[Terminé] Until i find you

Oh, mais il ne suffit pas que j'essaye. Si je fais quelque chose de travers, j'aimerai que vous me le disiez, que je puisse m'améliorer. Et puis - je ne peux qu'imaginer le mal du pays qui doit vous visiter, parfois. Vivre dans un pays si loin de votre province natale doit avoir été si compliqué … D’accord… Je le ferai. Une culture tellement différente… Une langue à apprendre. De nouveaux us et coutumes… La solitude… Personne pour le comprendre, tant dans la langue que dans ses habitudes… Oui, il s’était senti si seul… et puis, finalement, au retour de la Guerre, ça avait été un mal pour un bien… Personne qui devrait partager son fardeau. Personne à ennuyer avec ses problèmes, avec ses démons… Vous avez bien du mérite : votre français est impeccable, votre diction parfaite. Ce serait bien inélégant que personne ne fasse d'effort pour vous rappeller votre patrie - à moins que cela ne vous ennuie ? Elle est pourtant bien la première à les faire, ces efforts… Son regard quitte ses lèvres, enfin, pour trouver ses prunelles inquiètes. Il ne se départit pas de sourire. Non, bien au contraire… Ça apaise ton coeur, comme si tu retrouvais un bout de la maison… Tu as hâte que Mère t’envoie les ingrédients, n’est-ce pas ? Goûter le dakgangjeong que pourrait bien lui préparer Astérie…

Pourquoi avait-il tant hâte ? Pourquoi son cœur s’emballait-il ? Pour mieux s’arrêter, comme une chorégraphie mal répétée ? Pourquoi avait-il tant besoin de son contact, même infime ? Pourquoi aspirait-il à plus encore ? Il voulait la voir rire. Il voulait être celui qui gommait ses larmes. Il voulait être son refuge. Ses paupières s’affolent un instant, seul signe de son trouble. Quelles étaient donc toutes ces pensées qui valsaient sous son crâne ? Quelle était cette chaleur au creux de son ventre, cette aiguille dans son cœur ? Son esprit vacille. Il avait l’impression de sombrer… comme s’il se levait trop vite après une journée sans rien avaler… mais… mais… plus… agréablement… Ce n’était pas un gouffre qui l’attendait s’il basculait, n’est-ce pas ? Reprends pied, Jeong.

Ce n'est rien. Il n'y a là aucun mal, vous travaillez durement et c'est tout à fait normal que vous n'ayez pas eu le temps. Oui, le travail. Se concentrer dessus, pour oublier. Pour feindre qu’il ne ressentait pas quelque chose d’inédit… pour la veuve d’André. Une petite voix perfide aurait souligné qu’ils n’avaient jamais été mariés. Qu’il n’avait connu André que quelques jours. Pour oublier qu’il s’était montré si vulnérable… Qu’il avait laissé quelqu’un le voir ainsi. Loin de son contrôle, de sa maîtrise de soi inébranlable. Il avait vacillé. Si peu, comparé à d’autres fois dans l’écrin de sa solitude… mais c’était déjà trop à ses yeux. Et il continuait, maintenant. Les larmes qui avaient roulé sur ses joues. Cette envie… ce picotement… ces regards… Il voulait… Son corps réclamait un contact… même le plus infirme.

Est-ce le trouble, qu’il perçoit aussi, tandis qu’elle ouvre et referme la bouche ? Ou se fait-il des illusions ? N’avait-il pas, après tout, passé toute sa vie dans l’ignorance des attentions qu’on pouvait lui porter ? S’imaginait-il des choses ? Sûrement, n’est-ce pas ? Aveugle aux avances, il n’allait pas devenir expert en quelques jours… Peut-être vois-tu ce que tu as envie de voir… Envie ? De voir ? De croire ? Quoi ? Qu’Astérie pourrait avoir déjà oublié André ? Malgré les lettres qu’il lui avait ramenées, la replongeant dans cette époque passée ? Lui rappelant cet amour qu’elle avait vécu ? ... cannelle, bravo. Il cligne des yeux, encore. Il s’était encore égaré, dans le tourbillon de ses pensées, dans sa contemplation du visage de la jeune femme. Vous pouvez donc être très fier de votre petit dragon. Je l'avais appelé Bruno, avant de vous l'envoyer. Bruno. Il forme le prénom sur ses lèvres sans le prononcer.

Si vous ... Si vous avez envie de venir, je vous montrerai l'un de mes endroits favoris. Il y a sur la péniche ... Non, je risquerai de trop en dire. La curiosité flamboie dans le regard de médicomage. S’adoucit en la voyant porter ses mains à son visage. Cet air faussement paniqué, le regard malicieux. Magnifique… Le cœur tressaute, les paupières papillonnent une fois. Deux. Est-ce que je dois avertir Anne, si vous venez ? Ses yeux s’écarquillent, jouant à ce jeu des émotions débridées avec elle. Il s’empare d’une de ses mains, la serre dans une prière. Je vous en supplie, surtout pas. Il rit, doucement. Relâche ses doigts après une poignée de secondes de trop. Il s’attarde sur les mèches qui accrochent la lueur du début d’après-midi. Cette jambe qui ne fait que remuer l’air près de son genou. Pourquoi es-tu si conscient de cette proximité entre vous ?

Je vais jouer en début de soirée, en accompagnement d'autres musiciens. Il y aura un spectacle de feu, des danses, aussi. Si vous - si vous aviez envie de venir avec quelqu'un, vous seriez les bienvenus. Mais nous - non, je vous accueillerai tout aussi volontiers si vous êtes seul. Venir avec quelqu’un ? demanda-t-il, son innocence pure revenue. Cela serait étrange d’amener quelqu’un à une soirée de St Valentin, n’est-ce pas…? Il fronça légèrement les sourcils. Enfin… Je veux dire… Je… euh… je n’ai personne à amener à ce genre de soirées… Pourquoi te sens-tu obligé de le préciser ? Ne crois-tu pas qu’elle a bien compris que tu n’avais personne dans ta vie, quand tu lui as dit que tu ne t’intéressais qu’à la médicomagie et à ton travail ? Ou souhaites-tu lui faire comprendre autre chose, cette fois…? Perfide petite voix.

Vous ne serez pas obligé de danser, bien entendu. Nombre de clients et de spectacteurs ne désireront pas chalouper sur la piste. Danser… Il lui arrivait de danser, durant les galas de charité de l’hôpital… mais ça restait exceptionnel… Et il s’était laissé traîner aux feux de Samhain la dernière fois, mais ne s’était guère adonné à plus que quelques rondes… Pourtant cette idée… Il prit une inspiration, espérant que cette brise à l’intérieur de lui balayerait les pensées qui s’invitaient à nouveau comme des nuages. Il pourrait danser avec… Mais si vous venez seul, vous risquez d'être abordé ... Je ferai en sorte que vous ayez une table tranquille, pour ne pas être ennuyé. Oh. Il fronça à nouveau légèrement les sourcils. Abordé…? Ses lèvres se plissèrent. Comme pour Claire et Sylvie, vous voulez dire ? Des femmes qui viendraient s’accrocher à son bras, lui réclamant une danse ? Il réprima un léger frisson. La seule avec qui il avait envie de partager ce genre de proximité se trouvait en face de lui en cet instant. Il remua sur son siège, percuté par cette réalisation. Beaucoup, vous pensez ? Avec un tout autre que lui, peut-être aurait-elle pu déceler une pointe d’espoir dans cette question. Mais, dans le cas du médicomage, c’était une certaine inquiétude qui suintait de son interrogation.

Nous allons devoir porter des tenues prêtées par les troupes, ce quatorze février. Il semblerait que, plus le tissu est chatoyant, plus les musiciens supposent qu'aveuglés par leurs parures, tels des paons, les spectateurs applaudiront à tout va, concentrés sur leur ouïe. Des tenues ? demanda-t-il, sincèrement curieux de ce qu’Astérie allait bien pouvoir porter ce soir-là. Brillantes, s’il s’en tenait à ce qu’elle disait. Faudra-t-il que je m’accorde sur le thème du chatoiement ? Il ne pensait pas détenir dans son armoire de costume brillant, et songeait qu’il serait parfaitement ridicule dans un tel accoutrement… mais s’il y avait un dress code pour la soirée, il ne voulait pas faire de faux pas.

Bon, tant mieux. Et puis, j'ai tellement hâte de goûter la cuisine coréenne ! Il sourit doucement en l’observant frapper dans les mains. Ravissante… Comment est-ce qu’une presque parfaite inconnue pouvait lui rappeler la maison ? Cette demeure qu’il n’avait pas vue, pas visitée, depuis 26 ans ? L’y emmènerait-il un jour ? Lui faire découvrir les paysages dans lesquels il avait grandi… Ces odeurs différentes au moment du repas. La végétation. La faune… La culture. Les vêtements… Serait-elle aussi curieuse que pour la gastronomie ? Voudrait-elle seulement quitter la France pour découvrir sa terre natale ? Oui, certainement, elle lui avait souligné qu’elle n’avait jamais quitté le sol français… mais avec lui ? La Corée en particulier ? Pourquoi donc en aurait-elle envie ? Pour cette proximité qui s’était tissée entre eux ? Ils rigolaient comme de vieux amis… Le médicomage savait-il seulement ce que c’était ? Des vieux amis ? A part César, évidemment.

Elle a déjà trouvé son cavalier, de toute façon. Et puis, vous n'iriez pas bien, ensemble. Jeong posa une main faussement outrée sur son torse. Pas bien ensemble ? fit-il semblant de s’offusquer. Mais au fond, il était soulagé que la chanteuse ait déjà un cavalier. Au moins ne viendrait-elle pas l’embêter… ou peut-être pour d’autres raisons ? N’avait-elle pas cherché à savoir s’il était un prétendant pour son amie pianiste, la dernière fois ? Il baissa les yeux, dissimulant à peine un sourire. Pourquoi souris-tu à cette idée ? Que se passe-t-il sous ton crâne ? Ou est-ce dans ton cœur ? Ne chercheras-tu pas à contredire Anne, si elle venait à te poser la question ? Eh bien, je serai là, moi… Il relève les yeux vers sa partenaire de déjeuner. Oui, vous serez là… et c’est bien tout ce qui importe, en vérité… Le Chansonia pourrait bien être bondé à ras-bord de célibataires, il n’aurait d’yeux pour aucune d’entre elles. Seulement pour celle qui se tenait déjà devant lui…

Il s’enquéra de ce que la jeune femme voulait dire, s’inquiéta d’être beaucoup abordé. Ignorer ces femmes qui viendraient graviter autour de lui ne serait pas si aisé si elles se révélaient nombreuses… Il cligna lentement des yeux, suivit sa main qui passait devant ses yeux, comme un miroir de ce qu’il faisait parfois avec ses patients pour tester leur vision. Non, vous ne me semblez pas aveugle, pourtant ... Vous ne vous rendez pas compte de combien vous ... vous êtes CHARMANT ? Je me demande si vous avez déjà usé d'un miroir pour vous regarder. Les dames, quelle qu'elles soient, comme Claire ou Sylvie, ont des yeux. Je suppose que bien des damoiselles vous trouveront à leur goût. Difficile de f- Oh… Il plissa les lèvres un instant, réfléchissant. J’ai bien conscience que je suis… charmant, comme vous dites… Il n’y avait d’arrogance, ni de fausse modestie, chez Jeong, jamais. Il savait qu’il était attirant, ça oui, mais comme lui-même ne s’intéressait guère à cela… Je ne pensais juste pas que… eh bien… Je ne sais pas trop… J’ai toujours tellement été plus intéressé par la médicomagie et les plantes… Je… Peut-être partais-je du principe que ça… repoussait ces dames… Je ne sais pas trop, en vérité… Je ne m’en suis jamais inquiété… Jusqu’à présent en tout cas…

Je ne sais pas combien viendront essayer d'attirer votre attention. Mais si vous sentez qu'elles deviennent trop ... insistantes, je demanderai à Joseph de vous accepter dans ma loge. Il lui suffira de déclamer votre identité, vous pourrez vous y réfugier. Et puis, avec un peu de chance, ces dames auront des cavaliers et ne viendront pas essayer de vous faire la cour. Merci. répondit-il avec un sourire sincèrement reconnaissant. Être au centre de l’attention pour une conférence en médicomagie, ça ne le dérangeait pas… mais rien que l’idée de se retrouver entouré de jeunes femmes tentant de lui agripper les bras pour l’emmener sur la piste de danse ou pour partager un cocktail ou un repas, lui donnait des palpitations… et pas des agréables. Pas comme celles qui agitent ton cœur lorsque vos doigts se frôlent, n’est-ce pas ? Un emballement agréable ? Oui, certainement, puisqu’il cherchait à le reproduire… puisque le bout de ses doigts le démangeait d’effleurer plus encore la peau de la jeune sorcière.

Oui. Je n'en dis pas plus pour garder la surprise. Il se prenait à imaginer la robe qu’elle pourrait bien porter… Brillante, donc… Élégante ? Distinguée ? Frivole ? Il plissa à nouveau les lèvres. Il espérait qu’elle ne serait pas trop courte… Il ne voulait pas… Tu ne veux pas que les autres puissent s’imaginer des choses ? S’il se savait parfaitement ignorant de ces choses, et passablement imperméable au désir, il savait que ce n’était pas le cas de la plupart des hommes… Imperméable au désir, hein…? Crois-tu l’être encore ? Non, il n'en sera ainsi que pour les acteurs, musiciens et employés. Les clients peuvent venir comme ils le souhaitent, vêtus de ce qu'ils désirent. Vous… Ses mots se bousculèrent sur ses lèvres soudain desséchées, alors qu’il la vit se pencher en avant, qu’il la sentit tirer sur le col de sa blouse. Un costume tel que celui-là est très bien par exemple. Évitons simplement la robe de médicomage par-dessus, cela ferait désordre. Sous la caresse de son doigt sur sa gorge, Jeong eut l’impression que sa peau s’enflammait. De ce creux entre ses clavicules jusqu’à ses pommettes… Il déglutit un peu péniblement. Vous me rassurez… reprit-il. Car je crois ne rien posséder de… chatoyant, dans ma garde-robe…

Vous n'aviez pas à vous sentir obligé de venir. Je ne voulais pas paraître discourtoise, mais - je suis contente à l'idée que vous veniez. J’ai envie de venir. répondit-il peut-être un peu trop vite. Il baissa les yeux, un brin gêné. Il se servit une tasse de thé sans pourtant la portée à ses lèvres. Je ne me sent pas obligé. ajouta-t-il. Vraiment… Vous ne vous êtes même pas encore séparés pour le reste de la journée, que tu te languis déjà de la revoir, n’est-ce pas ? Il avait envie de l’entendre jouer, à nouveau. De la voir, dans cette robe qu’elle lui promettait brillante. De… de la voir danser, peut-être… De la voir rire, sourire, avec Anne ? Danser… avec lui ? Te souviens-tu des pas de danse que la mère de César t’a enseignés ? Sont-ils adaptés à une soirée au Chansonia ? Pas trop guindés ? Il secoua intérieurement la tête. Il faudrait déjà qu’elle veuille bien danser avec lui… Ils n’en étaient pas encore là. Crois-tu ?

Et vous avez mérité Bruno votre dragon de papier, comme ma petite surprise. Aurais-je le droit à un autre indice ? demanda-t-il, tout en piochant un nouveau pain aux raisins dans la boîte qu’elle avait ramenée. Il en déchira un morceau qu’il tendit vers les lèvres de la jeune sorcière, sans vraiment se rendre compte de l’intimité de ce geste.

Ce n'est que mon avis, mais si vous lui faisiez quelques oeillades bien pesées, elle vous tomberait dans les bras. Mais non - vous ne formeriez pas un couple assorti. Elle est trop ... exhubérante, pour vous, je trouve. Elle est si belle quand elle rit ainsi… Eh bien alors ? On s’emballe ? Il ne pensait clairement pas à Anne… Ça non. S’il venait à avoir une discussion avec elle durant la soirée de St Valentin… Ah… Lui demanderais-tu des conseils pour charmer sa jeune amie ? Vous avez raison. Répondait-il à la première partie de sa réponse, ou à la deuxième, ou bien aux deux ? A la petite voix dans sa tête ? N’avait-il pas le droit de penser à lui, pour une fois ? Ne lui répétaient-ils pas tous, ceux qui le connaissaient un minimum, qu’il devait prendre soin de lui ? Souffler ? Se concentrer sur ce qui le rendait heureux ? En dehors du travail, évidemment. Car pour eux, là était le souci : il travaillait trop… Ils ne savaient pourtant pas pourquoi il travaillait tant…

Si vos passions ou ce qui vous anime fait fuir les dames, c'est qu'elles ne méritent pas votre attention. Nombre d'entre elles ne sont sûrement attirées que par votre beauté. Nombre d'entre elles n'hésiteraient pas non plus à jeter leur dévolu sur vous pour votre place de chef guérisseur. Il ne manquerait plus que vous ne soyez un bon parti, et vous seriez épinglé comme fiancé en puissance. Anne n'a cessé de me rabâcher que vous deviez être un prince, tant vous lui avez fait forte impression. Peut-être avait-il pensé que son manque d’intérêt pour autre chose que la médicomagie les aurait repoussées… Oh. commenta-t-il à nouveau, dans cette surprise laconique. Devait-il lui dire qu’en plus d’avoir un métier haut placé, il était issu de l’aristocratie coréenne, était sang-pur, et n’avait guère besoin de se soucier d’un potentiel manque d’argent ? Non. Tu ne l’as pas entendue ? Son ton indiquait clairement qu’elle n’avait rien à faire de tout cela… et, en plus, ne s’était-elle pas fiancée à André envers et contre tout ? L’argent et la nature du sang doivent être bien futiles pour elle, tant que l’amour est présent.

Il avait envie… il avait envie… Depuis combien de temps leurs corps ne s’étaient pas frôlés ? Pas si longtemps. Une minute, deux ? Peut-être trois tout au plus ? Oh, et, regarde, de quoi te languis-tu ? Ses phalanges avaient effleuré le creux de sa gorge, y emprisonnant sa respiration. Encore… Une étrange créature grondait entre ses clavicules, au creux de son ventre, déstabilisant la petite voix et le médicomage. Il papillonna des paupières un instant. Son corps réclamait-il la prolongation de ce contact ? Son retour ? Plus encore ? Que se passe-t-il ? Ça s’appelle le désir, Jeong. Au bout de 42 ans d’existence, il serait peut-être temps. Désir ? Non. Impossible. Et pourquoi pas ? Il se sentait cassé. Brisé. Anormal. Du désir ? Lui ? Après si longtemps ? Son système hormonal n’était-il pas complètement hors-service depuis tout ce temps ? Un de vos sourires suffit. Perdu dans ses pensées, dans ses sensations, il avait complètement zappé le début de sa phrase. Sourire ? Suffire à quoi ? Attirer l’attention, imbécile. Atterris un peu. Ecoute quand la dame te parle. Sourire alors. Doucement. Peut-être ne devrais-je pas en abuser, dans ce cas… Tu peux aussi carrément lui dire que tu lui réserveras tes sourires, aussi, hein ?

Bon, OK, répondre aussi vite pour lui dire que tu as envie de venir, c’est pas mal aussi. Pas sûr qu’elle comprenne que c’est uniquement pour toi, mais c’est un début. Et pourtant, elle sourit. Radieuse… Ses joues rosissent, mais il ne le remarque pas, trop occupé à se servir du thé pour cacher son propre trouble. Changer de sujet. La surprise ? Oui, bonne idée. Demander un autre indice. Il déchire un morceau de pain aux raisins et…

La sensation.
Ses lèvres. Si douces.
Sa langue. Si chaude.
Sur ses doigts.
Le cœur qui s’arrête. Il a oublié comment danser… avant de se remettre à faire n’importe quoi. Mais c’est toi aussi ! A quoi tu t’attendais en tendant un morceau de viennoiseries à ses lèvres, babo ! Ses phalanges restent figées en l’air pendant un instant qui lui semble durer une éternité, comme des grains de sable coincés dans un sablier. Ses iris bronze sombre ne quittent pas cette peau pâle. Elle picote encore du contact des lèvres d’Astérie. Ses lèvres. Sur ses doigts. Sur sa peau. Pas comme le baiser sur son front plus tôt. Non. Ses lèvres. Sa langue. Sur ses doigts. Ses pensées refusaient de faire autre chose que de tourner en boucle là-dessus. Il laissa sa main retomber sur ses genoux lentement, comme s’il se forçait. Qu’est-ce que tu voudrais faire d’autre avec, franchement ? Une pensée brûlante traversa son esprit, mais il la chassa vite fait. Non. Non. Non.

Il détourna enfin les yeux, et reposa le pain aux raisins dans la boîte. Ses lèvres. Sa langue. Sur ses doigts. Je- heu … Le regarde-t-elle ? Y arrive-t-elle ? Sans avoir envie de s’enfoncer six pieds sous terre ? Un indice ... Hem ... Ah oui : vous n'aurez pas à vous soucier du public ou des autres clients, avec ma surprise. Pas à se soucier du public ou des autres… Il tente de la regarder du coin de l'œil. Voulait-ce dire qu’ils seraient seuls, à l’endroit de la surprise ? Seuls. La tête lui tournait à cette pensée. Seuls. A une soirée de St Valentin. Sur une péniche. Avec de la musique. Seuls. Sa langue. Ses lèvres. Sur ses doigts.

Des coups sont frappés à la porte, sans que celle-ci ne s’ouvre, et le médicomage sursaute violemment, cogne son genou contre le bureau et reste debout avec une grimace. Oui ? parvient-il à articuler, d’une voix un peu étranglée. Docteur Kim ? Je suis désolé de vous déranger durant votre pause déjeuner… mais il y a un patient qui mérite votre attention… Il déglutit. Je… uhm… Il se racle la gorge. Laissez-moi une minute. Jeong se tourne alors vers Astérie. Elle a l’air aussi gênée que lui. Je… uhm… Je suis désolé. De lui avoir tendu ses doigts ? De devoir la laisser ? Les deux ? Je… Je crains que le devoir ne m’appelle… Sauvé par le gong, tu veux dire ! Il s’incline maladroitement, reste troublé de son éducation coréenne. Merci encore pour le repas… et… uhm… pour… votre compagnie. Oseras-tu ? N’oseras-tu pas ? Il hésite, le corps perclus de tensions. Puis, finalement, avant de revenir sur sa décision, il s’empare gauchement de la main de la pianiste pour venir y déposer un baiser. A… à bientôt… Astérie… murmure-t-il dans un souffle, avant de contourner sièges et bureau pour s’enfuir vers la porte.

Porte qu’il referma derrière lui avec un soupir à la fois gêné et soulagé. Non pas qu’il était soulagé de quitter la jeune femme – bien au contraire, tout son être lui disait d’y retourner –, mais plutôt la honte qui rougissait ses joues. L’interne qui l’attendait adossé au mur à côté de la porte l’observa par-dessus son bloc-notes. Tout va bien, Docteur Kim ? Vous avez l’air à la fois très pâle et très rouge. Jeong se racla la gorge et tendit la main vers le dossier du patient, dans un geste d’une impatience qui lui était peu commune. Si vous me disiez plutôt ce qui requiert mon attention ? marmonna-t-il, éludant la question.