement. Une dizaine de minutes, tout au plus, et l’équipage effectue ses ultimes vérifications avant le départ pendant que l’on charge le matériel à bord.

“Monsieur Lestrange ?”

Auguste retient une remarque, pour une fois qu’on ne cherche pas à l’appeler indûment ‘sir’. Quelques questions promptement échangées, la curiosité de son client comblée. Atteindre les îles britanniques ne prend que quelques heures, mais la recherche d’un être vivant au large, en revanche, prend du temps. La course du navire est simple et sensée, atteindre le dernier emplacement où la créature a été aperçue, puis remonter la piste pour la retrouver, l’étudier et décider de ce qui doit être fait. Auguste n’est pas employé par le ministère et on ne lui fait pas confidence des hypothèses formulées, pas pour l’instant en tout cas.

Ses harpons n’en sont pas moins prêts.

Le départ s’effectue sans heurts et bientôt, les quais disparaissent devant une légère brume marine tandis que le navire prend la direction du large, de cette fine ligne maritime de laquelle ni la France ni l'Empire britannique ne sont visibles. Capitaine fermement à la barre, équipage de vétérans des vieilles chasses arctiques déjà coordonné, il ne reste à Auguste qu’à profiter du vent du large à la proue, installé contre l’un des bastingages. Il n’a pas à être présent, réellement, mais l’occasion est trop belle. Une sortie en mer toute trouvée et consommée sans le moindre scrupule, ni gêne ni culpabilité. Cela fait trop longtemps que l’océan ne l’a charmé et il est un amant plus dévoué que tout autre ne l’a été.

Sauf peut-être un, voilà quelques années.

Pour l’heure néanmoins, il s’offre une demi-heure de quiétude tandis que ses passagers s’installent et s’acclimatent. Puis, en hôte soucieux, vient les visiter, faisant le tour des cabines pour vérifier que rien ne manque et que toutes les interrogations soient comblées, invitant chacun à occuper son temps durant les premières heures avant l’arrivée à l’emplacement de leur mission. C’est donc tout naturellement qu’il en arrive à la petite cabine occupée par le dernier membre de l’unité, Rosier, comme il a entendu un de ses comparses l’appeler. Coups tranquilles au métal de la porte d’entrée, main libre ployée contre son dos.

“Vous vous en sortez ?”

Aucune formalité inutile, ici. Le navire a beau être spacieux, il est suffisamment enclavé pour qu’une proximité naisse au cours des prochains jours, autant commencer le plus tôt possible à oublier un protocole dépassé. La seule hiérarchie qui importe à bord est celle de l’équipage, car elle permet de sauvegarder leurs existences. Tout le reste ne fera qu’élimer la patience générale  plus vite.

Codage par Libella sur Graphiorum